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22 décembre

Theresa Mathews enfourna une dernière plaque de cookies et jeta un coup d’œil à l’horloge de la cuisine : 15 h 30. Timothy n’allait pas tarder à rentrer de l’école. Dans un quart d’heure tout au plus, il serait là.

Elle se dirigea vers la table où deux douzaines de gâteaux encore tièdes attendaient d’être glacés et décorés.

Elle avait réservé cette tâche pour Tim, même s’il n’aurait jamais avoué à ses camarades qu’il aimait faire de la pâtisserie. De même, il évitait soigneusement de leur dire qu’il aimait lire, ou qu’il avait besoin que sa maman lui fasse un câlin avant de s’endormir.

Theresa secoua la tête, un sourire aux lèvres. Son fils perdait une à une ses habitudes de petit garçon et, s’il lui était difficile de le voir grandir si vite, il lui tardait aussi de découvrir le jeune homme qu’il allait devenir.

Il était tout excité en partant à l’école ce matin : c’était la dernière journée de classe avant les vacances. Bientôt, il recevrait les cadeaux qu’il avait commandés pour Noël — un jeu vidéo, un nouveau vélo et le maillot de son héros, le joueur de football américain Joe Montana.

Il y avait une chose qu’il aurait aimée par-dessus tout : que son père et sa mère se remarient, et que tous les trois forment de nouveau une famille. Mais cela, Theresa ne pouvait le lui offrir. Elle s’efforça de chasser Sullivan de son esprit, pour ne pas laisser cette pensée assombrir la joie des préparatifs de Noël.

Elle était bien déterminée à offrir à Tim une fête aussi belle que les précédentes, malgré l’absence de son père.

Le grincement caractéristique de la porte d’entrée l’interrompit dans ses pensées.

— Il y a quelqu’un ? lança une voix claire et gaie.

Theresa sourit.

— Je suis dans la cuisine, Rose ! cria-t-elle.

Sa voisine apparut bientôt dans l’embrasure de la porte.

— Et où est mon petit prince ?

— Il n’est pas encore rentré de l’école, répondit Theresa en lui faisant signe de s’asseoir. Tu connais Tim : il lui faut plus d’un quart d’heure pour faire un trajet qui ne devrait prendre que cinq minutes !

Rose posa sur la table un paquet superbement emballé et tendit la main vers les cookies.

— Tu pourras mettre ça sous le sapin, avec les autres cadeaux.

— C’est le troisième que tu apportes, observa Theresa en secouant la tête. C’est trop !

Rose mordit avec entrain dans un gâteau.

— Comment peut-on en faire trop pour un garçon comme Tim ? C’est l’enfant le plus adorable que je connaisse, ajouta-t-elle avec un geste de la main, de façon à couper court à ses protestations.

Quand Theresa et son fils avaient emménagé dix mois plus tôt, leurs voisins, Rose et Vincent Caltino, les avaient immédiatement adoptés. La jeune femme était pour eux la fille qu’ils n’avaient jamais eue, et ils se comportaient avec Tim comme des grands-parents pleins d’amour et d’indulgence.

— J’ai vu ce matin dans le journal que tu avais gagné ton dernier procès, remarqua Rose.

Theresa se sentit rougir.

— Oui. J’ai l’impression que Roger Neiman est derrière les barreaux pour un certain temps.

— Le journaliste écrivait que tu étais l’étoile montante de ce tribunal.

Elle s’esclaffa.

— La semaine prochaine, il dira la même chose de quelqu’un d’autre. Les journalistes encensent toujours le magistrat qui a gagné le dernier procès.

— C’est peut-être vrai, mais tu es quand même la plus belle de tous, insista Rose.

— Tu n’es pas très objective.

Un sourire bienveillant vint éclairer le visage de sa voisine.

— C’est peut-être vrai. Et maintenant, il faut que je me dépêche de rentrer avant que Vincent vienne me chercher. Je le trouve bizarre en ce moment. J’en viendrais presque à me demander s’il ne voit pas quelqu’un d’autre !

Theresa éclata de rire. Jamais elle n’avait vu un homme plus attaché à son épouse que ne l’était Vincent.

— Après trente années de mariage, je ne pense pas que tu aies à t’inquiéter de ce genre de choses. Vous êtes le couple le plus uni que je connaisse.

Rose se leva.

— J’ai de la chance, admit-elle. Bon, il faut que je parte, maintenant. Je voulais seulement apporter ce cadeau à Tim.

Theresa la raccompagna jusqu’à la porte d’entrée. En traversant le salon, Rose désigna le magnifique sapin installé à côté de la cheminée.

— Quand allez-vous le décorer ?

— Ce soir. Je vais faire du pop-corn et du jus de pomme aux épices. Vincent et toi êtes les bienvenus si vous avez un peu de temps.

— Pourquoi pas ? répondit Rose.

Puis, en agitant la main, elle traversa la petite étendue de gazon qui séparait sa maison de la sienne.

Theresa la regarda s’éloigner et lui adressa un signe de la main lorsque Rose se retourna pour la saluer une dernière fois. Elle avait beaucoup de chance d’avoir des voisins comme les Caltino… Ils étaient d’ailleurs bien plus que des voisins.