Le photo de l’empreinte de botte de Buzz Aldrin sur le sol lunaire est mondialement connue. Elle symbolise la présence de l’humanité sur un autre monde que celui où elle est apparue, il y a plus de 2 millions d’années. Cette empreinte renvoie à celles des mains de nos ancêtres sur les parois des cavernes paléolithiques, et constitue comme elles un témoignage majeur de notre histoire.
Le 21 juillet 1969, les Américains tiennent enfin leur revanche sur les Russes : le premier homme à marcher sur la Lune est américain. Neil Armstrong, commandant de la mission Apollo 11, éclipse, dès qu’il pose le pied sur le sol gris de notre satellite, la sonde russe Luna 2 qui était parvenue à toucher la Lune en septembre 1959. 500 millions de personnes suivent la mission. La promesse faite par Kennedy devant le Congrès en 1961 est tenue, les débuts difficiles du programme spatial américain oubliés. Dans les années 1950, les échecs succédaient aux échecs, tandis que les Russes envoyaient coup sur coup dans l’espace Spoutnik 1, la chienne Laïka et Youri Gagarine. La mission Apollo 11 est avant tout stratégique et politique.
Quinze minutes après Armstrong, Buzz Aldrin descend le long de l’échelle du module lunaire (ou LEM) qui s’est posé sept heures plus tôt dans la mer de la Tranquillité, désormais la plaine la plus connue de notre satellite. Armstrong a pris une photo de ce moment : on voit le LEM (grosse tête de mouche posée sur quatre pattes métalliques) se découper sur le fond noir de l’espace (sans atmosphère, il n’y a pas de ciel), et Aldrin descendre l’échelle avec maladresse, gêné par sa volumineuse combinaison spatiale. Il pose à son tour le pied sur la Lune et évoque une « magnifique désolation ». Tout est gris dans ce paysage sans vie fait de roches recouvertes de poussière. Aldrin vit très mal le fait de tenir un second rôle dans cet événement planétaire. Sur les clichés rapportés par les deux astronautes, on ne voit que lui : ce mesquin n’a pris quasiment aucune photo d’Armstrong. De retour sur Terre, Aldrin tombe en dépression et dans l’alcool. Il avait pourtant eu la chance de fouler le sol lunaire, contrairement à Michael Collins, le pilote resté dans le module de commande en orbite autour de la Lune, qui avait l’immense responsabilité de s’assurer que tout l’équipage revienne sain et sauf sur Terre. Cet équipage avait été sélectionné par la Nasa au cours des missions Gemini qui avaient précédé le programme Apollo. Pour le premier pas sur la Lune, il fallait un astronaute qui ne fût pas militaire.
Avant d’aller sur la Lune, il faut déjà échapper à l’attraction terrestre, et donc atteindre la vitesse de libération de 28 000 kilomètres par heure. Après une demi-orbite autour de la Terre, le « train spatial » (composé du module de commande et de service, ainsi que du LEM) s’est orienté vers la Lune par une petite impulsion du moteur. Les trois astronautes ont fait un voyage de 384 000 kilomètres qui a duré quatre jours. Au moins 17 caméras étaient embarquées à bord de la mission, afin que les millions de téléspectateurs restés sur Terre puissent ne rien perdre de l’exploit.
Au cours de l’alunissage, le radar sature en données l’ordinateur de bord du LEM, moins puissant qu’une calculatrice actuelle. Tandis que retentissent de nombreuses alarmes dans l’habitacle du module lunaire, celui-ci se dirige vers un cratère rempli de rochers, compromettant le succès d’un alunissage. Armstrong décide de passer en commandes manuelles pour le dépasser et pilote le LEM comme un hélicoptère, à la recherche d’un site dégagé. Mais la poussière soulevée par le passage du LEM réduit fortement la visibilité. Armstrong et Aldrin sont obligés de se poser « à l’aveugle », ne pouvant se fier qu’au radar pour connaître leur altitude. Cette modification de dernière minute de la trajectoire du LEM ayant consommé beaucoup de carburant, il n’en reste que pour trente secondes de vol après l’alunissage. Armstrong n’avait pas une marge de manœuvre excessive pour poser le LEM, et sans ses talents de pilote et son sang-froid, la mission aurait pu être un désastre.
Après l’alunissage, il était initialement prévu cinq heures de repos pour les astronautes, avant qu’ils ne sortent et marchent sur la Lune. Mais pendant qu’Armstrong et Aldrin vérifient que le LEM est en bon état et pourra les faire repartir, ils se rendent compte que leur excitation l’emporte sur la fatigue, et qu’il leur sera difficile de trouver le sommeil. Autant sortir tout de suite et se reposer plus tard. Sur Terre, le centre de Houston donne son accord. Ils mangent, puis se préparent pour la sortie. Cela ne devrait normalement prendre que deux heures, mais comme c’est la première fois et qu’ils ne veulent courir aucun risque, cette préparation dure trois heures et demie. Six heures et demie après l’alunissage, les deux astronautes ouvrent la porte du LEM et Armstrong sort. Sa « promenade » lunaire durera deux heures et demie, et durant le reste de sa vie, il se verra poser des questions sur ces deux heures et demie. A eux deux, Armstrong et Aldrin ne parcourront pas plus de 250 mètres, sur un terrain totalement plat, pour leur propre sécurité. La Nasa ne voulait prendre aucun risque. L’objectif de la mission était de poser des hommes sur la Lune et de les faire revenir sains et saufs. Les réserves en eau et en oxygène de leurs scaphandres étaient calculées pour durer beaucoup plus que deux heures et demie. Les ingénieurs de la Nasa avaient prévu cette importante réserve au cas où surviendrait au cours de la mission un incident grave qui retarderait les astronautes.
Après avoir posé le pied sur la Lune et avant toute autre tâche, Armstrong est censé prendre un échantillon du sol lunaire, autrement dit ramasser un caillou. En cas de départ précipité, la mission avait ainsi la possibilité d’emporter sur Terre un morceau de Lune. Mais Armstrong décide de ne pas suivre à la lettre le programme et commence par la deuxième priorité : prendre des photos. Du LEM, Buzz Aldrin lui fait parvenir l’appareil photo à l’aide d’une corde à linge. Pendant qu’Armstrong prend des clichés de la Lune et du LEM, le centre de Houston l’exhorte à ramasser un échantillon de roche lunaire – ce qu’il fera finalement. Une fois qu’Aldrin a rejoint Armstrong, ils dévoilent une plaque commémorative. Elle porte l’inscription suivante, signée par les trois astronautes de la mission Apollo 11 et le président Nixon : « Here men from the planet Earth first set foot upon the Moon, July 1969 A.D. We came in peace for all mankind. » (« Ici des hommes de la planète Terre ont pour la première fois marché sur la Lune en juillet 1969 après J.-C. Nous sommes venus dans un esprit pacifique au nom de toute l’humanité. ») Aldrin déploie ensuite un collecteur de vent solaire pour rapporter sur Terre des échantillons de particules solaires. Puis vient la cérémonie du drapeau américain. Celui des Nations unies avait également été envisagé, mais au moment de se décider, le président Nixon a choisi le drapeau américain, car c’est le contribuable américain qui a financé la mission. Une fois le drapeau planté sur la Lune, la Nasa demande aux deux hommes de se mettre dans le champ de la caméra : le président Nixon veut leur parler. « Bonjour Neil, bonjour Buzz, je vous parle depuis le Bureau ovale, et c’est sans aucun doute le coup de téléphone le plus historique qui ait jamais été donné depuis la Maison Blanche. »
Une fois la mission au sol accomplie, les deux astronautes se préparent au décollage pour retrouver Collins en orbite autour de la Lune. Mais un fusible manquant dans le LEM compromet le retour. Buzz Aldrin l’aurait arraché par mégarde avec son encombrante combinaison. Faisant une nouvelle fois preuve de sang-froid et de pragmatisme, Armstrong remplace le fusible par un capuchon de stylo. Ils peuvent repartir. Entre l’alunissage et le décollage du LEM, il s’est écoulé vingt et une heures et trente minutes. Les astronautes laissent sur place, outre le drapeau américain et la plaque commémorative, tous leurs détritus : polystyrène, bouts de ficelles ou d’emballages plastiques, etc. Dans une combinaison spatiale, les gestes sont limités, de même que la contenance du module de retour. Les sites d’alunissage des différentes missions lunaires constituent donc de petites décharges à « ciel » ouvert.
De retour sur Terre, après le triomphe réservé aux astronautes, Neil Armstrong a choisi de bouder les médias. La célébrité fuit ceux qui la cherchent et poursuit ceux qui la fuient. Armstrong a démissionné de la Nasa et est parti enseigner l’aéronautique à Cincinnati, dans l’Ohio. Il est mort le 25 août 2012 à l’âge de 82 ans.
En tout, douze hommes ont posé le pied sur la Lune, mais pour l’instant aucune femme n’a rejoint ce club très fermé. Douze autres hommes n’ont fait que survoler notre satellite, et j’imagine leur frustration. La Lune est l’unique astre que l’homme a visité en dehors de la Terre. Notre planète est la seule du système solaire à posséder un satellite aussi grand relativement à elle. En volume, la Lune représente environ 2 % de la Terre – c’est le cinquième plus grand satellite du système solaire. Parmi les nombreuses théories expliquant sa formation, l’une propose que notre satellite soit apparu suite à une collision de la Terre, alors en cours de formation, avec une autre planète de la taille de Mars, il y a 4,5 milliards d’années. Les fragments des deux corps éjectés lors de la collision se seraient agglomérés et auraient formé la Lune.
Aller sur la Lune, cela m’évoque bien sûr Jules Verne, et ses romans De la Terre à la Lune (1865) et Autour de la Lune (1870). C’est en compagnie de Verne que je suis allé sur la Lune. Ce que je ne savais pas à l’époque, c’est à quel point il avait vu juste. Ainsi, dans De la Terre à la Lune, il imagine que le point de départ de l’expédition lunaire se fera à Tampa, en Floride, soit à 200 kilomètres de Cap Canaveral, d’où partiront cent ans plus tard les missions Apollo. Dans Autour de la Lune, Verne décrit un voyage d’un peu moins d’une semaine, comme celui réalisé en orbite lunaire par la mission Apollo 8, qui est la première à avoir emmené des astronautes au-delà de l’orbite terrestre. Dans la fiction comme dans la réalité, l’équipage comptait trois astronautes. Verne avait également prévu l’usage des rétrofusées pour amortir le choc au moment de l’atterrissage ou de l’alunissage.
En 1971, au cours de la mission Apollo 15, un cratère lunaire a été baptisé Saint-Georges, en hommage à Jules Verne, dont les explorateurs lunaires dégustaient une bouteille de Nuits-Saint-Georges pour célébrer « l’union de la Terre et de son satellite ». Une bouteille de grand cru de Bourgogne n’est pas le seul luxe que Jules Verne consent à ses aventuriers. Il est amusant, quand on sait le peu de confort dont bénéficient en réalité, et même aujourd’hui, les astronautes, de noter toutes les choses inutiles emportées dans le projectile géant imaginé par Verne : carabines, piolets et pioches, scies à main, et même des arbustes à planter sur la Lune. Un terre-neuve et une chienne d’arrêt accompagnent ces gentilshommes-astronautes. L’édition Hetzel des romans de Verne était illustrée de gravures, dont certaines représentent l’intérieur du projectile, véritable décor de théâtre pour une pièce de Labiche. D’abord auteur de boulevard, Verne s’est ensuite tourné vers l’anticipation scientifique, sans oublier pour autant les intérieurs bourgeois des pièces de ses débuts.
Comme lui, j’ai grandi à Nantes. Enfant, j’aimais me balader sur la butte Sainte-Anne, où a été installé le musée Jules-Verne, qui a vue sur la Loire et l’île de Nantes. Tout près, il y avait le planétarium où j’ai découvert les étoiles. C’est peut-être sous ce dôme de huit mètres de diamètre, sur lequel était projeté la Voie lactée, que je me suis émerveillé pour la première fois devant la splendeur du ciel. Dans La Forme d’une ville, Julien Gracq imagine Jules Verne « venir souvent contempler de cette hauteur le fleuve, là où il devient la porte du large et de l’aventure ». Verne a passé les quatorze premières années de sa vie sur l’île Feydeau, qui était à l’époque (avant les opérations de comblement de la Loire dans les années 1930) une véritable île au milieu du fleuve. Il faut se représenter l’agitation qui existait alors sur la Loire et le quai de la Fosse. En 2000, dans un entretien accordé à la revue Jules Verne, Gracq le rappelle : « Nantes est une ville de fond d’estuaire, là où le fleuve s’ouvre sur la mer. La Fosse, qui donne son nom au quai, correspond à un brusque approfondissement du lit de la Loire. En cet endroit, les grands navires et les navires à voile pouvaient venir s’amarrer au cœur de la ville. C’est vraiment la porte du large et elle a dû l’être pour Jules Verne, puisqu’il s’est embarqué sur un bateau à quai, ce qu’il raconte dans ses souvenirs. » Les Voyages extraordinaires de Verne sont tout droit sortis de l’estuaire de la Loire, et m’ont emmené avec eux jusque dans la mer de la Tranquillité. De là me viennent sans doute ma curiosité scientifique et mon goût pour les destinations lointaines. C’est dans ces livres que je me suis découvert, en parcourant des mondes mystérieux.
L’autre grand voyage vers la Lune, c’est celui de Georges Méliès, qui s’inspire de Verne comme de H.G. Wells (
Les Premiers Hommes dans la Lune, 1901). Dans son court-métrage
Le Voyage dans la Lune (1902), il est aussi question d’un canon géant qui envoie vers notre satellite un obus creux dans lequel ont embarqué des astronautes. Le plan où l’on voit le projectile se planter dans l’œil de la Lune est l’un des plus connus au monde
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A l’époque de Méliès, la Lune fascine. A l’exposition Pan-américaine de Buffalo (Etat de New York), en 1901, on propose au public un voyage vers la Lune à bord du dirigeable Luna. Méliès, à la fois scénariste, producteur et réalisateur de son film, y a investi énormément d’argent. Tant par son budget que par ses prouesses techniques ou sa durée (13 minutes – le plus long film jamais tourné à l’époque), Le Voyage dans la Lune est l’Avatar des années 1900. Choisir un sujet aussi populaire que la Lune, c’est pour Méliès la certitude de rentrer dans ses frais. Mais son film va devenir le premier grand cas de piratage de l’histoire du cinéma. Après lui en avoir acheté plusieurs copies, les majors américaines en feront de nombreuses copies pirates qu’elles exploiteront à leur compte. (Un siècle plus tard, elles se plaindront de voir leurs propres films piratés sur Internet.)
Propriétaire d’un théâtre de magie, Méliès est prestidigitateur de profession. Il transposera sur pellicule cet amour du spectacle en inventant les premiers effets spéciaux du cinéma. Dès 1898, il tourne La Lune à un mètre, court-métrage de trois minutes dans lequel la Lune rend visite à un astronome. Trois ans plus tard, sa super-production Le Voyage dans la Lune prend le chemin inverse : c’est l’homme qui va à la Lune.
Quand le film sort en 1902 (soit six ans seulement après l’invention du cinéma), il est proposé à la fois dans des copies noir et blanc et dans des copies coloriées à la main. Pour coloriser ses films, Méliès a racheté des ateliers chargés d’enluminer cartes postales et plaques de lanternes magiques. Il a demandé aux 200 ouvrières qui y travaillaient de peindre au pinceau (et sans loupe) la pellicule, image par image, chacune faisant deux centimètres de large. Et à chaque copie commandée du film, il fallait recommencer le travail.
On a longtemps cru cette version coloriée du film perdue ou détruite, mais en 1993, on en découvre une copie à Barcelone, à la cinémathèque de Catalogne. Elle y avait été déposée par un anonyme. A partir de 1999 commence un lent travail de restauration, très délicat à mener tant la pellicule est détériorée. Heureusement, seuls les bords de la bobine sont décomposés ; les images qu’elle contient sont intactes. Il faut les décoller une à une, millimètre par millimètre, en vue de les numériser. Chacune de ces 13 375 images est un puzzle à recomposer, mais grâce aux outils numériques, on peut assembler ces fragments et reconstituer chaque image. La version restaurée est projetée pour la première fois au festival de Cannes en mai 2011, sur une musique originale du duo français Air. Il aura fallu attendre 109 ans (dont 12 de restauration) pour redécouvrir le film tel qu’il a été vu du vivant de Méliès.
De Lucien de Samosate au iie siècle, dont l’Histoire véritable relate un voyage imaginaire sur la Lune, à Georges Méliès, notre unique satellite naturel inspire bien des histoires, souvent rocambolesques, qui le montrent habité par de fantaisistes Sélénites. En décembre 2013, la Chine a réussi à y poser son premier robot d’exploration, baptisé Yutu, littéralement « lapin de jade ». Dans de nombreuses cultures traditionnelles, dont celles de Chine et du Japon, un lapin habite sur la Lune ; les mers sombres de sa face visible peuvent en effet évoquer un lapin. Après la Russie et les Etats-Unis, la Chine sera la prochaine grande puissance spatiale, qui entend bien dépasser ses rivales. Le treizième homme à marcher sur la Lune sera sans doute chinois, et l’on parle déjà d’une base spatiale lunaire, pour 20302040. Les Chinois feront-ils mentir Jules Laforgue, qui écrivait dans son poème Clair de Lune : « Penser qu’on vivra jamais dans cet astre/Parfois me flanque un coup dans l’épigastre » ?