Ce premier recueil publié « à compte d'auteur
1 » a les qualités et les défauts d'une œuvre de jeunesse. Au dire des critiques, il comporte tout à la fois des exercices scolaires et des chefs-d'œuvre. Selon Verlaine lui-même, les trois quarts des poèmes auraient été composés pendant ses années de lycée.
Le titre
Saturne est une planète du système solaire, célèbre pour sa couleur jaune et ses anneaux satellites. Elle est réputée depuis la plus haute Antiquité pour avoir une influence néfaste sur la vie des hommes. Mais Saturne est aussi le dieu romain du Temps : c'est l'équivalent du Cronos des Grecs. Ainsi donc, les
Poèmes saturniens sont d'emblée placés sous le signe du temps et de la fatalité. Dans le poème introductif, Verlaine évoque la « Fauve planète, chère aux nécromanciens
2 » qui prédestine au malheur les humains nés sous son signe (voir p. 44). Cette référence peut expliquer l'atmosphère de mystère et d'inquiétude qui traverse l'ouvrage.
La composition du recueil
Le recueil s'ouvre par un long poème intitulé Prologue qui est une sorte de discours-programme en vers. Il s'achève par trois poèmes groupés sous le titre Épilogue. Entre cette introduction et cette conclusion, Verlaine a groupé ses poèmes en cinq séries : Melancholia qui ne comporte que des sonnets, Eaux-fortes et Paysages tristes (qui rassemblent des pièces aux rythmes divers). Un autre chapitre, plus souriant, est intitulé Caprices. Le dernier groupe de poèmes ne porte pas de titre.
Les thèmes
Peut-être parce qu'il est une œuvre de jeunesse, le recueil ne présente pas une thématique très unifiée. Verlaine semble chercher sa voie. D'une section à l'autre et parfois à l'intérieur d'une même section, la différence de contenu et de ton ne manque pas de surprendre.
Ainsi, dans
Melancholia, le deuxième sonnet, « Nevermore
3 », chante l'amour chaste du poète pour sa sœur adoptive Élisa ; mais le cinquième, « Lassitude », évoque un érotisme d'une tout autre nature. Et dans le chapitre
Caprices, on retrouverait, sur un ton badin, le thème baudelairien de la duplicité de la femme (« Femme et Chatte », « La Chanson des ingénues »).
Dans les deux sections suivantes, le thème du paysage est traité sur des modes bien différents. Eaux-fortes développe un pittoresque presque fantastique (« Cauchemar », « Effet de nuit », « Grotesques »). Quant aux sept poèmes des Paysages tristes, ils mêlent intimement la rêverie et la perception, annonçant un art nouveau, proche, comme nous le verrons, de celui des peintres impressionnistes.
Enfin, dans les derniers poèmes du recueil, des compositions historiques d'inspiration parnassienne
4 (« La Mort de Philippe Il »)
voisinent avec les caricatures et les parodies de
Caprices (« Monsieur Prudhomme », « Çavitrî »)
5.
Bref, ce recueil, pourtant chargé d'influences diverses, annonce déjà l'art personnel de Verlaine et ouvre la voie à la poésie symboliste.