KARL-DES-MONTS

Un martyre
dans une maison de fous

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Malade mental © Photothèque Hachette Livre.

Au lecteur,

 

Ayant vainement fait appel à la justice de mon pays, je me décide à venir en Belgique, sur cette terre hospitalière par excellence, soumettre au jugement de l’opinion publique les titres du plus curieux procès que les annales contemporaines puissent offrir à l’étonnement et à l’indignation des temps à venir.

Certes il m’en a coûté de me résigner à livrer au public ces confidences de cœur à cœur qui ne lui étaient pas destinées, mais, du moment que l’oppression, qui conculque ma pauvre patrie, s’obstinait à ne pas vouloir m’arracher du front ce sanglant stigmate de folie sous lequel elle a brisé ma vie, il m’a semblé que je n’avais plus de réhabilitation à attendre que de l’impression de ces lettres telles qu’elles sont tombées de ma plume au milieu des angoisses de mon cachot.

Suum cuique. – L’estime à qui en est digne, l’infamie à qui la mérite !

Si la France, écrasée sous le talon de fer du despotisme, est descendue si bas qu’elle n’ait plus que des tribunaux serviles et muets, n’en reste-t-il pas un grand éternellement ouvert aux opprimés, aux victimes – celui de la conscience des peuples ?

La publicité – comme l’a si admirablement dit l’illustre orateur, qui daignait me faire dans ses amitiés une place dont je suis fier –, la publicité est une puissance qui force les ennemis d’une cause à se prononcer tout haut et à concourir malgré eux à la formation authentique d’une histoire qu’ils détestent et qu’ils voudraient anéantir. C’est en vain : la publicité les presse ; il faut qu’ils parlent et que, même en calomniant, ils laissent assez percer la vérité pour qu’elle ne puisse plus périr. C’est là ce qui sauve l’histoire ; il n’y a rien à quoi dans le monde on en veuille plus ; les oppresseurs des peuples et les oppresseurs de Dieu ne travaillent à rien plus ardemment qu’à empêcher l’histoire d’exister ; ils rassemblent contre elle le silence des quatre vents du ciel, ils renferment leur victime dans les murs étroits et profonds des cachots ; ils mettent autour encore des canons, des lances, tous les appareils de la menace et de la peur ; mais la publicité est plus forte que tout empire, elle entraîne ceux-là mêmes qui l’ont en exécration, elle les contraint de parler ; les canons se détournent, les lances se baissent – l’histoire passe !

 

Bruxelles, 21 janvier 1863.

Karl-des-Monts,
avocat à la Cour de Paris.

Lettre première

À madame la comtesse de…, dame d’honneur de…, à Paris.

Asile des aliénés de Pau, 20 juillet 186…

Ma chère adorée,

Me voici encore une fois sous les verrous !… Encore une fois terrassé dans ma lutte contre le pouvoir ! Quand donc, grand Dieu ! les misérables qui le détiennent combattront-ils à armes plus loyales ? Quand cesseront-ils de frapper en lâches et par-derrière ceux que leur intrépidité pousse à accepter quand même une lutte dont leur perfidie leur assure toujours l’issue ?

Devine ce qui m’a conduit dans cette maison de fous ?… Je te le donne en cent, je te le donne en mille. – Tu ne trouves pas ? Je le crois, parbleu, bien. C’est… c’est… Oh ! un bien grand crime !… C’est un pèlerinage !

Tu ne t’expliques pas qu’une chose aussi anodine, aussi peu subversive surtout, ait eu un aussi brutal dénouement. Hélas ! c’est pourtant là la vérité, toute la vérité, comme on dit en cour d’assises.

Voici ce qui est arrivé.

Ayant eu la fatale inspiration de quitter mes terres de Béarn pour aller à Notre-Dame-de-Sarrance, un des sanctuaires les plus vénérés du pays, implorer la toute-puissante et divine intercession de la Vierge en faveur de notre Saint-Père le Pape, les gendarmes m’ont arrêté, emprisonné, enchaîné, puis traîné jusqu’en cette oubliette, ni plus ni moins que si nous n’étions pas en France et qu’il n’existât aucune loi protectrice de l’inviolabilité individuelle.

Jusqu’ici on m’a refusé toute explication, et j’ignore quand on jugera bon de me donner le mot de l’énigme. Mais je le devine.

Je gênais ; on m’a blousé, comme on dit en termes de billard.

Ma prose hostile, incisive, pénétrante, vitriolique, et surtout désespérément protéiforme, faisait tache dans le soleil impérial ; on m’a mis à l’ombre !

Ces messieurs pratiquent le proverbe : « Là où il y a de la gêne, il n’y a pas de plaisir. » Et je regrette de ne pas être Pangloss pour trouver qu’ils ont très fort raison !…

Pourvu, carissima mia, que ces lignes te parviennent ; mais, hélas ! est-ce qu’un pauvre prisonnier sait jamais si les échos de son cœur iront trouver les personnes bien-aimées dont le souvenir lui apparaît plus radieux encore à travers les ombres lugubres de son cachot ? Souffrir, amie, souffrir, voilà comment la fatalité fait expier le doux temps consacré à t’aimer ! Mais que ne rachèteraient pas ces heures voluptueuses dont le scintillant sillon reste si délicieusement gravé dans ma mémoire ?