chapitre premier
Comprendre le cerveau ?
« Pour commencer, je dis, quant à moi, que l'esprit, que souvent nous nommons la pensée, où est sis le conseil de la vie et son gouvernement, est de l'homme une part, non moins que mains et pieds et yeux ne sont des parts d'un animé entier. [...] Il se trouve fiché au sein de la poitrine, en sa zone centrale. Car c'est là que la peur comme l'effroi bondissent, c'est cette zone-là que caressent les joies, c'est donc là qu'est l'esprit, c'est là qu'est la pensée. »
Lucrèce, De la nature des choses.
Petit aperçu sur une histoire de plusieurs millénaires
Il nous semble aujourd'hui tout à fait naturel que pensées et sensations prennent naissance dans notre cerveau. Il aura pourtant fallu des siècles de raisonnement et d'observation pour que cette simple localisation devienne évidence, comme l'atteste la citation de Lucrèce (98-55 av. J.-C.). En effet, cet organe discret de 1 500 grammes, logé bien à l'abri dans notre crâne, ne paraissait pas devoir être le centre de commandement de la forteresse humaine. Les anciens Égyptiens considéraient que les fonctions vitales avaient leur siège au niveau du cœur et du diaphragme. Cependant, les philosophes grecs, notamment Platon (428-348 av. J.-C.), malgré de faibles connaissances anatomiques, accordèrent plus d'importance au cerveau. Ils avaient déjà perçu que là devait résider le grand ordonnateur de l'être, capable aussi bien de recueillir toutes les sensations corporelles que d'agencer les pensées et de planifier les actions.
Toutefois, cette certitude a été fréquemment remise en cause au cours des siècles. La thèse cardiocentriste fut ainsi développée par Aristote (384-322 av. J.-C.), pourtant disciple de Platon. Elle resurgit parfois et donne encore lieu à de nombreuses expressions courantes mettant symboliquement et étymologiquement le courage au compte du « cœur ».
L'un des grands précurseurs de notre compréhension du système nerveux fut Hérophile, qui vécut autour de 300 av. J.-C. et qui fit de nombreuses dissections. Il put ainsi décrire précisément les principaux éléments du système nerveux central et notamment les différents ventricules, cavités intracérébrales communicantes. Galien (131-201) est le fondateur de la médecine moderne. Il comprit le circuit de l'influx nerveux, du cerveau jusqu'aux membres en parcourant les nerfs, mais attribua toutefois aux ventricules un rôle déterminant. Son enseignement fut dispensé du Moyen Âge jusqu'à l'époque moderne.
Durant toute cette période, la théorie ventriculaire resta en vogue, attribuant des fonctions spécifiques à chacune des cavités ; les nerfs étaient considérés comme des tubes capables de véhiculer les « esprits animaux », vecteurs de la pensée. On doit à André Vésale (1514-1564) un réexamen critique de la description anatomique humaine qu'avait faite Galien. Il contribua à la remise en cause de la théorie des ventricules (figure I-1).
Au début du xviie siècle, Descartes élabore une théorie « dualiste » qui fait cohabiter une âme immatérielle et un corps physique. Les nerfs sont des sortes de petits tubes renfermant des « filets », analogues à un câble de frein dans sa gaine. Les objets de la vision, par exemple, mettraient en mouvement ces petits filets qui eux-mêmes mettraient en mouvement les parties du cerveau auxquelles ils sont reliés. La glande pinéale (hypophyse) serait le lieu de rencontre des influx nerveux venus des deux yeux : ils y seraient synthétisés et transformés en « esprits animaux ». Les organes du cerveau fonctionneraient de façon tout à fait automatique et le corps ne serait finalement qu'une machine assez semblable à ces automates que l'on voit apparaître à la cour des rois.
Le premier livre consacré au cerveau humain est dû à Thomas Willis en 1664. Celui-ci retirait aux ventricules cérébraux le rôle éminent qu'on leur avait attribué. Il faisait notamment de la matière cérébrale le siège de la motricité volontaire, le cervelet étant, lui, dépositaire de la motricité involontaire. Avant la fin du xviie siècle, les premières observations microscopiques, effectuées par Marcello Malpighi, permirent de découvrir que la substance blanche du cerveau était en fait constituée de fibres se terminant dans le cortex, la substance grise, qui occupe la surface des hémisphères.