Introduction
Le genre cinématographique est à la fois une notion familière à tout spectateur désireux de choisir un film dans un programme, de présenter en quelques mots un film à un ami, d’identifier, caractériser et distinguer des groupes de films qui présentent des caractères communs, et une notion centrale dans la production cinématographique et dans l’histoire du cinéma. Rien de plus courant en effet chez les spectateurs, ordinaires ou savants, que l’usage classificatoire des catégories génériques1, du western à la science-fiction en passant par le mélodrame ou la comédie musicale, pour repérer et hiérarchiser des formes et des constantes, thématiques, narratives, idéologiques et esthétiques dans l’ensemble de la production cinématographique. De même, les histoires du cinéma utilisent toutes des dénominations génériques pour qualifier des pans entiers de la production d’une époque : l’histoire du langage cinématographique, des formes, des mouvements et des techniques est ainsi jalonnée de nombreux « arrêts sur genres », emblématiques d’un cinéma ou d’une période, comme le burlesque du cinéma muet ou le western italien des années 1960 et 1970. Sur un plan économique enfin, on s’accorde généralement à voir dans les genres, qui exploitent dans un jeu de répétitions et de variations un ensemble de conventions narratives, iconographiques et stylistiques, un système rationnel de production et d’exploitation d’images, dont Hollywood, tout particulièrement dans la période classique, fournit un exemple canonique. Ce lieu commun permet par ailleurs, particulièrement dans la critique française, d’opposer, de façon schématique, un cinéma de genre, mercantile et peu créatif, et un cinéma d’auteur, affranchi des contraintes institutionnelles, économiques et idéologiques de genres qu’il évite, revisite librement ou transgresse. Cette opposition de valeurs peut aussi se renverser : le cinéma se divise alors en un cinéma de genre inventif, spectaculaire et divertissant (c’est même l’image de marque du cinéma américain) et un cinéma d’auteur rébarbatif, narcissique et soporifique.
Si nous avons choisi de rappeler en préambule ces quelques éléments d’une vulgate largement répandue, c’est pour souligner combien les genres structurent notre rapport au monde du cinéma. Pourtant, la réflexion sur le genre n’a pas toujours été et n’est pas partout un secteur très fréquenté de la théorie du cinéma. La comparaison entre la littérature de langue anglaise sur le cinéma et la littérature de langue française est à cet égard éloquente. En effet, alors que depuis le début des années 1970, de nombreux chercheurs, américains ou anglais, ont réfléchi sur la notion de genre cinématographique et produit un certain nombre d’études sur tel ou tel genre cinématographique, généralement hollywoodien, le genre reste le parent pauvre de la critique française qui privilégie les études d’auteur ou, notamment à propos de son propre cinéma national, les découpages en termes plus esthétiques de mouvements, d’écoles, de styles ou de tendances.
Dès les années 1970, en réaction à la politique des auteurs, formulée d’abord en France dans les années 1950 par les Cahiers du Cinéma, puis exportée aux États-Unis par Andrew Sarris sous le terme d’auteurism, les chercheurs américains s’intéressent aux genres. Plusieurs ouvrages, ainsi que le très grand nombre d’articles consacrés aux genres hollywoodiens dans les revues Movie, Screen, Jump Cut, Journal of Popular Culture, Film Culture, Film Comment ou Literature/Film Quaterly, témoignent de cet intérêt, qui s’accompagne d’une réelle diversité dans les approches : idéologiques, mythologiques et ritualistes, historiques. Dans le courant des années 1980, et plus encore dans les années 1990, les études de genres et la réflexion sur les genres se diversifient, comme en témoignera la suite de cet ouvrage. Je me contenterai donc ici de signaler qu’elles intègrent désormais davantage dans les corpus génériques des « films ordinaires » à côté des fleurons du genre. Bien que toujours centrées sur le cinéma hollywoodien, elles investissent la « préhistoire » des genres classiques ou, à l’autre bout de la chaîne, les productions contemporaines. Elles lient davantage les genres à l’économie, aux questions de réception, et s’intéressent aux relations entre genre et gender. Elles sont enfin plus attentives aux contextes médiatiques, culturels et historiques dans lesquels existent les genres ainsi qu’à leur histoire et leurs processus de transformation. La vitalité de la recherche générique est d’ailleurs telle qu’il est absolument impossible, dans ce livre dont l’ambition est d’être un ouvrage de théorie des genres cinématographiques, de donner dans la bibliographie finale la longue liste des ouvrages, chapitres ou articles anglo-saxons dédiés aux différents genres.