INTRODUCTION
Vaste champ que le sport, plaine immense et peuplée mais, c'est notre hypothèse, réductible à une somme de gestes. Prendre le sport par les gestes, qu'ils soient dérisoires ou décisifs, c'est zoo-mer sur l'unité de base qu'il partage avec le quotidien et qui en fait de la vie continuée par d'autres moyens. Néanmoins, le sport prolonge de manière spécifique l'immense affaire d'avoir un corps. On ne court pas sur une piste comme derrière un bus. On ne lance pas un javelot comme un galet. Le geste sportif est appris, éprouvé, ajusté. Fruit de l'entraînement, il consiste à produire du naturel avec du construit, du spontané avec du réfléchi. Il érige le sport en morale incorporée. Le geste est difficile à circonscrire, zone intermédiaire entre le mouvement incontrôlé et sa canonique formalisation en « coup » ou en « figure ». La recension qui suit n'est donc pas seulement incomplète — forcément incomplète -, elle est aussi approximative et ne se gêne pas pour déborder de son cadre vers de plus parfaites réalisations gestuelles : chistera de rugby, saut de l'ange de Nadia Comaneci, retourné acrobatique, etc.
Outre que conforme à l'idée même de geste, cette impénitente désinvolture tient au profil des quatorze rédacteurs/trices de ce livre. Parmi eux, nul spécialiste, nul journaliste ou universitaire dévolu à la cause du sport. Des amateurs, aux deux sens presque contradictoires du terme. Des gens comme vous : ayant davantage regardé que pratiqué le sport. Rien de plus démocratique que le geste : extérieur et concret, il se donne au regard de tous, permet que chacun le jauge, le commente, l'investisse subjectivement ; permet qu'on pleure avec lui ou s'esclaffe de la grotesque pantomime qu'il improvise parfois. Cette dimension doit beaucoup à l'avènement de la télévision. Autrefois offerte aux seuls yeux des privilégiés qui y assistaient, une compétition peut désormais faire don à la planète entière de sa farandole de gestes. Les rédacteurs/trices appartiennent à la génération qui, née au cours des années 70, a profité - abusé — de l'inflation des retransmissions sportives à partir de cette époque. L'écrasante majorité des moments de sport calés dans un coin de leur mémoire et exhumés pour l'occasion a été découverte en direct à la télé. C'est une des raisons pour lesquelles les années 80 et 90 sont les plus représentées dans les pages qui suivent. Surtout les premières, qui correspondent à nos années d'apprentissage au sein desquelles, certains textes en portent le témoignage, le sport a été une instance décisive. Années aussi où les cerveaux sont des pages encore blanches et qui impriment davantage. C'est peut-être triste mais jamais un match de football ne nous marquera autant que le France-Brésil de Guadalajara, jamais une étape du Tour autant que le martyre de Laurent Fignon en 1989. Le livre porte la trace de cette chrono-hiérarchie des émotions, en ce qu'il fait la part belle aux deux décennies citées, donc, mais aussi aux deux sports qui alimentent le plus les imaginaires télévisuels, foot et tennis. Surtout, proposant des analyses cousues aux subjectivités des uns et des autres, ce travail collectif atteste que pour notre génération, et a fortiori pour toutes celles qui suivront, le sport fait partie du patrimoine intellectuel et affectif de chacun, au même titre que l'art ou la politique par exemple. Que le sport pense, se pense, donne à penser, voilà qui ne fait plus débat parmi ceux — nous autres — qu'on désigne parfois sous l'étrange nom de trentenaires.
Certains des rédacteurs ont publié des romans, d'autres en publieront, tous sont d'une manière ou d'une autre concernés par la chose littéraire. Or pour eux, la prise en charge de certaines entrées de ce livre n'a pas correspondu à une vacance de leurs diverses activités d'écriture. Restituer des gestes et le contexte particulier ou général dans lequel ils ont été exécutés ne déroge en rien au programme que chacun réalise ou analyse par ailleurs. Décrire, raconter, informer : trois opérations d'où s'infère une poétique modeste, laborieuse, rieuse, animée par la conviction que l'écriture gagne parfois à s'en tenir à la surface des choses.
002
GÉNÉRIQUES
NOTRE ÉPOQUE D'ESTHÈTES PEINE À SE L'IMAGINER MAIS IL Y EUT UN ÂGE DE L'HUMANITÉ SANS SPORT, SANS BALLON, NI BARRES PARALLÈLES, EN REVANCHE, D4EMBLÉE IL Y EUT DES GESTES ET LA PLUPART D'ENTRE EUX, ORIGINELLEMENT FAÇONNÉS À SEULE FIN DE SURVIE, OFFRENT AUJOURD'HUI UN SOCLE COMPORTEMENTAL COMMUN AUX SPORTS LES PLUS DIVERS PAR EUX SE TISSE UN FIL CONTINU DE L'HOMME PRIMITIF, VÉTU DE NULLE ÉTOFFE ET PAS MÊME D'UN DOSSARD, AU SPORTIF, SOUVENT HABILLÉ ET PARFOIS MËME D'UN SHORT