L'Année terrible touchait à sa fin. Après la défaite, la Commune. Après le traité de Francfort, la semaine sanglante. « Le sol de Paris est jonché de cadavres, écrit Thiers le 26 mai 1871. Ce spectacle affreux servira de leçon
1. » Trente-sept mille arrestations avaient été opérées, les prisons regorgeaient, les commissions militaires spéciales fonctionnaient à plein. La haine, après la peur, brûlait le cœur des vainqueurs
2. Depuis le 17 février 1871, Adolphe Thiers était le chef du pouvoir exécutif. Le 31 août, l'Assemblée nationale lui avait accordé le titre de président de la République. L'ancien ministre de Louis-Philippe, l'adversaire des républicains de 1848 à 1851, l'opposant royaliste sous l'Empire, incarnait ainsi, faute de monarchie parlementaire, le ralliement à la République, mais à une République qui, selon sa formule, « sera conservatrice ou ne sera pas ». Sur ce point au moins, Thiers était en harmonie avec la majorité d'une Assemblée qu'il dominait de son autorité méprisante et de son expérience politique, et qui pour une large part le détestait.
Singulière Assemblée, en vérité, que celle qui siégeait dans la salle exiguë et mal agencée du théâtre du château de Versailles. Les élections précipitées de février 1871, faites sans campagne électorale et dans des circonstances dramatiques, avaient vu le triomphe des conservateurs. Les monarchistes comptaient 400 députés sur 645 élus. Mais, à peine la paix signée et la Commune écrasée, lors d'élections partielles dans 47 départements, au mois de juillet 1871, la victoire des républicains avait été éclatante
3. L'Assemblée se trouvait profondément divisée. Dans la majorité monarchiste s'opposaient les légitimistes, soutenant le comte de Chambord, petit-fils de Charles X, les orléanistes de droite ou de centre gauche, et une poignée de bonapartistes. De leur côté, les républicains étaient partagés entre les modérés, conduits par les « Jules » – Grévy, Ferry, Simon et Favre –, et les radicaux réunis autour de Gambetta. Cependant, il fallait donner à la France des institutions nouvelles
4, réorganiser l'armée face à l'Allemagne de Bismarck toujours menaçante
5, pourvoir aux finances d'un État ruiné par la défaite et l'occupation
6. Dans cette conjoncture difficile, le 11 décembre 1871, le vicomte d'Haussonville, député, saisit l'Assemblée d'une « proposition de loi ayant pour objet l'ouverture d'une enquête sur le régime des établissements pénitentiaires ».