VÊTEMENTS
Un jour la Beauté et le Laid se rencontrèrent sur le rivage. Et ils se dirent : « Allons nous baigner dans la mer. »
Alors ils se dévêtirent et nagèrent. Au bout d'un moment le Laid revint sur le rivage ; il s'habilla avec les vêtements de la Beauté et poursuivit son chemin.
Et la Beauté sortit aussi de la mer, mais ne trouva pas ses habits; parce qu'elle était trop timide pour rester nue, elle s'habilla avec les vêtements du Laid. Et la Beauté poursuivit son chemin.
Et à compter de ce jour les hommes et les femmes prennent l'un pour l'autre.
Cependant il en est qui ont aperçu le visage de la Beauté, et ils la reconnaissent malgré ses habits. Et il en est qui connaissent le visage du Laid, et ses vêtements ne le dissimulent pas à leurs yeux.
L'AIGLE ET L'ALOUETTE
Une alouette et un aigle se rencontrèrent sur un rocher au sommet d'une colline. L'alouette dit : « Bonjour à vous, monsieur. » Mais l'aigle la toisa et marmonna : « Bonjour. »
Et l'alouette dit : « J'espère que tout va bien pour vous, monsieur.
— Oui, dit l'aigle, tout va bien pour nous. Mais ne sais-tu pas que nous sommes le roi des oiseaux, et que tu ne dois pas t'adresser à nous avant que nous ayons parlé? »
L'alouette dit : « Il me semble que nous appartenons à la même famille. »
L'aigle la regarda avec dédain et dit : « Qui t'a donc dit que toi et moi appartenions à la même famille ? »
Alors l'alouette répondit : « Mais je voudrais te rappeler ceci, je peux voler aussi haut que toi, et je peux chanter et donner du bonheur aux autres créatures de cette terre. Et tu ne procures ni plaisir ni bonheur. »
Alors l'aigle se mit en colère et dit : « Plaisir et bonheur ! Petite créature présomptueuse ! Je pourrais te détruire d'un coup de bec. Tu es à peine de la taille de mon pied. »
Alors l'alouette s'envola et s'abattit sur le dos de l'aigle et elle commença à picoter ses plumes. L'aigle était contrarié, et s'envola vite et haut pour pouvoir se débarrasser du petit oiseau. Mais il échoua. Pour finir il retourna sur ce même rocher au sommet de la haute colline, plus agité que jamais, avec toujours la petite créature sur son dos, maudissant la fatalité.
À ce moment arriva une petite tortue qui rit devant pareil spectacle, et rit si fort qu'elle manqua se retourner sur le dos.
Et l'aigle toisa la tortue et dit : « Toi, petite chose lente et rampante, qui ne fais qu'un avec le sol, de quoi ris-tu ? »
Et la tortue répondit : « Eh bien, je vois que tu es changé en cheval, et qu'un petit oiseau te chevauche, mais le petit oiseau t'est supérieur. »
Et l'aigle lui rétorqua : « Retourne à tes affaires. C'est une affaire de famille entre ma sœur, l'alouette, et moi. »
LE CHANT D'AMOUR
Un poète écrivit une fois un chant d'amour qui était très beau. Et il en fit de nombreuses copies, et les envoya à ses amis et à ses connaissances, aussi bien à des hommes qu'à des femmes; il l'envoya même à une jeune femme qu'il n'avait rencontrée qu'une seule fois et qui vivait par-delà les montagnes.
Au bout d'un jour ou deux un messager envoyé par la jeune femme vint apporter une lettre. Dans cette lettre elle disait : « Laisse-moi t'assurer que je suis profondément touchée par le chant d'amour que tu as écrit pour moi. Viens aussitôt rencontrer mon père et ma mère, et nous prendrons les dispositions pour les fiançailles. »
Et le poète répondit à la lettre, en ces termes : « Mon amie, ce n'était qu'un chant d'amour né du cœur d'un poète, que chaque homme chante à chaque femme. »
Et elle lui écrivit à nouveau : « Hypocrite et menteur ! À compter de ce jour et jusqu'au jour de ma mort je haïrai tous les poètes tes semblables. »
LARMES ET RIRES
Sur la berge du Nil, un soir, une hyène rencontra un crocodile; ils s'arrêtèrent et se saluèrent.
La hyène dit : « Comment allez-vous, monsieur ? »
Et le crocodile répondit : « Cela va mal pour moi. Parfois dans ma peine et mon chagrin je pleure, et alors les autres créatures disent toujours : "Ce ne sont que des larmes de crocodile." Et cela me blesse plus que je ne saurais le dire. »
Alors la hyène dit : « Tu parles de ta peine et de ton chagrin, mais pense à moi aussi, un moment. Je regarde la beauté du monde, ses merveilles et ses miracles, et gagnée par une joie pure je ris de même que le jour rit. Et alors le peuple de la jungle dit : "Ce n'est que le rire d'une hyène". »
004