L’Allemagne romantique et les Arts
Chapitre premier
L’effervescence romantique
Le monument de Beethoven
Aujourd’hui, il faut être mieux qu’honorable. Beethoven n’aurait-il pas, sinon, vécu pour rien ?
Schumann
Sur les rives du Rhin, entre l’Allemagne et la France, Bonn a vu naître Beethoven en 1770. En août 1845, la ville devient trois jours durant la capitale musicale de l’Europe à la faveur de l’inauguration du monument au maître musicien. Sous la houlette de Franz Liszt, au renom international, principal donateur et maître d’œuvre des festivités, Bonn est en liesse. Chacun s’affaire et les rues résonnent de musique. Érigé Domplatz, entre la cathédrale et le palais Fürstenberg, le Beethoven-Denkmal en bronze d’Ernst Hähnel est révélé le 12 août aux sons des ouvertures d’Egmont et de Fidelio, jouées par la musique militaire, en présence du roi Frédéric-Guillaume IV et de la reine de Prusse, de l’archiduc Frédéric d’Autriche, de la reine Victoria d’Angleterre, descendante des Hanovre, et de son époux, le prince Albert de Saxe-Cobourg.
Accouru de France pour soutenir son cher Franz Liszt et couvrir l’événement, Hector Berlioz s’intéresse à tout. Il commente pour la presse parisienne1 les quatre concerts officiels donnés dans l’immense Festhalle de trois mille places dont Liszt a financé la construction. D’abord le concert inaugural du 12 août au cours duquel Louis Spohr dirige la Missa solemnis et la 9e Symphonie à la tête de l’orchestre de Cologne, puis le deuxième concert réunissant l’ouverture de Coriolan, des extraits du Christ au mont des Oliviers, le finale de Fidelio, le Concerto pour piano en mi bémol splendidement joué par Liszt, qui dirige ensuite la 5e Symphonie. Berlioz assiste aussi à l’exécution de la Messe en ut majeur en la cathédrale, relate « l’immense et dernier concert » et, très fier d’y avoir été convié, sa version réduite au château de Brühl à la demande du roi de Prusse.
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Inauguration du monument Beethoven à Bonn le 12 août 1845
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Spohr dirige la Missa solemnis de Beethoven à Bonn
En journaliste avisé, Berlioz dresse, par pays ou par villes, la liste des nombreuses personnalités présentes, parmi lesquelles on remarque Meyerbeer, Moscheles, Félicien David, Pauline et Louis Viardot, Marie Pleyel, Jenny Lind, Charles Hallé, les critiques et journalistes Fétis, Chorley, Rellstab ; il pointe de même les absents, évoquant, non sans raillerie, les empêchements qui ont pu les retenir au loin. Côté français, il dénonce la carence de toute représentation du Conservatoire, alors dirigé par Auber, et de la Société des Concerts, conduite par Habeneck, l’un des plus grands chefs beethovéniens de l’Europe ! Côté allemand, il souligne la défection de la Saxe : hormis la cantatrice Sophie Schloss, invitée à chanter dans la Missa solemnis, on n’aperçoit ni le roi Frédéric-Auguste II, ni Mendelssohn, ni les Schumann, ni Reissiger, ni Wagner. Berlioz ne peut pas deviner que Clara et Robert Schumann ont bien entrepris de traverser l’Allemagne mais que, malade, Schumann a dû rebrousser chemin. Il ne sait pas que Mendelssohn, exténué, dans l’espoir de récupérer quelques forces avant de quitter Berlin pour se réinstaller à Leipzig en août, décline également une invitation aux États-Unis et renonce à se rendre en Angleterre. S’il a en tête le magnifique concert qu’il dirigea lui-même à Paris en 1841 au profit du monument beethovénien, avec Liszt dans le même 5e Concerto, Berlioz ignore sans doute que Schumann avait sensibilisé dès 1836 les lecteurs de sa revue musicale, la Neue Zeitschrift für Musik, au projet du monument et qu’il voulut lui destiner le produit de sa Fantaisie op. 17, dite alors Sonate für Beethoven ; Berlioz ignore de même que les Variations sérieuses op. 54 de Mendelssohn ont été sa contribution à la collecte européenne pour le monument et qu’à ce titre elles parurent à Vienne en 1841 dans un recueil collectif réunissant les participations de Chopin, Czerny, Liszt et Moscheles. On comprend du reste Mendelssohn, qui avait été l’âme deux ans auparavant du Bach-Denkmal de Leipzig, de bouder des lieux où l’on ne faisait point appel à ses incomparables talents de chef beethovénien et de meneur d’hommes. Quant à Wagner, il est accaparé par les préparatifs de la création de Tannhäuser, prévue le 19 octobre suivant à Dresde.