PREMIÈRE PARTIE
Problématiques essentielles
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Analyse des recueils
Le « survol » de l'œuvre de Verlaine, que nous allons accomplir, permettra d'ouvrir des pistes pour la suite de l'étude. Il constituera aussi un premier repérage des caractéristiques de la poésie verlainienne. Dans ce but, nous analyserons le titre et la structure des recueils ainsi que les thèmes abordés.
POÈMES SATURNIENS (1866)
Ce premier recueil publié « à compte d'auteur1 » a les qualités et les défauts d'une œuvre de jeunesse. Au dire des critiques, il comporte tout à la fois des exercices scolaires et des chefs-d'œuvre. Selon Verlaine lui-même, les trois quarts des poèmes auraient été composés pendant ses années de lycée.
Le titre
Saturne est une planète du système solaire, célèbre pour sa couleur jaune et ses anneaux satellites. Elle est réputée depuis la plus haute Antiquité pour avoir une influence néfaste sur la vie des hommes. Mais Saturne est aussi le dieu romain du Temps : c'est l'équivalent du Cronos des Grecs. Ainsi donc, les Poèmes saturniens sont d'emblée placés sous le signe du temps et de la fatalité. Dans le poème introductif, Verlaine évoque la « Fauve planète, chère aux nécromanciens2 » qui prédestine au malheur les humains nés sous son signe (voir p. 44). Cette référence peut expliquer l'atmosphère de mystère et d'inquiétude qui traverse l'ouvrage.
La composition du recueil
Le recueil s'ouvre par un long poème intitulé Prologue qui est une sorte de discours-programme en vers. Il s'achève par trois poèmes groupés sous le titre Épilogue. Entre cette introduction et cette conclusion, Verlaine a groupé ses poèmes en cinq séries : Melancholia qui ne comporte que des sonnets, Eaux-fortes et Paysages tristes (qui rassemblent des pièces aux rythmes divers). Un autre chapitre, plus souriant, est intitulé Caprices. Le dernier groupe de poèmes ne porte pas de titre.
Les thèmes
Peut-être parce qu'il est une œuvre de jeunesse, le recueil ne présente pas une thématique très unifiée. Verlaine semble chercher sa voie. D'une section à l'autre et parfois à l'intérieur d'une même section, la différence de contenu et de ton ne manque pas de surprendre.
Ainsi, dans Melancholia, le deuxième sonnet, « Nevermore3 », chante l'amour chaste du poète pour sa sœur adoptive Élisa ; mais le cinquième, « Lassitude », évoque un érotisme d'une tout autre nature. Et dans le chapitre Caprices, on retrouverait, sur un ton badin, le thème baudelairien de la duplicité de la femme (« Femme et Chatte », « La Chanson des ingénues »).
Dans les deux sections suivantes, le thème du paysage est traité sur des modes bien différents. Eaux-fortes développe un pittoresque presque fantastique (« Cauchemar », « Effet de nuit », « Grotesques »). Quant aux sept poèmes des Paysages tristes, ils mêlent intimement la rêverie et la perception, annonçant un art nouveau, proche, comme nous le verrons, de celui des peintres impressionnistes.
Enfin, dans les derniers poèmes du recueil, des compositions historiques d'inspiration parnassienne4 (« La Mort de Philippe Il ») voisinent avec les caricatures et les parodies de Caprices (« Monsieur Prudhomme », « Çavitrî »)5.
Bref, ce recueil, pourtant chargé d'influences diverses, annonce déjà l'art personnel de Verlaine et ouvre la voie à la poésie symboliste.
FÊTES GALANTES (1869)
Lorsque Verlaine publie ce recueil de vingt-deux poèmes, dix ont déjà paru dans des revues, parfois sous un titre différent. Ainsi, le premier, « Clair de lune », avait été publié en 1867 dans la Gazette rimée où il était intitulé « Fêtes galantes ». Verlaine l'a trouvé assez caractéristique de sa tentative pour qu'il donne son titre au recueil.
Le titre
Ce titre évoque un genre pictural inauguré par le peintre Watteau6. Sous le nom de « fêtes galantes », on désignait alors une variation sur le thème du théâtre : des personnages élégants se livrant à des songes amoureux et à des conversations tendres, dans des attitudes traduisant les nuances les plus fines des sentiments, l'amour comme la dissimulation ou le dépit. Or, le recueil de Verlaine se caractérise aussi par un décor de fêtes et un climat d'insouciance et de mélancolie qui apparaît dans la composition même.