INTRODUCTION
LA MCDONALDISATION DU VIN LA GRANDE TRAVERSÉE
LES EXCÈS DE LA MONDIALISATION
De plus en plus de voix s’élèvent contre la mondialisation de l’économie. Les thèses les plus abouties côtoient les essais les plus farfelus. Ces dernières années, de nombreux livres ont connu un réel succès depuis L'Horreur économique de Viviane Forrester 2jusqu'à La Grande Désillusion de Joseph Stiglitz 3, prix Nobel d’économie, en passant par No Logo 4de Naomi Klein. De nombreux cercles, groupes, associations, partis, syndicats... dénoncent les excès du marché. L'altermondialisme est devenue au fil des années un mouvement composite mais structuré, organisé autour de ses leaders, ses héros, ses associations, ses rassemblements. Le développement d’une littérature abondante est le signe d’une tendance lourde. On pouvait hier toiser, railler ou ignorer un José Bové. On ne peut plus aujourd’hui faire l’impasse sur ce mouvement de fond qui proteste contre la mondialisation dans sa forme actuelle. Des associations comme Attac regroupent plusieurs milliers d’adhérents et des masses encore plus considérables de sympathisants. La montée des partis d’extrême-gauche en France est loin d’être un épiphénomène. Autre fait significatif, la logorrhée n’est pas en reste : McDonaldisation, Disneyisation, McWorldisation, Burger Kingization... tous ces néologismes évoquent ce qu’il est convenu d’appeler la « marchandisation » du monde sous influence américaine.
La thèse de la marchandisation du monde consiste à dénoncer une privatisation générale qui pousse ses ramifications dans les moindres recoins de notre économie. En résumé, ce n’est pas le marché, lieu d’échange par excellence, qui pose problème mais ses excès. L'appropriation par la sphère privée d’activités qui relevaient autrefois du domaine public et culturel est certainement le point le plus crucial sur lequel se focalisent les attaques. Dans son ouvrage, L'Âge de l’accès, Jeremy Rifkin nous alerte sur les dangers d’une telle évolution. « Nos existences sont déjà aux mains des professionnels du marketing qui traquent nos habitudes et nos modes de vie. Dans un monde où chacun devra acquitter un droit d’accès à sa propre vie, quelle place restera-t-il aux relations humaines et à la culture ? »5. La marchandisation traduit ce conflit croissant entre le marché mondial et les cultures locales, notamment dans l’alimentaire et la gastronomie. Ces domaines sont au cœur de symboliques puissantes pour tous les peuples : source de la vie, rapport à la terre, pérennité de l’espèce... Des entreprises comme McDonald’s ou Monsanto et, comme nous le verrons, Mondavi deviennent les symboles de cette mondialisation honnie qui impose des standards homogènes au détriment des diversités locales. Ces entreprises ont l’ambition d’influencer, voire pour certaines d’uniformiser, la nourriture que nous consommons, les semences que nous plantons... et le vin que nous buvons. En imposant des standards, ces entreprises cherchent à créer leur propre écosystème d’affaires pour mieux exercer leur contrôle. Elles deviennent les firmes leaders et peuvent alors conduire les évolutions au gré de leurs alliances et stratégies de coopération.
Dans le domaine du vin, les puristes redoutent les effets négatifs d’une production trop standardisée. Le vin est un produit qui éveille les sens : le goût, la vue, l’odorat. C'est cette caractéristique qui se perd avec l’industrialisation du produit. Pour Jean-François Gautier, conseiller juridique à l’Onivins (Office National Interprofessionnel des Vins), « cette politique de standardisation a déjà conduit à l’emploi généralisé de la machine à vendanger, à l’usage quasi exclusif des clones végétaux et à la vogue actuelle des “vins de copeaux”. La mondialisation de la production vinicole est sans aucun doute un élément de banalisation : "L'ennui naquit un jour de l’uniformité” a dit le poète. Mais il faut espérer que les producteurs sauront partout préserver l’originalité de leur vin, et la défendre sous une forme juridique appropriée » 6. Cette crainte de la standardisation, sur fond d’anti-américanisation, n’est pas nouvelle. Elle est profondément ancrée dans la société française.