12 novembre 2009. Palais omnisports de Bercy. La balle jaune effleure le filet, hésite quelques dixièmes de seconde et retombe du mauvais côté. Jeu, set et match. Fin de partie, fin de carrière. Une raquette tournoie dans les airs, le grondement du public enfle, je cherche des yeux ma fille Djénaé. Elle est debout dans les tribunes, partageant avec son papa l'intensité de ce moment. Je ne retiens pas mes larmes. Derniers moments de mon dernier tournoi ? Aujourd'hui, alors que j'écris ce livre, et qu'il me reste encore trois mois avant de ranger mon sac, je les imagine ainsi. À l'image de ma fille se superpose celle d'un petit garçon de six ans et demi qui inaugure sa première raquette. C'était à Toulon en mai 1979 et je frappe la balle de toutes mes forces contre un mur. Accrocheur déjà, tenace et concentré. À chaque coup je cherche à réduire la zone d'impact. Quand le soir tombe, j'attends déjà avec impatience le mercredi suivant pour recommencer, encore et encore.
Ce petit bonhomme ne sait pas qu'un jour le tennis sera son métier, mais il vient de faire une découverte, le plaisir de jouer. Une sensation qui ne le quittera jamais. Vingt ans de plaisir qui m'ont fait supporter les heures d'entraînement, les séparations avec les amis, la famille, les tours du monde en avion, la vie en pointillé, vingt ans de plaisir qui expliquent aussi ma longévité sur le circuit. Si je n'avais pas été heureux à chaque match, j'aurais arrêté bien avant, comme beaucoup de mes camarades de jeu.
J'ai tout donné au tennis, mais j'ai beaucoup reçu. J'ai fait mienne cette phrase souvent entendue à New York, une phrase de la rue : If you want to go high, you have to pay the price, man (« Eh mec, si tu veux monter tout en haut, tu dois en payer le prix »).
Je n'étais pas le plus grand ni le plus musclé, mais j'étais peut-être le plus opiniâtre, cherchant match après match comment déstabiliser des adversaires beaucoup plus forts physiquement.
Quand ma décision a été prise de jouer ma dernière balle à Bercy, après une année d'adieux comme la dernière tournée d'un artiste, où les cérémonies d'hommage se sont succédé notamment sur les terrains de Melbourne et de Roland-Garros, j'ai décidé d'écrire ce livre.
À cause de mon jeu particulier et grâce à ma longévité, j'ai conscience d'avoir, d'une certaine façon, marqué mon sport. Alors j'ai eu le désir d'apporter aux enfants des écoles de tennis des réponses aux questions que je me posais à leur âge : chacun peut-il devenir champion ? Quelles sont les qualités pour réussir ? Pourquoi, à talent égal, l'un y parvient et l'autre pas ? La première réponse est simple : celui qui y parvient l'a plus désiré que l'autre. Beaucoup plus.
À trente-six ans, j'ai l'âge de partager mon expérience, et l'envie de montrer ce qu'on ne voit pas des gradins ni de l'autre côté de l'écran de télévision : la vie d'un homme avec ses joies et ses drames, ses amours et ses déceptions, la vie d'un sportif avec ses doutes et ses espoirs, ses erreurs et ses victoires. Ouvrir la porte des coulisses des tournois pour en montrer les grandeurs et les petitesses, évoquer mes plus belles rencontres et certaines autres décevantes.
Je veux offrir à mon tour à tous les inconnus qui m'ont suivi sur les tribunes du monde un peu de ce qu'ils m'ont donné. Vous remercier, vous tous dont je captais brièvement les regards et dont j'entendais les encouragements entre les échanges, pour l'énergie que vous m'avez donnée. Pour gagner j'avais décidé à tort ou à raison de me protéger des autres, du monde extérieur, aujourd'hui je me rapproche de vous et par ce livre je vous salue.
Je veux surtout te raconter, Djénaé, comment vivait ton papa lors de ces absences qui te pesaient, te faire connaître mon métier et comprendre le plaisir que je ressentais pour que tu saches qu'avoir une passion est une chance dans la vie. Je te souhaite d'en connaître une à ton tour dans un domaine où tu pourras t'épanouir. Ne renonce jamais et, surtout, ne redoute pas l'échec. Ose et crée, sans avoir peur. Dans l'échec, tu verras, on gagne plus qu'on ne perd. S'être trompé est le seul point commun entre tous les gens qui ont réussi.
1.
SOUVENIRS
La première raquette que j'ai soulevée était une raquette d'adulte. Je l'ai prise à deux mains. Mon père entraînait des petits gamins en dehors de son travail, par plaisir, par goût du jeu et de la transmission. Il n'a jamais été un joueur pro, mais un super éducateur de tennis pour enfants. Malgré cela, j'avais choisi le football, attiré par le désir de marquer des buts. Après trois mercredis, lassé par des entraînements que je considérais trop techniques, je quitte le stade en pleurant pour rejoindre mon papa à quelques centaines de mètres de là. J'attends qu'il termine sa séance, sur deux courts au bord de l'autoroute qui relie La Seyne-sur-Mer à Toulon. Au milieu d'une dizaine de raquettes étalées par terre, mon choix s'arrête sur la plus grande et la plus lourde. Je n'hésite pas, je la soulève avec mes deux mains, et je lance une balle contre un mur. J'ai tout juste six ans et demi. Ce jour-là, si un entraîneur m'avait conseillé une raquette adaptée à mon âge, je ne serais certainement pas devenu ce joueur atypique. Depuis, j'ai toujours eu des raquettes à ma taille et d'un poids correspondant à mon gabarit… mais j'ai continué à les tenir à deux mains. Il y a des premiers gestes inconscients d'enfant que vous conservez toute votre vie et qui deviennent votre marque.