1.

Melissa regardait par le hublot tandis que l’avion amorçait son atterrissage. En cette fin d’après-midi, le soleil transformait en miroirs les façades de verre des hautes tours modernes dans lesquelles se reflétaient, ici et là, les maisons carrées traditionnelles, de couleur ocre, couronnées de toits en terrasse, mariant ainsi le passé et l’avenir.

Le Zaheer ! Le pays qui, jusqu’à présent, n’avait été pour elle qu’un nom exotique, allait bientôt devenir une réalité.

— ’adorerais te faire découvrir le désert, lui avait dit Arun.

Ils étaient au lit, regardant le soleil se lever sur la mer. Tous deux savaient qu’ils allaient bientôt se séparer pour toujours. Les moments magiques qu’ils avaient partagés durant les quinze jours qu’avait duré l’important symposium de cardiologie tenu à Hawaii ne seraient plus pour eux qu’un souvenir.

Et maintenant, elle était là, sur le point de le découvrir, ce désert. Mais serait-ce Arun qui lui en ferait les honneurs ? Elle l’ignorait. Ce qu’elle savait, c’était qu’elle allait le revoir, car sa meilleure amie se préparait à épouser le frère jumeau d’Arun. Mais comment celui-ci l’accueillerait-il ?

Poliment, à coup sûr. C’était un homme très bien élevé. De façon protocolaire ? Sans doute, car ici il était chez lui, dans son pays, et il avait une certaine position à tenir.

Mais le Arun qu’elle avait connu s’était montré un amant ardent, et non pas un cheikh courtois et protocolaire.

Le Arun qu’elle avait connu… Elle appuya la main sur son ventre légèrement arrondi que dissimulait son grand caftan. Le problème, ce n’était pas l’accueil que lui réserverait Arun, mais la façon dont il réagirait.

Les mains moites, elle se sentit prise de panique.

Elle aurait dû le lui dire plus tôt.

Mais comment aurait-elle pu, quand elle-même était plongée dans la plus grande incertitude ? Encore maintenant, elle ne savait quoi penser de ce bébé qu’elle portait. Quelle ironie du sort ! Elle qui dirigeait avec énergie et efficacité une équipe de chirurgie pédiatrique, voilà qu’elle était réduite à l’état d’un ectoplasme décérébré dès qu’elle essayait de réfléchir à quelque chose d’aussi normal et d’aussi naturel qu’une grossesse.

Mais elle aurait le lui dire…

*  *  *

Arun attendait dans la salle vitrée, regardant la porte avant de l’avion s’ouvrir pendant qu’on mettait en place la passerelle. Dans quelques mois, le nouvel aéroport serait opérationnel et les passagers pourraient sortir en empruntant un tunnel qui les conduirait jusqu’à l’aéroport lui-même. Mais, pour l’instant, ils devaient descendre un escalier mobile.

Les rares fois où Kam, son jumeau, et lui revenaient d’Angleterre pour passer ici leurs vacances scolaires, ils étaient accueillis au pied de ces marches par des émissaires de leur père qui les attendaient dans de grosses limousines pour les emmener à la demeure familiale. Ce cérémonial était aujourd’hui abandonné, mais Arun avait été autorisé à pénétrer dans la zone douanière afin d’aider les parents de la future épouse du cheikh actuel à effectuer les formalités d’usage imposées aux étrangers entrant dans le pays.

Toutes ces pensées qui lui traversaient l’esprit ne servaient-elles qu’à faire diversion ? Etaient-elles destinées à l’empêcher de penser à la femme qu’il allait revoir ? Cette coïncidence n’avait rien de bizarre. Melissa et lui avaient fait connaissance quatre mois plus tôt, à l’occasion d’un symposium de cardiologie à Hawaii. Lorsque la jeune femme avait appris qu’il était originaire du Zaheer, elle était venue lui parler, avide d’en savoir plus sur ce pays où travaillait sa meilleure amie.

Ce qu’il avait d’abord remarqué chez elle, c’était son sourire qui illuminait son visage. Et aussi ses cheveux d’or rouge. Très vite, ils s’étaient sentis attirés l’un par l’autre et avaient vécu une brève mais torride aventure.

Que la meilleure amie de Melissa soit aujourd’hui sur le point d’épouser le frère d’Arun n’était que pure coïncidence.

Ou bien était-ce un signe du destin ?

Ses ancêtres nomades pensaient que leurs vies étaient gouvernées par les caprices du destin, mais lui, un homme moderne, un scientifique, refusait d’adhérer à ce genre de croyance. Pourtant, c’était assez étrange de penser qu’il allait revoir Melissa.

Etrange et excitant. Mais donner une suite à une liaison qui, avaient-ils décidé d’un commun accord, ne durerait que le temps du symposium semblait tout à fait impossible. Melissa était venue pour assister au mariage de Jenny et de Kam. Elle consacrerait tout son temps à son amie.

Vraiment ? Dès qu’il avait su qu’elle viendrait, il lui avait envoyé un courriel pour lui demander si elle accepterait de lui donner des conseils concernant l’hôpital. Peut-être que le destin existait vraiment, en fait. Juste au moment où il s’apprêtait à doter l’hôpital d’un service de chirurgie pédiatrique, voilà qu’une experte en ce domaine se présentait à lui. Melissa serait tout à fait capable, compte tenu de son expérience, de lui dire quel matériel choisir, où implanter les différents postes, et comment recruter le personnel.