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— Vous êtes sûr que ce n’est pas dangereux ?

Annie Sullivan essaya de ne pas regarder les magnifiques fesses de Sinclair Drummond tandis qu’il montait devant elle l’escalier branlant qui menait au grenier.

— Non, répondit-il en lui lançant par-dessus son épaule un sourire irrésistible, surtout pas avec la malédiction qui pèse sur nous !

— Eh bien, je vais courir le risque…

Etant son employée, Annie pouvait difficilement refuser de le suivre. Elle posa le pied sur la première marche de l’échelle de meunier. Le grenier se trouvait sous le toit de la vieille grange, que les ancêtres des Drummond avaient construite attenante à la maison pour ne pas avoir à affronter le vent mugissant venu de la mer quand ils s’occupaient de leurs animaux. Aujourd’hui, l’étage de la grange contenait des selles et des harnais usés par le temps, couverts de toiles d’araignées.

Les marches craquaient de façon inquiétante.

— Etes-vous déjà monté ici ?

Etrangement, elle ne l’avait jamais fait, songea-t-elle alors que Sinclair arrivait en haut de l’escalier et ouvrait la trappe.

— Bien sûr ! Quand j’étais petit et que mes parents se disputaient, je venais me réfugier dans le grenier.

Elle fronça les sourcils. Elle avait du mal à imaginer la mère de Sinclair, une dame calme et très digne, élevant la voix, mais elle n’avait jamais rencontré son père. Il était mort dans un accident quelques années plus tôt.

— Je doute que quelqu’un soit venu ici depuis.

Il disparut dans le grenier. Elle le suivit avec un sentiment grandissant d’appréhension. Tout à coup, l’obscurité laissa la place à une lumière vive.

— Je suis content qu’il y ait encore de l’électricité. Je n’avais pas envie de chercher à la lueur d’une bougie.

La pluie tambourinait sur le toit, au-dessus de leur tête, et sa voix semblait arriver de loin. Elle se hâta de le rejoindre. En passant par la trappe, elle vit une rangée d’ampoules nues suspendues à la poutre maîtresse du grenier dépourvu de lucarnes. Des boîtes et des caisses étaient empilées un peu partout, au milieu de tables, de chaises, et d’autres vieux meubles abîmés. Le mur du fond était presque entièrement caché par une pile de malles de voyage. En dépit de la taille impressionnante de la pièce, seule une petite partie du plancher était visible tant il y avait d’objets.

— Ce sont toutes les choses que vos ancêtres ont laissées derrière eux ? Par où commençons-nous ?

Elle avait hâte de fouiller dans les souvenirs de la famille Drummond. C’était curieux, car c’était plus ou moins ce qu’elle faisait tous les jours dans le cadre de son travail. Bien sûr, faire les poussières et nettoyer l’argenterie était loin d’être aussi enthousiasmant que d’ouvrir de vieilles malles remplies de mystères au parfum de naphtaline.

Sinclair souleva le couvercle d’une malle apparemment pleine de courtepointes et d’édredons.

— Je n’en ai pas la moindre idée ! Nous n’avons qu’à fouiller à droite et à gauche et espérer un coup de chance.

Il avait remonté ses manches, et elle voyait ses avant-bras musclés plonger dans les tissus.

— Apparemment, le fragment de la coupe est en métal. Peut-être en argent, mais plus vraisemblablement en étain, sans aucune valeur marchande.

Il se pencha un peu plus, et sa chemise se tendit sur son dos. Elle sentit son cœur s’emballer. Pourquoi son patron était-il aussi beau ? Ce n’était pas juste. Au fil des ans, il devenait de plus en plus séduisant. Il avait trente-deux ans, d’épais cheveux noirs, et était au sommet de sa forme malgré le souci que lui avaient causé ses deux divorces.

— Et cette coupe est censée être maudite ? demanda-t-elle, réprimant un frisson.

Inquiète, elle jeta un coup d’œil autour d’elle.

— C’est la famille qui est maudite, Annie, pas la coupe.

Sinclair leva la tête et lui jeta un regard désarmant.

— Trois cents ans de malheur, et il suffirait de rassembler les trois morceaux de cette coupe pour lever la malédiction ?

Il émit un grognement railleur.

— A mon avis, c’est n’importe quoi, mais ma mère est tout excitée à l’idée de retrouver la coupe. Elle est persuadée qu’elle changera notre vie.

— J’ai été ravie d’apprendre qu’elle allait mieux… Sait-on enfin ce qui l’a rendue si malade ?

— Apparemment, une maladie tropicale assez rare, proche du choléra. Elle a de la chance d’être encore en vie… Elle est encore un peu faible, alors je lui ai dit de venir ici pour se reposer.

— Quelle bonne idée ! Je m’occuperai d’elle avec plaisir.

— J’espère qu’elle viendra fureter ici elle-même, pour que vous n’ayez pas à faire tout ce travail seule.

Quelle déception ! Elle ne pouvait donc pas espérer passer l’été au grenier avec Sinclair. Elle travaillait pour lui depuis six ans, et pourtant, à bien des égards, ils étaient des étrangers l’un pour l’autre. Elle aimait être seule avec lui, quand il ne recevait pas d’invités et qu’il se montrait plus décontracté. La recherche de la coupe aurait été une bonne occasion pour eux d’être un peu plus proches, mais hélas elle serait obligée de supporter la chaleur des combles toute seule.