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Antigone de J. Anouilh
Ismène, a un élan soudain vers elle. – Ma petite sœur…
Antigone, se redresse et crie. – Ah, non ! Laisse-moi ! Ne
me caresse pas ! Ne nous mettons pas à pleurnicher ensemble,
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maintenant. Tu as bien réfléchi, tu dis ? Tu penses que toute
la ville hurlante contre toi, tu penses que la douleur et la peur
de mourir c’est assez ?
I
smène, baisse la tête. – Oui.
Antigone. – Sers-toi de ces prétextes.
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Ismène, se jette contre elle. – Antigone ! Je t’en supplie !
C’est bon pour les hommes de croire aux idées et de mourir
pour elles. Toi tu es une fille.
A
ntigone, les dents serrées. – Une fille, oui. Ai-je assez
pleuré d’être une fille !
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Ismène. – Ton bonheur est là devant toi et tu n’as qu’à le
prendre. Tu es fiancée, tu es jeune, tu es belle…
Antigone, sourdement. – Non, je ne suis pas belle.
Ismène. – Pas belle comme nous, mais autrement. Tu sais
bien que c’est sur toi que se retournent les petits voyous dans
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la rue ; que c’est toi que les petites filles regardent passer,
soudain muettes sans pouvoir te quitter des yeux jusqu’à ce
que tu aies tourné le coin.
A
ntigone, a un petit sourire imperceptible. – Des voyous,
des petites filles…
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Ismène, après un temps. – Et Hémon, Antigone ?
Antigone, fermée. – Je parlerai tout à l’heure à Hémon :
Hémon sera tout à l’heure une affaire réglée.
Ismène. – Tu es folle.
Antigone, sourit. – Tu m’as toujours dit que j’étais folle,
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pour tout, depuis toujours. Va te recoucher, Ismène… Il fait
jour maintenant, tu vois, et, de toute façon, je ne pourrais
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rien faire. Mon frère mort
est maintenant entouré d’une
3. Polynice laissé sans sépulture.