INTRODUCTION
Heurs et malheurs de l’ennui
Pensait-il ses concitoyens incapables de meubler leur inactivité ?
Craignait-il que son bon peuple s’ennuie dès lors qu’il n’était pas occupé à la tâche ?
Voulait-il dans son omnipotence présidentielle prendre le contrôle de l’organisation des loisirs puisque celui du travail était d’ores et déjà en place ?
Voulait-il multiplier les jeux des loisirs dès lors que le pain du travail était assuré, à une époque où le chômage n’existait guère ?
Pensait-il comme la plupart des chefs d’État qu’un citoyen inactif a le temps de réfléchir et risque de penser à dresser des barricades ?
Toujours est-il qu’à peine élu, le président François Mitterrand s’est empressé de créer le ministère du Temps libre. C'était en 1981. Il est vrai qu'en ce qui le concernait, le sphinx de la République pouvait à juste titre se considérer comme un spécialiste du farniente, un pro de la méditation, lui qui, un peu à l’image d’un de Gaulle, s’était toujours attaché à ne travailler et agir qu’une partie limitée de son temps et à méditer le reste de sa vie.
Force est de reconnaître que la méthode ne leur a pas trop mal réussi, à l’un comme à l’autre.
Les débuts de cette nouvelle institution furent difficiles, le Président ayant juste omis d’informer le Premier ministre de ce projet pour le moins inhabituel, pour ne pas dire original.
Étrange acte manqué !
On imagine sans mal la tête de Pierre Mauroy quand il découvrit la chose ! Comme on pouvait s’y attendre, les réalités économiques se montrèrent vite implacables dès lors que les Trente Glorieuses étaient derrière eux. En 1983, le ministre André Henry fut contraint de mettre la clef sous le paillasson, non sans avoir inventé le chèque-vacances dont plus de cinq millions et demi de Français profitent encore aujourd’hui.
Depuis ce temps béni, il faut reconnaître que nos politiciens paraissent peu enclins à réglementer, voire favoriser l’inaction et son fils, l’ennui, ni pour eux-mêmes, ni pour leurs administrés. On aurait du mal à trouver une seule déclaration de leur part à propos de ce fameux temps libre et le moins que l’on puisse dire est qu’ils ne sont guère prolixes à ce sujet.
Et pourtant !
À l’issue d’une des campagnes électorales les plus mouvementées de notre Histoire, on est bien obligé de constater qu’aucun des candidats en lice n’a jamais abordé ce sujet, ni n’a clairement expliqué quelle sera sa politique de l’ennui. Au contraire, l’observation attentive de leur mode de vie au cours des mois qui ont précédé l’élection laisse craindre que, pour eux, la question de la place laissée à l’ennui soit proche du néant. Un vide intersidéral.
Et pourtant ! (bis !)
Le lecteur ne s’en rend peut-être pas encore compte, mais la place laissée à cette thématique est sans aucun doute une des questions de société les plus importantes de tous les temps.
L'ennui fait l'objet d'un combat planétaire qui dure depuis la création de l’Homme. Il a opposé et oppose toujours le monde méditerranéen au Nouveau Monde et depuis peu, le continent asiatique apporte sa contribution au débat.
Le droit à l’ennui est un enjeu de société, un enjeu économique, un enjeu philosophique, il a été un enjeu religieux, il a déclenché des conflits meurtriers et va être un des thèmes majeurs de l’avenir avec l’arrivée de l’Asie sur la scène économique mondiale. Quand on parle de droit du travail, des trente-cinq heures, du travail au noir, des heures supplémentaires, de l’ouverture des magasins le dimanche, de l’encadrement des loisirs, on ne fait en réalité qu’évoquer la part que les dirigeants entendent laisser à l’inaction et donc à la réflexion.
Mais malheureusement, on l’évoque par la bande, jamais de manière directe.
Avant de rentrer dans le vif du sujet, il faut comprendre une chose essentielle et méconnue : il existe deux formes d’ennui : le normal, celui que j’affirme souhaitable pour ne pas dire indispensable à tout individu et donc à toute création, qu’elle soit politique, artistique ou scientifique, et l’ennui pathologique, symptôme douloureux d’un grand nombre de maladies psychiatriques. Cet ennui-là est improductif par essence. Je plaide pour le premier et, durant toute mon existence de psychiatre, j’ai combattu le second.