Chapitre 1
La Sécu,
une très vieille histoire d'amour...
La Sécu et les Français vivent une très vieille histoire d'amour et, comme toutes les histoires d'amour, celle-ci risque de finir mal. Elle peut finir mal parce que le pays a changé, que nous vivons plus vieux, que notre santé coûte de plus en plus cher, et que la question de son financement n'est jamais clairement posée. Mais, en attendant, elle est bien là, génération après génération. On s'est habitué à elle. Peut-être un peu trop, d'ailleurs...
Points de presse chez « Rocky »
9 mars 2006. Point de presse de la Caisse nationale d'assurance maladie dans le salon Empire du Press club, à Paris. Un rituel que le directeur général de la maison, Frédéric Van Roekeghem, chemise rose lilas, cravate rouge à rayures, tempes grises et dégagées, prend très au sérieux, même s'il s'agace vite des questions et ne s'attarde jamais longtemps après les discours.
« Si tout était livré en médicaments génériques, on ferait un milliard d'euros d'économies, mais la région parisienne et la Région Paca sont en retard », annonce-t-il, un brin martial, à la quarantaine de journalistes présents – et l'on se dit que la Sécu, en effet, a bien changé depuis vingt ans. Une batterie de chiffres plus tard, il conclut, fier de son bon mot : « La partie du corps la plus observée dans ce pays, c'est le sein. »
L'homme, ancien directeur de la « banque » de la Sécu, mais surtout ex-ingénieur de l'armement, a les coudées franches pour hausser le ton devant l'industrie pharmaceutique comme devant les pharmaciens et les médecins, et cela se sent. Il est d'autant plus à l'aise que la réforme voulue par le Premier ministre Alain Juppé l'a débarrassé de son conseil d'administration pour lui substituer un moins encombrant conseil d'orientation. Il est le bras armé de la reprise en main de la Caisse nationale par le politique, lui qui est passé directement et sans escale du cabinet de Philippe Douste-Blazy (alors ministre de la Santé) à la direction de la Caisse. Le pouvoir central gouverne désormais la Sécu et Van Roekeghem, homme de pouvoir s'il en est1, placé à ce poste en 2004 pour une période de cinq ans, en est la preuve vivante. Jouer le sens civique contre les puissances de l'argent, c'est l'axe officiel de la guerre qu'il a engagée. Au passage, cet homme qui est tout sauf un produit des luttes sociales a aussi reconnu, en aparté, qu'il avait été nommé là « pour gagner 2007 avec l'UMP ». Pari tenu ! En bousculant les directeurs de caisse, dont certains ont laissé publiquement entrevoir leur trouble, en satisfaisant discrètement les revendications des médecins libéraux et en faisant la chasse à tous ces « gauchos » qui peuplaient les arcanes de l'assurance maladie...
Pour le reste, bien qu'il ait lui-même participé à la rédaction des textes qu'il allait devoir mettre en œuvre, « Rocky », comme on le surnomme à cause de ses airs de dur à cuire, a vite compris que les jolies recettes n'étaient pas toujours les plus faciles à mettre en œuvre. Surtout quand on n'a qu'une confiance très relative en son propre réseau...
4 juillet 2007 (seize mois plus tard). Lors d'un nouveau point de presse, le même Van Roekeghem semble vouloir nous convaincre qu'il a trouvé la parade : il axe l'essentiel de son propos sur la lutte contre la fraude. Au menu, les établissements spécialisés dans la chirurgie esthétique, nouvelle coqueluche de ces dames (hommes admis), les dérives de la consommation de Subutex, produit fétiche des toxicomanes, avec une série de plaintes pénales à la clef (148 contre des consommateurs, 32 contre des médecins, 4 contre des pharmaciens), et une vigilance accrue en matière d'arrêts de travail... À défaut de grandes révolutions, le patron se fait gendarme. Et, en bon politique, il cogne sur le bilan de ceux qui étaient là avant lui. Les arrêts de travail, affirme-t-il, avaient augmenté de 40 % entre 1998 et 2003, autrement dit sous la législature socialiste, coupable à ses yeux de « laxisme en matière de contrôle ». « Le retour des contrôles a permis de diminuer les arrêts de travail de 15 %, assène-t-il de ce ton calme et assuré qui le caractérise. Cela signifie que la répression produit son effet. »