1.

Confortablement installé dans son fauteuil en bout de table, Zander ménageait ses effets. La tension régnait dans la salle de conférences. Tous les regards étaient tournés vers lui. Il avait bien sûr entendu la discussion houleuse qui venait de s’achever mais n’en laissait rien paraître. Tout le monde attendait son verdict. Il lisait de l’admiration et de l’envie dans les regards des hommes, et un tout autre sentiment dans ceux des deux femmes. Il n’ignorait pas être un objet de fantasme pour nombre de représentantes du beau sexe, et pas seulement grâce à sa fortune.

Il sortit soudain de son immobilité pour frotter la barbe de deux jours qui ombrait son visage, preuve qu’il n’avait pas ménagé son temps et ses efforts pour mener cette affaire à bien.

— Je veux cette île, finit-il par déclarer. Nous devons trouver une solution.

— Il n’y a pas de solution, intervint courageusement un des participants. Theo Kouropoulos a décliné d’innombrables propositions depuis vingt-six ans. Il ne veut pas vendre.

— Il vendra, répondit calmement Zander.

Ses collaborateurs, qui ne voyaient sans doute pas comment accomplir ce miracle, échangèrent des regards inquiets.

— Il vendrait peut-être… si tu avais une autre image, se lança Alec.

La tension s’accrut dans la pièce. Zander esquissa un sourire presque imperceptible et posa les yeux sur son avocat.

— Une autre image ?

— Theo Kouropoulos est marié à la même femme depuis cinquante ans, répondit Alec avec une grimace nerveuse. Il a six enfants et quatorze petits-enfants. Il accorde beaucoup d’importance à la famille, et c’est un complexe touristique familial qu’il a construit sur l’île de la Crique bleue. Pour dire les choses crûment, tu n’es pas le bon acheteur à ses yeux. Je le cite : « Ce n’est qu’un homme d’affaires impitoyable qui enchaîne les maîtresses et fuit tout engagement affectif. »

Zander haussa un sourcil.

— Et ?

Alec jeta un regard désemparé au directeur financier.

— Et il ne veut pas te vendre son île. Tu es le leader mondial des complexes touristiques destinés aux couples et aux célibataires. Tu sais ce que cette clientèle attend. L’île de la Crique bleue offre d’autres prestations. Tu ne possèdes rien de ce genre.

— Tu exposes son point de vue de manière très convaincante, commenta Zander en jouant avec son stylo. Pour qui travailles-tu ? Pour lui ou pour moi ?

Alec insista avec bravoure :

— Tu dois changer d’image si tu veux cette île, Zander. Ou bien te marier…

Un silence de mort s’abattit dans la pièce. Les grandes baies vitrées offraient une vue imprenable sur les rues embouteillées et baignées de soleil d’Athènes, mais personne ne songeait à regarder dehors. Tout le monde le fixait en retenant son souffle.

— Je ne me marierai pas, finit-il par répondre.

Cela provoqua quelques rires nerveux.

— Dans ce cas, je te suggère d’entrer en contact avec cette société de communication, reprit Alec en fouillant dans ses papiers. Elle est basée à Londres, où tu t’apprêtes à passer deux semaines. Ce sont des gens efficaces et discrets. Tu devrais au moins leur accorder un rendez-vous.

Zander observa son homme de loi en luttant contre les émotions dérangeantes que l’idée de mariage avait éveillées en lui. Il les avait enfouies dans le recoin le plus sombre de son esprit. Leur retour brutal était une surprise désagréable.

Se marier n’était vraiment pas la solution à son problème, et de toute façon c’était impossible. Il devait donc changer d’image…

Il serra les dents. Cette idée l’agaçait. Il ne s’était jamais soucié de sa réputation jusque-là ! Mais il voulait cette île. Cela faisait trop longtemps qu’il attendait le bon moment pour l’acheter. Il ne voulait plus temporiser.

— Très bien, répondit-il en se levant. Changeons mon image !

*  *  *

— N’avons-nous vraiment aucune information sur ce client ? s’étonna Lauranne en relisant sa présentation sur son ordinateur ?

— Rien du tout, répondit Mary, son assistante de direction, avec un air désolé. Curieux, non ? C’est peut-être une tête couronnée. L’homme qui a pris rendez-vous m’a juste dit qu’il s’agissait d’une affaire hautement confidentielle.

— Si confidentielle qu’il ne pouvait même pas te donner le nom de sa société ?

— Peu importe qui sont ces gens du moment qu’ils paient bien, intervint Tom en entrant dans la pièce avec des brochures sous le bras. Ils arrivent. Amanda est descendue les chercher à la réception.

— T’arrive-t-il de penser à autre chose qu’à l’argent ? demanda Lauranne, amusée, à son associé.

— Non, répondit-il en posant les brochures sur la table de conférence. C’est ce qui fait tourner notre société : tu en es la conscience, moi le tiroir-caisse.

Lauranne éclata de rire. Elle souriait encore quand Amanda entra dans la pièce, sans cacher son excitation. Le client devait être riche et célèbre, songea-t-elle en lissant sa jupe de soie.