Du même auteur

Crimes, cataclysmes et maléfices dans l’opéra baroque en France, Paris, Minerve, 2011.

Vocabulaire de la musique baroque, Paris, Minerve, 1re édition, Paris, Minerve, 1996 ; 2e édition, revue et augmentée, 2008.

Jean-Philippe Rameau, Catalogue thématique des œuvres musicales, t. 1, Musique instrumentale ; musique vocale religieuse et profane, Paris, CNRS éditions et Bibliothèque nationale de France, 2006 ; t. 2, Les Livrets, 2003 ; t. 3, Musique dramatique 1re partie ; d’Acante et Céphise à Hippolyte et Aricie, 2012, avec Denis Herlin (t. 1-3) et Pascal Denécheau (t. 3).

Histoire de la notation de l’époque baroque à nos jours, avec Christian Goubault et Jean-Yves Bosseur, Paris, Minerve, 2005.

Petit traité d’édition critique, Paris, Société Jean-Philippe Rameau, 1997.

Jean-Philippe Rameau : Les Boréades ou la tragédie oubliée, Paris, Méridiens/Klincksieck, 1992.

La Porte du Paradis, fantaisie lyrique en un acte, musique de Costin Miereanu, Poly Art International, 1991.

 

A collaboré à

Guide de la musique sacrée 1600-1750, Edmond Lemaître (éd.), Paris, Fayard, 1992.

Dictionnaire de la Musique en France aux xviie et xviiie siècles, Marcelle Benoit (éd.), Paris, Fayard, 1992.

 

En préparation : Dictionnaire de l’Opéra de Paris sous l’Ancien Régime (3 t.), collaboration avec Pascal Denécheau et France Marchal-Ninosque, Classiques Garnier.

Introduction

Notre artiste n’était pas courtisan, et il ne pouvait l’être, se suffisant à lui-même, ne vivant qu’avec son génie, et négligeant jusqu’à la société des Hommes […] S’il voyait les Grands, c’est lorsqu’ils avaient besoin de lui, et alors, il était avec eux comme avec le commun des hommes ; il songeait à sa besogne et ne les apercevait pas.

Aborder la vie et l’œuvre de Jean-Philippe Rameau n’est pas tâche aisée tant l’homme est déroutant, le compositeur hors norme, le théoricien provocateur, le pédagogue anticonformiste. À mesurer son œuvre immense, à évaluer son incroyable apport à la Musique, on peine à admettre qu’un seul homme ait été capable d’une telle prouesse. En tous points Rameau renvoie l’image d’un être d’exception dont aucune des trois périodes très contrastées qu’il a traversées n’a su saisir le génie à sa juste valeur, que ce soit la fin austère du règne de Louis XIV, la Régence libertine de Philippe d’Orléans, « fanfaron du vice », et la presque totalité du règne de Louis XV. Rien moins que collaborateur privilégié de Voltaire, d’Alembert, Diderot et Marmontel, interlocuteur entre autres de Rousseau, Estève, Euler, Bernoulli, du padre Martini et de Wolf, il a vécu ce besoin impérieux propre au mouvement des Lumières de comprendre et d’expliquer, de revisiter les convictions, de remettre en cause les savoirs, de lutter contre l’obscurantisme alors même que les autorités en place redoutaient un éveil des consciences.

À la génération des lullistes et post-lullistes, il propose un nouveau style qui lui vaut les foudres des conservateurs et met à mal le vieux répertoire, comme le confesse Grimm dans sa Lettre sur Omphale. Aux maîtres de musique qu’il traite d’incompétents et de vieilles barbes, il affirme qu’il possède la meilleure méthode d’enseignement et martèle qu’ils doivent reconsidérer la leur. Aux théoriciens, il révèle des règles certaines jusqu’alors insoupçonnées conférant à la musique le statut d’une discipline basée sur des principes scientifiques. D’abord couronné par l’Académie des sciences, il est ensuite farouchement contesté lorsque à partir de 1749 il défend l’idée que la musique aurait valeur de modèle pour les sciences, voire pour l’univers. En suivant cette voie avec un entêtement qui dépasse l’entendement, avait-il conscience que la majorité des intellectuels du temps, à la suite de d’Alembert, allaient le suspecter de déraisonner ? À force de remettre en cause à peu près toutes les certitudes de ses contemporains sur la musique, la théorie et la pédagogie, savait-il qu’il se traçait une destinée houleuse semée de succès et d’acclamations, mais cisaillée d’échecs et d’opprobres ? Mesurait-il qu’il allait devenir à la fois l’initiateur et la victime de débats cruels et épuisants, de polémiques incessantes, l’objet de jugements déraisonnables aux limites du fanatisme ? Tout force à croire qu’il n’a pas envisagé sa carrière sous cet angle, tout occupé à dessiner avec la détermination d’un titan sa trajectoire, ne s’autorisant pas même à se retourner sur ses blessures pas plus qu’à se préoccuper des dommages collatéraux causés par ses découvertes. Car nul ne s’est autant exposé au jugement d’autrui, prêtant le flanc à la critique en refoulant l’habitude et la redondance en art au risque d’altérer la fidélité de son public, mettant à nu le fruit de ses recherches spéculatives en les exposant sur l’autel du tribunal de l’Europe.

 

Très grand et maigre, le regard vif, la voix grave et rocailleuse, Rameau est souvent décrit comme secret, hautain, emporté et peu courtisan, sérieux défaut en ce siècle de flagornerie. Certains, comme Collé, Piron, Rousseau ou Grimm ont croqué de lui un portrait peu flatteur, d’un caractère difficile, « dur et sauvage », où se mêlent intransigeance, impatience et avarice. À l’inverse, Balbastre, Dauvergne, D’Aquin de Châteaulyon ou Thérèse Boutinon-Deshayes, son élève et amie, ont loué sa philanthropie et vanté ses talents jusqu’à voir en lui une espèce de gourou pourvu de dons surnaturels :

Je connais des gens à qui un opéra de M. Rameau a valu les conseils des Molins et des Vernages [médecins célèbres de l’époque], ils étaient fort malades en entrant, ils en sortaient guéris. Je ne parle que de ceux qui ont les organes sensibles.

D’autres ont contribué à faire naître le « mythe Rameau », laissant supposer, comme d’Alembert, qu’il « nous a donné, non pas la meilleure musique dont il était capable, mais la meilleure musique que nous puissions recevoir », et cultivant, comme Maret, l’image d’un homme « possédé » par une passion dévorante :

Aux répétitions de ses opéras, il s’asseyait dans le parterre où il voulait être seul ; si quelqu’un venait l’y troubler et s’approchait de lui, il le repoussait de la main, sans lui parler et même sans le regarder. Dans ces moments-là, il était forcé de parler beaucoup ; ce qu’il faisait avec tant de feu, que sa bouche se desséchait si prodigieusement, qu’il était obligé de manger quelque fruit pour se mettre en état de continuer : la même chose lui arrivait quelquefois dans la conversation, et alors on le voyait dans l’instant où il était le plus animé, se taire, ouvrir la bouche et faire comprendre par ses gestes qu’il ne pouvait plus parler.

Au fil de nos recherches, par la mise en perspective des milliers de sources que nous avons consultées, loin d’apparaître pédant, antipathique ou avare, Rameau se révèle un éternel et fougueux jeune homme rebelle aux règles, infatigable chercheur, pédagogue engagé, mari et père généreux. Immense génie déconnecté des conventions sociales, en décalage esthétique avec ses époques, d’abord trop italien pour les lullistes, puis plus assez pour les adeptes de l’opéra-comique, et quoi qu’il en soit toujours trop savant pour un musicien, il a subi les paradoxes, les revirements, les amours et les trahisons d’une société inconstante et trop souvent ingrate. Comment rendre compte d’une personnalité aussi polyvalente et d’une œuvre si large ? Fallait-il explorer chronologiquement son parcours ou plutôt favoriser une lecture thématique ? Fallait-il intégrer à l’étude de sa production musicale celle de ses ouvrages théoriques au risque de noyer le lecteur ? C’est en fait la production et le mode de vie de Rameau qui ont imposé le plan à notre livre tant ses activités musiciennes sont nettement articulées, comme s’il en avait autocensuré les insubordinations. Ainsi se dessinent quatre périodes marquées, objet des quatre premières parties de notre ouvrage : d’abord une carrière d’organiste provincial de quarante ans, ponctuée de cantates et motets peu dévots, puis une activité de maître de clavecin parisien, ensuite une ascension comme musicien de théâtre avec la création d’Hippolyte et Aricie et ses infortunes jusqu’à l’échec de Dardanus, et enfin un ultime épisode comme compositeur de la musique du roi, oscillant entre chefs-d’œuvre et pièces plus légères. En corollaire à ce parcours étonnamment fertile, se dresse le monument de son intellectualité musicienne, véritable pendant de sa création musicale. Car Rameau n’est pas moins musicien que savant, pas moins praticien que théoricien, pas moins artiste que philosophe. Pour autant, même si les interférences entre Art et Science se vérifient continuellement, la dimension théorique sollicite une autre sphère sociale et des concepts souvent éloignés de la pratique musicale. Pour rendre compte au mieux de l’évolution de sa pensée, des ramifications complexes de ses écrits, nous avons fait le choix de traiter ce domaine dans une partie autonome.

Curieusement, à l’issue de notre travail, nous avons la certitude que bien des pistes n’ont pas été explorées, que d’autres découvertes sont à venir qui permettront de cerner encore davantage la personnalité et les pensées de cet « artiste philosophe », comme s’il demeurait à l’infini délicieusement insondable.

 

Ce livre est redevable à plus d’un titre à de nombreux chercheurs. Pourtant, Rameau souffre de sa notoriété et, une fois éliminés les écrits « réécrits » ou « romancés », les travaux dignes de foi ne sont plus si nombreux. Sur le plan historique, les sources anciennes les plus fiables à vocation de synthèse restent les éloges de Maret et Chabanon, tous deux contemporains du musicien. Le second s’exprime surtout sur la musique tandis que le premier, tel un journaliste sérieux, a enquêté minutieusement. Il faut abandonner presque en bloc la littérature du xixe siècle, peu scrupuleuse, avare de ses sources, encline à « broder », et oublier d’urgence les textes de Fétis tant ils sont remplis d’erreurs, d’interprétation hasardeuse, de jugements abrupts et pédants comme celui-ci : « son harmonie […] fut toujours incorrecte ». On doit également à Camille Saint-Saëns et à Charles Malherbe le lancement de ses Œuvres complètes et la rédaction d’études très sérieuses et largement documentées sur l’histoire, la diffusion et les circonstances de sa production. À leur suite, plusieurs musicologues du début du xxe siècle, tels Henri Quittard, Léon Vallas, Michel Brenet et Lionel de La Laurencie ont mis au jour des documents d’archives très précieux. Les grandes synthèses de Paul-Marie Masson en 1930 sur l’opéra de Rameau et de Cuthbert Girdlestone en 1957 sur la vie et l’œuvre du compositeur font partie des études incontournables. Depuis ces grands travaux, beaucoup d’autres études, thèses, mémoires et articles ont vu le jour comme ceux entre autres de Philippe Beaussant, André Charrak, Thomas Christensen, Mary Cyr, Charles W. Dill, Julien Dubruque, Nancy Diguerher-Mentelin, Jean Duron, Thomas R. Green, Yumiko Ishikawa Maruyama, Jean-Louis Jam, Catherine Kintzler, Jérôme de La Gorce, Raphaëlle Legrand, François Moureau, Paul F. Rice, Isabelle Rouard et Claude Knepper, Graham Sadler, Herbert Schneider, Thomas Soury, Rémy-Michel Trotier, Jean-Claire Vançon.

Pour la partie théorique, le monumental travail d’Erwin Jacobi permet de consulter aisément la presque totalité des écrits théoriques de Rameau et des textes périphériques qui permettent leur contextualisation, même s’il y manque des ouvrages capitaux comme L’Art de la basse fondamentale ou les Vérités également ignorées et intéressantes tirées du sein de la nature, révélés pour le premier par Isabelle Rouard et Claude Knepper, et pour le second par Herbert Schneider. Plus récemment, Bertrand Porot et Jean Saint-Arroman ont réuni également en fac-similé les ouvrages théoriques de Rameau.

Les travaux sur Rameau ont considérablement évolué depuis 1992 et j’y revendique ma part. En 1991 j’ai lancé la publication de ses Opera omnia avec le soutien de mes collègues, Cécile Davy-Rigaux, la regrettée Mary Elizabeth C. Bartlet, Denis Herlin, Davitt Moroney, Herbert Schneider, rejoints depuis par Yvon Repérant, Graham Sadler et, pour le secrétariat scientifique, Nathalie Berton-Blivet. En 1996, à la création de l’Institut de recherche sur le patrimoine musical en France, j’ai mis en place une équipe de recherche axée sur Rameau, lançant notamment une vaste campagne de dépouillement des archives à Paris et en province. À ce titre, je dois beaucoup à la persévérance et aux talents d’Érik Kocevar, capable de déchiffrer les écritures les plus alambiquées. Denis Herlin, Pascal Denécheau et moi-même avons conduit le chantier du Catalogue thématique des œuvres musicales de Rameau qui répertorie les sources de la musique et des livrets d’opéra avec minutie. En corollaire à cette recherche, j’ai confié à Pascal Denécheau la responsabilité de constituer un centre de documentation Rameau et une base de données (BORÉE), dont il assure aujourd’hui la direction. Enfin, avec Florence Gétreau et Nicole Lallement, nous établissons un catalogue des sources iconographiques.

Remerciements

Sans toutes ces énergies combinées – qu’il s’agisse du soutien institutionnel de l’Institut de recherche sur le patrimoine musical en France (IRPMF, CNRS), devenu Institut de recherche en musicologie, et de ses ancienne et actuelle directrices (Florence Gétreau et Cécile Davy-Rigaux), de la Bibliothèque nationale de France et des directrices de son département de la Musique (Catherine Massip puis Élizabeth Giuliani), et enfin du ministère de la Culture –, sans les aides précieuses de Pascal Denécheau et Thomas Soury pour des recherches documentaires, d’Érik Kocevar pour la recherche archivistique, et d’Alban Framboisier pour les commandes et vérification des illustrations, je n’aurais jamais pu faire aboutir cet ouvrage.

Mes remerciements vont également à mes collègues, amis et proches qui m’ont apporté des aides ponctuelles, tels Nathalie Berton-Blivet, Benoit Dratwicki, Julien Dubruque, Camerino Musique, François-Pierre Goy, Laurent Guillo, Solveig Serre, Thomas Vernet, Valérie de Wispelaere et qui, pour certains, ont accepté de relire des parties de ce livre : Cécile Davy-Rigaux, Pascal Denécheau, Nancy Diguerher-Mentelin, Alban Framboisier, Denis Herlin, Costin Miereanu, Héloïse Miereanu et Thomas Soury.

Que soit enfin remerciée mon éditrice, Sophie Debouverie, pour sa relecture attentive, ses suggestions, sa patience et sa confiance.

Normes éditoriales

Les citations sont modernisées afin de les rendre plus compréhensibles au lecteur moderne. Fait exception à cette règle la transcription des documents d’archives.

Les prénoms des personnes ont été maintenus intégralement seulement dans la Bibliographie et l’Index afin d’alléger le texte du corpus, où ils sont supprimés, et celui des notes de bas de page où ils sont réduits à leurs initiales. En revanche, pour distinguer les personnes de même patronyme, l’initiale du prénom a été retenue (ex. J.-B. Rousseau et J.-J. Rousseau) sauf si le contexte était sans ambiguïté. Pour les nombreux membres de la famille Rameau, le prénom de chacun des membres a été préservé tandis que l’utilisation de « Rameau » sans prénom renvoie toujours à Jean-Philippe.

Dans les notes de bas de page, nous avons utilisé les abréviations d’usage et les sigles des bibliothèques et institutions préconisés par le RISM. Par ailleurs, pour les références bibliographiques, nous avons abrégé les titres des articles et ouvrages dont on trouve les références complètes dans la « Bibliographie », préférant cette méthode à celle consistant à employer les abréviations latines dans lesquelles le lecteur se perd trop souvent ; nous avons procédé de même pour les documents d’archives, généralement très longs. Nous avons également adopté des abréviations bibliographiques pour les références des ouvrages les plus cités.

Abréviations

AD

Archives départementales

AM

Archives municipales

apr.

après

art.

article

av.

avant

BnF

Bibliothèque nationale de France

B.M.S.

Baptêmes-Mariages-Sépultures

ca

circa

doc.

document

lt

livre tournois

MC

Minutier central

Ms.

manuscrit

Ps.

Psaume

Vve

Veuve

Sigles des bibliothèques ou institutions

A Wn

Autriche, Vienne, Österreichische Nationalbibliothek

B Br

Belgique, Bruxelles, Bibliothèque royale Albert Ier

B MA

Belgique, Morlanwelz-Mariemont, Musée de Mariemont, Bibliothèque

CH Bu

Suisse, Bâle, Öffentliche Bibliothek der Universität Basel, Musiksammlung

F A

France, Avignon, Bibliothèque municipale Livrée Ceccano (ancien musée Calvet)

F BO

France, Bordeaux, Bibliothèque municipale

F CSM

France, Châlons-en-Champagne, Bibliothèque municipale

F Dm

France, Dijon, Bibliothèque municipale

F DO

France, Dôle, Bibliothèque municipale

F Mov

France, Montpellier, Bibliothèque de la Ville et du Musée Favre

F Pa

France, Paris, Bibliothèque de l’Arsenal

F Pan

France, Paris, Archives nationales

F Pc

France, Paris, Bibliothèque nationale, département de la Musique, fonds du conservatoire

F Pi

France, Paris, Bibliothèque de l’Institut de France

F Po

France, Paris, Bibliothèque-Musée de l’Opéra

F Pn

France, Paris, Bibliothèque nationale de France, département des Manuscrits, département Littérature et Art, département de la Réserve des livres rares, département des Arts du spectacle

F Pbhvp

France, Paris, Bibliothèque historique de la ville de Paris

F Tlc

France, Toulouse, Bibliothèque du conservatoire

F V

France, Versailles, Bibliothèque municipale

GB Lbl

Grande-Bretagne, Londres, British Library

I Bc

Italie, Bologne, Civico Museo Bibliografico Musicale Giovanni Battista Martini

S Smf

Suède, Stockholm, Stiftelsen Musikkulturens Framjande

Abréviations bibliographiques

Bouissou-Herlin,

RCT, t. 1-2

Sylvie Bouissou et Denis Herlin, Jean-Philippe Rameau. Catalogue thématique des œuvres musicales, avec la collaboration de Pascal Denécheau, Paris, CNRS Éditions et Bibliothèque nationale de France, 2006 (t. 1) ; 2003 (t. 2).

Bouissou-Denécheau-Herlin, RCT, t. 3

Sylvie Bouissou, Pascal Denécheau et Denis Herlin, Jean-Philippe Rameau. Catalogue thématique des œuvres musicales, (t. 3), Paris, CNRS Éditions et Bibliothèque nationale de France, 2012.

CG suivi du no de tome et de lettre : (CG2.L194)

Correspondance de Madame de Graffigny, J. Alain Dainard (dir.), Oxford, Voltaire Foundation, 1985-.

CTW, t. 1-6

Jean-Philippe Rameau, Complete Theoretical Writings, Erwin Jacobi (ed.), American Institute of Musicology, Hänssler, 1967-1972.

N. Diguerher-Mentelin, Rameau, du Cas à la singularité

Nancy Diguerher-Mentelin, Rameau, du Cas à la Singularité. Germinations, éclosion, ramification d’une intellectualité musicale au temps des Lumières, thèse de doctorat, Michael Werner (dir.), École des Hautes études en sciences sociales, 2011.

Dno/LPno

Voltaire : Correspondence and Related Documents, Theodore Besterman (éd.), Genève, 1968-1977 ; Correspondance de Voltaire, Theodore Besterman (éd.), Paris, Gallimard, coll. La Pléiade, 1977.

Encyclopédie

Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers par une société de gens de lettres, Diderot, d’Alembert (éd.), Paris, Briasson, David l’aîné, Le Breton, Durand, 1751-1772.

Th. R. Green, Early Rameau sources

Thomas R. Green, Early Rameau sources : Studies in the Origins and Dating of the Operas and other Musical Works, Brandeis University, 1992, 3 t.

OC

Jean-Philippe Rameau, Œuvres complètes, Vincent d’Indy (dir.), Paris, Durand, 1891-1914.

OOR

Jean-Philippe Rameau, Opera omnia, Sylvie Bouissou (dir.), Paris, Gérard Billaudot Éditeur (1996-2002) ; Moulin de Requeugne, Tauxigny, Société Jean-Philippe Rameau (2003-) ; distribution mondiale, Bärenreiter.

Rouard, t. 1-7

Isabelle Rouard, avec la collaboration de Claude Knepper, L’Art de la basse fondamentale de Jean-Philippe Rameau. Édition scientifique et critique, commentaire musicologique et mise en perspective théorique et pratique, thèse de doctorat, université de Paris-IV Sorbonne, Serge Gut (dir.), 2001.

. A. Croix, J. Quéniart (éd.), Histoire culturelle de la France, t. 2, De la Renaissance à l’aube des Lumières, Paris, Seuil, 1997, p. 365.

. Grimm, Diderot (éd.), Correspondance littéraire, philosophique et critique, Paris, Furne, 1829, t. 4, p. 83.

. D’Aquin de Châteaulyon, Siècle littéraire de Louis XV, Paris, Duchesne, 1753, t. 1, p. 25.

. D’Alembert, Mélanges de littérature, d’histoire et de philosophie, Amsterdam, Zacharie, Châtelain et fils, 1763, t. 4, p. 388.

. Maret, Éloge historique de M. Rameau, Dijon, Causse, 1766, p. 73, n. 51.

Première partie

Rameau, maître organiste

1699-1722

 

Les quarante premières années de la vie de Jean-Philippe Rameau sont sous-tendues par une carrière d’organiste en province et dans une moindre mesure à Paris, l’émergence d’une pensée théorique et une créativité tant dans le domaine vocal avec l’écriture de motets, cantates et canons, qu’instrumental avec les suites pour clavecin. À ce dernier axe, il convient d’ajouter un attrait pour l’enseignement qui, même s’il fut une source de revenus pour Rameau à ses débuts, l’a intéressé de façon constante jusqu’à la fin de sa vie au point de s’investir dans la rédaction d’ouvrages pédagogiques desquels se dégage une ligne de force qui dépasse, à l’évidence, le simple besoin alimentaire.

Cette première partie suit dans ses grandes lignes la chronologie des étapes essentielles de la vie de Rameau, ponctuée par ses charges d’organiste et ses productions musicales. Si ses premières approches avouées vers la composition se concrétisent par la parution en 1706 de son Premier livre de pièces de clavecin et l’année suivante, par le duo paysan Lucas pour se gausser de nous, c’est à travers les motets – conçus sans doute pendant son séjour lyonnais – qu’il embrasse le statut de compositeur. Pour autant, en dépit de sa fonction d’organiste, Rameau est plus attiré par le profane que par le sacré. Au cours de son second séjour à Clermont-Ferrand, soit à partir de 1715, il s’approprie le genre de la cantate qui jouit à cette époque d’un engouement extraordinaire et qui présente, à ses yeux, toutes les séductions d’un opéra miniature. À cette époque également, Rameau s’applique à réduire l’harmonie à des principes naturels. L’austérité de la ville de Clermont-Ferrand, les ouvrages de la bibliothèque de la cathédrale lui apportent le recueillement nécessaire à la naissance d’une intellectualité musicale féconde. Il s’engage alors pleinement dans des recherches théoriques qui aboutissent en 1722 à la publication du Traité de l’harmonie, ouvrage fondamental qui s’inscrit comme une articulation déterminante dans le parcours artistique et intellectuel du musicien.

Chapitre premier

Au commencement était l’enfant

Rien ne prédisposait Jean-Philippe Rameau à conduire la carrière brillante qu’on lui connaît. Ni la modestie de ses origines familiales ni sa formation relativement sommaire, pas plus que ses premiers emplois de musicien. Pour faire dévier la trajectoire d’un destin ordinaire que semblait vouloir lui imposer le système social, il aura fallu l’association d’un génie exceptionnel, d’un travail acharné et d’une détermination sans faille, tout autant que le soutien d’amis et de « protecteurs accrédités » sans lesquels, confesse Rameau, « l’art restera[it] toujours dans des bornes étroites ».

Pourtant, avant de recevoir la protection du prince de Carignan et de La Pouplinière, et avec elle le confort d’une vie aisée, Rameau dut batailler longtemps et vigoureusement pour préserver une indépendance à laquelle il était farouchement attaché, et afin d’assurer son existence et celle des siens. Lorsqu’on scrute les débuts de sa vie, il apparaît clairement que ses origines modestes, son manque de fortune personnelle et sa formation lacunaire et atypique furent un frein à sa carrière et un handicap incontestable qu’il eut la plus grande peine à surmonter.

Origines familiales

Après la mort de sa mère puis de son père en 1611, le petit orphelin Antoine Rameau, né vers 1604, grand-père paternel de Jean-Philippe, fut élevé par son oncle, Hugues Rameau, vigneron et maître carreleur à Dijon, c’est-à-dire cordonnier dans l’acception de l’époque. D’abord « carreleur » comme son père adoptif, Antoine obtint une promotion sociale en devenant marguillier de la paroisse Saint-Médard dès 1637. Cette fonction, apparentée à une sorte de concierge, ne manquait pas d’importance, car elle touchait à tout le service de l’église et était soumise à la surveillance des fabriciens. Le marguillier était chargé de nettoyer les lieux, le linge des prêtres et des enfants de chœur, d’entretenir le petit matériel (cordes des cloches et des lampes, alimentation en huile des lampes), de tendre les tapisseries aux fêtes solennelles, de veiller au maintien de l’ordre et au bon déroulement des offices, de sonner les cloches, de procéder aux quêtes lors des messes dominicales et extraordinaires, par exemple les mariages, baptêmes, enterrements ou fondations. Sans être honorifique, elle assurait néanmoins un revenu régulier au titulaire de cette charge et le faisait surtout bénéficier du cercle des ecclésiastiques en poste, plus érudits que la moyenne de la population. Pour cet homme illettré, sachant à peine signer les documents officiels de ses initiales, « AR », le point est d’importance et permettra à Jean Rameau, son fils aîné, d’acquérir une éducation plus correcte que la sienne. Antoine n’était dénué ni d’intelligence ni de sens pratique et encore moins de courage puisqu’il cumula les fonctions de marguillier de Saint-Médard et de Saint-Étienne, et qu’il continua parallèlement son métier de savetier. Parti de rien, il réussit à acquérir quelques biens immobiliers qu’il fit fructifier, et à faire vivre décemment sa nombreuse famille.

De son premier mariage, avec Pierrette Chenevet, le 2 juin 1630, il eut quatre enfants, Anne, Michelle, Bénigne et Jean, futur père de Jean-Philippe, qui naquit à Dijon le 6 avril 1638. Après le décès de sa femme, le 3 octobre 1638, et de ses deux filles à une date inconnue, Antoine avait à sa charge ses deux fils – Bénigne et Jean.

Il épousa rapidement en secondes noces, le 1er janvier 1639, Pernette Caninot qui éleva Bénigne et Jean, âgé de six mois, avant de lui donner à son tour trois enfants : Marguerite, morte peu après sa naissance, Andoche et à nouveau une petite Marguerite. Le 2 juillet 1652, Pernette mourut en laissant une nouvelle fois Antoine seul pour élever les trois enfants qui lui restaient de ses deux mariages – Jean, Andoche et Marguerite – Bénigne étant décédé entre-temps.

Le 10 août 1652, il épousa en troisièmes noces Antoinette Babet dont il eut encore trois enfants, Guiette, morte douze jours après sa naissance, Léonor et Louis. Le 5 avril 1667, sa fille Marguerite Rameau-Caninot succomba à une grave maladie à 21 ans. Quelques mois plus tard, le 24 août, Antoine Rameau la rejoignit dans le caveau familial, léguant à son épouse, et à son fils aîné Jean, âgé de 29 ans, la charge du reste de la famille. Ainsi, après le décès de son père, Jean prend à sa charge sa belle-mère Antoinette Babet et ses trois demi-frères survivants et encore mineurs, Andoche, Léonor et Louis, respectivement âgés de vingt-quatre, douze et dix ans.

Miraculé de cette dynastie durement frappée par la mort, Jean passe toute sa jeunesse dans le logis de fonction du marguillier, cour Saint-Vincent dans le cloître de l’église Saint-Étienne, et fréquente quotidiennement l’environnement de la paroisse. Il reçoit une éducation correcte et apprend la musique probablement avec l’organiste alors en poste depuis le 1er novembre 1638, Mathieu Loiseau. Après le décès de ce dernier, le 6 septembre 1654, Jean Collet lui succède jusqu’au 1er octobre 1657, puis Pierre Estienne jusqu’au 31 juillet 1658 et enfin Vivant Chaussier jusqu’en 1660, date à laquelle le nom de Jean Rameau apparaît comme titulaire de Saint-Étienne à compter du 1er mai. Pour ce poste, Jean reçoit une rémunération de 50 livres par an qui se cumule avec celle de la paroisse Saint-Médard pour un montant de 40 livres. À titre provisoire, après la mort de son père en 1667, il assure la fonction de marguillier, mais convainc les fabriciens de la paroisse Saint-Médard de confier cette charge à son demi-frère Andoche, le 3 juin 1668. En 1669, probablement en difficulté financière, il sollicite de la municipalité de Dijon une modération d’impôts qui lui est accordée en raison de son incapacité à « suffire à la nourriture et à l’entretien de ses trois frères ». Taxée alors à 5 livres par la municipalité, cette imposition atteste une situation vraiment très modeste. L’année suivante, le 2 juillet 1670, la famille Rameau est frappée par un nouveau deuil avec la mort du demi-frère de Jean, Andoche. Le jeune homme décède moins de dix jours après ses noces avec Abénarde Bégin célébrées le 22 juin 1670.

C’est le 6 avril 1671, alors âgé de trente-trois ans, que Jean Rameau épouse la jeune Claudine Demartinécourt, née le 4 ou 5 avril 1651, fille de Jacques Demartinécourt, notaire royal et procureur d’office à Gemeaux, et d’Edmée Myet. D’après Jean-François Rameau, le fameux neveu immortalisé par Diderot, la famille Demartinécourt s’était illustrée par des actes de gloire au temps des croisades :

A. de Martinécourt tenant par alliance

J’ai sceu toujours prêter l’oreille à la vaillance.

Dans Bizance on le vit pour la cause des rois :

Philippe le Hardi couronna ses exploits.

Le contrat de mariage des deux époux est signé en présence de personnalités de la haute bourgeoisie, comme Claude Prieur, notaire royal à Dijon, Claude Malteste, conseiller du roi au Parlement de Bourgogne, et encore Claude Couvreux, conseiller du roi, receveur et procureur de la Chambre des Comptes. Jean apportait à la communauté 200 livres provenant de son héritage et 1 800 livres en argent et biens mobiliers. Son épouse, Claudine, amenait une dot de 500 livres et un domaine situé à Gemeaux d’une valeur de 3 000 livres. De cette union naîtront douze enfants, six garçons et six filles : Aimée (née le 4 janvier 1672), Marguerite (baptisée le 7 janvier 1673), Marcelline (baptisée le 7 février 1674), Marguerite Cécile (née le 13 juin 1675), Élisabeth (née le 4 janvier 1677), Jean Constant (né le 29 mars 1680), Marie-Claude (née le 4 novembre 1681), Jean-Philippe (né le 24 septembre 1683), Philippe Eugène (né le 3 octobre 1685), Claude Bernard (né le 1er janvier 1689), Claude (baptisé le 24 avril 1690 et Jean (baptisé le 26 janvier 1693). Le 19 juin 1684, alors marié et père de quatre enfants survivants sur huit – Marguerite, Élisabeth, Marie-Claude et Jean-Philippe –, Jean Rameau sollicite à nouveau une modération d’impôts, étant écrit-il

[…] chargé de femme, de quatre enfants et de domestiques qui ne subsistent que par le moyen de ce qu’il montre à quelques personnes à jouer du clavecin, n’ayant eu aucuns biens de ses père et mère.

Cette note explique en partie son obsession à s’occuper de l’héritage de ses enfants. Il n’écrira pas moins de deux testaments jouxtés de deux codicilles et deux donations à cause de mort, documents officiels dans lesquels il s’évertue à partager équitablement entre tous ses enfants survivants ses biens pour ne pas les laisser dans l’infortune que lui-même a connue. Pour subvenir aux besoins de sa famille, Jean Rameau réalise souvent des petites transactions financières avec un sens des affaires hors du commun, mais occupe surtout plusieurs charges d’organiste à Dijon et dispense des leçons de clavecin dans la bonne société dijonnaise ce qui lui permet de solliciter pour ses enfants, au titre de parrains et marraines, des personnalités de souche noble, aisée, et souvent en relation avec le Parlement de Bourgogne, telles que conseiller du roi, président, ou avocat. Ainsi, l’acte de baptême de Jean-Philippe, en date du 25 septembre 1683, confirme cette propension à se rapprocher de la haute bourgeoisie dijonnaise, en dépit d’origine plus que modeste. Son parrain, Jean-Baptiste Lantin, déjà celui de son frère Jean Constant né le 29 mars 1680, outre sa fonction de conseiller du roi au Parlement de Bourgogne, est un homme très instruit, familier des savants et hommes de lettres parisiens. Parlant couramment le latin, le grec, l’anglais et l’italien, Lantin est aussi très à l’aise dans les mathématiques, l’algèbre et la musique des Anciens. Il laisse à sa mort plusieurs manuscrits dont les Remarques sur l’origine des Arts, un Traité de la joye et de la douleur, et les mises en musique de poésies latines et d’une trentaine d’odes d’Horace.

Né dans la nuit du 24 septembre 1683 à Dijon, rue Saint-Michel, portant actuellement les nos 5 et 7 de la rue Vaillant, Jean-Philippe est baptisé le lendemain en l’église Saint-Étienne pour le compte de la paroisse Saint-Médard :

Le vingt-cinquième septembre 1683, à quatre heures de l’après midy en l’eglise collegiale de Saint-Étienne de Dijon, a esté baptisé Jean-Philippe Rameau, fils de L. Jean Rameau, bourgeois, organiste à Dijon, et de Claudine de Martinécourt, sa femme, a eust pour parrain Jean-Baptiste Lentin, escuier, seigneur de Montagny, conseiller du Roy au Parlement de Bourgogne, et pour marraine Mademoiselle Anne-Philippe Valon, fille de Richard Valon de Mimeure, escuier, chevalier et seigneur de Mimeure et de de Vonge, ci-devant Conseilleur au Parlement, soubsignés : Anne-Philipote de Mimeure, Lantin de Montagny, J. Rameau, J. Foulet.

Le 22 septembre 1688, malgré des acquisitions de rentes et de biens immobiliers, notamment celle d’un grand domaine à Gemeaux (petit village au nord de Dijon) pour la somme de 1800 livres, Jean Rameau écrit aux membres de la Chambre du Conseil de la ville de Dijon pour se plaindre de l’augmentation des tailles qu’il doit à présent payer à hauteur de « 16 ou 17 livres ». Il sollicite à nouveau une modération d’impôts sur la base de six livres arguant qu’il « est chargé non seulement de six enfants, mais encore de sa belle-mère Rameau [Antoinette Babet] » qui se trouve dans la misère. Les six enfants survivants sur les neuf qu’à cette date il a eus avec Claudine sont alors Marguerite, Élisabeth, Marie-Claude, Jean-Philippe, Philippe Eugène et probablement Claude Bernard qui ne naîtra que le 1er janvier 1689. Deux autres enfants sont encore à naître, Claude en 1690 et Jean en 1693 qui ne survivront pas à la mortalité infantile qui terrassait alors le pays.

Ex. I.1. AM Dijon, B 524, Saint-Médard, B.M.S. : 1683, f. 109 r ,   (2  paragraphe).

Ex. I.1. AM Dijon, B 524, Saint-Médard, B.M.S. : 1683, f. 109 ro, Acte de baptême de Jean-Philippe Rameau (2e paragraphe).

Les enfants survivants de Jean Rameau

Jean Rameau n’eut pas la tâche facile. Après le décès de sa femme le 27 juillet 1697, morte à l’âge de 49 ans en sa demeure dijonnaise, « rue devant le portaille de Nostre Dame paroisse Nostre Dame », il se retrouve seul à la tête d’une famille encore nombreuse. Deux jours plus tard, le 29 juillet, devant notaire et en présence de plusieurs membres de sa famille, il obtient la tutelle officielle de ses six enfants survivants, tous encore mineurs : Marguerite, vingt-trois ans, Élisabeth, dix-neuf ans, Marie-Claude, seize ans, Jean-Philippe quatorze ans, Philippe Eugène, douze ans, et le tout jeune Claude Bernard, âgé d’environ huit ans. Cette pénible situation ne pouvait engendrer ni compassion ni apitoiement et imposa à sa fille et à son fils aîné de lourdes responsabilités. Marguerite endossa rapidement le rôle de gouvernante. Quant à Jean-Philippe, on peut supposer que le douloureux deuil de sa mère terminé, il fut encouragé à travailler pour contribuer aux besoins de la famille. À l’évidence, la disparition de Claudine Demartinécourt bouleversa le destin des enfants Rameau. Pourtant, probablement en raison de son enfance relativement misérable et de la fonction subalterne de son père adoptif, Jean Rameau avait eu la tenacité de hisser ses enfants vers une condition sociale plus reluisante que celle qui avait été sienne dans sa jeunesse. Aussi, il leur enseigna la musique « avant qu’ils eussent appris à lire », écrit Maret, récompensant « ceux qui savaient bien leurs leçons » et punissant sévèrement l’inattention et la fainéantise. Par cette formation musicale, celle-là même qui lui avait permis de s’arracher à la misère et à l’illettrisme, il souhaitait leur assurer les moyens de s’élever dans la hiérarchie sociale :

Le père de Rameau […] avait senti que le travail le plus opiniâtre ne peut réparer les défauts de l’éducation […]. S’attachant à faire profiter ses enfants d’un avantage que les circonstances lui avaient refusé, il employa tout pour leur faire une tête musicale.

Plusieurs documents officiels nous informent que les enfants avaient à leur disposition deux clavecins, un petit à un clavier et un grand à deux claviers, deux épinettes à la quarte, une grande et une petite épinette, un petit orgue et un dessus de viole. S’il est probable que tous les enfants Rameau furent musiciens, quatre d’entre eux se distinguent particulièrement puisque outre Jean-Philippe, Marie-Claude et Élisabeth furent clavecinistes, tandis que Claude Bernard conduisit une carrière d’organiste à Dijon et Autun. La fille aînée, Marguerite, assaillie par les charges qui lui incombèrent après la mort de sa mère, dut seconder son père dans l’éducation de ses frères et sœurs et dans la gestion du domaine familial, situé à Gemeaux, dont elle s’occupera toute sa vie, conformément aux volontés de son père, souhaitant que

sa fille aînée continue toujours ses soins pour les affaires de son domaine de Gemeaux comme elle a toujours fait, parce qu’elle en a plus de connoissance qu’un autre.

Elle ne se maria jamais, pas plus que sa sœur, Marie-Claude qui eut probablement plus de temps à consacrer à la musique. À celle-ci, dans son testament de 1707, Jean Rameau prévoit de léguer la grande épinette et le clavecin à un clavier, ce qui laisse à penser qu’elle pratiquait assidûment la musique. Quant à Élisabeth, mariée à Étienne de Finance dont elle eut trois enfants – Marguerite, François et Marie-Marguerite – elle enseigna le clavecin à Dijon jusqu’à son décès en avril 1712, à l’âge de 35 ans.

Mort à vingt ans à la suite d’une longue maladie, le 17 août 1706, Philippe Eugène, de deux ans le cadet de Jean-Philippe, n’eut pas la possibilité de montrer ses talents et ne paraît pas avoir été un modèle de bonne conduite. C’est ce qu’on peut en déduire de la lecture de son testament dans lequel il institue sa sœur, Marie-Claude, héritière universelle et son père, Jean, héritier particulier,

le priant de vouloir s’en contenter et d’oublier tous les mécontentemens qu’il lui a donnés pendant son indiscrette jeunesse et dont il lui demande bien pardon, avouant à sa confusion qu’il a été un fils bien ingrat à l’egard d’un très bon pere, qu’il a abusé de sa tendresse et de ses bontes, et lui promettant s’il plaît à Dieu de lui donner la guairison, de lui etre tres soumis et obeissant, et de n’avoir d’autres soins que de lui complaire en toutes choses.

C’est sans doute ce nouveau drame familial qui décida Jean Rameau à rédiger son premier testament en date du 20 septembre 1706 afin de pallier les imprévus de la vie.

Il semble que le plus doué des claviéristes ait été Claude Bernard. Plusieurs sources attestent qu’il était meilleur organiste que son frère aîné Jean-Philippe. Il mena une brillante carrière à la cathédrale de Dijon jusqu’en 1748. À cette époque, il entretient des rapports avec la ville d’Autun qui lui demande une expertise de l’orgue de la cathédrale conçu par les frères Charles-Joseph et Robert Riepp, facteurs du roi. Puis, en janvier 1755, il se propose comme organiste à la suite de Le Bœuf sur les orgues d’Autun. Il prend ses fonctions le 2 mars 1755 et le 8 y signe un engagement pour neuf ans avec le chapitre cathédral. Son contrat, conforme aux conventions d’époque, prévoit qu’il touche l’orgue pour les offices habituels et les cérémonies particulières, qu’il entretienne l’orgue et qu’il enseigne à un élève susceptible de le remplacer en cas de défection pour raison de santé par exemple, le tout pour une rémunération de 600 livres par an et de 36 boisseaux de froment. En outre, il bénéficie de plus d’un mois de vacances à prendre entre le 8 septembre et le 18 octobre, avantage plutôt inhabituel. Parmi les enfants de Claude Bernard doués pour la musique, il faut distinguer Jean-François, issu de son premier mariage avec Marguerite Rondelet, et surtout Lazare l’aîné, issu de son second mariage avec Jeanne Guyot, né en 1757 d’un père qui avait alors 72 ans et qui engendra encore trois enfants à raison d’un par an. Lazare l’aîné tient l’orgue de la cathédrale d’Autun dès l’âge de 9 ans et enchaîne les charges d’organiste à la chapelle et église de Sceaux-du-Maine (1773), à Notre-Dame puis Sainte-Croix d’Étampes (1775), à Montfort-l’Amaury, à Saint-Seurin de Bordeaux, à Pithiviers, à la Sainte Chapelle de Dijon et enfin à Saint-Vincent de Mâcon. C’est avec Claude Bernard que Jean-Philippe entretient des rapports privilégiés, allant jusqu’à prendre en charge partiellement l’éducation de son fils aîné, Jean-François, l’enfant qu’il aurait pu avoir avec Marguerite Rondelet, son amour de jeunesse. Souvent décrit comme un mauvais garçon, Jean-François avoue pourtant que son oncle « adoucissait ses peines », éveilla son esprit et lui « parut divin » même si « tout à son talent, il voyait peu les siens ». Dans sa Raméide, il souligne l’esprit clanique qui unissait la famille bourguignonne :

Et dans une famille où les liens sont doux,

Celui qui réussit devient père de tous.

En dépit de cette reconnaissance, officialisée après la mort de son oncle, Jean-François donna bien des tracas à Rameau au point que celui-ci le fit menacer de l’envoyer quelque temps dans les colonies après qu’il eut insulté l’un des directeurs de l’Opéra de Paris, en l’occurrence Tréfontaine successeur de Berger, le jour même de la première représentation parisienne des Fêtes de l’Hymen et de l’Amour :

Le Sr Rameaux, Neveu du Sr Rameaux [sic] acteur de l’Opéra a été conduit au For-l’Évêque par ordre du Roi, le 5 de ce mois [novembre 1748], pour s’être trouvé sur le théâtre de ce spectacle où il a fait plusieurs extravagances et insulté l’un des directeurs.

L’image de Rameau, oncle sans scrupule ni compassion que certains ont avancée à la révélation de cet événement se trouve pourtant adoucie par deux faits. D’abord, l’idée de colonie était peut-être liée à la présence de l’un des beaux-frères de Rameau en Guyane, Albert Mangot. L’option aurait donc été d’éloigner provisoirement son neveu en le confiant à la garde de son beau-frère. La peine eût été moins terrible qu’il n’y paraît au premier abord. Ensuite et surtout, la menace ne fut pas mise à exécution et après trois semaines, Jean-François recouvra la liberté.

Formation de Jean-Philippe

Sans être un enfant prodige comme le fut Mozart, Rameau était néanmoins pourvu de dons exceptionnels. À l’instar de Bach, son contemporain, il apprit le clavecin, l’orgue et le violon. Tout jeune, il était capable de déchiffrer à vue n’importe quelle partition et dès l’âge de 7 ans possédait une parfaite maîtrise du clavier :

Il apprit la musique aussitôt que la parole : à peine ses organes commençaient-ils à se développer que son père lui posa les mains sur un clavier. L’enfant y prit tant de plaisir, et ses heureuses dispositions furent si bien exercées, qu’à sept ans, il était déjà considéré comme un très-bon claveciniste.

Jean Rameau fut donc un bon maître de musique pour le clavier ; pourtant, il ne pouvait prodiguer à lui seul une éducation complète à ses enfants, n’en ayant ni le temps ni les compétences. À l’époque, les collèges des Jésuites offrent un enseignement généralement de qualité réservé a priori aux enfants d’une bourgeoisie aisée. Au vu des ambitions que nourrissent les Rameau pour leur fils aîné, leur choix se porte rapidement sur le collège des Gondrans que Jean Rameau connaît bien. On peut même supposer qu’il y enseignait à certains élèves l’orgue et le clavecin puisqu’à la célébration de son mariage, le 6 avril 1671, est présent un certain Denis Guiller « écolier étudiant aux Pères Jésuites de Dijon ». Jean-Philippe devient donc le premier Rameau à bénéficier de l’éducation d’une institution, attestant de l’incroyable ascension sociale de son père, fils d’Antoine, illettré et homme du bas peuple.

Les principes d’éducation des Jésuites se basent sur des valeurs de moralité et de civilité ; respect des maîtres, des horaires et des lieux communs, discipline, politesse, courtoisie et savoir-vivre. La journée commence à 5 heures en été et à 6 heures en hiver. L’élève reçoit un enseignement de la grammaire et des langues anciennes, ainsi qu’une formation religieuse. Il apprend encore à servir la messe, et doit parler le latin couramment d’autant que toutes les leçons se donnent dans cette langue. Le programme des cours se répartit en six niveaux nommés première classe, deuxième classe, troisième classe, et ainsi de suite. Cependant, comme aujourd’hui, l’appellation des classes se fait à rebours. La « première » correspond au plus haut niveau de connaissances et redescend jusqu’à la « sixième », niveau le plus élémentaire :

À quoi s’occupe-t-on dans les classes que l’on nomme dans nos collèges les Humanités ? Pour le savoir exactement, prenez un écolier au sortir de la seconde ; demandez-lui son jugement sur les auteurs qu’on lui a fait lire, traduire, copier et apprendre par cœur, pendant cinq ans entiers.

Par conséquent, la « seconde » correspond à la cinquième classe ou cinquième année d’études, et la « troisième » à la quatrième année d’études. La première classe est consacrée essentiellement aux apprentissages fondamentaux de la grammaire, du latin et du grec. Les trois classes suivantes perfectionnent la connaissance des auteurs anciens. Rameau n’eut d’ailleurs pas à regretter cet enseignement du latin qui lui fut indispensable pour lire les traités anciens dont il se nourrit au moment de la rédaction de son Traité de l’harmonie. La cinquième classe forme les élèves à « composer », en d’autres termes à écrire dans leur propre langue et à bannir de leurs habitudes l’usage du patois ou d’expressions locales, et la sixième les conduit principalement à l’éloquence. En revanche, l’âge auquel on rentre au collège varie entre dix et treize ans ; par conséquent, il est fréquent qu’une classe de collégiens comporte des jeunes gens d’âge différent. Ces précisions du système éducatif des Jésuites nous éclairent sur la formation de Rameau. L’un de ses anciens camarades de classe, le père Gauthier, devenu religieux carme du collège des Gondrans, confie à Maret que Rameau

se distinguait dans le collège par une vivacité peu commune ; mais que pendant les classes il chantait ou écrivait de la musique, et qu’il ne passa pas la quatrième.

Il est difficile de savoir si le père Gauthier parle du niveau de quatrième (trois ans d’études) ou de la quatrième classe (quatre ans d’études). Néanmoins, les manuels d’éducation connus laissent à penser qu’il s’agit plutôt du niveau puisqu’il est question de « la seconde » avec cinq années d’études. Rameau n’aurait donc pas passé la quatrième et n’aurait fait que trois ans d’études au collège. Les commentaires de cette citation de Maret ont conduit à construire le profil d’un enfant dissipé, voire rebelle, et surtout peu enclin aux études. Pourtant, la vérité pourrait être tout autre.

Bien qu’une place fondamentale soit accordée à la grammaire et à l’étude des langues anciennes, une part importante de l’enseignement des Jésuites est dévolue aux arts et aux lettres, et particulièrement au théâtre. Pour les Jésuites – mais ce fut le cas également pour l’école de jeunes filles de Saint-Cyr et d’autres écoles, y compris publiques – le théâtre possède une valeur pédagogique, sous réserve du choix des sujets, naturellement. Il aide à améliorer l’assurance en soi, la diction, l’éloquence du corps. En somme, le théâtre scolaire transcende les exercices de la classe. De fait, les Jésuites organisent des spectacles en cours d’année et pour les fêtes de fin d’année qui se déroulent début août. Ces spectacles, attestés par les nombreux recueils de pièces conçus pour les théâtres de collège, intègrent au théâtre la musique et la danse. Voltaire, ancien pensionnaire au collège Louis-le-Grand, écrit en 1761 à ce sujet :

Ce qu’il y avait de mieux au collège des Jésuites où j’ai été élevé, c’était l’usage de faire représenter les pièces par les pensionnaires en présence de leurs parents.

À lire Rameau lui-même, confiant en 1744 à un certain Mongeot, jeune candidat à l’art lyrique venu chercher conseil auprès du maître : « J’ai suivi le spectacle depuis l’âge de douze ans », on peut supposer qu’à cet âge il est entré au collège et que la dimension théâtrale prônée par les Jésuites a laissé des traces dans sa mémoire d’adolescent. Il reste que l’abandon si rapide de ses études a de quoi laisser perplexe, à moins que l’on recompose le puzzle de la vie familiale du jeune Rameau. Selon toute vraisemblance, on peut admettre qu’il entre au collège des Jésuites à douze ans, donc en 1695. Il suit les trois premières classes, sans doute avec aisance puisqu’il s’y distinguait « par une vivacité peu commune ». Mais alors qu’élèves et professeurs s’affairent à la préparation de la fête de fin d’année, la mère de Rameau meurt le 27 juillet 1697. Le décès de celle-ci bouleverse totalement l’équilibre familial. Marguerite, la fille aînée, est mise à contribution pour remplacer sa mère auprès de ses cinq frères et sœurs. Quant à Jean-Philippe, le fils aîné, son parcours musical est très vite professionnalisé par son père qui, bien évidemment, a détecté depuis longtemps les dons de son fils. Au plus tard le 6 mars 1699, il appartient déjà au « Corps des maîtres de danses et des joueurs et facteurs d’instruments de la ville de Dijon » qui comprend au moins trois organistes – Jean Rameau, Bénigne Balbastre, Pierre Estienne – et deux facteurs d’orgues, Esmilian Lorin et Jean-Charles Somer. En témoigne la signature de Jean-Philippe Rameau qui apparaît sur des constitutions de rente par cette communauté au bénéfice d’un certain Jacques Vautier, bourgeois et magistrat de Dijon, les 6 mars et 20 août 1699, probablement en échange de l’utilisation d’un immeuble. Ainsi, dès l’âge de quinze ans, Jean-Philippe gagne quelques pécules pour la famille peut-être en remplaçant ponctuellement son père à l’orgue de Notre-Dame de Dijon. Il semble d’ailleurs que, au moins jusqu’à l’âge de dix-huit ans, son père ait été son seul maître pour l’enseignement de l’orgue et du clavecin. Farjonel, maître de musique de la Sainte-Chapelle de Dijon, aurait pu lui enseigner des rudiments d’écriture, lui qui avait formé Jean-Baptiste Drouard de Bousset, auteur de nombreux airs sérieux et à boire. En revanche, on ignore si Jean-Philippe eut un professeur de violon « dont l’usage par la suite lui fut utile en composant, pour établir le bon doigter dans la musique instrumentale et s’assurer mieux de l’expression dans la vocale » et surtout pour exploiter toutes les ressources techniques de l’instrument. Par conséquent, l’interruption des études de Jean-Philippe semble bien être lié au bouleversement familial de la famille Rameau dû au décès de Claudine Demartinécourt-Rameau plutôt qu’à un manque de curiosité ou de capacité du jeune homme pour les humanités, même si, à l’évidence, son intérêt pour la musique l’emportait sur le reste. C’est donc en autodidacte que Rameau parachève son instruction ce qui explique peut-être le style souvent tortueux de ses écrits. Si, grâce à son intelligence, il combla cette carence d’éducation sans toutefois jamais atteindre la maîtrise d’un style littéraire agréable, il eut à souffrir de cette faiblesse, en particulier dans sa jeunesse. Un récit de Maret, souvent romancé par certains biographes, l’atteste :

Sa dissipation et ses voyages ne lui avoient pas permis d’épurer son langage : une femme qu’il aimait lui en fit des reproches ; il se mit aussitôt à étudier sa langue par principes, et il y réussit au point de parvenir en peu de temps à parler et à écrire correctement.

Cet épisode, pour autant qu’il soit vérifiable, ne détonne pas avec certains traits de caractère du personnage, notamment une propension au travail, une détermination exacerbée et un orgueil démesuré. Il donne également à penser que Rameau dut fréquenter la bibliothèque du collège des Jésuites et sans doute celle de la cathédrale, où exerçait son père, afin d’y trouver les ouvrages susceptibles de l’aider à « étudier sa langue », programme de seconde, soit la « cinquième classe », qu’il n’a assurément pas suivie. Quoi qu’il en soit, l’enseignement des Jésuites a marqué profondément Rameau et il est autorisé d’imaginer qu’il bénéficia d’un appui de cet ordre religieux pour obtenir par deux fois la charge parisienne d’organiste chez les Jésuites de la rue Saint-Jacques, la première en 1706 et la seconde jusqu’en 1737 ou 1738.

. Rameau, Démonstration du principe de l’harmonie, Paris, Durand, Pissot, 1750, p. 94 ; CTW, t. 3, p. 213.

. Ce qui concerne ici l’étude des membres de la famille Rameau doit beaucoup au dépouillement archivistique d’Érik Kocevar entrepris dans le cadre du programme « Rameau » conduit sous notre direction à l’IRPMF.

. AD Côte d’Or, 4E2/1168, 2 juin 1630, Contrat de mariage entre Antoine Rameau […] et Pierrette Chenevet.

. AM Dijon, B 496, Saint-Michel, Baptêmes, Sépultures : 1631, f. 35 v; 1632, f. 47 r; 1634, f. 76 ro.

. AM Dijon, B 501, Saint-Médard, Baptêmes : 1638, f. 26 ro.

. AD Côte d’Or, 4E2/34, 1er janvier 1639, Contrat de mariage entre Antoine Rameau […] et Pernette Caninot.

. AM Dijon, B 501, Saint-Médard, Baptêmes : 1642, f. 63 v; 1643, f. 74 r: 1646, f. 97 ro.

. AM Dijon, B 502, Saint-Médard, Baptêmes : 1653, f. 43 r; 1655, f. 62 ro ; AM Dijon, B 503, Saint-Médard, Naissance-Mariages : 1657, f. 181 ro.

. AM Dijon, B 503, Saint-Médard, Décès : 1667, f. 328 vo.

. AD Côte d’or, G 3593, Registre de la Paroisse Saint-Médard de Dijon, f. xxiii ro.

. AD Côte d’Or, G 3594, Registre second de la Fabrique de Saint-Médard de Dijon, commencé le 7 juin 1659 & finissant le 13 Xbre 1695. Assemblée du 3 juin 1668, f. 16 ro.

. AC Dijon, L. 113, Inventaire Sommaire, Décharges et modérations d’impôts (affaires particulières, 1651-1672) ; Décharge en faveur de Jean Rameau, organiste de Saint-Étienne, 27 février 1669 ; cité par M. Brenet, « La Jeunesse de Rameau », Rivista Musicale italiana, 1902, t. 9, p. 668.

. AM Dijon, B 511, Saint-Médard, Baptêmes, Mariages, Sépultures : 1670, f. 136 ro et vo, 137 vo.

. AM Dijon, B 497, Saint-Michel, Baptêmes : 1651, f. 122 ro.

. J.-Fr. Rameau, La Raméide, Petersbourg, aux Rameaux couronnés, 1766, p. 20, cité par H. Quittard, « Les Années de jeunesse de J.-P. Rameau », Revue d’histoire et de critique musicale, 1902, p. 101.

. AD Côte d’Or, 4E2/190/1, Contrat de mariage entre Jean Rameau et Claudine de Martinécourt, 5 avril 1671.

. AM Dijon, B 513, Saint-Médard, Baptêmes-Mariages-Sépultures (B.M.S.) : 1672, f. 141 ro-vo ; B 514, Saint-Michel, B.M.S : 1673, f. 178 vo ; B 515, Saint-Michel, B.M.S : 1674, f. 214 ro ; B 516, Saint-Médard, B.M.S : 1675, f. 130 ro ; B 518, Saint-Médard, B.M.S. : 1677, f. 79 ro ; B 521, Saint-Médard, B.M.S. : 1680 ; B 522, Saint-Médard, B.M.S. : 1681, f. 104 ro ; B 524, Saint-Médard, B.M.S. : 1683, f. 109 ro ; B 526, Saint-Pierre, B.M.S. : 1685, f. 185 ro ; B 529, Saint-Médard, B.M.S. : 1688, f. 120 ro-vo (malgré la naissance de Claude Bernard en 1689) ; B 531, Saint-Médard, B.M.S. : 1690, f. 84 vo ; B 534, Notre-Dame, B.M.S. : 1693, f. 83 vo.

. AC Dijon L. 7022 Inventaire Sommaire, Impôts divers. Requêtes en remise ou modération, 1681-1684, liasse 10 (juin-décembre 1684) ; Décharge en faveur de Jean Rameau, organiste à Dijon, 19 juin 1684, cité par M. Brenet, « La Jeunesse de Rameau », op. cit., p. 669.

. Papillon, Bibliothèque des auteurs de Bourgogne, Joly (éd.), Dijon, Marteret, 1742, t. 1, p. 382-383 ; H. Quittard, « Les années de jeunesse de J.-P. Rameau », op. cit., p. 102.

. AM Dijon, B 524, Saint-Médard, B.M.S. : 1683, f. 109, ro ; M. Brenet, « La Jeunesse de Rameau », op. cit., p. 666.

. AD Côte d’Or, 4E2/437, Vente de domaine à Gemeaux : Claude Prieur, notaire à Dijon, et Louise Grangier son épouse, à Jean Rameau, maître organiste à Dijon, 18 septembre 1688.

. AC Dijon, L. 114, Inventaire, Sommaire. Décharges et modérations d’impôts (affaires particulières, 1674-1700) ; Décharge en faveur de Jean Rameau, organiste de Saint-Étienne, 22 septembre 1688 ; cité par M. Brenet, « La Jeunesse de Rameau », op. cit., p. 669.

. AD Côte d’Or, BII 35415, Procès verbal d’apposition de scellés après le décès de Claudine Demartinecourt, femme de Jean Rameau, no 75, 27 juillet 1697.

. AD Côte d’Or, BII 33741, Tutelle et curatelle pour les mineurs Rameau, enfants de Jean Rameau 29 juillet 1697.

. Maret, Éloge historique de M. Rameau […], Dijon, Causse ; Paris, Delalain, 1766, p. 43, n. 3.

. Maret, Éloge historique de M. Rameau, op. cit., p. 6.

. AD Côte d’Or, 4E2/40, Testament de Jean Rameau, 20 septembre 1706, f. 2 vo et 3 ro et AD Côte d’Or, 4E2/39, Inventaire de biens, meubles, immeubles et papiers de Jean Rameau, 21 décembre 1698.

. AD Côte d’Or, 4E2/40, Testament de Jean Rameau, 20 septembre 1706, f. 2 ro.

. AM Dijon, B 547, Saint-Michel, B.M.S. : 1706, f. 56 ro.

. AD Côte d’Or, 4E2/40, Testament de Philippe Eugène Rameau, fils de Jean Rameau et Claude Demartinecourt, 13 janvier 1706.

. L. Lex, Musiciens bourguignons du xviiie siècle, Lazare et Claude Rameau, frère et neveu du Grand Rameau, Macon, Perroux, 1906, p. 6.

. L. Lex, Musiciens bourguignons du xviiie siècle, op. cit., p. 7-8.

. Cf. Annexe 1, Arbre généalogique de la famille Rameau.

. L. Lex, Musiciens bourguignons du xviiie siècle, op. cit., p. 10.

. J.-F. Rameau, La Raméide, op. cit., 1766, p. 8, 5 et 16.

. J.-F. Rameau, La Raméide, op. cit., p. 15.

. L. de La Laurencie, « Quelques documents sur Jean-Philippe Rameau et sa famille », Mercure musical, S.I.M., 1907, juin, p. 555-558.

. L. de La Laurencie, « Quelques documents sur Jean-Philippe Rameau et sa famille », op. cit., p. 556.

. F Pan MC, CXVI, 328, Procuration de Mangot, 28 mars 1746, cité par M. Th. Bouquet-Boyer, « Rameau et l’esprit de famille », dans J. de La Gorce (éd.), Jean-Philippe Rameau : colloque international, 1983, Paris, Genève, Champion-Slatkine, 1987, p. 55.

. Decroix, art. « Rameau », dans Michaud (éd.), Biographie universelle ancienne et moderne, Paris, Desplaces, 1823, t. 35, p. 131 ; cf. aussi, Gautier-Dagoty, Galerie françoise ou Portraits des hommes et des femmes célèbres qui ont paru en France, Paris, Hérissant le fils, 1770, p. 1.

. AM Dijon, B 512, Saint-Médard, B.M.S. : 1671, Célébration du mariage de Jean Rameau et de Claudine de Martinécourt, f. 170 vo-171 ro.

. L. Trénard, « Un guide jésuite de savoir-vivre », Dix-huitième siècle. Les Jésuites, 1976, p. 93-106.

. Anonyme, Essai sur la manière de remplir les places dans les collèges que les Jésuites occupoient ci-devant, Cologne, 1762, p. 93.

. Ph. Ariès, L’Enfant et la vie familiale sous l’Ancien Régime, Paris, Le Seuil, 1974, p. 196-198.

. Maret, Éloge historique de M. Rameau, op. cit., p. 44, n. 4.

. Voltaire, Lettre à Bianchi, décembre 1761, citée par P. Peyronnet, « Le Théâtre d’éducation des Jésuites », Dix-huitième siècle. Les Jésuites, 1976, p. 107.

. Rameau, Lettre à Mongeot, Paris, 29 mai 1744, Mercure de France, 1765, juin, p. 55.

. N. Zaslaw, « Rameau’s operatic apprenticeship : the first fifty years », dans J. de La Gorce (éd.), Jean-Philippe Rameau. Colloque international, Actes, op. cit., p. 34.

. AD Côte d’Or, 4E2/1374, Constitutions de rente : le Corps des maîtres de danse et joueurs d’instruments de la ville de Dijon […], 6 mars 1699 et 20 août 1699.

. H. Quittard, « Les années de jeunesse de J.-P. Rameau », op. cit., p. 105.

. Decroix, art. « Rameau », op. cit., p. 131.

. Maret, Éloge historique de M. Rameau, op. cit., p. 45, n. 9.

Chapitre II

Charges d’organiste

En 1722, à l’occasion de la parution du Traité de l’harmonie, le père Castel, chroniqueur des Mémoires pour servir à l’histoire des sciences et des arts, périodique plus connu sous le nom de Journal de Trévoux, publie sur le premier ouvrage théorique de Rameau un compte rendu élogieux qui présente le compositeur comme un brillant organiste dont la notoriété est déjà avérée :

L’auteur de ce traité est connu depuis longtemps à Dijon, à Clermont, surtout à Lyon et déjà même à Paris, pour un des plus grands maîtres qu’il y ait dans le jeu de l’orgue.

De fait, la carrière d’organiste de Rameau commence au moins en 1699, à l’âge de 15 ans dans sa ville natale de Dijon, pour se poursuivre à Paris jusqu’en 1737 en tant que titulaire des orgues de l’église de Sainte-Croix-de-la-Bretonnerie et du collège des Jésuites Louis-le-Grand. Jusqu’en 1722, date de son départ de Clermont-Ferrand, la vie professionnelle de Rameau s’articule clairement autour de ses charges d’organiste qu’il assure dans plusieurs villes provinciales. Pour autant, Rameau s’adonne à d’autres activités. Parmi les mieux éduqués et les plus érudits, les organistes se retrouvent souvent à des charges de maîtres de musique appelés à enseigner et à diriger des formations chorales et instrumentales, ce que fit probablement Rameau à Lyon et à Clermont-Ferrand, et assurément à Paris chez La Pouplinière. Comme beaucoup d’autres de ses collègues – Lebègue, Gilles, Dandrieu, Clérambault, Balbastre, les Couperin et les Daquin, pour n’en citer que quelques-uns parmi les compositeurs français –, il embrasse une carrière de compositeur en écrivant des pièces instrumentales, des motets et des cantates, répertoire traditionnellement approché par les organistes. De ce point de vue, son parcours jusqu’en 1722 ne se présente pas comme vraiment atypique si ce n’est par le côté chaotique de son cheminement et le fait qu’aucune pièce écrite pour l’orgue ne nous soit parvenue, comme si l’aspect alimentaire, attaché à la charge d’organiste, avait effacé chez Rameau toute envie de préserver un quelconque hommage à son instrument.

De Dijon à Avignon (1699-1702)

En ce temps, Dijon ne manque pas de personnalités instruites souvent en lien avec la Chambre de Comptes ou le Parlement de Bourgogne, comme Jean-Baptiste Lantin, parrain de Rameau, dont certaines gravitent autour de Jean Bouhier, premier évêque de la ville. Entre les concerts publics et les concerts privés organisés par la noblesse et la riche bourgeoisie dijonnaise auxquels son père devait être convié, et les spectacles en plein air représentés sur tréteaux par les troupes ambulantes, le jeune Rameau a maintes occasions d’écouter toutes sortes de musiques et notamment le répertoire italien déjà très en vogue. À l’époque de l’adolescence de Rameau, Dijon jouit de la haute figure de Claude Nicaise, chanoine de la cathédrale de la ville et antiquaire. Grand amateur d’architecture et d’art en général, Nicaise accomplit plusieurs voyages en Italie et y rencontre des artistes et intellectuels, entre autres Poussin. Nanti d’un patrimoine confortable, il a le temps de se consacrer à une activité épistolaire avec de nombreux érudits de l’Europe d’alors et notamment avec René Ouvrard sur la musique. Parallèlement, il se livre à sa passion pour l’art italien et visite Naples, Florence, Venise, Gênes et Rome où il se rend plusieurs fois, notamment avec Ouvrard en 1687. De ses séjours transalpins, il rapporte beaucoup de récits et de partitions dont il fait jouer les motets à l’église. À l’évidence, il contribue à faire partager sa passion pour l’art musical italien avec la société dijonnaise. Ainsi Claude Malteste, Conseiller au Parlement de Bourgogne, propose régulièrement des concerts où les répertoires français et italien se combinent avec bonheur :

On continue toujours ce concert, et il se fait règlement un jour de chaque semaine. Il est composé de tout ce qu’il y a dans la ville d’officiers, de dames de qualité, de gens habiles et connaisseurs qui s’y assemblent, soit pour écouter, soit pour en tenir quelque partie, et on n’y chante que des pièces italiennes, et les opéra de Venise, que M. de Malateste [Malteste] fait venir à ses dépens. […] Une dame […] femme d’un secrétaire du roi, possède si parfaitement la musique, qu’il n’y a point de pièces française ou italienne, quelque difficile qu’elle soit, dont elle ne vienne à bout sur le champ avec un agrément merveilleux.

Or, C. Malteste est un ami très proche des Rameau au point que le 5 avril 1671, il est l’un des témoins à apposer sa signature au bas du contrat de mariage entre Jean Rameau et Claudine Demartinécourt. En outre, six ans plus tard, Jacques Malteste, son fils, devient le parrain du cinquième enfant des Rameau, Élisabeth, née le 4 janvier 1677. Nous avons donc à présent la preuve formelle que les Rameau eurent de multiples occasions d’écouter le répertoire italien, qu’il s’agisse de musique vocale, de musique de clavecin et d’opéra vénitien au sein des concerts hebdomadaires organisés par C. Malteste. On peut aussi avancer sans grand risque que, grâce à Nicaise, les bourgeois dijonnais eurent le loisir d’entendre des motets religieux italiens. On ignore jusqu’à quelle date C. Malteste organise ses concerts hebdomadaires, et si le jeune Rameau eut l’occasion d’y assister en personne. En revanche, ses parents les ont fréquentés sans doute assidûment et Jean Rameau put à loisir intégrer cette culture dans l’éducation de ses enfants. Ainsi, la musique que Jean-Philippe peut écouter et lire entre les années 1695 et 1701 ne se réduit pas à la musique française de son époque, mais s’ouvre à la musique italienne et surtout à l’opéra vénitien de la fin du xviie siècle dominé par trois compositeurs, tous vraisemblablement élèves de Legrenzi, Pollarolo, Lotti et Albinoni. À l’évidence, cette émulation explique le souhait de Jean-Philippe d’aller à son tour en Italie, à la fois pour y consolider sa connaissance du répertoire italien et pour assister à des représentations d’opéras sur des théâtres dignes de ce nom. Son parrain, Lantin, avait lui aussi séjourné en Italie et n’avait sans doute pas manqué de parler à l’adolescent de ses voyages transalpins. Comment ne pas imaginer l’excitation du jeune homme, en prenant conscience de cette effervescence particulière à l’Italie baroque et en entendant parler des nombreux théâtres de Venise, comparés à l’absence d’une seule Académie d’opéra à Dijon ? Afin de préparer son voyage, le jeune homme aurait pu même apprendre quelques rudiments d’italien avec son parrain qui le parlait couramment. Tout porte à le croire.

C’est à 18 ans, donc en 1701, que Decroix situe le voyage de Rameau en Italie. Très proche de Claude François, fils aîné de Rameau, Decroix était bien renseigné. Plus précisément, Maret insiste sur le fait que Rameau répondait à un besoin impérieux d’approfondir sa connaissance de la musique italienne à laquelle il était déjà bien sensibilisé par la diffusion de sonates et trios. Comme Decroix, Maret suppose qu’il n’avait pas vingt ans quand il commença ce voyage, d’où son expression « il s’arracha des bras paternels ». Chabanon, ancien élève de Rameau, confirme

qu’étant jeune [Rameau] fut à Milan, qu’il y resta peu, et qu’il se repentait de n’avoir pas séjourné plus longtemps en Italie, où, disait-il, il se fût perfectionné le goût.

Milan n’était sans doute qu’une étape vers Venise. À cette époque, la ville de Milan était vantée pour ses magnifiques églises et surtout pour sa célèbre cathédrale dont la qualité des orgues était très réputée. En revanche, sur le plan musical, la cité milanaise n’avait pas su retenir des compositeurs de grand renom. À l’exception toute relative de Brevi, maître de chapelle à la basilique de San Francesco et chez les Jésuites de San Fedel, et du compositeur et violoniste Lonati, attaché à l’opéra, on peine à trouver de grandes figures qui auraient pu marquer Rameau. Nanti d’une salle de spectacle depuis 1644, Milan offrait néanmoins régulièrement des opéras. Déçu de son périple piémontais, probablement en difficulté financière, Rameau revient en France, attaché à une troupe ambulante de spectacles comme violoniste. Selon Decroix, il sillonne ainsi la Provence et le Languedoc, et prend contact avec les maîtrises des villes qu’il visite, peut-être Marseille, Nîmes, Montpellier et assurément Avignon, la seule qui soit certifiée. C’est grâce à la polémique publique qui opposa Rameau à Montéclair, entre juin 1729 et septembre 1730, qu’on a supposé un point de chute à Montpellier. Dans la Conférence sur la musique, coup d’envoi de la dispute, Montéclair conclut que Rameau aurait désavoué son Traité de l’harmonie en déclarant : « Je n’approuve plus ce livre, et je ne m’en sers plus. » Dans tous les textes subséquents, Rameau nie un tel désaveu et rétorque aux accusations de plagiat par Montéclair, qu’il a toujours révélé les formations qu’il a reçues, notamment celle de « Lacroix de Montpellier » :

Je me suis toujours fait un plaisir de publier dans l’occasion que M. Lacroix de Montpellier […] m’avait donné une connaissance distincte de la règle de l’[octave] à l’âge de 20 ans.

Au cours de son périple dans le Sud, le jeune homme aurait donc rencontré un certain Lacroix ou de Lacroix à Montpellier qui lui aurait enseigné l’art de l’accompagnement et en particulier, la règle de l’octave. Pourtant, depuis l’âge de 19 ans, Rameau tient déjà l’orgue de la cathédrale de Clermont-Ferrand. Peut-être faut-il comprendre par « à l’âge de 20 ans » une référence imprécise à sa vie de jeune homme, jetée sur le papier dans l’agacement de sa réponse à Montéclair. À moins qu’il ne s’agisse d’une référence à un Lacroix originaire « de Montpellier ». C’est en effet une habitude de l’époque de différencier par leur origine géographique et non par leur prénom les personnes portant le même patronyme. On parle ainsi de « Rousseau de Genève », mais jamais de Jean-Jacques. Montéclair, quant à lui, déclare que Lacroix, bien connu du microcosme musical et demeurant à Paris rue Planche Mibray, lui aurait affirmé avoir appris la fameuse règle de l’octave à Rameau à l’âge de 30 ans, soit autour de 1713. Selon cette hypothèse, la rencontre de Lacroix et Rameau aurait eu lieu à Lyon. Même si la bibliothèque de l’Académie des Sciences, Belles-Lettres et Arts lyonnaise possédait trois grands motets, aujourd’hui perdus, déposés sous ce nom à la bibliothèque à partir de 1713, et en imaginant encore que ce Lacroix aurait séjourné à Lyon, l’assertion de Montéclair semble peu probable puisqu’elle sous-tend que Rameau se trompe de dix ans. Quoi qu’il en soit, contrairement à ce qui a été écrit, il semble peu probable qu’il s’agisse de l’abbé François de Lacroix, nommé organiste à Saint-Paul le 8 septembre 1714, parfaitement contemporain de Rameau. Dans l’état actuel de nos connaissances, les incertitudes relatives à un éventuel séjour de Rameau à Montpellier ne peuvent donc pas être levées.

En revanche, les archives du Vaucluse prouvent sans conteste le séjour de Rameau à Avignon. C’est le 14 janvier 1702, à 18 ans, que le musicien concrétise son premier emploi de « maître de musique » en acceptant l’intérim de la maîtrise de l’église métropole Notre-Dame de Doms. Bien que les chanoines de cette paroisse aient nommé officiellement le 21 juillet 1701 le talentueux Jean Gilles, celui-ci tarde à arriver, car il doit régler son départ de la maîtrise Saint-Étienne de Toulouse. La situation prend un caractère d’urgence pour Avignon, car Rameau, après y avoir assuré dignement ses fonctions et obligations, décide de souscrire à sa première charge officielle d’organiste à la cathédrale de Clermont-Ferrand. Selon toute vraisemblance, il quitte Avignon fin avril puisqu’on le trouve à Clermont le 6 mai 1702 pour mettre au point son contrat avec les chanoines clermontois :

Furent presens venerables personnes Messires Pierre Villenaud et Maurice Rochette prestres chanoines de l’eglise cathedralle de cette ville de Clermont, led. Sieur Rochette docteur de Sorbonne et baisle du Chapitre de lad église lesquels en vertu d’acte capitulaire dud Chapitre du sixième jour de may dernier d’une part, et M. Jean Rameau maitre organiste originaire de la ville de Dijon d’autre [part], lesquelles parties de leur gré ont convenu et demeuré d’accord de ce qui ensuit savoir […].

Dès lors, la paroisse de Notre-Dame de Doms se retrouve sans organiste. Agacé sans doute de cette situation, l’un de ses chanoines, Jean-Baptiste de Guyon, reprend contact avec Gilles au sujet de son poste le 16 juin 1702. Le 3 août suivant, la réception de Gilles à Avignon est enfin effective. Dans cette ville du sud, majestueuse et ensoleillée, Rameau laisse un souvenir positif qui fit écrire au chroniqueur du Journal d’Arnavon, lors de l’hommage mortuaire rendu à Rameau le 20 novembre 1764, que les musiciens avaient voulu donner dans ce concert « une marque de leur affection » au musicien devenu célèbre qui avait été « autrefois maître de musique de la Métropole » d’Avignon.

Clermont-Ferrand (1702-1706)

Même si le climat et les couleurs d’Avignon durent manquer cruellement à Rameau en arrivant à Clermont-Ferrand, il trouva dans cette ville aux allures austères matière à tisser des liens durables et solides au point d’y passer d’abord quatre ans de 1702 à 1706, puis à nouveau huit ans, de 1715 à 1722. À cette époque, et pendant tout le xviiie siècle, la maîtrise de la cathédrale de Clermont-Ferrand jouit d’une excellente réputation. La politique conduite par le chapitre cathédral consistant à rémunérer mieux qu’ailleurs les maîtres de musique et les organistes porte ses fruits dans le recrutement des musiciens. À la suite du désistement de Jean Rochain en janvier 1702, engagé pour un bail de neuf ans en 1699 comme organiste à la cathédrale de Clermont-Ferrand, les chanoines décident de confier le poste devenu vacant à Rameau, pour une durée de six ans, à partir du 1er mai 1702, soit jusqu’au 30 avril 1707. Dans le document, la durée du contrat, portée d’abord à neuf ans, est biffée et corrigée en six ans, souhait probable de Rameau qui hésitait à s’engager aussi longtemps. Il y a tout lieu de croire que c’est l’ancien organiste de la cathédrale, Collet, qui leur aurait recommandé le jeune homme. En effet, celui-ci avait séjourné à Dijon et avait très certainement eu l’occasion de rencontrer les Rameau. Collet aurait pu remarquer les talents du jeune organiste qui remplaçait ponctuellement son père à l’orgue de Dijon au moins depuis 1699, et le proposer pour succéder au désistement de Rochain. De plus, Collet était en lien avec le collège des Jésuites de Dijon où Rameau fut élève, puisque sa cantate Le Génie de la Bourgogne y fut chantée par les écoliers en 1724. Bien que cette date soit tardive, elle confirme les contacts de Collet avec la communauté musicale et jésuite de Dijon.

Si la décision officielle de recruter Rameau date du 6 mai 1702, c’est seulement le 23 juin que son engagement est officialisé devant notaire et deux chanoines du chapitre de la cathédrale de la ville, Pierre Villenaud et Maurice Rochette. Les charges de Rameau sont conformes à celle d’un maître organiste sous l’Ancien Régime. Elles l’obligent à « jouer et toucher » le grand orgue lors de toutes les manifestations liturgiques (offices, fêtes et solennités ordinaires et extraordinaires), de « tenir bien d’accord tous les jeux d’anches dudit orgue », mais aussi d’enseigner l’orgue à un enfant de chœur pendant la période de son contrat. En échange de ses services, Rameau reçoit une rémunération mensuelle de 20 livres au titre d’organiste (deux fois la rémunération de Rochain) et de 5 livres au titre d’enseignant, soit des émoluments d’un total de 300 livres par an comme le confirme le « bail de l’orgue de l’église cathédrale de Clermont-Ferrand pour les années 1702 à 1707 :

[…] savoir ledit Sieur Rameau promet de servir lesd[its] Sieurs de la cathédralle en qualité d’organiste pour le temps de six années prochaines et consécutives qui ont pris leur commancement, puis le premier jour du mois de may dernier de la présente année et finiront à pareil jour lesdites six années finies et révolues pendent lequel temps led[it] Sieur Rameau promet de jouer et toucher dud[it] orgue aux offices, festes et solemnitez ordinaires et extraordinaires qu’on a de coutume de jouer et toucher dans lad. église comm[e] aussy d’enseigner et instruire savament un enfant de chœur ou autre personne pendant le temps qui luy sera indiqué par lesdits Sieurs du Chapitre ; plus sera tenu d’accorder et tenir bien d’accord tous les jeux d’anches dud[it] orgue.

Le présent bail [est] fait moyenant la somme de vingt livres d’une part, et cinq livres d’autre [part], pour enseigner led[it] enfant de chœur pour chacun mois desdites six années qui sera payée en fin de chacun desd[its] mois aud[it] Sr Rameau par Monsieur Legrand trésorier du[dit] Chapitre et outre ce, led[it] Sieur Rameau aura double distribution aux petits et grands saluts fondations de Madame Perier et de Monsieur de Fontenilles et n’aura qu’une simple distribution aux messes de Nostre Dame, et encore aura une portion comme l’un de Messieurs les chanoines dudit Chapitre aux rolles qui se feront à chacunes festes de Noël et de la Saint Jean-Baptiste […].

Les orgues de la cathédrale étaient alors situées au fond de la nef, soutenues par deux colonnes engagées dans la muraille. Un fauteuil, nommé depuis « fauteuil Rameau », avait été placé près de l’instrument pour permettre à l’organiste de se reposer de ses prestations. D’après le procès verbal de vérification de l’orgue, effectué le 21 mai 1710 par Antoine Troubady Desroches, nouvel organiste à Clermont, et un descriptif de 1673 conservé dans les archives de l’Évêché, l’instrument comportait trois claviers et trente-quatre jeux :

Grand orgue (48 notes) : 1. montre ; 2. bourdon de seize pieds ; 3. bourdon de huit pieds ; 4. fourniture à quatre tuyaux ; 5. cymbale à trois tuyaux sur touche ; 6. cornet à cinq tuyaux sur touche ; 7. doublette ; 8. prestant ; 9. grosse tierce ; 10. petite tierce ; 11. nasard ; 12. quarte de nasard ; 13. trompette ; 14. clairon ; 15. voix humaine.

Pédalier : 1. flûte ; 2. octave de flûte ; 3. trompette ; 4. clairon.

Positif ou petit orgue (48 notes) : 1. plein jeu à cinq tuyaux sur touche ; 2. montre. 3. bourdon. 4. flûte. 5. doublette ; 6. tierce ; 7. nasard ; 8. tierce de résonance ; 9. larigot ; 10. cromorne.

Écho (26 notes) : 1. bourdon ; 2. flûte ; 3. cornet à trois tuyaux sur touche ; 4. cromorne ; 5. voix humaine.

Rameau s’engage certainement avec beaucoup de conviction dans cette première charge officielle qui traduit une reconnaissance évidente de ses talents. Aussi, lorsque sa sœur Élisabeth se marie avec Étienne de Finance, probablement le 28 mai 1702, il ne quitte pas son poste pour se rendre à Dijon ; ses fonctions sont trop récentes pour lui permettre de s’absenter. À cette époque, Clermont-Ferrand ne possède ni Académie ni salle de spectacle ; une première Académie de musique, de courte durée, est fondée en 1729, à laquelle l’Hôtel de Ville offre une salle de concert en ces locaux tandis qu’un second projet se concrétise en 1759 sur l’initiative de M. de Ballainvilliers, alors Intendant d’Auvergne. Pour autant, à l’instar des autres grandes villes du royaume, Clermont-Ferrand organise des réjouissances populaires animées de feux d’artifice et de concerts de Te Deum pour célébrer d’heureux événements, tandis que les foires réunissent des baraques réparties sur deux ou trois rangées, avec une allée centrale servant de lieu de promenade pour le public. Comme à Paris, on y trouve des lutteurs, des exhibitions d’animaux et des théâtres de marionnettes.

En dépit de cet environnement culturel un peu plat, Clermont-Ferrand apparaît comme l’une des étapes importantes dans la vie de Rameau. En premier lieu, le musicien y concrétise sa carrière de « maître organiste » en charge d’une maîtrise. À ce titre, le musicien doit illustrer les services religieux qui le conduisent à interpréter des pièces du répertoire, mais certainement aussi à improviser. Il y acquiert donc une expérience aiguë de praticien. En second lieu, il y commence son expérience de pédagogue puisqu’il doit « enseigner et instruire savamment un enfant de chœur ou une autre personne ». Il y a fort à parier qu’il complète ses maigres émoluments en donnant des leçons de musique aux jeunes enfants de la bourgeoisie clermontoise. Enfin, il doit accorder l’orgue, ce qui le conduit à réfléchir aux problèmes de l’acoustique et de la résonance du corps sonore dont on sait qu’ils l’occuperont toute sa vie. Enfin, Rameau trouve le temps de composer ses premières pièces de clavecin avec l’idée de les regrouper et de les publier dans un premier livre, et jette sur le papier quelques compositions pour orgue dont il ne reste aucune trace.

Pourtant, malgré une activité équilibrée et un engagement moral de six ans, Rameau ne reste environ que trois ans et demi en Auvergne. On ignore quand exactement il quitte Clermont-Ferrand et arrive à Paris, mais assurément avant l’automne 1706, et sans se fâcher avec les chanoines de sa paroisse puisqu’en 1715, il revient à Clermont-Ferrand pour y occuper à nouveau son poste d’organiste. C’est précisément ce point qui semble curieux, sauf si l’on considère le rôle joué par le chanoine Villenaud. Du 1er avril au 1er août 1679, Villenaud devient élève de Jean Marchand, organiste de la cathédrale de Clermont depuis le 1er avril 1678. En 1681, il apparaît sur les registres au titre d’organiste de Notre-Dame du port à Clermont-Ferrand, à la suite de Marchand. Ébloui par le talent du jeune Rameau, Villenaud aurait pu lui conseiller d’aller tenter sa chance à Paris. Cette hypothèse est d’autant plus crédible que c’est à Louis Marchand, fils de Jean Marchand, que Rameau se présente en arrivant à Paris. L’hypothèse d’une recommandation de Rameau par Villenaud à Louis Marchand semble donc très plausible. De fait, le 17 octobre 1706, le poste de la cathédrale de Clermont-Ferrand est donné à Charles Guyard, attestant que Rameau a quitté ses fonctions au cours de l’année pour s’installer à Paris en face du couvent des Cordeliers, où Louis Marchand exerce ses talents.

Paris (1706-1708)

La vie culturelle de la capitale avec son Académie royale de musique, son animation intellectuelle, sa débordante activité éditoriale et son abondance d’artistes renommés ne peut qu’attirer le jeune Rameau, curieux et entreprenant. À n’en pas douter, il rêve de ce séjour parisien dont il s’imagine qu’il lui ouvrira de nombreuses portes et lui permettra de publier ses premières œuvres. Il brûle d’impatience d’écouter les improvisations réputées du virtuose Louis Marchand, organiste de l’église Saint-Benoît, chez les Jésuites de la rue Saint-Jacques, aujourd’hui le collège Louis-le-Grand, peut-être depuis 1689 et assurément en 1691, et du grand couvent des Cordeliers autour de 1695. « Nous tenons de lui-même », écrit l’auteur de l’article nécrologique du Mercure de France, que Rameau

s’était logé d’abord vis-à-vis le Monastère des Cordeliers pour être à portée d’entendre le célèbre Marchand, organiste de cette église.

À l’époque où Rameau arrive à Paris, Marchand jouit d’une très haute réputation d’enseignant et cumule les charges officielles d’organiste. Il semble que dès 1700, avant la mort de Marin de La Guerre en 1704, il soit déjà en charge de l’orgue de Saint-Paul de la rue Saint-Antoine, autre paroisse des Jésuites mais bien plus fréquentée et en vue que celle de la rue Saint-Jacques. C’est ce que laisse supposer l’annonce du Mercure galant du mois d’avril 1700 qui le qualifie d’organiste de « S. Benoist [rue Saint-Jacques], des Cordeliers et des Jésuites [probablement Saint-Antoine] ». Ce nouveau rapprochement avec les Jésuites s’explique par le fait qu’à son arrivée à Paris, la communauté religieuse de la rue Saint-Jacques lui aurait assuré le gîte, le couvert et une formation complète. Probablement en novembre 1703, Marchand obtient encore l’orgue de l’église Saint-Honoré à la suite de Simon Lemaire, poste qu’il abandonne le 17 janvier 1707 au profit de Pierre Foucquet l’aîné. Tout naturellement, Rameau, alors inconnu, cherche à obtenir la protection du célèbre musicien. Enthousiasmé par son talent, Marchand lui fait d’abord beaucoup d’offres. Peut-être est-ce grâce à lui que Jean-Philippe obtient à sa suite de tenir l’orgue de la rue Saint-Jacques où Marchand officiait encore en 1703, comme l’indique la page de titre du second livre de ses pièces de clavecin. En tout état de cause, lorsque Marchand prend la succession de Nivers à la Chapelle royale en juillet 1708, Rameau tient, outre l’orgue du collège des Jésuites, celui du couvent des Pères de la Merci, rue du Chaume au Marais, ainsi que le confirme la page de titre de son Premier livre de pièces de clavecin (1706) qui donne, en outre, une nouvelle adresse pour Rameau, rue Vieille-du-Temple, « vis-à-vis les Consignations », chez un perruquier. Les jeunes artistes, en mal de reconnaissance, avaient coutume de loger chez les perruquiers, sorte de salons ouverts où se côtoyaient à la fois l’aristocratie et la bourgeoisie. Auprès de Marchand, Rameau perfectionne à la fois son jeu et ses connaissances sur la composition musicale. Il avoue lui-même avoir bénéficié de l’enseignement de Marchand, convenant

avec une noble franchise qu’il devait à cette liaison beaucoup de lumières tant sur la composition de la musique que sur la pratique savante de l’instrument dont il touchait.

Pourtant, les bonnes relations des deux hommes ne résistent ni au temps ni à leurs caractères impétueux respectifs. De son côté, « Rameau reconnut aux fugues que cet artiste n’était pas bon musicien ». Quant à Marchand, qui insistait pour voir les pièces d’orgue composées par Rameau dont celui-ci lui parlait, dès qu’il put les lire, écrit Maret, « il conçut de la jalousie contre Rameau, et ne voulut plus s’employer pour lui ». Decroix confirme lui aussi l’existence de pièces d’orgue et le revirement de Marchand :

Rameau, après lui avoir communiqué plusieurs de ses compositions et les avoir exécutées devant lui [donc à l’orgue], ne tarda pas à s’apercevoir qu’il ne lui montrait plus le même empressement à lui être utile.

Des charges de Rameau chez les Jésuites de la rue Saint-Jacques, on ne sait rien. On peut néanmoins supposer qu’elles l’obligent pour le moins à jouer pendant les très réputés offices des Ténèbres et à suivre les représentations du collège Louis-le-Grand, anciennement collège de Clermont. Traditionnellement, une tragédie latine y était représentée dans les premiers jours d’août, avec des intermèdes musicaux, au moment de la distribution des prix, tandis qu’au début de mois de mai se donnait une pièce française, représentée dans l’arrière-cour. Pierre Peyronnet a établi un relevé de cent trente-six pièces jouées entre 1701 et 1761 à Louis-le-Grand : quatre drames, trente-huit comédies et quatre-vingt-quatorze tragédies. Pour la période qui nous intéresse, nous avons pu reconstituer le répertoire suivant :

Mercredi 10 février 1706 : Étienne Chamillart, Saül, tragédie en cinq actes, avec en intermèdes la tragédie biblique David et Jonathas, livret de François de Paule Bretonneau, musique de Charpentier (reprise réduite à trois actes).

Mercredi 11 août 1706 (pour la distribution des prix) : [P. André Le Camus ou P. Gabriel-François Le Jay], Adonias, tragédie en cinq actes, avec un ballet intitulé La Feste des Dieux ou l’Origine des ballets ; composition des ballets par Pécour.

Mercredi 2 mars 1707 : [Anonyme], Menophis Pharaonis primogenitus, tragédie en trois actes, avec en intermèdes Narcisse, tragédie en musique en un prologue et trois actes de Jean-Baptiste Du Halde (musique de La Chapelle).

Mercredi 8 juin 1707 (représenté par les petits pensionnaires) : L’Enfant prodigue, drame en trois actes, avec en intermèdes Le Destin de Monseigneur le Duc de Bretagne, pastorale en trois parties.

Mercredi 3 août 1707 (pour la distribution des prix) : [P. Gabriel-François Le Jay], Josephus Aegypto praefectus, tragédie avec un ballet en quatre parties, Jupiter, vainqueur des Titans ; composition des ballets par Pécour.

Mercredi 1er août 1708 (pour la distribution des prix) : Anonyme, Lucius Junius Brutus, primus Romanorum consul, tragédie en cinq actes avec un ballet en une ouverture et quatre parties, Le Triomphe de Plutus, dieu des richesses ; composition des ballets par Pécour.

L’orgue du collège Louis-le-Grand dont dispose Rameau a bénéficié d’une restauration importante entre 1689 à 1691 par Jean Bessart, et présente dorénavant une riche facture qu’Érik Kocevar a pu reconstituer :

Grand orgue (48 notes) : 1. bourdon de huit pieds ; 2. prestant de quatre pieds ; 3. flûte [de deux pieds ?] ; 4. nasard ; 5. tierce ; 6. cornet de cinq rangs ; 7. trompette [de huit pieds ?] ; 8. cromorne [de huit pieds ?].

Positif (48 notes) : 1. bourdon de huit pieds ; 2. flûte de quatre pieds ; 3. doublette de deux pieds ; 4. tierce ; 5. cymbale de trois rangs ; 6. cromorne de huit pieds.

Récit (25 notes) : cornet de cinq rangs.

Pédalier (24 notes) : flûte de huit pieds.

Concernant les charges de Rameau chez les Pères de la Merci, une « table des jours auxquels on touche l’orgue à la Mercy », en date de 1741, pourrait bien correspondre à celles auxquelles devait se conformer Rameau en 1706. Pour une rémunération de 120 livres par an, il y est précisé que l’organiste doit jouer « tous les dimanches et fêtes de l’année à la grand’messe, hors le temps de l’Avent et du Carême et le premier dimanche de chaque mois à la messe, aux Vêpres et au salut ; plus encore trente-cinq fois dans l’année environ, à divers solennités ». L’instrument sur lequel il joue avait été acquis en 1674 par les pères de la Merci auprès d’un certain Antoine-Robert Baglan, notaire au Châtelet de Paris pour la somme de 1100 livres. La description qu’il nous en reste présente un instrument presque de salon :

Un cabinet d’orgues en deux corps l’un sur l’autre, avec deux bourdons, deux flutes et autres jeux, avec deux soufflets et deux claviers.

La modestie de l’orgue ne permet pas à Rameau de montrer tous ses talents. Aussi, lorsqu’il apprend l’intention de démissionner de François Dagincourt, en poste à l’église de la Madeleine-en-la-Cité à Paris, postule-t-il contre six autres organistes. Les marguilliers de l’église de la Madeleine-en-la-Cité organisent un concours le 1er novembre 1706 afin de pourvoir au poste vacant. Pour juger des talents des candidats, ils sollicitent les expertises de trois organistes parisiens très renommés : Gigault, organiste de l’église Saint-Nicolas-des-Champs, Montalant, organiste de l’église Saint-André-des-Arts et gendre de Molière, Dandrieu, organiste de l’église Saint-Merry. Au terme d’un concours de plus de deux heures, Rameau remporte le suffrage du jury. Pourtant, sa prise de fonction est liée à la démission de ses deux charges d’organiste à Paris. Rameau refusant les conditions imposées, le poste revient à Dornel. Connaissait-il les règles avant de concourir ? Se soumit-il à l’épreuve pour se faire entendre des organistes célèbres du jury, espérant une proposition, comme l’ont supposé certains ? Nul ne le sait, mais si telle fut l’intention de Rameau, elle resta sans lendemain.

Au cours de ce court séjour parisien, Rameau assiste sans doute à des spectacles lyriques de premier rang dont, peut-être, la fameuse Alcyone de Marais donnée en février 1706. D’autres œuvres comme Cassandre de Bouvard et Bertin de La Douée, Polixène et Pyrrhus de Collasse, ainsi que les reprises de Thésée en 1707 et d’Alceste en 1708 de Lully complètent avantageusement ce tableau. En ce tout début de siècle, circulent également les premiers livres de cantates de Morin et de Stuck qui connaissent un engouement extraordinaire. On peut imaginer également que Rameau découvre le répertoire religieux de Lully, Delalande et Charpentier donné dans les nombreuses églises parisiennes, tout autant que la musique instrumentale contemporaine que jouent les organistes de la capitale. En 1706, Rameau réussit à faire paraître son Premier livre de pièces de clavecin, dont le titre laisse supposer son intention d’en proposer un second.

Ex. II.1. Rameau,  , Paris, l’auteur, Roussel, Foucaut, 1706, p. de titre.

Ex. II.1. Rameau, Premier livre de Pièces de clavecin, Paris, l’auteur, Roussel, Foucaut, 1706, p. de titre.

Comme la plupart des musiciens de l’époque, il publie à compte d’auteur et, afin de réduire les frais, s’associe au graveur Roussel et à l’imprimeur Foucaut. La page de titre du volume est enjolivée par un encadrement gravé dessiné par Desmarets qui faisait partie du fonds de l’imprimeur Foucaut. Ce dernier l’avait déjà utilisé pour Le Livre de clavecin de Dandrieu (1704) et pour un recueil d’Airs sérieux et à boire de Paulin (1705), et devait l’employer ultérieurement pour d’autres publications. Loin de révéler un trait de l’avarice supposée de Rameau, ces dernières remarques prouvent simplement que, pas plus que les autres compositeurs, Rameau ne souhaitait faire des frais inutiles pour la publication de son premier livre. D’ailleurs, il n’en sera tiré qu’un petit nombre puisqu’aujourd’hui, on ne recense de cette première édition que deux exemplaires, l’un à Paris, l’autre à Bordeaux. Jeune homme impatient de faire paraître son premier ouvrage, s’est-il même posé la question du frontispice, franchement secondaire ? L’absence de dédicace, révélatrice selon Brenet du manque d’humilité de Rameau, pourrait révéler plus simplement l’absence d’un protecteur. Quant à la date exacte de parution, étant donné qu’elle ne figure pas dans le Catalogue des livres imprimez & gravez qui se vendent chez Foucaut […] pour les années 1705 & 1706, on peut supposer que l’ouvrage parut à la toute fin de l’année 1706. En février 1707, le nom de Rameau apparaît dans la série régulière des Airs sérieux et à boire de Ballard, par le biais d’un duo paysan, Lucas pour se gausser de nous, qui connaît un franc succès et rentre même au répertoire au vu de ses nombreuses copies manuscrites et de ses rééditions en 1718 à Paris et en 1736 à La Haye. Grâce à ce contact avec la maison Ballard, son Premier livre de pièces de clavecin jouit d’une publicité en étant mentionné dans la livraison de la fin de l’année 1708 des Airs sérieux et à boire.

La fin de son séjour parisien est difficile à retracer. Si l’on sait que Rameau se trouve à Dijon en janvier 1709, on ignore à quelle date il quitte la capitale. Decroix évoque un séjour à Lille où Rameau aurait touché quelque temps l’orgue de Saint-Étienne avant de rejoindre sa ville natale. Aucun document ne permet aujourd’hui de certifier ce voyage lillois. Selon Maret c’est le défaut de ressources qui aurait obligé Rameau à quitter Paris. Il est en effet plausible que ni ses deux postes parisiens d’organiste ni ses éventuels droits sur les ventes afférents à son Premier livre de pièces de clavecin, n’aient permis au jeune homme de vivre décemment. Pourtant, en septembre 1708, il reçoit 500 livres de son père qui auraient dû suffire à prolonger son séjour. En effet, le 17 août 1685, ses parents s’étaient fait une « donation à cause de mort réciproque », obligeant le survivant des deux époux – en l’occurrence Jean, Claudine étant morte en 1697 – à nourrir et entretenir leurs enfants mineurs et à leur verser 500 livres à leur anniversaire des 25 ans, alors l’âge de la majorité. En tout état de cause, il n’est pas logique que ce soit précisément au moment de la réception de cette confortable somme d’argent que Rameau décide de mettre un terme à ses espoirs. Il semble plutôt que ce soit à la fois la modestie de sa situation sociale et surtout la perspective de la succession de Jean Rameau au poste d’organiste de Notre-Dame de Dijon qui aient alors pesé dans la réflexion des Rameau et favorisé le retour de Jean-Philippe à Dijon. Comme l’écrit Chabanon, cet épisode parisien ne fut pour ainsi dire que

le premier coup d’œil d’un grand capitaine qui venait reconnaître le champ de bataille, où bientôt il devait combattre et triompher.

Quoi qu’il en soit, le combat fut rude, et la victoire tardive.

Dijon (1709-1712)

Le 10 juillet 1690, Jean Rameau avait signé avec les fabriciens de l’église paroissiale Notre-Dame de Dijon une convention qui lui assurait pendant vingt ans sa charge d’organiste. Sans attendre la date butoir, le 27 mars 1709 Jean Rameau résilie cette convention en faveur de son fils Jean-Philippe. Son contrat arrivant à terme le 10 juillet 1709, la transaction est donc bien conduite par les Rameau, et dans les temps, mais non sans mal, car un autre candidat, Esmilian Lorin, convoite le poste d’organiste pour son fils. En effet, le 12 mai 1704, les fabriciens de Notre-Dame de Dijon décident que l’orgue, en raison de son très mauvais état, ne doit plus être touché :

[…] les fabriciens ayant considéré que l’orgue de ladicte esglise n’estant plus en estat d’estre touchée par le mauvais estat auquel elle se trouve, les tuyaux de celuy estant desjà en partye tombés, il a esté délibéré que ledict orgue cessera incesament jusqu’à ce que la fabrique soit en estat de pourvoir à son rétablissement […].

Cette situation de décrépitude ne touchait pas seulement l’orgue, mais également l’église dans son ensemble. Tandis que Jean Rameau est temporairement suspendu de ses fonctions jusqu’à la complète réparation de l’orgue, les fabriciens confient, le 1er avril 1705, la restauration de l’instrument au facteur d’orgues dijonnais Lorin, également huissier au parlement de Bourgogne. Dans son devis, Lorin propose de faire un grand corps de trois tourelles et quatre plates-faces, et de construire un instrument comportant deux mille trois cents tuyaux, et riche de trente et un jeux et de deux tremblants, l’un fort, l’autre doux. En dépit de son estimation élevée de 4 300 livres, le devis de Lorin est accepté. Ce précieux document nous livre la composition exacte de l’orgue que toucheront les fils Rameau, Jean-Philippe dès que possible, puis Claude Bernard à partir de 1735 :

Grand orgue : 1. montre de huit pieds ; 2. bourdon de seize pieds ; 3. prestant de quatre pieds ; 4. bourdon de huit pieds ; 5. doublette de deux pieds ; 6. fourniture de quatre rangs ; 7. cymbale de trois rangs ; 8. cornet de cinq rangs ; 9. nasard ; 10. quarte de nasard ; 11. tierce ; 12. trompette de huit pieds ; 13. clairon de quatre pieds ; 14. voix humaine.

Récit : 1. cornet de cinq rangs ; 2. trompette de huit pieds.

Pédalier : 1 flûte de huit pieds ; 2. flûte de quatre pieds ; 3. trompette de huit pieds.

Écho (39 notes) : 1. cornet de cinq rangs ; 2. cromorne.

Positif : 1. montre de huit pieds ; 2. bourdon de huit pieds ; 3. doublette de deux pieds ; 4. fourniture de quatre rangs ; 5. cymbale de trois rangs ; 6. flûte de quatre pieds ; 7. nasard ; 8. tierce ; 9. larigot ; 10. cromorne de huit pieds.

Outre la restauration de l’orgue, Lorin est chargé de son entretien annuel, sa vie durant et de l’accorder chaque année pendant six ans ce qu’il accepte pour la somme de 30 livres. Pourtant, Lorin a un fils, également organiste, Joseph, pour lequel il compte obtenir le poste de Jean Rameau. S’engage alors une négociation ardue entre les trois parties, les fabriciens de Notre-Dame de Dijon, Rameau père et Lorin père. « Pour terminer et assoupir » le différend qui oppose les deux hommes, le 20 mars 1709 les fabriciens acceptent de confier au fils Lorin la charge de toucher l’orgue les jours ordinaires, d’« accorder le positif et les jeux qui sont en estat de pouvoir estre touchés », mais de « remettre […] la clef [de l’orgue] audit Sr. Rameau » les jours où il devra jouer lui-même. Cette situation lui est accordée pendant la durée des travaux de restauration de l’instrument contre la somme de 60 livres par an. De plus, « pour éviter une nouvelle difficulté », une somme de 36 livres lui est octroyée au titre de dédommagement pour avoir touché l’orgue dans le passé.

La convention signée entre Jean-Philippe Rameau et les fabriciens de Notre-Dame de Dijon le 27 mars 1709 doit donc tenir compte des acquis de Lorin et de l’indisponibilité partielle de l’orgue en raison des travaux. À l’évidence favorable aux Rameau, le texte prévoit une application en deux temps tout en accordant le titre d’organiste à Jean-Philippe à compter du 30 mars 1709 pour une durée de six ans consécutifs. Durant les travaux, soit environ pendant deux ans, les fabriciens proposent de partager le service religieux entre les fils Rameau et Lorin. Conformément aux accords conclus le 20 mars 1709, le premier ne touchera l’orgue que « les veilles et jours de fêtes, et cérémonies » pour une rémunération de 90 livres par an qui incluent ce que les fabriciens doivent à Jean-Philippe pour avoir touché l’orgue depuis trois mois environ, soit depuis janvier 1709. En outre, Rameau doit encore toucher l’orgue pour les « fondations » à la charge de prêtres de l’église de Dijon, à raison de 20 sols pour chacune d’entre elles. Les fondations désignent des legs provenant principalement d’une personnalité civile, d’un chanoine ou d’un prêtre pour mettre en place une célébration particulière dans une église, ou une autre institution religieuse. Dans le cadre de cet office « fondé » les musiciens, organistes ou chantres, sont susceptibles d’intervenir. Quant au fils Lorin, il touchera l’orgue les autres jours, pour un service ordinaire, contre des émoluments de 60 livres par an. Après les travaux, il est prévu que Jean-Philippe rentre en pleine possession de ses attributions et que ses émoluments soient augmentés jusqu’à 130 livres par an, ce qui reste relativement dérisoire. Il doit toucher l’orgue « tous les jours solennels et veilles et autres jours de fondations qui sont à la charge de la fabrique », aux « Te Deum, prières et cérémonies publiques », veiller à prendre soin de l’orgue et le tenir « bien fermé ».

Ex. II.2. AD Côte d’or, 24/99, Fabrique de Notre-Dame de Dijon, « Layette L. 2 liasse. Cotte 6 »,  , f. 1 r  (cf. Annexe 3).

Ex. II.2. AD Côte d’or, 24/99, Fabrique de Notre-Dame de Dijon, « Layette L. 2liasse. Cotte 6 », Convention pour toucher l’orgue de Notre-Dame entre Messieurs les fabriciens et le Sieur Rameau, f. 1 ro (cf. Annexe 3).

Cette convention, attestant l’engagement de Rameau et listant ses charges d’organistes conformes aux usages du temps, nous a semblé suffisamment importante pour en légitimer la transcription quasi intégrale, malgré sa rédaction difficile :

L’an mil sept cent neuf le vingt septiesme mars apres midy a Dijon pardevant les conseillers et notaires du Roy soussignez y residans, furent présentz Messire Claude Le Bault conseiller au Parlement de Bourgogne commissaire aux Requestes du Palais a Dijon, et Monsieur Henry Quirot conseiller du Roy auditeur en la Chambre des Comptes dudit Dijon, en qualité de fabriciens de l’église parroissialle Nostre Dame de cette ville, lesquels ensuitte de la délibération de Messieurs les fabriciens de ladicte église du [en blanc] par laquelle le Sieur Jean Baptiste Rameau fils [comprendre Jean-Philippe] a esté nommé et choisy organiste de ladicte église, ont faict avec luy, le Sieur Jean Rameau son père cy présent l’autorizant et quant à ce le cautionnant, les traittés et conventions qui suivent.

Scavoir que ledict Sieur Rameau fils cy présent, promet et s’oblige de toucher l’orgue de ladicte église tous les jours solemnels et les veilles, et autres jours de fondations qui sont à la charge de la fabricque, desquelles charges on luy a faict lecture et a examiné le mémoire qui en a este dressé signé desdictz Sieurs Le Bault, Quirot et Rameau qui sera joinct à la presente, comme aussy de prendre le ton de Messieurs les prestres qui tiendront le chœur avant que de toucher ladicte orgue, le mouvement des soufflets demeurant à la charge du marguillier suivant la convention particulière faitte avec luy, sera encore tenu ledict Sieur Rameau de toucher à tous les Te Deum, prières et cérémonies publicques, de veiller à ladicte orgue et prendre tous les soins ausquels un bon organiste est obligé, la tiendra bien fermée, et ne souffrira y entrer que ceux qui luy pourront rendre service.

Ladicte convention ainsy faitte pour le temps de six années consecutives qui commenceront le trentiesme du présent mois, moiennant la somme de cent trente livres par chacun an, qui sera paiée audict Sieur Rameau fils par le receveur de ladicte fabricque, par moitié de six en six mois, ou le tout a la fin de chacque année au choix dudict Sieur Rameau, au moien de quoy ledict Sieur Rameau père consent en faveur de sondict fils la résolution du traitté faict avec luy le dixiesme juillet mil six cent quatre vingt dix, sans interests ;

et comme ladicte orgue n’est pas encore achevée, et ne le peut l’estre que dans environ deux ans, il a esté convenu que ledict Sieur Rameau fils se contentera pendant ledict temps de toucher ladicte orgue les veilles et jours des festes et cérémonies dont luy sera donné estat séparément, et les autres jours elle sera touchée par le fils du Sieur Lorin suivant la convention particulière faitte avec son père, sans que ladicte convention puisse estre prorogée pour quelques causes que ce soit au préjudice dudict Sieur Rameau filz au dela du temps porté par le marché faict avec ledict Sieur Lorin pour la facture de ladicte orgue, pendant lequel temps de deux années ou environ ledict Sieur Rameau fils se contentera pour toute rétribution de la somme de quatre vingt dix livres par an, dans laquelle somme demeure comprise ce qui est dû audict Sieur Rameau filz pour avoir touché ladicte orgue par l’ordre de Messieurs les fabriciens depuis environ trois mois ;

et dautant qu’il y a plusieurs fondations à la charge de Messieurs les prestres de ladicte église, il est encore convenu que tant pour celles qui ont esté faittes et qui pourront estre faittes à l’avenir ledict Sieur Rameau fils se contentera de vingt sols pour chacune desdictes fondations dans lesquelles il sera nécessaire de toucher ladicte orgue, dont les parties sont d’accord, et contentes et en promettent l’entre[tien] […].

Faict et passé en l’hostel dudict Sieur Le Bault rue de la Charbonnerie, et ont signé lesdictes parties. J. Rameau ; Rameau fils ; Le Bault ; Quirot ; Vaudremont notaire sindic ; Clerget notaire.

En annexe à ce texte, est établi le calendrier des « jours auxquels on doit toucher l’orgue de notre Dame pendant l’année » dont certaines lignes sont cochées qui correspondent peut-être aux obligations de Rameau.

Premièrement la veille de la Circoncision, à vespres, salut, le jour à matines, grande messe, vespres et salut,

* La veille des Roys, vespres et salut,

Le jour à grande messe, vespres et salut,

La veille de Saint Maur à vespres,

Le jour à matines grande messe vespres et salut à la charge des Marchandz,

La veille de Saint Antoine à vespres,

Le jour à matines grande messe vespres et salut à la charge des Marchands Bouchers,

La veille de Saint François de Salle à vespres,

Le jour à matines grande messe et vespres,

La Veille de la Purification à vespres,

* Le jour à grande messe, vepres et salut,

Les trois jours des quarente heures à la grande messe, vespres et salut,

Le quatrieme dimanche de Caresme à la messe,

La veille de Saint Joseph à vespres,

Le jour à matines grande messe, vespres et salut,

La veille de l’Annonciation à vespres et salut,

Le jour à matines grande messe, vespres et salut,

* Le Jeudy saint à la messe jusqu’au Gloria,

* La veille de Pasques à la messe, vespre et complies,

Le jour à matines messe, vespres et salut,

Les deux jours suivants à la messe et à vespres,

La veille de Casimodo, vespres et salut,

Le jour à la grande messe, vespres et salut,

La veille de l’Ascension à vespres et salut,

Le jour à matines grande messe, vespres et salut,

* La veille de la Pentecoste grande messe et vespres,

Le jour à la grande messe et vespres,

Le jour suivant grande messe et vespres,

Le mesme jour grande messe et vespres pour les Marchandz Bouchers qui payent l’organiste,

La veille de la Trinite, vespres et salut,

Le jour matines grande messe vespres et salut,

* La veille de la feste de Dieu vespres, matines et salut,

Le jour de la feste de Dieu à l’antrée de la procession grande messe, vespres et salut,

Pendant l’octave au salut,

Le dimanche de l’octave grande messe, vespres et salut,

La veille de l’octave à vespres,

* Le jour de l’octave grande messe, vespres et salut,

La veille de Saint Jean-Baptiste aux vespres,

Le jour grande messe et vespres,

La veille de Saint Pierre et Saint Paul aux vespres,

Le jour grande messe et vespres,

La veille de la Visitation vespres,

Le jour à la grande messe et vespres,

La veille de Sainte Anne aux vespres,

Le jour grande messe et vespres,

Le jour de Nostre Dame des Neiges grandes messes et vespres,

* La veille de l’Assomption vespres et salut,

Le jour à matines grandes messes, salut,

À l’antrée de la procession generalle,

Le jour de Saint Roch grande messe et vespres,

Le jour de Saint Mammets grande messe et vespres,

Le lendemain à la messe à cause de Madame Lordelot,

Le jour de Saint Gilles grande messe et vespres,

* La veille de la Nativité Nostre Dame à vespres et salut,

Le jour de la feste à la grande messe, vespres,

* Le dimanche de l’octave de la Nativité à cause de la feste Nostre Dame de Bon Espoir, vespres et salut,

Le jour à la grande messe, vespres et salut,

La veille de la Dedicace vespres et salut,

Le jour matines grandes messes, vespres et salut,

* La veille de la Touss[a]in[t] vespres et salut,

Le jour à la grande messe, vespres et salut

La Presentation de la Vierge grande messe et vespres,

Le troizieme dimanche de l’Advent à la messe,

* La veille de Noel vespres et salut, aux matines la première hymne et réponce,

Le jour les trois grandes messes, vespres et salut,

Les deux jours suivants grandes messes et vespres,

Aux prières publiques,

Prendre le ton du c[h]œur.

Au sein des charges traditionnelles en lien avec le calendrier chrétien, charges majoritairement communes à tous les organistes attachés à une paroisse, les fabriciens prévoient quelques fondations pour les marchands merciers et drapiers (veille et jour de la Saint-Maur, le 15 janvier), pour les bouchers (veille et jour de Saint-Antoine ; jour de la Pentecôte) ou encore pour Marie Jacquet, veuve Lordelot, probablement une donatrice (le lendemain de Saint-Mammès, quatrième jour de l’octave de l’Assomption). Brisson nous renseigne sur la célébration du saint des Bouchers. Après les matines, une grande messe se tenait à la chapelle, puis une autre à 9 heures et demie ; à 3 heures avaient lieu les vêpres, les complies, un « Gaude » et la bénédiction, suivie aussitôt par les vêpres des morts. Au vu de la situation, Lorin père n’a aucun intérêt à se hâter pour terminer les travaux de restauration de l’orgue. Et c’est précisément ce qu’il fit. Au lieu d’être achevés en 1711, comme prévu, les travaux de réfection ne sont terminés que le 12 juillet 1713. Jean-Philippe doit perdre patience, entre ses maigres émoluments bloqués à 90 livres, un service réduit et, à l’évidence, une tension avec Lorin. Mais surtout, il tombe amoureux de la jolie Marguerite Rondelet que son frère cadet, Claude Bernard, courtise également et à qui la jeune femme donne la préférence ainsi que l’écrit Jean-François, le fameux neveu de Rameau, dans sa Raméide :

Il fut l’admirateur des talens de mon père,

Mais il en fut rival pour la main de ma mère ;

Les deux frères alors se divisent entr’eux,

Se séparent de là pour pouvoir être heureux.

Il y a tout lieu de croire cette assertion puisque Rameau quitte Dijon au cours de l’été 1712 et que son frère épouse Marguerite le 10 janvier 1715, à peine un mois après la mort de Jean Rameau survenue le 13 décembre 1714. Certains commentateurs ont pensé que ce mariage sentait la précipitation et qu’il aurait été empêché par un père tyrannique. Rien n’est moins sûr. Claude Bernard avait probablement prévu d’épouser Marguerite dès qu’il aurait atteint sa majorité, donc à partir du 1er janvier 1715 puisque né le 1er janvier 1689. De plus, à vingt-cinq ans révolus il aurait bénéficié des 500 livres léguées par les parents Rameau à chacun de leurs enfants devenus majeurs. Si par conséquent le décès de Jean Rameau est indépendant de la date de ce mariage, en revanche, il donne tant à Claude Bernard qu’à Jean-Philippe l’occasion de sortir enfin de leurs précaires situations financières et d’envisager l’avenir sous de meilleurs auspices grâce à l’héritage paternel. De fait, en ce qui concerne Claude Bernard, les clauses du testament de 1707 furent appliquées et lui assurèrent un legs de 8 000 livres précisé dans les termes du contrat de mariage.

C’est donc bien une douloureuse affaire sentimentale qui décide Rameau à quitter Dijon, mais pas seulement. D’autres faits s’ajoutent à cette situation ; d’une part, sa rémunération misérable d’organiste ; d’autre part, ses relations avec Lorin pour le moins déplorables. D’ailleurs, le conflit entre les Lorin et les Rameau devait perdurer bien après le départ de Jean-Philippe. Ainsi, lorsqu’en 1735 Claude Bernard est appelé pour remplacer le fils Lorin, il s’emploie à noter toutes les imperfections d’entretien de l’orgue malgré les protestations de son ancien titulaire. En dépit du fait que Rameau ait signé un engagement de six ans consécutifs à compter du 30 mars 1709, et malgré un engagement moral auprès de son père à tenir l’orgue de Dijon, Jean-Philippe met un terme à son contrat au cours de l’été 1712, au bout de seulement trois ans. C’est ce qu’on peut en déduire du mémoire de la réception des travaux de restauration de l’orgue de Dijon par Esmilian Lorin, en date du 2 juillet 1713, qui notifie que Joseph Lorin devient organiste titulaire en remplacement de Jean-Philippe Rameau ayant quitté Dijon « depuis environ un an ».

Lyon (1712-1715)

Avant de quitter Dijon, Rameau avait dû réfléchir à un point de chute acceptable. Pourquoi choisir Lyon où, à cette époque, le diocèse n’admettait pas l’orgue dans les églises ? On peut supposer qu’il y a établi des connaissances musicales grâce aux spectacles donnés par la troupe de l’Opéra de Lyon dans plusieurs villes, notamment à Dijon, régulièrement depuis 1703, et à Marseille avec les représentations d’Isis et d’Armide de Lully en 1701, date à laquelle Rameau se trouve dans le sud de la France. Grâce au réseau des Jésuites, on peut imaginer que Rameau était au courant de la construction d’un nouvel orgue au couvent des Jacobins et qu’il avait négocié son engagement avant de partir de Dijon. Pourtant, lorsqu’il arrive dans la ville lyonnaise, l’orgue du couvent des Jacobins n’est pas terminé, soit que les travaux ont pris du retard, soit que Rameau ait avancé son départ. Mais en tout état de cause, il doit trouver un poste de transition. Son père ne devait pas être disposé à l’aider et plutôt furieux que, par manque de constance de son fils, Joseph Lorin récupère son propre poste qu’il avait réservé avec autant d’acharnement à Jean-Philippe. Mais Rameau est talentueux, entreprenant et certainement habile, puisque dès le 1er septembre 1712, il est « organiste à Lyon ». C’est à ce titre qu’il donne procuration à son père pour le représenter concernant la part d’héritage qui lui revient de son grand-oncle maternel, Chrétien Meyet. Il fut ainsi décidé de vendre l’office et charge de trésorier et receveur des revenus de la fabrique de la paroisse Saint-Michel de Dijon appartenant à Chrétien Meyet pour la somme de 815 livres. Chacun des cohéritiers héritait d’un cinquième de cette somme, soit 163 livres qui durent bien arranger la situation financière de Rameau, lui qui recevait des appointements modestes de 90 livres par an à Dijon.

À retracer ses activités, le programme de Rameau s’avère bien chargé. Outre ses charges d’organiste, il compose et réfléchit à la théorie musicale. C’est en effet à cette période qu’il prépare son futur Traité de l’harmonie. D’après les écrits relatifs à la polémique avec Montéclair, il aurait médité dix ans sur ce premier ouvrage théorique avant de le concrétiser, ce qui fait remonter sa conception autour de 1712 :

[…] je vous prie de vous ressouvenir que je vous dis alors, mais si vous vous êtes trompé dans un ouvrage où vous avez réfléchi pendant dix ans, ne devez-vous pas craindre de vous tromper encore ?

Habitant Lyon, Rameau sait qu’une poignée de personnalités, dont Christin et Bergiron, œuvrent pour créer une Académie des Sciences, Belles-Lettres et Arts susceptible d’améliorer l’activité intellectuelle et culturelle de la ville. À cette occasion, il aurait pu prendre contact avec Christin. Inventeur du thermomètre centigrade à mercure et scientifique réputé, celui-ci est l’un des cofondateurs en 1713 de cette Académie lyonnaise dont il devint le secrétaire perpétuel. Il est très raisonnable de penser que Rameau, si soucieux d’obtenir le respect de la communauté scientifique, ait souhaité soumettre à Christin ses théories déjà bien avancées. C’est d’ailleurs à ce dernier que Rameau écrit en 1741 une lettre au sujet des polémiques sur sa Génération harmonique et dans laquelle, après lui avoir demandé ses soutien et avis, il fait une allusion explicite à son séjour lyonnais en l’assurant, écrit-il, « de [s]a reconnaissance sur le passé ». Quant à Bergiron, lui-même compositeur, copiste professionnel réputé, codirecteur avec Maillefer de l’Opéra de Lyon de 1739 à 1744 dont il fut également examinateur et censeur des ouvrages destinés à ce théâtre, Rameau le connaît bien et l’estime. De même, Bergiron admire le compositeur puisqu’il copia après 1742 au moins dix volumes de ses œuvres que Decroix acquit pour sa collection, vraisemblablement après la mort du Lyonnais, au moment de la mise en vente de sa bibliothèque. Notre hypothèse est confortée par la notice nécrologique consacrée à Bergiron, parue dans les Affiches de Lyon du 27 avril 1768, date qui correspond au début de l’établissement de la collection Decroix :

La vente de la Bibliothèque de Musique de feu M. Bergiron, commencera Lundi, 2 Mai, à deux heures après midi, et continuera les jours suivants. On sait que c’est une collection faite pendant bien des années et à grands frais, par cet Amateur qui, par la supériorité de ses talents, concourut avec les plus grands Maîtres de l’art, et partagera leur gloire. Le célèbre M. Bernier, le grand Rameau, le père de la Musique Françoise, estimèrent ses talents et les distinguèrent toujours.

Il est donc certain que Rameau est en contact avec les académiciens, et probable qu’il prend part à certaines séances hebdomadaires.

Parallèlement à cette dimension théorique qui l’occupera jusqu’à la fin de sa vie, Rameau s’investit dans la composition. Alors qu’il n’a publié qu’un livre de pièces de clavecin et un duo paysan, Lucas pour se gausser de nous, pendant son bref premier séjour parisien d’environ trois ans, il semble que la trentaine atteinte, la composition devienne l’une de ses activités principales aux côtés de celle d’organiste. Au printemps 1713, Rameau jouit déjà d’une telle notoriété à Lyon qu’il reçoit de la ville une commande officielle pour une musique destinée à « célébrer la paix ». À l’occasion de la fin de la guerre de Succession d’Espagne, ratifiée notamment par la signature du traité d’Utrecht le 11 avril 1713, la ville de Lyon souhaite organiser de grandes réjouissances. Il s’agit d’édifier, au centre de la place Bellecour, une statue équestre représentant la gloire, au demeurant assombrie, de Louis XIV. Le Consulat (nom donné à l’assemblée municipale de Lyon sous l’Ancien Régime dirigée par le prévôt des marchands) prévoit des buffets offerts gracieusement à la population lyonnaise sur les principales places de la ville, une soirée réunissant « les personnes les plus distinguées » à l’Hôtel de ville, et enfin des « concerts de musique et d’instruments ». Les concerts n’ont finalement pas lieu, mais Rameau reçoit la somme de 250 livres qui lui avait été promise le 29 juillet 1713 pour la composition « du Concert qu’il avoit préparé pour la feste de la publication de la paix ».

Tout porte à croire que vers cette époque, Rameau écrit certains de ses grands motets. Même si leurs dates de conception ne sont pas connues avec précision, plusieurs éléments attestent qu’au moins le Deus noster refugium est contemporain de la création de la Bibliothèque de l’Académie de Lyon. En effet, en 1713, Christin et Bergiron, tous deux lyonnais, œuvrent pour la création de l’Académie et pour une bibliothèque y étant associée. Celle-ci est dévolue à réunir les partitions et matériels qui doivent servir aux concerts organisés dans la ville. Un orchestre et un chœur constitué d’amateurs et de professionnels est formé pour jouer des motets, des cantates et des fragments d’opéras que l’Académie royale de musique de Lyon peine à donner. Très réputée, cette bibliothèque passe rapidement

pour la plus belle et la plus complète du royaume. Elle est composée d’une très grande quantité de Motets à grand chœur, tels que Lalande, Bernier, Campra, recueillis avec soin […]. outre ces pièces qui servent à remplir les Concerts généraux, cette Bibliothèque en renferme beaucoup d’autres qui sont propres aux Concerts particuliers […].

Dès sa création en 1713, les acquisitions et les legs des académiciens reçoivent un numéro d’entrée. Bergiron montre l’exemple et fait don à sa bibliothèque de son grand motet In te Domine speravi. De nombreux compositeurs y sont représentés, des plus célèbres (Campra, Gilles, Delalande) à ceux bénéficiant d’une notoriété locale (Bergiron, Villeroy). Ainsi, la bibliothèque acquiert trois grands motets de Lacroix dont on peut penser qu’il s’agit du maître avec lequel Rameau a travaillé et dont il recommande les ouvrages à Christin. Les responsables de la bibliothèque font préparer presque systématiquement un matériel d’exécution qui prouve que les œuvres étaient jouées. Le projet des académiciens a tant de vigueur qu’au bout de trente ans d’existence, la gestion de la Bibliothèque nécessite l’engagement d’un garde pour suppléer le secrétaire perpétuel. Aussi, vers 1743, Coignet est engagé et reçoit la tâche d’établir l’inventaire de la Bibliothèque qu’il remet au secrétariat de la Ville le 27 mai 1754. Dans ce document, il est mentionné l’acquisition de la partition et des 14 parties séparées du Deus noster refugium de Rameau sous le numéro d’entrée 11, soit assez tôt après la création de la Bibliothèque, ce qui laisse supposer une date de composition autour de 1713 ou début 1714. L’inventaire donne encore les titres de deux autres motets de Rameau, In convertendo et Quam dilecta, avec les numéros d’entrée 77 et 113. L’inventaire de 1754 se termine avec l’entrée no 219 référant à nouveau à une partition de l’In convertendo qui pourrait correspondre à la version remaniée qu’en réalisa Rameau en 1751. Une telle conjoncture favorise l’hypothèse selon laquelle Rameau aurait écrit ses motets avec chœur pendant son séjour lyonnais. Le musicien y dispose de l’orchestre de l’Académie de la ville, constitué d’amateurs et de quelques professionnels, et d’un ensemble de chanteurs. La bibliothèque se charge de réaliser le matériel d’exécution des œuvres qui sont déposées dans son fonds et permet ainsi leur exécution. De fait, Rameau a un outil à sa disposition, meilleure motivation qui soit pour un compositeur, et il en utilise forcément les ressources. Un dernier élément appuie cette proposition de datation. Lors de la reprise de la version remaniée de l’In convertendo les mardi 30 mars, vendredi 2 avril et lundi 5 avril 1751 au Concert spirituel à Paris, le chroniqueur du Mercure de France précise que l’In convertendo est un « motet de M. Rameau, fait il y a près de quarante ans », ce qui en situe la composition vers les années 1712-1715.

Concernant sa carrière d’organiste, Rameau obtient enfin en décembre 1713 le poste titulaire d’organiste au couvent des Jacobins qu’il convoite depuis sans doute plusieurs mois. En effet, une quittance signée de sa main atteste qu’il reçoit la somme de 100 livres pour les six mois passés depuis la fête de la Saint-Jean (le 24 juin) :

Gages de l’organiste

IVe Sac Raymondus P.

Nota qu’on ne voit dans aucun livre de comptes qu’on ait donné des appointements à l’organiste qui a joué nos orgues avant le temps marqué dans les quittances cy après.

P. no I. Quittance de main privée passée à Lyon le 1er juillet 1714 par le Sr Rameau organiste de la somme de 100 lt. qu’il a reçüe du Père Alissan Procureur des Jacobins pour ses appointements de 6 mois échûs à la St Jean dernière. Signé. Rameau.

Une seconde quittance atteste que Rameau était encore à son poste le 13 décembre 1714.

P. no II. Quittance de main privée passée à Lyon le 13 décembre 1714 par le Susd. Rameau de la somme de 50 lt. qu’il a reçüe du Père Alissan Procureur des Jacobins pour un quartier de ses appointements échû à la fin du mois de septembre dernier. Signé. Rameau.

Il occupe donc toute l’année 1714 ses fonctions au couvent des Jacobins contre des émoluments de 200 livres par an et jouit d’un instrument de belle facture et en parfait état. C’est en 1709 que les pères dominicains commandent la construction d’un nouvel orgue au facteur Jacques Morlet, assisté de son fils et de deux ouvriers. Le 24 juillet 1711, un second facteur, Julien Tribuot, prend la suite des travaux qu’il achève le 9 mai 1713. Pourvu de quatre claviers et d’un pédalier, l’orgue est inauguré par Rameau qui en sera le premier titulaire. Le devis de Tribuot nous laisse une exacte description de l’instrument :

Grand orgue : 1. montre de huit pieds ouverts en résonance ; 2. bourdon de huit pieds bouchés sonnant seize ; 3. bourdon de quatre pieds bouchés sonnant huit ; 4. prestant de quatre pieds ouverts ; 5. doublette de deux pieds ouverts ; 6. fourniture de quatre tuyaux par note ; 7. cymbale à quatre tuyaux par note ; 8. grand cornet à cinq tuyaux par note, composé de bourdon, prestant, nasard, quatre et tierce ; 9. flûte de quatre pieds ; 10. nasard accordé à la quinte du prestant ; 11. tierce accordée à la tierce de la doublette ; 12. trompette de huit pieds ouverts en résonance ; 13. clairon à l’octave de la trompette ; 14. voix humaine sonnant huit pieds.

Récit : 1. cornet séparé à cinq tuyaux sur touche, composé de son bourdon, prestant, nasard, quarte et tierce de deux octaves ; 2. trompette.

Pédalier (30 notes) : 1. un jeu de flûte de huit pieds ouverts en résonance ; 2. un jeu de quatre pieds ouverts en résonance ; 3. un jeu de trompette de huit pieds ouverts en résonance.

Écho : un jeu d’écho de trois octaves composé d’un bourdon, d’un prestant, nasard et tierce.

Positif : 1. montre de quatre pieds ouverts en résonance servant de prestant ; 2. bourdon de quatre pieds bouchés résonant huit ; 3. flûte de deux pieds bouchés sonnant quatre ; 4. nasard à la quinte du prestant ; 5. doublette de deux pieds à l’octave du prestant ; 6. tierce à la tierce de la doublette ; 7. larigot à l’octave du nasard ; 8. fourniture à trois tuyaux par note ; 9. cymbale de deux tuyaux par note, répétant de quinte en quarte ; 10. cromorne sonnant huit pieds.

Les multiples activités de Rameau ne l’empêchent pas de fréquenter le tout jeune Opéra de Lyon. Installée à partir de 1711 environ dans la salle de l’Hôtel du Gouvernement, l’institution réussit à produire quelques spectacles, malgré les difficultés d’intendance des directeurs – Mey de Bretonnal de 1711 à 1714, et le tandem Michel et Desbargues de 1714 à 1716. Ainsi, sont représentés en 1711, Les Fêtes vénitiennes de Campra, en 1713, Omphale de Destouches, en 1714, Iphigénie en Tauride de Campra et en 1715, Callirhoé de Destouches. Peut-être n’est-ce qu’une coïncidence, mais l’Opéra de Lyon vit une période faste pendant la présence de Rameau, tandis qu’après le départ du musicien en 1715, il tombe dans un marasme absolu jusqu’en 1729. Dans ses Réflexions sur la manière de former la voix, Rameau évoque un souvenir confirmant son assiduité aux spectacles de l’Opéra de Lyon :

Ce qui me fit remarquer pour la première fois que l’harmonie nous était naturelle, ce fut un homme âgé de plus de 70 ans qui, dans le Parterre de l’Opéra de Lyon, se mit à chanter tout haut, et assez fort, la basse fondamentale d’un chant dont les paroles l’avoient frappé ; j’en fus d’autant plus surpris que par la rumeur que cela fit dans le spectacle, ayant cherché à savoir quel était ce particulier, j’appris que c’était un artisan d’une profession dure et grossière, que sa condition et ses occupations avoient longtemps éloigné de la Musique, et qui ne fréquentait l’Opéra que depuis que la fortune l’avait un peu favorisé.

Dans un contexte aussi favorable à la musique, pourvu d’un instrument de qualité, entouré d’intellectuels et probablement amis, reconnu comme compositeur, Rameau semble avoir trouvé un équilibre parfait. Pourtant, deux événements viennent troubler son microcosme et l’obligent à retourner à Dijon. D’abord la mort de son père le 13 décembre 1714 dans sa maison dijonnaise, rue de la Vannerie. Ensuite le mariage de son frère Claude Bernard avec Marguerite Rondelet, le 12 janvier 1715. Au vu des circonstances, il faut reconnaître à Rameau un sens des affaires et un sang-froid qui forcent l’admiration. Son père avait laissé plusieurs testaments avec des codicilles additionnels successifs bien complexes à démêler. Le jeune homme s’entoure des conseils de maître Clémencet, avocat au Parlement de Bourgogne, qui mène efficacement la succession. Dans un premier testament, en date du 26 septembre 1706, Jean Rameau avait fait de ses deux fils, Jean-Philippe et Claude Bernard, ses héritiers universels et de ses trois filles, Marguerite, Élisabeth et Marie-Claude, ses héritières particulières. Les remaniements de ses testaments touchent essentiellement aux parts d’héritage de ses fils. Ainsi, dans le testament du 2 octobre 1707, Claude Bernard perd le titre d’héritier universel. Son père lui octroie une rente de 4 000 livres touchable à son décès, et de la même somme le jour de son mariage. Néanmoins, sur le dernier remaniement significatif du 12 juillet 1712, la situation entre les deux frères est très équitable. Jean Rameau les oblige, au titre d’héritiers universels, à verser à leurs deux sœurs restées vivantes un capital de rentes pour un montant de 3 000 livres chacune. De plus, suite au décès de sa seconde fille Élisabeth, il impose que soient versées 500 livres à ses deux petites-filles issues précisément du mariage d’Élisabeth avec Étienne de Finance, au jour de leur majorité. Le 24 janvier 1715, les deux frères concrétisent le partage des biens de leur père. De son côté, le 4 février, Jean-Philippe cède à Lazare Alexandre Lessore et à son épouse un ensemble de vingt-sept rentes provenant de l’héritage de son père, représentant un capital de 4 537 livres en l’échange d’une pension viagère de 290 livres par an. Enfin, le 19 février, sous seing privé, Claude Bernard abandonne à son frère le domaine de Pichanges dont il avait hérité, contre une certaine somme dont on ignore le montant.

Fin février ou début mars, Rameau est de retour à Lyon, mais curieusement ne reprend pas ses fonctions au couvent des Jacobins puisqu’un certain Fioco lui succède. On peut supposer que Rameau a déjà projeté de quitter son poste lyonnais qui ne lui rapporte qu’un misérable revenu d’une moyenne de 16 livres par mois. Il a en effet tout intérêt à se consacrer entièrement à la composition d’une nouvelle commande que lui a faite la ville de Lyon, en vue de l’intronisation du nouvel archevêque, Monseigneur de Villeroy dont le concert a lieu le 17 mars 1715. Si la somme proposée à Rameau est identique à celle qu’il avait reçue en 1713 pour la célébration de la fin de la guerre de succession d’Espagne, à savoir 250 livres, on comprend aisément son choix. Après le concert, Rameau s’occupe probablement de trouver un acquéreur pour le domaine de Pichanges. L’acte sous seing privé passé avec son frère le 19 février ne suffit pas et, le 24 mars, Claude Bernard vient de Dijon pour qu’avec Jean-Philippe soit préparé un acte notarial en vue de faciliter « les moyens de vendre et d’aliéner le domaine de Pichanges ». Cet acte officiel atteste que Rameau n’a plus de poste fixe puisque la minute notariale le désigne comme « musicien demeurant à Lyon ».

Clermont-Ferrand (1715-1722)

Une semaine plus tard, Rameau est en poste à Clermont-Ferrand. À l’évidence, il y est attendu. Dix ans plus tôt, après son départ en 1706, Charles Guyard l’avait remplacé, mais son bail avait été interrompu par son décès le 16 juillet 1709. Antoine Troubady Desroches, ancien organiste de la cathédrale de Rodez, lui avait succédé le 1er juillet 1710 pour un bail de six ans qui aurait donc dû s’achever en 1716. Pourtant, au moins depuis janvier 1714, les chanoines de la cathédrale de Clermont tentent de remplacer Troubady, peut-être malade ou décédé. C’est ce que confirme une lettre retrouvée par Érik Kocevar en date du 29 janvier 1714 qu’un certain Vialles, de passage à Paris, adresse à l’abbé Meriand, chanoine et syndic du chapitre de la cathédrale de Clermont. Vialles fait clairement suite à la demande des chanoines de leur trouver un nouvel organiste :

J’ay eu l’honneur Monsieur, de vous écrire au sujet d’un organiste que vous m’avez demandé, qu’on souhaitoit sçavoir si l’on seroit defrayé du voyage en tout ou en partie. J’ay actuellem[en]t deux sujez en main dont on me dit beaucoup de bien, qui tous deux sont de Paris, et ont servi dans des eglises celebres en province. J’attendois votre réponse pour finir avec l’un d’eux et vous l’envoyer.

On doute que Vialles parle de Rameau, néanmoins, c’est bien lui que le chapitre de la cathédrale recrute par acte capitulaire du 18 avril 1715. Rameau ne signe son contrat d’engagement devant notaire que le 25 avril pour une durée de vingt-neuf ans, à compter du 1er avril 1715 :

Pardevant les notaires royaux à Clermont soussignez, furent présent vénérables personnes Messires Claude Bonnefont et Joseph Meirand prestres et chanoines de l’église cathédrale de cette ville de Clermont, ledit Sieur Bonnefont grand trézorier, et ledit Sieur Meirand grand baisle l’année présente du Chapitre de ladite église, commissaires à l’effet des présentes en vertu d’acte capitulaire dudit chapitre du 18 avril dune part,

et Maitre Jean Rameau Layné, maistre organiste de la ville de Dijon d’autre part, lesquelles partyes ont volontairement convenu et demeuré d’accord de ce qui suit :

scavoir que ledit Sieur Rameau promet et s’oblige par ces présentes de servir par luy-même lesdits Sieurs de ladite église cathédralle en qualité d’organiste pendant le temps de vingt-neuf années prochaines et consécutives qui ont pris leur commencement depuis le premier jour du présent mois d’avril, pendant lequel temps ledit Sieur Rameau promet de jouer et toucher par luy-même dud[it] orgue aux offices festes et solemnitez ordinaires et extraordinaires qu’on a coutume de jouer et toucher dans ladite église ; aussy promet et s’oblige d’enseigner [et d’] instruire scavament un enfans [de chœur] ou une autre personne tous les [jours ?] qui luy sera indiquée par lesdits Sieurs du Chapitre ; plus sera tenu d’accorder et tenir bien d’accord tous les jeux d’anches dudit orgue.

Le présent bail ainsy fait et accordé moyenant la somme de cinquante livres pour chacun mois, tant pour le service que le Sieur Rameau rendra luy-même pour jouer et toucher dudit orgue, que pour enseigner ledit enfans de chœur et tenir l’orgue en estat comme dit est, laquelle somme de cinquante livres luy sera payée par Monsieur le Grand Trézorier du Chapitre en fin de chaque mois, dont le premier payement luy sera fait le premier jour du mois de may prochain, et ainsy sera continuée pendant le temps du présent bail, et outre ce, ledit Sieur Rameau aura double distribution aux petits et grands saluts, fondations de Madame Perier, de Monsieur de Fontenilles, et aux messes de Nostre Dame, et encore aura une portion comme l’un de Messieurs les chanoines dudit Chapitre aux rolles [qui se feront à chacune des fêtes de Noël et de la Saint Jean-Baptiste] […].

Jusqu’à présent, la date exacte de l’engagement de Rameau n’était que supposée (1715 ou 1716), car le bail cité est incomplet et non daté. Grâce au registre du contrôle des actes des notaires, Érik Kocevar a pu certifier la date de 1715. Ainsi, Rameau succède à Troubady neuf mois avant la fin du bail de celui-ci. De la part de Rameau, plutôt itinérant que sédentaire, un engagement de vingt-neuf ans a de quoi surprendre d’autant que la durée la plus commune pour les baux était de neuf ans. Mais le musicien a négocié des conditions bien plus avantageuses qu’à Lyon. Ses émoluments passent à 600 livres et sont payables à la fin de chaque mois à raison de 50 livres au lieu de 25 livres dans son premier contrat. En revanche, ses charges restent identiques puisqu’il doit toucher l’orgue, tenir son accord et enseigner à un enfant de chœur. Ces nouveaux appointements, grossis des 290 livres des rentes qu’il a converties de l’héritage de son père, lui assurent dorénavant des revenus plus acceptables. Rameau est-il sincère en signant un engagement de vingt-neuf ans ? Est-il à ce point déçu de Paris pour décider de ne pas tenter d’y retourner, de se lier aussi longtemps à une ville de province, toujours sans Académie, contrairement à Lyon, ou plus anciennement Amiens, Troyes, Rouen, Orléans ou Strasbourg ? À l’exception de ses feux de joie très populaires, Clermont-Ferrand présente aussi peu d’attraits culturels qu’en 1702. Et pourtant, Rameau y restera presque huit ans. Sans doute a-t-il besoin d’une meilleure situation financière et d’une stabilité pour concrétiser plusieurs projets qu’il a en tête, notamment son Traité de l’harmonie commencé au cours de son séjour lyonnais.

Il n’est guère possible de retracer la chronologie de notre maître organiste pendant ces années clermontoises. Quelques pièces d’archives, mises au jour par Érik Kocevar, nous permettent de savoir qu’il s’est rendu à Dijon plusieurs fois pour régler notamment la succession de son père. Ainsi, le 16 mai 1715, Jean-Philippe et Claude Bernard décident finalement de se partager à parts égales les terres du domaine de Pichanges, annulant ainsi les actes précédents établis à ce sujet. De plus, Jean-Philippe vend la maison de la rue de la Vannerie aux époux Lessore pour une somme de 6 000 livres qu’il préfère transformer en rente viagère annelle de 375 livres jusqu’à paiement complet. Il prend soin de veiller à ce que ses sœurs, Marguerite et Marie-Claude, puissent continuer à occuper une partie de la maison, conformément aux souhaits de son père. Jean-Philippe se défausse également sur les époux Lessore des obligations qu’il avait relativement à ses nièces, Marguerite et Marie de Finance, filles de sa sœur Élisabeth décédée le 17 avril 1712. Conformément au testament du 12 juillet 1712 de son père, il avait l’obligation de leur verser 500 livres à leur majorité. Il se dégage encore d’autres frais liés à la succession, notamment de la moitié des sommes dues au notaire Jean Boisset et à l’apothicaire Devanderesse qui avait fourni toutes sortes de médications à son père. Dans la foulée, et toujours avec les époux Lessore, Rameau vend ce qui lui appartient du domaine de Pichanges pour la somme de 1000 livres dont le prix de départ avait été fixé à 1400 livres. À l’évidence, Rameau veut se dégager de ses obligations tout en les honorant, comme s’il voulait tirer un trait sur sa vie dijonnaise. Toutes ses démarches sentent la précipitation et la détermination de gagner une liberté à la fois familiale et financière, tout autant que celle de rejoindre Clermont-Ferrand au plus vite.

Dans cette ville aux couleurs sombres, qui apparaît décidément comme un refuge, Rameau se dépense sans compter. Outre sa présence aux offices ordinaires et extraordinaires, il enseigne dans le cadre de ses fonctions d’organiste, s’investit dans la vie culturelle de la ville et aide le chapitre cathédral à recruter les meilleurs musiciens. C’est ce que déclare à Maret M. de Feligonde, secrétaire perpétuel de la Société des sciences, belles-lettres et arts de Clermont, créée en 1747 et devenue Académie en 1780 :

Il n’a cessé de rendre service aux musiciens qui ont réclamé sa protection, et il a servi avec empressement le Chapitre de notre cathédrale pour le choix des sujets dont il avait besoin.

Mais Rameau ne s’en tient pas là. Il travaille avec acharnement dans deux domaines qui vont devenir bientôt prioritaires dans sa vie : la théorie, avec la concrétisation de l’œuvre fondatrice de sa pensée harmonique, et l’opéra, par le biais de ses cantates, sorte de petits opéras miniatures. À la fin de 1719, Rameau a terminé la rédaction de son Traité de l’harmonie. Un avertissement de Ballard le confirme dans la table du Recueil d’airs sérieux et à boire, de différents auteurs publié en décembre 1719. L’éditeur parisien y indique qu’il a commencé l’impression du Traité de Rameau qui devrait paraître d’ici six mois, soit vers juin 1720, et laisse entendre qu’il en serait le commanditaire :

Depuis vingt-cinq ans que j’ai commencé ce recueil, et tous ceux qui ont paru dans cet intervalle de temps, j’ai recherché avec soin les moyens de donner au public un Traité de l’harmonie réduite à ses principes naturels, avec des règles de composition et d’accompagnement ; c’est un ouvrage de méditation et de recherches exactes, dont Monsieur Rameau s’est bien voulu charger ; j’espère que le public lui en saura gré. J’en ai commencé l’impression, qui pourra être faite dans six mois ; sans différer la perfection de l’œuvre de Monsieur de Lully, qu’on ne discontinue point.

Il y a tout lieu de croire que Ballard a réellement commencé à imprimer le texte de Rameau dès la fin de l’année 1719, mais que l’impression en fut retardée peut-être à cause de la complexité de l’ouvrage, truffé d’exemples musicaux. Quoi qu’il en soit, l’écriture du Traité de l’harmonie était terminée en décembre 1719 puisque Ballard évoque les « règles de composition et d’accompagnement », objet des deux derniers livres du Traité. Grâce à cette information, on peut aussi dater les œuvres musicales qui figurent dans le Traité, notamment le motet Laboravi et les trois canons Réveillez-vous dormeur sans fin, Ah ! loin de rire et Avec du vin, endormons-nous. Ce dernier, qui termine le troisième livre du Traité, avait déjà été imprimé par Ballard dans sa livraison de novembre 1719 du Recueil d’airs sérieux et à boire. C’est probablement au cours de ces années particulièrement orientées sur l’harmonie, le contrepoint, les modulations et le cycle des quintes, que Rameau s’informe des expériences sur les canons et entreprend l’écriture du Traité de la composition des canons en musique avec beaucoup d’exemples dont parle Decroix, sorte de pendant logique au Traité de l’harmonie. La bibliothèque du collège des Jésuites de Clermont et celle de la cathédrale lui donnent l’accès aux ouvrages théoriques qu’il étudie sans relâche tels le Compendium musicae de Descartes, l’Harmonie universelle de Mersenne et surtout les Istitutioni harmoniche de Zarlino publiées régulièrement à Venise depuis 1653, qui auraient même pu avoir été acheminées vers Dijon par l’ami de son père, C. Malteste. La préface de son Traité nous laisse comprendre que Rameau est frustré de ne pas avoir pu se rendre à Paris pour suivre l’impression de son ouvrage au plus près et que déjà à cette époque, il devait avoir le dessein de quitter Clermont :

Comme il ne m’a pas été possible, pour satisfaire mon emploi, de voir imprimer cet ouvrage […] j’ai trouvé que je devais y faire quelques changements et quelques corrections nécessaires, qu’on trouvera à la fin dans un Supplément.

Parallèlement à cette activité purement intellectuelle, il se prépare à l’opéra à travers un genre alors très en vogue, la cantate. Selon Rameau lui-même, avant d’entreprendre l’écriture d’une œuvre lyrique, il faut en

avoir fait de petits, des cantates, des divertissements, et mille bagatelles de cette sorte qui nourrissent l’esprit, échauffent la verve, et rendent insensiblement capables des plus grandes choses.

De fait, Maret nous donne l’indication précieuse que Rameau, avant de quitter Clermont-Ferrand, avait écrit trois cantates dont seule L’Impatience a survécu :

Avant de quitter Clermont, [Rameau] s’était déjà essayé dans le genre lyrique par trois cantates à voix seule [Médée, L’Absence et L’Impatience, p. 62, n. 32] qui eurent le plus grand succès en province. Quelques motets à grand chœur, les cantates de Thétis et L’Enlèvement d’Orithie furent bientôt après pour les connaisseurs un présage assuré de sa grande réputation.

N’ayant pas eu connaissance du premier séjour de Rameau à Clermont-Ferrand, Maret évoque forcément le second, ce qui donne comme date de composition pour ces cantates une période entre 1715 et 1722. Mais Rameau lui-même, dans sa lettre du 27 octobre 1727 adressée à Houdar de La Motte, fait référence à deux des œuvres citées par Maret, qu’il dit avoir écrites une douzaine d’années plus tôt, ce qui fait remonter leur date supposée de composition à 1715 :

Informez-vous de l’idée qu’on a de deux cantates qu’on m’a prises depuis une douzaine d’années, et dont les manuscrits se sont tellement répandus au France que je n’ai pas cru devoir les faire graver, à moins que ne j’y joignisse quelques autres, ce que je ne puis pas, faute de paroles. L’une a pour titre L’Enlèvement d’Orithie […] ; l’autre a pour titre Thétis […].

Ces informations sont confirmées par les sources qui nous donnent une chronologie pour les cantates. Deux copies manuscrites en parties séparées de Thétis (F Pn Vm7. 3613) et de L’Enlèvement d’Oritihie (F Pn Vm7. 3611) portent respectivement les dates de juillet 1718 et de 1719 et deux copies manuscrites en partition des Amants trahis (F Pn Vm7. 3610 bis) et d’Orphée (F Pn Vm7. 3612) portent quant à elles la date de 1721. Même si ces dates peuvent faire référence plutôt à la date de copie qu’à la date réelle de composition, elles permettent d’en fixer un terminus ad quem qui correspond au séjour de Clermont-Ferrand.

Pourtant, malgré la qualité de la maîtrise de Clermont-Ferrand, l’absence de théâtre et d’Académie de concerts devient de plus en plus insupportable aux exigences du musicien. À presque quarante ans, il se sent prêt à s’engager dans l’opéra. Encore lui faut-il des textes. C’est « faute de paroles » qu’il n’a pas composé davantage de cantates, écrit-il à Houdar de La Motte en 1727. À tort ou à raison, il se persuade que c’est à Paris qu’il pourra fréquenter la société intellectuelle et artistique susceptible de lui offrir un livret d’opéra. Il demande alors aux chanoines de résilier le bail qui le lie à la paroisse jusqu’en 1744. Mais sa réputation d’organiste et de musicien est telle que les chanoines ne veulent pas le laisser partir. C’est sans compter avec la détermination de Rameau. La résistance du chapitre cathédral, écrit Maret, « força Rameau à recourir à un moyen extraordinaire », certes blâmable, mais « qui produisit tout l’effet qu’il en espérait » :

Le samedi dans l’octave de la Fête-Dieu, au salut du matin, étant monté à l’orgue, Rameau mit simplement la main sur le clavier au premier et au deuxième couplet ; ensuite il se retira et ferma les portes avec fracas ; on crut que le souffleur manquait et cela ne fit aucune impression. Mais au salut du soir, il ne fut pas possible de prendre le change ; et l’on vit qu’il avait résolu de témoigner son mécontentement par celui qu’il allait donner aux autres.

Il tira tous les jeux d’orgue les plus désagréables, et il y joignit toutes les dissonances possibles. En vain lui donna-t-on le signal ordinaire pour l’obliger à cesser de toucher ; on se vit forcé de lui envoyer un enfant de chœur ; dès qu’il parut Rameau quitta le clavier et sortit de l’église. Il avait mis tant d’art dans le mélange des jeux et dans l’assemblage des dissonances les plus tranchantes, que les connaisseurs avouaient que Rameau seul était capable de jouer aussi désagréablement.

Le Chapitre lui fait faire des reproches ; mais sa réponse fut qu’il n’en jouerait jamais autrement, si l’on persistait à lui refuser sa liberté. On sentit qu’on ne le déterminerait pas à abandonner le parti qu’il avait pris. On se rendit ; le bail fut résolu ; et les jours suivants, il témoigna sa satisfaction, et sa reconnaissance en donnant sur l’orgue des pièces admirables. Il se surpassa le jeudi de l’Octave après la rentrée de la procession ; c’était le jour où il jouait pour la dernière fois. Il mit dans son jeu tant de douceurs, de délicatesse et de force, de brillant et d’harmonie, qu’il fit passer dans l’âme des assistants tous les sentiments qu’il voulut leur inspirer, et qui rendirent plus vifs les regrets et la perte qu’on allait faire.

Plusieurs musicologues, dont Michel Brenet et Lionel de La Laurencie, ont avancé que Maret avait fait une confusion avec un épisode similaire dû à Claude Bernard sur l’orgue de Notre-Dame de Dijon en janvier 1737. Pourtant, l’informateur clermontois de Maret, M. de Feligonde, rapporte l’événement comme une histoire fort connue et même appréciée en Auvergne. Né en 1729, il n’avait évidemment collecté des informations au sujet de Rameau que par ouï-dire et on doute qu’à Clermont-Ferrand, on ait eu connaissance des extravagances de Claude Bernard à Dijon. De plus, il est difficile d’imaginer que Maret, qui ne se préoccupait que de l’éloge de Jean-Philippe, ait pu se tromper sur un fait aussi révélateur et important de la personnalité de son protagoniste. Comme Cuthbert Girdlestone, nous penchons à croire que les deux événements eurent lieu en des temps et lieux différents. Pour se venger d’une mauvaise rémunération que lui avaient octroyée les marchands de la confrérie de Saint-Maur en 1736, l’année suivante, Claude Bernard aurait imité son frère en restant d’abord silencieux pendant l’office puis en tirant de l’instrument les pires dissonances. Les deux frères étaient suffisamment proches et en contact pour imaginer que Claude Bernard, espiègle, joueur et cabotin, ait pensé à reproduire un tel scénario qu’à n’en pas douter, il avait apprécié. Indépendamment de l’éclairage que nous livre donc cette histoire sur le caractère de Jean-Philippe, ce récit indique clairement la période à laquelle le musicien quitte Clermont, sans toutefois préciser l’année. Fort heureusement, deux informations attestent qu’il était encore en fonction à Clermont-Ferrand jusqu’en 1722 et étayent la thèse d’un départ en cours d’année. La première tient à la page de titre du Traité de l’harmonie sur laquelle Rameau se présente comme étant « Organiste de la cathédrale de Clermont en Auvergne ». La seconde tient en deux pièces comptables relevées par Christiane Marandet : une quittance de 2 livres signée par Rameau, en date du 23 mai 1721, pour avoir participé à trois processions des Rogations de l’année précédente et une autre de même nature en mai 1722. Dans ces documents, Rameau figure aux côtés de toute la communauté ecclésiastique, notamment le très brillant évêque de Clermont-Ferrand, Jean-Baptiste Massillon – prédicateur réputé dont d’Alembert entreprend d’éditer les œuvres complètes en 1745 –, l’abbé Jean-Baptiste de Champflour et d’autres membres du chapitre cathédral. Parmi les noms devenus familiers, on reconnaît celui de Marchand, hélas noté sans prénom. Ce patronyme, fort courant au demeurant, apparaît comme celui d’un organiste ayant joué pour les enterrements de « Monsieur Jullien », de « Monsieur Arlet, chanoine semiprébendé » et de « Deffarges, chanoine de l’église cathédrale de Clermont », respectivement les 22, 25 et 27 août 1721. Il est peu probable qu’il s’agisse de Jean Marchand qui, bien qu’organiste à la cathédrale de Clermont dès 1676, avait signé le 1er janvier 1684 un engagement pour une durée de cinq ans à l’abbaye Saint-Martin à Nevers. Quant à son fils Louis, après ses voyages en Europe et notamment en Saxe, même si l’on sait qu’il était revenu en France pour y conduire entre 1718 et 1725 une carrière d’enseignant et d’organiste après les scandales causés par sa vie dissipée et ses graves difficultés avec son épouse, il semble impossible que ce soit lui qui ait été engagé à Clermont-Ferrand. En l’absence d’étude sur le sujet, on doit s’en tenir à cette troublante circonstance historique. Quoi qu’il en soit, ce Marchand sans prénom pourrait bien être l’organiste ayant succédé à Rameau dans la cité auvergnate.

L’ensemble de ces éléments nous permet d’affirmer que Rameau était encore en exercice à Clermont-Ferrand en mai 1722. Plus précisément, à partir du récit de Maret, on peut supposer que le musicien quitte ses fonctions après la Fête-Dieu du jeudi 4 juin 1722. À l’issue de son charivari du samedi 6 juin s’ouvrent des négociations pénibles avec le chapitre cathédral qui conduisent à la résiliation de son bail. Rameau aurait ainsi joué pour la dernière fois le jeudi suivant, soit le 11 juin 1722. Un autre élément conforte cette hypothèse. En effet, le 3 février 1723, le Théâtre de marionnettes de Dolet et La Place donne à la foire Saint-Germain un opéra-comique de Piron, L’Endriague, agrémenté de danses, de divertissements et de grands airs de musique de Rameau. Il est impensable d’imaginer que le musicien n’ait pas été à Paris pour suivre un tel projet, aussi modeste soit-il en regard de sa future carrière lyrique. À lire Laujon, ancien membre de la Société du Caveau, comme Piron, Fuzelier, La Bruère, Bernard et Rameau lui-même, on devrait même croire que Piron aurait persuadé le musicien de venir s’installer à Paris pour approcher le spectacle :

Ce fut dans cette société [du Caveau] que ce musicien célèbre [Rameau], que Piron avait décidé à quitter la province pour se fixer à Paris, trouva les auteurs qui, les premiers, produisirent avec éclat son talent sur le théâtre lyrique […].

Force est donc d’octroyer aux allégations de Laujon quelque crédit. Rappelons que Piron et Rameau, tous deux natifs de Dijon et élèves au collège jésuite des Gondrans bien qu’à une époque différente puisque le premier était de six ans le cadet du second, tous deux passionnés de théâtre et de musique, auraient eu maintes occasions de se rencontrer et de s’apprécier. Piron avait probablement entendu le musicien toucher l’orgue de Notre-Dame alors qu’il en était titulaire entre 1709 à 1712 d’autant qu’entre l’âge de 20 et 25 ans, donc précisément entre 1709 et 1713, l’écrivain vivait encore dans sa ville natale. Il y devint pour quelque temps secrétaire du banquier Pierre Durey d’Harnoncourt, receveur des finances à Dijon. Il entretint un amour passionné et sans espoir envers sa cousine à laquelle il écrivait régulièrement des vers désespérés et d’une grande tendresse qui contrastent abruptement avec ceux de l’Ode à Priape, poème pornographique quoique en latin, qui fit son succès et sa damnation. Il est donc permis de penser que Piron, fort d’une notoriété inattendue en février 1722 à la suite de son Arlequin Deucalion, ait pensé à Rameau pour lui écrire des morceaux de musique et l’ait décidé « à quitter la province pour se fixer à Paris ».

Avec ce séjour clermontois, Rameau tourne définitivement la page de sa vie en province. Dorénavant, sa carrière d’organiste ne sera plus un frein à ses autres ambitions. Tout laisse à penser qu’il tente de surmonter un défi de taille : vivre en étant musicien et non plus vivre en étant organiste. Les dix années auxquelles il se prépare ont été probablement les plus difficiles de son existence. Sans poste officiel, sans charge régulière, Rameau affiche le désir farouche d’une vie sans contrainte en même temps qu’un mépris des conventions sociales et des habitudes avec un aplomb qui frôle l’arrogance et l’anticonformisme, et avec la conviction d’un jeune homme pour qui tout est possible, alors qu’il a déjà quarante ans. Mais Rameau est tellement déterminé à devenir compositeur d’opéra qu’il est prêt à faire table rase de tous ses acquis sociaux, pour recommencer presque à zéro une nouvelle vie, pour balayer d’un trait de plume son amour-propre, pour affronter les risques d’une vie misérable, pour refouler enfin toute vanité à un âge où elle prend si facilement ancrage dans les profondeurs de notre personnalité.