Introduction générale
Le groupe familial autour de l'individu est une préoccupation toujours renouvelée. Sans cesse sollicités et revisités, les contours de la famille se redessinent laissant apparaître de nouvelles formes de parentalités qui viennent bousculer les représentations anciennes de la famille (familles recomposées, homoparentales, pluriparentalités). Trop présente ou trop absente, la famille a du mal à trouver sa juste place. Pourtant on n’a jamais autant compté sur la famille qu’à l’époque contemporaine. Ainsi, dans les familles occidentales, les jeunes adultes (qualifiés parfois d’adulescents) ne semblent plus vouloir quitter le giron familial, dans lequel ils s’attardent de plus en plus longtemps. Témoin ironique de ce constat social : Tanguy. Dans le film éponyme, le fils trentenaire ne parvient pas à quitter le cocon familial dans lequel il se trouve si bien et voudrait prolonger en toute quiétude une forme d’adolescence irresponsable mais libérée (il fait venir ses petites amies à la maison).
La famille est interpellée de multiples façons. Qu’il s’agisse de penser la famille comme le lieu de l’intimité et de la construction identitaire, c’est parfois pour évoquer la famille comme un groupe rassurant qui permet à chacun de se réfugier dans son appartenance tribale et le mythe de ses origines ; de se ressourcer dans le tissu de ses relations affectives. Mais c’est parfois aussi pour la fustiger et, sans forcément crier comme Gide « Familles, je vous hais », c’est pour accuser la famille de tous les manques : démissions parentales face à l’éducation des enfants, démissions familiales vis-à-vis des personnes âgées, des personnes vulnérables, des personnes en situation de handicap… Ou bien encore pour découvrir que ce lieu de la solidarité et de l’affection peut aussi être le lieu de la solitude, du désespoir et de la souffrance et accuser la famille des maux les plus infâmes : négligences, rejets, maltraitances, incestes…
C'est bien de tout cela qu’il s’agit ici à propos de la famille, même si c’est en premier lieu du soin psychique qu’il sera question. Mais le soin psychique familial ne peut se concevoir qu’inscrit dans un contexte physique et social. C'est pourquoi nous interrogeons les formes de parentalité et les avatars des liens familiaux et du sentiment d’appartenance familiale, à la lumière des approches sociologique, juridique et historique de la famille. Puis nous abordons la famille, les structures, son fonctionnement et ses pathologies, avant de nous centrer sur les formes de soins familiaux.
Nous revisitons ainsi la formation et l’évolution des liens au cours des âges de la vie, aussi bien dans leurs aspects pathogènes que dans leurs développements ordinaires. Les liens relationnels se construisent depuis la petite enfance, participant à ce qui deviendra notre style d’attachement et plus généralement notre style affectif qui colore ensuite à notre insu toutes nos relations intimes et affectives autant que sociales.
Nous verrons que les problématiques de la famille dans le présent télescopent parfois celles des générations antérieures, et que les transmissions familiales viennent hanter les personnes et mettre un grain de confusion dans les relations familiales. Les transmissions familiales transgénérationnelles, qui participent au mythe et à l’identité familiale, sont souvent entachées de secrets dont les membres de la famille s’accommodent de multiples façons. Ces secrets familiaux indicibles peuvent parfois générer des souffrances, tentant de cacher des secrets de filiation, de travestir des événements honteux, transportant des traumatismes non élaborés…, mais sont aussi des modes de protection plus ou moins opérants qui peuvent dans certains cas participer à la stimulation de la créativité des personnes.
La thérapie adressée à la famille avec le groupe familial impliqué directement correspond en fait à une idée et à des pratiques assez récentes. Les prémices des approches thérapeutiques familiales ont été des prises en charge, souvent informelles, d’enfants et de parents. Les premières véritables thérapies familiales ont concerné des familles de psychotiques, telles qu’elles ont été expérimentées et développées à partir des travaux de chercheurs et de praticiens issus de disciplines connexes (anthropologie, éthologie, sociologie, psychologie, psychiatrie…), parmi lesquels on trouve un groupe de chercheurs connu sous le nom de l’école de Palo Alto, en Californie, sans omettre le rôle de nombreux psychanalystes.