Chapitre I
Histoire et méthodes de la neuropsychologie
Il n'y a pas une, mais plusieurs définitions de la neuropsychologie. Selon Hécaen (1972), la neuropsychologie est la discipline qui traite des fonctions mentales supérieures dans leurs rapports avec les structures cérébrales. Actuellement toutefois, l’usage du terme neuropsychologie est le plus souvent réservé à l’étude des effets des lésions cérébrales sur la cognition. Cette différence entre les définitions vient de ce que la neuropsychologie est au carrefour de plusieurs disciplines.
La neuropsychologie est en premier lieu une discipline clinique : elle consiste à définir le déficit cognitif des patients souffrant d’une lésion cérébrale. Pour cela, il faut déterminer quels aspects d’une fonction cognitive sont atteints, et la nature de l’atteinte. En général, un bilan courant ne permet d’administrer qu’un nombre restreint de tests, révélant ainsi seulement les symptômes critiques, et n’évaluant le statut que de fonctions cognitives grossièrement définies. Cependant un bilan approfondi permet une meilleure prise en charge des patients (rééducation, réinsertion, évaluation de l’évolution).
La neuropsychologie est aussi une discipline neuroscientifique : elle consiste à établir une corrélation anatomo-clinique, permettant de préciser les spécialisations fonctionnelles des différentes aires cérébrales. L'étude des conséquences comportementales d’une lésion touchant certaines aires d’un réseau fonctionnel cérébral permet de mieux comprendre les opérations élémentaires, la dynamique et la plasticité d’une fonction.
La neuropsychologie est enfin une discipline cognitive car elle consiste parfois à utiliser les performances des patients cérébro-lésés pour tester les hypothèses formulées à partir de théories cognitives élaborées sur la base d’expériences conduites chez le sujet normal. Selon cette approche, la neuropsychologie permet de mieux comprendre la cognition.
Dans cet ouvrage, l’accent sera mis sur l’interprétation cognitive en neuropsychologie. Par souci didactique, le format classique des syndromes cliniques de la neuropsychologie sera préservé, avec toutefois une emphase particulière sur les explications cognitives de ces syndromes. Ainsi, nous verrons ce que l’étude des patients cérébro-lésés a apporté aux modèles de la cognition, et en quoi l’amélioration de ces modèles a permis de mieux comprendre et déceler les divers troubles existants. À chaque époque on découvre de nouveaux troubles qui étaient ignorés auparavant. Le neuropsychologue doit donc suivre l’évolution de la recherche en neuropsychologie s’il ne veut pas passer à côté de ces « nouveaux » déficits.
Deux aspects de la neuropsychologie seront relativement peu développés dans cet ouvrage, par manque de place. L'évaluation clinique ne sera pas abordée en détail (le lecteur est renvoyé à différents ouvrages, comme celui de Lezak, 2004, pour les tests de la neuropsychologie), de même que les approches concernant la neuropsychologie de certaines populations. Les troubles démentiels et neuropsychiatriques sont abordés dans de nombreux ouvrages. La neuropsychologie de l’enfant quant à elle représente une grande spécificité du fait de troubles survenant dans des systèmes cognitifs en développement et nécessite une approche particulière (Hommet, Jambaqué, Billard, & Gillet, 2005). Notons enfin que les troubles neuropsychologiques sont rencontrés de manière beaucoup plus vaste que l’on pensait auparavant lors de diverses affections médicales (Tarter, Butters, & Beers, 2001). Certains aspects neuroscientifiques seront bien sûr évoqués, mais ce n’est pas une priorité et le lecteur est renvoyé à d’autres ouvrages pour acquérir une base solide de connaissances dans le domaine (Fiori, 2006 ; Pinel, 2007).
Bref historique de la neuropsychologie
Fondements de la neuropsychologie
Déjà, il y a près de cinq mille ans en Égypte (papyrus d’Edwin Smith : Imhotep), le lien entre le cerveau et la commande des parties du corps avait été noté, une lésion du cerveau pouvant être la cause d’un signe observé à distance (par exemple une paralysie de la main). À l’époque de Platon et de Pythagore, le cerveau est considéré comme ayant un double rôle, veiller sur l’organisme (c’est-à-dire contrôler le corps) et contenir l’âme intellectuelle, l’âme affective siégeant dans le cœur. Les fonctions intellectuelles sont reliées aux ventricules et non à la matière cérébrale. Les modèles de Straton puis de Galien vont ainsi rester dominants pendant plus de dix siècles, avec un ventricule antérieur pour l’imagination et les rêves, un ventricule moyen pour la raison, la cognition et le jugement, et un ventricule postérieur pour la mémoire. Quelques cas de patients relevant de la neuropsychologie sont décrits dès cette époque, mais
le lien avec la structure cérébrale ne peut pas être établi tant qu’il n’y a pas d’anatomie descriptive sérieuse du cerveau, les autopsies étant interdites dès l’époque romaine.