Introduction
A lors même que l’on aspire à construire une citoyenneté européenne – supranationale par définition – la citoyenneté nationale est en crise. Dans la tourmente de la mondialisation et du néolibéralisme, la citoyenneté est confrontée aux revendications des communautés culturelles, voire ethnico-religieuses. Le modèle français républicain et laïc qui, dans sa prétention à l’universel, ignore les appartenances culturelles et religieuses pour ne reconnaître que l’égale dignité de l’homme et du citoyen, est mis à rude épreuve. Et l’on demande à l’École de freiner la dérive communautaire. Quelle éducation à quelle citoyenneté peut-elle assurer, pour quel projet de société ?
La première partie, « La citoyenneté et l’École républicaine au défi du multiculturalisme », pose la problématique du livre. Yves Lenoir questionne les fondements de la citoyenneté dont il fait dialoguer deux conceptions, la citoyenneté républicaine à la française et la citoyenneté multiculturelle à la canadienne. Il présente les arguments des tenants et des adversaires du multiculturalisme sans trancher la question, laissant ainsi le lecteur se faire une opinion. Maurice Sachot, lui, présente le fondement philosophique de l’École de la République dont la mission principale est d’instruire et d’éclairer l’entendement, pas d’éduquer. Ne détenant en effet aucune vérité autre que celles – partielles – des disciplines qu’elle enseigne, c’est par l’apprentissage de la rigueur intellectuelle que l’École contribue à la formation de citoyens autonomes, c’est-à-dire capables de penser par eux-mêmes. Or, dispenser une éducation à… (la santé, l’environnement, etc.) implique la volonté d’inculquer des normes concernant le vrai et le bien, ce qui ne relève pas de sa mission. Qu’en est-il alors de l’éducation à la citoyenneté ? Yves Lenoir recherche ce qui différencie fondamentalement les modèles éducatifs français et nord-américain. Si les deux partagent la même foi en la force libératrice de l’éducation et visent l’émancipation de l’homme, elles reposent sur des postulats et des valeurs concurrentiels. Sont-ils incompatibles ? L’idéologie néolibérale dominante ne fait qu’exacerber les tendances profondes du modèle américain et fait le lit du communautarisme. Le modèle républicain saura-t-il résister ?
La deuxième partie étudie le modèle multiculturel. Elle a été rédigée par des sociologues et anthropologues québécoises. Le Canada et le Québec ont en effet adopté des politiques multiculturelles qui, à défaut d’être toujours cohérentes, sont explicites et théorisées. Annick Lenoir-Achdjian choisit de s’immerger dans une communauté d’immigrés au point d’en partager la vie quotidienne, les frustrations, les aspirations et les espoirs. Dans le contexte de la politique multiculturelle du Québec, elle se penche sur le cas de la communauté arménienne, à la fois diaspora vivant dans la mémoire et la nostalgie de la patrie perdue et en même temps citoyens du Québec et du Canada. Peut-on être à la fois membre d’une communauté qui lutte pour la préservation de son identité et en même temps citoyen à part entière de son pays d’adoption ? Comment les intéressés vivent-ils cette dualité, la dépassent-ils ? Quant à Marie McAndrew, elle cherche les causes qui conduisirent les autorités du Québec à remplacer l’éducation interculturelle instaurée en 1983, par l’éducation à la citoyenneté, qui – fait digne d’être noté – constitue une discipline à part entière. L’auteur établit le bilan du programme en fonction depuis 2001. Peut-on dissocier l’École de la société qui l’entoure et pratiquer une éducation interculturelle dans une société qui se veut explicitement multiculturelle ?
La troisième partie explore le modèle interculturel. De l’Amérique du Nord, on passe à l’Amérique du Sud, du Canada au Brésil. À la volonté de préserver sa langue, sa culture et sa communauté, l’interculturalisme oppose le brassage des cultures, des religions, des couleurs de la peau, des gênes. Aux identités juxtaposées du multiculturalisme, on oppose les identités multiples. Reinaldo Fleuri ne décrit ni une utopie, ni la réalité brésilienne qui, en fait, est loin d’être idyllique, mais un modèle, c’est-à-dire un ensemble de représentations sociales auquel adhère la société brésilienne. Le modèle interculturel serait-il transposable à notre vieille Europe ? Manuel Barbosa, à partir du cas portugais, montre la difficulté pour un pays européen de passer d’une culture nationale, blanche et catholique, à une réelle acceptation du métissage et à une véritable promotion de l’interculturel à l’École. Une fois de plus, le décalage entre la société et son École explique la lenteur des progrès qu’il constate. Ce long chemin semé de difficultés concerne, à peu de choses près, d’autres pays européens, y compris le nôtre.