Introduction
Cet ouvrage est né de la volonté des auteur(e)s de penser les rapports à l'altérité autrement. Nombreux sont les discours essentialistes, qui enferment les individus dans une essence dont ils ne peuvent s'échapper. Ces discours renvoient à une vision négative et dangereuse de celles et ceux qui ne se fondent pas, apparemment, dans le modèle dominant. La désignation de « problèmes sociaux » supposés liés à un entre-soi culturel ou à un espace géographique à un moment donné, contribue à stigmatiser des personnes et des groupes sociaux, culturels ou religieux. Ainsi, les « problèmes dans les banlieues » ou les « banlieues à problèmes » seraient liés à une actualité récente et aux individus qui habitent ou investissent ces espaces. Les deux derniers siècles, marqués par l'industrialisation, avaient leurs « classes dangereuses ». Les dernières décennies, à la fois complexifiées et enrichies par des migrations parfois plus anciennes, ont également leurs cultures dangereuses. Désignées en fonction de leur « origine » supposée ou véritable, proche ou lointaine, de leur apparence, de leur lieu ou de leur mode de vie (réel ou fantasmé), de leurs cultures ou de leur religion, de leur nom ou de leur prénom, des personnes ne cessent d'être catégorisées comme Autres. La référence de plus en plus prégnante à ce qui est perçu comme « l'origine » ou « l'appartenance », souvent fondée sur l'apparence, tend à devenir le seul mode explicatif de pratiques considérées comme déviantes (hors normes) ou désordonnées (hors l'ordre social).
Ce processus renvoie à l'opposition en termes de minorité et de majorité, qui se fonde sur des rapports de domination, de dépendance et d'exclusion (Bertheleu, 2001). Le fait minoritaire n'a rien d'une réalité quantifiable. C'est plutôt, comme le souligne le sociologue Pierre-Jean Simon, la notion de situation minoritaire qui est essentielle. Car dans un tel contexte, les individus ou les groupes minoritaires sont notamment considérés comme
« différents, et d'une différence toujours négative, face à la majorité qui prétend incarner, elle, la norme et la normalité »
Simon,1996, p. 58.
Ces processus de minorisation, fondés notamment sur une apparente appartenance, et que nous souhaitons ici déconstruire, se déclinent en plusieurs modes et sont portés par plusieurs voix, du discours populaire au discours savant en passant par le discours politico-médiatique.
Dans le discours commun, se référer à l'origine est avant tout une façon voilée, pas toujours consciente ni malintentionnée, de référer une personne, identifiée comme « différente », à une altérité. L'origine, telle qu'employée dans ces contextes, désigne une ascendance géographique, nationale, culturelle ou/et religieuse, certes parfois réelle, mais surtout supposée ou même imputée par celui ou celle qui catégorise « l'Autre ».
Cette imputation d'altérité, loin d'être effectuée uniquement dans le registre des interactions quotidiennes, est reprise, voire alimentée, par les discours médiatiques, politiques ou patronaux qui véhiculent, alimentent et mobilisent des lieux communs construits autour d'un label ethnique qui renvoie d'une part à un mode de vie spécifique et d'autre part à un groupe supposé réel de personnes. Parmi les pièces maîtresses de ces processus de minorisation figurent les discriminations légales. Dans le cas des non-nationaux par exemple, l'étranger relève d'un statut d'exception, celui de résident non-citoyen (Lochak, 1985, 2004). Ce statut juridique discriminatoire renforce l'exclusion de celui qui n'appartient pas au groupe déjà constitué (la nation) et le positionne d'emblée dans un état d'infériorité. Ainsi, comme le souligne l'anthropologue Catherine Quiminal (2002),
«la discrimination liée à la définition de l'État-nation constitue la matrice commune des catégories servant à classer les différentes figures de l'étranger ».
Les discriminations légales alimentent de fait les discriminations administratives (qui, elles, concernent aussi les personnes perçues comme étrangères et non plus légalement étrangères), qui relèvent plutôt de la pratique des agents de l'administration ou de l'organisation de l'accès du public à certains services. Elles alimentent également les multiples discriminations liées à l'accès à l'emploi, à un logement, aux loisirs.