Introduction
La démocratie constitue un objet inépuisable d'interrogations. Elle est sans doute, avec l'amour, l'expérience la plus nourrie de commentaires et d'analyses, contribuant depuis des siècles à l'allongement des travées des bibliothèques. Cette effervescence se nourrit d'aspirations déçues, du sentiment de promesses non tenues. On dit la démocratie impossible, imparfaite, fragile, inachevée. Pourtant, chacun sent bien qu'il ne saurait en être autrement. La démocratie est une œuvre collective qui ne peut se figer à moins de se nier elle-même. Nous ne serions jamais que sur la voie de la démocratie, cherchant à parfaire l'idéal ; moins démocrate qu'animé du désir de faire démocratie.
Ce désir trouve aujourd'hui une expression singulière. La démocratie fait ainsi l'objet d'attentes et d'attentions nouvelles. Alors qu'elle la juge « confisquée » et « dévoyée », la société civile dit aspirer à une implication significative dans l'élaboration des choix qui la concerne. Fort de ses droits-libertés, de ses droits politiques et de ses droits sociaux, le citoyen exige un droit de regard, un droit au débat. Le droit de vote ne suffirait plus à l'expression de la citoyenneté démocratique. Ces attentes ont contribué à renforcer le sentiment d'une démocratie « en crise », « en panne », « ingouvernable » du côté des décideurs et des législateurs qui, sous un jour nouveau, ont pris la mesure des difficultés à faire accepter leurs décisions, à assurer leur légitimité. Au cours de cette dernière décennie, un processus d'institutionnalisation du débat public est venu compléter le mode traditionnel de délibération et transformer le modèle de production des politiques publiques. On est loin des solutions préconisées dans les années 1970 qui pensaient régler la question de l'ingouvernabilité en protégeant l'État des demandes et donc en limitant la participation des citoyens pour préserver la démocratie d'elle-même (Crozier et alii, 1975). Aujourd'hui, le citoyen est invité à s'engager. On le veut « au centre » de la démocratie. L'impératif d'une « meilleure décision » prise « au nom des gens » se traduit par l'appel à la prise de parole.
Débat public, consultation, concertation... L'action publique est assurément devenue plus bavarde. Mais est-elle pour autant plus démocratique ? La question s'impose à tous ceux qui, chercheurs ou participants, veulent vérifier que l'élargissement de la participation est bien un facteur de démocratisation. Pour notre part, cette question commande d'être tout de suite explicitée. Nous n'envisagerons pas la discussion publique sous l'angle de la décision. On ne se demandera pas si ces formes induisent un partage effectif du pouvoir de décider, ni si l'efficacité de l'action publique s'en trouve renforcée. Il ne s'agit pas non plus ici d'évaluer la capacité du débat à produire l'acceptabilité sociale des décisions. Non que ces questions ne soient pertinentes. Bien au contraire, elles s'avèrent cruciales et intéressent sans aucun doute au premier plan les décideurs contemporains. Mais ceux qui s'intéressent à la décision proprement dite le savent : c'est un objet complexe, fait de négociations, de compromis, de discussions de couloir, d'influences de dernière minute, de retournements politiques, de logiques rationnelles toujours limitées. Une longue grève, une catastrophe et un scarabée ont parfois plus d'impact sur la décision que des années de concertation1.
Surtout, si le lien entre débat et décision est souvent discuté, nous retenons que le législateur veille, pour l'heure, à distinguer, de façon nette, ces deux moments. Les procédures invitent à la préparation, à l'accompagnement de la décision. D'un point de vue politique, on peut bien sûr regretter que le monopole des instances décisionnelles spécialisées ne soit pas entamé2. Sur la scène des débats, ce regret est parfois exprimé par les participants. Mais personne ne songe à remettre en cause le principe représentatif, notamment parce qu'il garantit l'imputation de la responsabilité des décisions. La démocratie doit être représentative pour fonctionner. « Les discussions ne " gouvernent " pas » (Habermas, 1993 [1978]). Aussi, notre souci n'est pas de savoir si ces procédures participent d'une communication, d'une consultation, d'une concertation, ou encore d'une délibération3. D'ailleurs, ces termes pourront être utilisés invariablement les uns pour les autres même si nous leur préférons celui de débat public, entendu ici comme la désignation générique de toute forme, instance ou procédure de mise en discussion publique des choix collectifs.