I.
MALADES DE L'ÉCOLE
« Docteur, j'en peux plus... »
Lundi 10 heures.
Le téléphone sonne. C'est parti pour deux heures non-stop.
Parents, enseignants ou médecins qui le souhaitent peuvent me joindre. Pour la plupart je ne les connais pas. Ils attendent un avis, un conseil, un échange. Une décision, que nous prenons ensemble en cas d'urgence. Et ce dialogue est précieux. Il pare au plus pressé, souvent il libère et rassure. Il préserve le lien avec mes patients sur lesquels je garde un œil. Évite même un déplacement à ceux qui habitent loin. Et parfois me fait craquer. Quand j'entends une petite voix se présenter et me dire : « Dis, tu vas être content, j'ai eu de bonnes notes... »
Cette consultation « en ligne » est une idée dont je me félicite. Même si c'est une goutte d'eau dans un océan, et qui me laisse chaque fois groggy face à l'ampleur des attentes.
Au bout du fil, les tranches de vie se succèdent. Les voix expriment tour à tour le chagrin ou la colère. Elles racontent. Le ras le bol, les galères, l'impasse... et puis parfois elles explosent de joie. Un progrès, une solution, une issue. Ces appels, qui vont du plus déprimant au plus encourageant, me touchent autant qu'ils me motivent et me passionnent. Cela fait des années que ça dure. Et pourtant jamais ils ne cesseront de m'étonner. Chacune de mes semaines commence ainsi. Et ces deux heures sont sacrées.


« Docteur, le CP de Kévin démarre très mal. La maîtresse ne supporte pas son agitation. On a déjà été convoqués deux fois depuis la rentrée. Elle veut le montrer au psychologue scolaire avant les vacances de Toussaint. Que doit-on faire ? »
« Docteur, Aurélie ne veut plus aller au collège. Chaque matin elle se plaint de maux de ventre, elle dit aussi que les cours sont trop durs pour elle. Pourtant jusque-là elle n'a jamais eu de problèmes. Pouvez-vous faire quelque chose ? »
« Docteur, j'en peux plus... Mon fils Oscar vient encore de se faire renvoyer de l'école, je ne sais plus où le mettre ! Plus personne n'en veut car il refuse de faire le moindre effort et pourtant il a les capacités nécessaires pour suivre en classe. J'ai déjà fait le tour des médecins et ils ne lui ont rien trouvé, pouvez-vous m'aider ? »
J'ai du mal à rassurer ces mamans, j'essaie de leur donner quelques pistes avant de les recevoir avec leur enfant. Malheureusement pas avant quelques semaines, la liste d'attente ne cesse de s'étirer. Des pages noircies de rendez-vous pour cause de démêlés avec l'école. Des piles de dossiers de parents qui ont vu se fermer une à une les portes des établissements et qui en désespoir de cause se tournent vers le médecin. Le supplient de faire quelque chose. L'hospitaliser s'il le faut.
Entre les coups de fil qui s'enchaînent, une vingtaine en deux heures, se glisse parfois une bonne nouvelle.
« Elle est moins impulsive, elle arrive à mieux se contrôler et ses résultats sont en train de remonter la pente, le médicament que vous lui avez donné y est sans doute pour quelque chose, il est peut-être en train de sauver sa scolarité... »
J'ai aussi toujours un œil sur les cahiers de mes petits patients. La courbe de leurs notes suit souvent celle de leur santé psychique. J'ai tendance à penser « bien dans sa tête, bien dans son école... ».
« Lucas manque encore de concentration et il est toujours un peu lent mais il a de meilleurs résultats, je vous envoie son bulletin scolaire... »
Avec l'accord des parents, c'est la directrice du collège de Mathilde qui m'appelle : « Mon souci avec Mathilde, c'est son comportement. Elle est à part. Elle panique et n'est pas sûre d'elle. Je suis inquiète pour son passage en quatrième... je me demande si je ne devrais pas l'orienter vers une filière technique... ? »
J'aime le contact avec les enseignants. Leurs appréciations sur les enfants sont indispensables dans l'élaboration des diagnostics. Eux-mêmes tiennent compte de mon avis, comme lorsque je suggère de renoncer au redoublement pour raisons médicales. A condition bien sûr qu'ils comprennent pourquoi. Aussi je prends soin de leur expliquer longuement mes conclusions.
Il y a aussi les rechutes. Les enfants dont je m'occupe sont fragiles et ils ont souvent besoin d'un coup de main à chaque étape importante de leur cursus scolaire.
« Docteur, vous avez vu mon fils il y a quelques années, il avait des problèmes en CP. Ça allait bien jusqu'à son entrée en sixième. Mais depuis, je ne comprends pas ce qui se passe, il fait tout de travers et il décroche à nouveau à l'école... »