CHAPITRE PREMIER
Lumières et pierres
Les lumières, celles qu'émettent les astres, celles que reçoivent et auscultent les astronomes derrière leurs longues lunettes, nous permettent d'explorer le temps.
Lorsqu'un photon venant de l'étoile la plus proche, l'étoile Alpha du Centaure, atteint le télescope du mont Palomar, il a cheminé trois ans et demi à la vitesse de la lumière. Autrement dit, l'information qu'il porte est déjà vieille de trois ans. Lorsque nous observons la galaxie la plus semblable à la nôtre, celle d'Andromède, nous examinons des lumières émises il y a déjà deux millions d'années. Deux millions d'années-lumière, telle est en effet la distance qui nous sépare d'Andromède. Lorsque, en 1987, les astronomes du monde entier ont observé l'extraordinaire explosion d'une supernova dans le grand nuage de Magellan, il s'agissait en fait d'un événement qui avait eu lieu cent soixante-dix mille ans avant J.-C., alors que la Terre était en pleine période glaciaire. Les télescopes les plus puissants du monde, qui scrutent les amas de galaxies très pâles situés aux confins de l'Univers, enregistrent des événements qui se sont produits il y a plus de dix milliards d'années.
Observer loin, c'est explorer tôt.
C'est voir un passé de plus en plus reculé.
En effet, la lumière, messagère la plus rapide dans l'Univers, n'a pas une vitesse infinie. Trois cent mille kilomètres à la seconde est une vitesse considérable, la plus grande de tout le monde physique, si grande même que rien ne peut la dépasser, mais ce n'est pas pour autant une vitesse infinie. Cela correspond à peu près à 1 milliard de kilomètres à l'heure, ou à 10 000 000 000 000 de kilomètres par an, ce que l'on appelle l'année-lumière1.
Dans la vie courante, la transmission de la lumière nous apparaît comme instantanée; dans le cosmos, il n'en va pas de même, tant les distances sont grandes.
Et ce qui est vrai pour la lumière visible l'est aussi pour cette «lumière» invisible que sont les ondes radio d'une part, les ondes X de l'autre. Toutes les lumières se propagent à la même vitesse2.
Les délais nécessaires pour transmettre les messages lumineux construisent ce tableau hétérochrone qui nous donne le vertige mais nous émerveille par sa beauté et sa majesté chaque nuit d'été. Observant à la fois les étoiles du ciel et les pâles galaxies lointaines, nous avons devant nous ce que serait, pour l'histoire des hommes, le tableau formé par la Chine préhistorique en toile de fond, sur laquelle se superposeraient de proche en proche l'Arabie de Mahomet, la Renaissance italienne, et qui s'achèverait par le XIXe siècle français ! L'exploration de cette dilatation spatiale du temps a permis aux astronomes de bâtir le scénario de l'évolution galactique, de l'évolution stellaire des origines à nos jours.


Les pierres, objets solides d'origines variées, peuvent résister aux outrages du temps. Leurs âges se mesurent en millions et milliards d'années. Les manières dont elles se sont formées, dont elles ont été déformées, dont elles se sont conservées, sont autant de témoignages sur l'histoire de la Terre ou des planètes, ou même, nous le verrons, des étoiles et de l'Univers.
Lorsque le géologue, marteau à la main, examine les épaisses séries sédimentaires qui recouvrent horizontalement le plateau du Colorado ou le Bassin parisien, lorsqu'il en extrait les fossiles ou examine la texture des roches couche par couche, feuillet par feuillet, il cherche à reconstituer l'histoire de notre planète. Parfois, le livre des strates est chiffonné, déchiré, les couches en sont tordues, plissées, cassées, déplacées, comme c'est le cas dans les chaînes montagneuses de l'Himalaya ou des Alpes. Là encore, par une cartographie patiente, une étude minutieuse des roches sous microscope, le géologue sait reconstituer les événements qui ont conduit à ces dérangements.
Ces méthodes géologiques ont longtemps été confinées aux continents, là même où l'observation et les déplacements des hommes étaient aisés. Elles s'appliquent aujourd'hui au fond des mers, grâce à l'utilisation de la technologie moderne et du forage systématique. Toute la surface du globe peut être ainsi échantillonnée, étudiée, déchiffrée.
Chaque terrain, chaque roche, peut être daté. Grâce aux isotopes radioactifs de longue période, bien relayés par les fossiles animaux et végétaux ou par le magnétisme fossile, on est depuis longtemps déjà capable d'affecter un âge à chaque formation rocheuse. À partir de là, les lectures des ensembles rocheux peuvent être replacées dans un tableau chronologique. On peut reconstituer une histoire de la Terre depuis l'époque des plus vieilles roches terrestres, à savoir trois milliards huit cents millions d'années.