INTRODUCTION : POURQUOI CE DICTIONNAIRE ?
Les apparitions semblent constituer un sujet majeur à bien des titres.
Elles jalonnent la Bible* et structurent la Révélation même. Dieu parle et apparaît au patriarche Abraham, à Moïse et aux prophètes, à Jésus-Christ, aux apôtres Pierre et Paul et à d’autres chrétiens dans les Actes des Apôtres, bref d’un bout à l’autre des Écritures.
Les apparitions du Christ ressuscité sont le sommet et l’achèvement de l’Évangile. Elles sont le fondement de la foi, enseigne l’apôtre Paul (1 Co, 15).
Les apparitions de la Vierge sont l’objet de nombreux sanctuaires et de pèlerinages* majeurs : Guadalupe* (1531), Aparecida* (Brésil), La Salette*, Lourdes*, Fatima*. Pie XII* et Jean Paul II* ont accordé aux messages privés, naïvement présentés par les jeunes bergers de Fatima, une importance qui a bousculé la tradition de réserve de la papauté à l’égard de ces phénomènes que l’Université appelle constamment « visionnaires », verrons-nous.
Les apparitions tiennent une place marquante dans l’actualité à des titres divers. Jean Paul II a consacré nombre de ses premiers voyages à des sanctuaires d’apparitions : Knock* (Irlande), Guadalupe, Fatima, Lourdes, Paris* (rue du Bac), etc.
La littérature* des apparitions s’est multipliée, dans des proportions sans précédent depuis le début des années 1980. Tout cela semblerait les mettre en honneur. Et pourtant, tout dissuade de s’en occuper. Elles restent actuellement dans l’Église catholique un signe* de contradiction (Lc 2, 35), sauf celles qui émergent finalement et tardivement, et donnent naissance aux plus grands sanctuaires de la chrétienté.
Un sujet à risque
« Lorsque l’enfant paraît, le cercle de famille applaudit à grands cris », écrivait Victor Hugo. « Lorsque la Vierge paraît », le cercle de famille* n’applaudit pas, mais s’afflige et s’inquiète.
À Lourdes, dix jours après la première apparition, le 21 février 1858, le garde champêtre Callet saisit Bernadette Soubirous « par son capuchon » pour l’emmener subir les orageux interrogatoires du commissaire de police Jacomet, puis ceux du procureur impérial Dutour et du juge Ribes. L’État se mobilisa pour la répression, du préfet aux ministres et jusqu’à l’empereur Napoléon III, en vacances dans les Pyrénées, qui se fit une popularité en mettant fin aux barrières, procès et tracasseries administratives, multipliées durant l’été 1858.
À Pontmain* (1871), le général de Charrette menaça les enfants* de son sabre (R. Laurentin, Pontmain, Paris, 1970, 64 et 97).
À Fatima, les jeunes voyants* furent sommés de se rétracter, puis emprisonnés pour empêcher l’apparition du 13 août 1917. Et ainsi de suite, jusque dans une actualité foisonnante.
Les apparitions ne sont pas mieux vues dans l’Église. À Lourdes, le 2 mars 1858, lors de sa première visite au presbytère, Bernadette fut refoulée par l’une des tonitruantes colères dont le curé Peyramale avait le secret, quoique homme de cœur dévoué par priorité aux pauvres. À Pontmain, les voyants furent menacés de damnation par l’évêque*. À Heroldsbach* (Allemagne), sanctuaire aujourd’hui reconnu, des voyants furent excommuniés parce qu’ils refusaient de renier leurs apparitions. Ce même cas de conscience est fréquent, verrons-nous (Gianna* Talone, Vassula* Ryden, etc.).
Ces réserves de l’Église sont à comprendre à la lumière de l’action énergique et claire du cardinal Ottaviani*, de ses raisons doctrinales et pastorales que nous évoquerons.
Ainsi les apparitions sont-elles le sujet théologique le moins scientifiquement étudié, le plus occulté et le plus controversé.
Si j’ai tant investi depuis plus d’un demi-siècle, dans ce projet, c’est d’abord parce que des évêques et la congrégation* pour la Doctrine de la foi même m’y ont engagé et m’ont soutenu pour sortir des multiples confusions et malentendus qu’engendre ce manque d’étude sérieuse : pas un dictionnaire, pas un véritable ouvrage d’ensemble, pas une encyclopédie n’avait été consacrée aux apparitions, malgré la place impressionnante qu’elles tiennent dans la vie de l’Église.