Chapitre premier
L'AMIRAL DARLAN ET SA FLOTTE
Fils d'un républicain franc-maçon de gauche
François Darlan, futur amiral de la flotte française, voit le jour dans la maison familiale de Nérac, en Lot-et-Garonne, rue de Condom, le 7 août 1881 à 9 heures du matin. Son père, Jean-Baptiste, avocat républicain franc-maçon de gauche, a accompli le brillant parcours d'un notable de la IIIe République : maire de Nérac en 1880, conseiller général en 1886, député en 1890, garde des Sceaux en 1896. Au Parlement, il siège sur les bancs du groupe de l'Union républicaine, dont il est l'un des vice-présidents. C'est un parlementaire consciencieux, membre de diverses commissions dont celle de la marine. Il y a en effet une tradition maritime dans la famille. Un Bernard Darlan fut patron de barques au début du XVIIIe siècle, assurant le transport des marchandises, par voie fluviale, en direction de Bordeaux. Un Jean Darlan devint capitaine au long cours, à la fin du XVIIIe siècle, et commanda un voilier de Bordeaux, Le Fils Unique. Les trois fils de cet officier deviendront également marins. Mais contrairement à une légende souvent colportée, aucun des ancêtres directs du futur amiral n'a participé à la bataille de Trafalgar. Le quartier-maître Guillaume Darlan, embarqué à bord du célèbre navire Redoutable, et qui trouva la mort lors de la bataille contre le Victory de Nelson en juillet 1814, est issu d'une branche collatérale. Un deuxième Bernard Darlan servit à bord du vaisseau Charlemagne de 1807 à 1812, tandis qu'un autre Jean-Baptiste embarqua à bord de L'Océan de 1812 à 1814.
Le député Jean-Baptiste Darlan se lie d'une profonde amitié avec le célèbre ministre de la Marine Georges Leygues (1857-1933), ce qui aura une heureuse influence sur la carrière du futur amiral. Le père, républicain et franc-maçon bon teint, n'est pas cependant un mécréant. Il fait baptiser son fils, François Darlan, le 30 août 1881, par l'abbé Duluc, vicaire à l'église Saint-Nicolas. La cérémonie religieuse se fait dans la discrétion : alors qu'Armand Fallières (président du Sénat en 1899 et de la République de 1906 à 1913) a servi de témoin à l'état civil, le parrain et la marraine sont choisis dans la plus proche famille, avec l'oncle Xavier et la grand-mère Espagnac. La mère de François Darlan, née Marie-Marguerite Espagnac, est la fille d'un médecin de Nérac, financièrement aisé.
L'enfance de Darlan est placée sous le signe de la solitude et de la tristesse. Sa mère meurt alors qu'il n'a que 3 ans. Il est élevé par des gouvernantes et une tante sévère, voire tyrannique. Son père le met ensuite en pension au lycée de Talence. Son accent gascon lui vaut quelques quolibets, mais il n'est pas du genre à se laisser insulter sans répondre. Sa solitude n'est pas absolue puisqu'il y a toujours des Darlan à Nérac, et il fera une bonne partie de sa scolarité avec son cousin André. En 1894, il va, avec sa sœur, retrouver son père à Paris et y finir ses études comme externe au lycée Henri-IV. Tous les jeudis, Mme Leygues emmène Hélène et François à la Comédie-Française.
Les enfants Darlan et Leygues, écrivent Hervé Coutau-Bégarie et Claude Huan, sont si liés que leurs parents caresseront quelque temps l'idée d'un mariage entre François et l'une des filles de Georges Leygues. Ce projet n'aboutira pas, mais cet échec ne remettra jamais en cause les liens d'affection du ministre pour le jeune homme. Cette familiarité, que de mauvaises langues (il n'en manque pas...) voudront plus tard transformer en filiation, favorisera grandement sa carrière1.
Une vocation maritime précoce
François Darlan accomplit sa préparation d'entrée à l'École navale au lycée Saint-Louis, dès l'âge de 14 ans. Son parcours est cependant laborieux. Il échoue au concours d'entrée à l'École navale en 1898, mais parvient l'année suivante à se classer 77e sur 100 admis. Durant la première année, il se traîne dans le fond du classement : 65e sur 99 à la fin du premier semestre. Puis il fait un bond spectaculaire la seconde année : 34e sur 94 à la fin du premier semestre et 27e au classement final. Il brille en littérature et en histoire, alors que ses notes dans le domaine scientifique sont justes convenables. En revanche, il se distingue dans les matières techniques militaires. L'enfant triste et renfermé des lycées de Talence et Paris s'épanouit dans un milieu militaire qui lui convient. Il embarque à bord du navire-école, Le Borda, superbe vaisseau qui porte les derniers canons se chargeant par la bouche de la marine française.