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© Librairie Arthème Fayard, 2011.
© Giraudon/The Bridgeman Art Library
ISBN : 978-2-213-66502-3
L’AMI DU PRINCE
DU MÊME AUTEUR

L’Enfance au château. L’éducation familiale des élites françaises au xixe siècle, Rivages Payot, 1990.

Aristocrates et grands bourgeois. Éducation, traditions, valeurs, Plon, 1994, rééd. Pluriel 1996, rééd. Perrin 1997, rééd. Tempus 2007.

Baptême de Clovis, baptême de la France. De la religion d’État à la laïcité d’État, Balland, 1996 (avec Pierre Chaunu).

Danse avec l’histoire, De Fallois, 1998 (avec Pierre Chaunu).

La Vie des châteaux. Mise en valeur et exploitation des châteaux privés dans la France contemporaine. Stratégies d’adaptation et de reconversion, Perrin, 1999.

Constance de Castelbajac, marquise de Breteuil, Journal (1885-1886), édition établie et commentée, Perrin, 2003.

Le Donjon et le Clocher. Nobles et curés de campagne de 1850 à nos jours, Perrin, 2003.

Châteaux de famille. Une élégance française, Le Chêne, 2007.

Boni de Castellane, Perrin, 2008.

Collaboration

École normale supérieure. Le livre du bicentenaire, sous la dir. de Jean-François Sirinelli, PUF, 1994.

Les Archives au fil du temps, sous la dir. de Jean-Pierre Babelon et François Terré, Perrin, 2002.

Élites et sociabilité en France, sous la dir. de Jean-Pierre Chaline, Perrin, 2003.

La Présence des Bourbons en Europe xvie-xxie siècle, sous la dir. de Lucien Bély, PUF, 2003.

Chasse à courre, chasse de cour. Fastes de la vénerie princière à Chantilly au temps des Condés et des Orléans (1659-1910), sous la dir. de Nicole Garnier et Guy de Laporte, La Renaissance du Livre, 2004.

Primatice à Chaalis, sous la dir. de Jean-Pierre Babelon, Institut de France / Nicolas Chaudun, 2006.

Mécénat des dynasties industrielles et commerciales, sous la dir. de Jean-Pierre Babelon, Jean-Pierre Chaline et Jacques Marseille, Perrin, 2008.

Journal inédit d’Alfred de Gramont (1892-1915)
Ouvrage publié avec le concours du Centre national du livre
Ouvrage publié avec le concours de la Fondation Simone et Cino del Duca
Ouvrage édité sous la direction d’Anthony Rowley
dépôt légal : février 2011
Couverture Atelier Didier Thimonier
Le Buffet, 1884, de Jean-Louis Forain (détail)

Présentation

Le comte Alfred de Gramont, né à Turin le 24 septembre 1856 et mort à Paris le 11 mai 1915, serait tombé dans l’oubli – ses deux enfants sont morts sans descendance – s’il n’avait écrit ce journal.

Sa lignée est auréolée d’une longue histoire et d’un destin national. Les Gramont sont originaires du royaume de Navarre où, au Moyen Âge, ils possèdent des terres des deux côtés des Pyrénées. Après l’accession de Henri IV au trône de France, ils exercent la fonction de gouverneurs du Béarn et de Navarre. Antoine II de Gramont devient duc en 1643. Son fils, Antoine III, duc et pair en 1648, marié à une nièce de Richelieu, Françoise-Marguerite du Plessis-Chivré, est le premier des trois maréchaux de la famille. Pendant les troubles de la Fronde, il se voit confier la garde du jeune Louis XIV au château de Saint-Germain-en-Laye et, en 1659, il va à Madrid demander pour le roi la main de l’infante Marie-Thérèse, fille de Philippe IV d’Espagne. C’est lui qui inspire le personnage du « comte de Guiche » dans Cyrano de Bergerac.

Chargés d’honneurs et de gloire, les Gramont s’ancrent à la cour de France à partir du xviie siècle. En 1665, Antoine III fait édifier un hôtel donnant sur la place d’armes du château de Versailles. La famille acquiert aussi des hôtels à Paris, dont l’un, à l’emplacement de l’actuelle rue de Gramont, dans le IIe arrondissement, sert de résidence à quatre générations. Un autre hôtel, place Vendôme, est aujourd’hui un palace, le Ritz. Les Gramont ont des propriétés proches de la capitale, mais restent attachés à leurs origines navarraises. Ils séjournent régulièrement à Pau, à Bayonne, dont ils sont gouverneurs de 1472 à 1789, ainsi que dans deux grands châteaux qu’ils agrandissent et embellissent : Séméac, près de Tarbes, surnommé le « petit Versailles de la Bigorre », et Bidache, près de Bayonne, siège dès 1530 d’une petite souveraineté comparable à la principauté de Monaco, jouissant de droits particuliers jusqu’à la Révolution. Le château de Séméac n’existe plus. Les ruines de Bidache, qui fut confisqué, pillé, transformé en hôpital militaire pendant la période révolutionnaire, puis incendié en 1796, appartiennent encore à l’actuel duc de Gramont. Aujourd’hui la famille séjourne au « Pavillon de l’Écuyer », près des anciennes écuries, restauré au xixe siècle. C’est là qu’ont été retrouvés les douze volumes du journal d’Alfred de Gramont.

La Révolution n’a pas clos l’histoire familiale. Durant tout le xixe siècle, les Gramont, au premier rang de la richesse et de la notoriété, s’illustrent dans la politique, les sciences et les arts. Le père d’Alfred de Gramont, Antoine Agénor, 10e duc de Gramont, ancien élève de l’École polytechnique, est ambassadeur puis ministre de Napoléon III. Entré dans la diplomatie après le coup d’État du 2 Décembre, il est ministre plénipotentiaire en 1851 en Hesse-Cassel, en 1852 au Wurtemberg, en 1853 à Turin – Alfred naît dans l’hôtel de la légation de France –, négocie l’entrée du Piémont dans la guerre de Crimée aux côtés de la France, puis devient ambassadeur à Rome en 1857 et à Vienne en 1861. Ministre des Affaires étrangères à partir du 15 mai 1870, il est rendu en partie responsable de la guerre franco-prussienne. Arrivant d’Autriche, n’appréciant guère la Prusse, il réagit avec vivacité lorsque est rendue publique, le 2 juillet, la candidature de Léopold de Hohenzollern au trône d’Espagne. Dix jours plus tard, la cour de Berlin annonce la renonciation du prince, ce qui laisse penser qu’est écartée la perspective d’un conflit entre la France et la Prusse. Comptant sur l’Autriche et soutenu par une grande partie de l’opinion, le duc demande alors au roi Guillaume l’engagement qu’une telle candidature ne se renouvellera pas : la réponse négative, transmise par Bismarck et volontairement déformée par lui dans un sens injurieux pour la France, est la fameuse « dépêche d’Ems », prétexte de la déclaration de guerre. Le duc de Gramont quitte le ministère le 10 août, quand le gouvernement d’Émile Ollivier est renversé après les premières défaites. Il vit alors retiré et s’efforce, par des publications diverses, de contester les allégations de ceux qui lui attribuent la responsabilité de la guerre perdue. Le conflit franco-allemand a permis toutefois à la famille de se distinguer une nouvelle fois sur les champs de bataille : son frère, le général Alfred de Gramont, marié à Louise de Choiseul-Praslin, fille du duc de Praslin et de Françoise Sébastiani, déjà blessé en Crimée en 1855 et à Magenta en 1859, perd son bras gauche à Reichshoffen, le 6 août 1870.

Par ailleurs, une grande tradition d’élégance contribue aux succès mondains des Gramont. Le grand-père d’Alfred, Antoine, 9e duc de Gramont, est, au début de la Restauration, le dandy de la cour. Il lance la mode des moustaches et colliers de barbe jusqu’au jour où Louis XVIII, qui n’apprécie guère ce genre de fantaisie, exige qu’il les coupe, à la grande protestation des femmes de la cour. Passionné de cheval, il participe à la fondation du Jockey-Club en 1834. Son talent de peintre, et surtout de sculpteur, lui vaut, en 1849, d’être nommé surintendant des Beaux-Arts par Louis-Napoléon Bonaparte, avec qui il s’est lié d’amitié à Londres. En 1818, il épouse Ida d’Orsay, sœur du comte Alfred d’Orsay, artiste et créateur de parfums, surnommé par Lamartine l’« archange du dandysme ». Harcelé par les créanciers outre-Manche, Alfred d’Orsay s’installe chez sa sœur au « Manoir » de Chambourcy, près de Saint-Germain-en-Laye, où il tente de vivre de son talent de sculpteur. C’est là qu’il meurt. Un petit enclos attenant au cimetière abrite son tombeau en forme de pyramide où il repose avec sa maîtresse, lady Blessington, l’Anglaise la plus brillante du xixe siècle, la « Staël » ou la « Récamier » de Londres. La duchesse de Gramont, qui survit à son mari jusqu’en 1882, laisse le « Manoir » à sa fille Léontine, célibataire confite en dévotion. À sa mort, en 1897, Alfred, son neveu, hérite de la maison et de ses archives, où figure la correspondance du comte d’Orsay.

Le père d’Alfred, Antoine Agénor, a connu lui aussi, dans sa jeunesse, le succès dans les salons parisiens et auprès du beau sexe. De grande taille, les cheveux blonds, les yeux bleus, le front large et découvert, il joint au prestige de son nom la séduction physique. Il multiplie les aventures galantes, avec la tragédienne Rachel, la marquise de Païva et surtout Marie Duplessis, la poitrinaire si pâle et si sensible que l’odeur des roses lui est insupportable : elle est la Dame aux camélias d’Alexandre Dumas et la Violetta de La Traviata de Verdi. En 1848, il épouse Emma Mackinnon, d’une très ancienne famille de la noblesse écossaise. De cette union naissent quatre enfants. Alfred de Gramont est le dernier ; il est précédé d’une sœur, Corisande, qui épouse le comte Gaston de Brigode, et de deux frères, Agénor, 11e duc de Gramont, et Armand, duc de Lesparre.

Dans le Paris de la Belle Époque, Agénor semble cumuler toutes les excellences. Très bel homme comme son père, sorti premier de Saint-Cyr, il épouse successivement trois riches héritières : en 1874, Isabelle de Beauvau-Craon, qui meurt l’année suivante après avoir donné naissance à Élisabeth de Gramont, future duchesse de Clermont-Tonnerre ; en 1878, Marguerite de Rothschild, fille de Mayer Carl de Rothschild et sœur de la princesse de Wagram, qui meurt en 1905 après lui avoir donné trois enfants, Armand, futur 12e duc de Gramont, Corisande, marquise Hélie de Noailles, et Louis-René, comte de Gramont ; en 1907 enfin, Donna Maria Ruspoli, qui lui donne encore deux fils, Gabriel et Gratien.

Le baron Carl Mayer de Rothschild étant mort en 1886, échoit à sa fille Marguerite une fortune colossale qui permet l’acquisition d’un vaste hôtel, à l’angle de la rue Quentin-Bauchart1 et de l’avenue des Champs-Élysées. La duchesse tient de sa famille un goût très sûr et suit attentivement, avec son mari, les grandes ventes ; elle achète en abondance meubles, tableaux, tapisseries, livres et porcelaines de grand prix. Leur salon devient un haut lieu de la vie mondaine de la Belle Époque, véritable « usine à réceptions », selon Élisabeth de Gramont, et certains bals grandioses qui s’y déroulèrent ont marqué les mémoires des contemporains.

En quête d’un château, mais renonçant à reconstruire Bidache, le duc de Gramont arrête son choix sur le domaine de Mortefontaine, dans l’Oise, non loin de Senlis. Au xviiie siècle, la terre a appartenu à une famille de parlementaires, les Le Peletier, qui, comme le marquis de Girardin, leur voisin à Ermenonville, partageaient les goûts de Jean-Jacques Rousseau pour le retour à la nature. Ils ont entrepris un gigantesque travail d’art paysagiste et créé un parc « à l’anglaise » qui, à la veille de la Révolution, attirait des visiteurs de marque. En 1892, le duc de Gramont acquiert ce vaste domaine : 1 600 hectares de bois, de prés, de landes et quatre lacs parsemés d’îles. Il lui donne le nom d’un de ces lacs, Vallière, immortalisé par Corot dans Souvenir de Mortefontaine. Depuis le xviiie siècle, en effet, ce parc romantique a ému plus d’un artiste : l’Islette, un autre des étangs, a servi de cadre à Watteau pour l’Embarquement pour Cythère et Gérard de Nerval, le chantre du Valois, évoque le domaine dans Sylvie et Aurélia. De 1892 à 1894, un immense château2 est édifié, dont l’architecture emprunte à Azay-le-Rideau, Chambord et Blois.

À quarante kilomètres de Paris, le domaine possède les charmes de la nature sans les inconvénients de la pleine campagne. Les vastes salons et les trente chambres reçoivent tout ce que le Paris de la Belle Époque compte de plus raffiné, de plus agréable et de plus à la mode. Les grands noms de France et la haute aristocratie internationale, notamment les grands-ducs russes, y viennent régulièrement pour des chasses aux canards ou à courre.

De son premier mariage avec Isabelle de Beauvau-Craon, Agénor de Gramont a eu une fille, Élisabeth, qui, en 1896, épouse Philibert, duc de Clermont-Tonnerre. Dans l’entre-deux-guerres, elle défraie la chronique, par son anticonformisme, son divorce en 1920 et ses amours saphiques. Elle a laissé une œuvre littéraire : une première traduction des poésies de John Keats, des essais sur Barbey d’Aurevilly, Robert de Montesquiou, Marcel Proust, le comte d’Orsay et lady Blessington, un ouvrage sur la famille de Clermont-Tonnerre, un almanach sur les « bonnes choses de France » et surtout quatre volumes de mémoires, témoignage précieux sur la haute société, les écrivains et les artistes de la Belle Époque et de l’entre-deux-guerres.

Le fils aîné d’Agénor, Armand, est le duc de Guiche ami de Marcel Proust. Son mariage avec Elaine Greffulhe, célébré à l’église de la Madeleine par l’abbé Mugnier, le 14 novembre 1904, déplace une foule considérable. Le père de la mariée est un banquier immensément riche ; sa mère, Élisabeth de Caraman-Chimay, règne sur le Tout-Paris par son exceptionnelle beauté et son allure souveraine. Quand elle ne voyage pas à travers l’Europe, où elle est reçue dans toutes les cours, elle accueille dans son salon, 10, rue d’Astorg, l’élite de la politique, de la science et des arts. Intelligente et cultivée, elle dessine, lit énormément, se passionne pour la musique. Quand, à partir de 1906, Serge de Diaghilev lance les Ballets russes à Paris, elle lui apporte son soutien. Son visage ravissant, sa taille élancée, sa démarche aérienne, ses mousselines et ses aigrettes éblouissent Proust, charmé par son rire qui éclate « tel le carillon de Bruges » : elle est le principal modèle de la princesse de Guermantes. Sa garde-robe somptueuse, aujourd’hui au musée Galliera, a été immortalisée par Nadar et les peintres gravitant autour de la famille. Le duc de Guiche est proche de Jacques-Émile Blanche, de Boldini et surtout de Laszlo. Ce peintre hongrois naturalisé anglais réalise, à Vallière, d’importants tableaux qui, aujourd’hui, font partie de la « collection historique de la Maison de Gramont », un ensemble exceptionnel en France, d’environ cent cinquante portraits d’ancêtres dont les premiers remontent au xvie siècle3.

Si à la Belle Époque le nom des Gramont est régulièrement cité par les chroniqueurs mondains, leur notoriété ne se limite pas à l’univers des salons, des courses et des chasses. La famille compte aussi deux grands savants. Le duc de Guiche, Armand de Gramont, est un brillant physicien. Nommé membre du Conseil supérieur de l’aéronautique militaire en 1914, il travaille à la réalisation d’instruments d’optique destinés à l’aviation et crée une École supérieure d’optique qui fonctionne dès 1920, un Institut d’optique théorique et appliquée, ainsi qu’une usine qu’il dirige jusqu’à sa mort. En 1931, il entre à l’Académie des sciences, où son cousin issu de germains, Arnaud, fils du général Alfred de Gramont, l’a précédé en 1913 : lui aussi physicien, il est spécialiste de spectroscopie.


L’auteur de ce journal, lui, n’est ni un mondain, ni un intellectuel, ni un artiste. Comme ses deux frères, il a fait de bonnes études chez les jésuites, au collège Vaugirard à Paris, puis à Stonyhurst College dans le Lancashire. Élève à l’école militaire de Saint-Cyr de 1877 à 1879, il passe ensuite dans différentes garnisons, notamment Caen, Lunéville, Saint-Cloud. Il démissionne de l’armée le 28 juin 1891 avec le grade de lieutenant d’infanterie. Entre-temps, le 2 août 1882, il a épousé Marguerite Sabatier – née en 1864 en Égypte, à Alexandrie, et morte en 1929 à Paris –, fille de Raymond Sabatier et Hélène Scambali. L’alliance n’est pas prestigieuse, mais le mariage est heureux. Deux enfants naissent, un fils, Guilhem, en 1883 à Boulogne (Seine), et une fille, Claude, en 1885 à Malzéville (Meurthe-et-Moselle).

Alfred de Gramont ne dispose pas de l’immense fortune de ses frères et de sa sœur qui, tous trois, ont fait des alliances « sonnantes et trébuchantes » : si le duc de Gramont est marié à une Rothschild, le duc de Lesparre a épousé la fille du dernier duc de Conégliano, et Corisande le comte de Brigode, dont la famille mène grand train au château de Folembray, dans l’Aisne. Les Alfred de Gramont vivent toutefois dans une très grande aisance, se partageant entre leur hôtel du 10, rue Magellan, dans le VIIIe arrondissement, et Magnanville4, près de Mantes-la-Jolie, aujourd’hui dans les Yvelines, alors Seine-et-Oise, à une soixantaine de kilomètres de Paris. Acheté par eux5 en 1891 au peintre Georges Clairin, ce château du xviiie siècle, vestige d’une construction plus importante, est à l’époque encore à la campagne : il est entouré de vastes communs et d’un parc de quatre-vingt-quinze hectares. Alfred de Gramont est conseiller municipal du village à partir de mai 1892 et adjoint au maire de mai 1900 à sa mort.

Un double drame vient briser le bonheur familial. Le 4 août 1904, à l’âge de vingt et un ans, Guilhem meurt – peut-être de tuberculose, mais son père ne donne à ce sujet aucune information –, laissant ses parents effondrés. Un an plus tard, en juin 1905, Claude, dont le mariage a pourtant été l’objet de longues réflexions, conclut une alliance désastreuse en épousant un noceur homosexuel, le prince Léon Radziwill, fils du prince Constantin Radziwill, modèle du prince de Foix dans À la recherche du temps perdu, et de Louise Blanc, richissime héritière du casino de Monte-Carlo. Le mariage tourne vite au cauchemar. Le divorce, prononcé l’année suivante, est rapidement suivi d’une déclaration de nullité. Claude se réinstalle chez ses parents. Son père disparaît avant qu’elle ne se remarie douze ans plus tard, en 1918, avec le prince Marc Galitzine. Elle meurt en 1973, sans descendance.

L’archétype de l’aristocrate à la Belle Époque

Alfred de Gramont est le prototype des aristocrates de son époque. Même s’il s’en défend, il condense en lui bien des traits de ses contemporains appartenant à son groupe social. Par son éducation, ses habitudes, ses goûts, ses réflexes et ses jugements, il est le plus parfait représentant de la haute aristocratie et du Jockey-Club, lieu « de camaraderie et de tradition » qu’il fréquente assidûment. Il sait que sa famille n’appartient pas au « parterre de la noblesse », a une très haute idée de sa naissance et se montre fortement conscient des droits et devoirs qu’elle lui confère : il est « glorieux », comme dirait Mme de La Fayette. S’il est d’un naturel affable, son éducation lui a inculqué une parfaite connaissance des rites en vigueur dans la haute aristocratie : le sens de la hiérarchie, la capacité à jouer des nuances de la politesse la plus exquise pour signifier les distinctions sociales, le mépris des intrus s’affublant de particules insolites ou de titres douteux.

Bien d’autres traits fondamentaux de la culture aristocratique se retrouvent chez lui : la primauté affirmée de la fratrie sur l’individu, même si ses relations avec ses frères et sa sœur sont souvent houleuses ; la conviction qu’une famille de son rang se définit par un ensemble de traditions dont la transmission est indispensable à sa pérennité ; une morale qui se réfère à l’idéal des preux, fondé sur la loyauté, l’esprit de discipline et la franchise qu’il considère comme « le meilleur conservateur de l’amitié » ; son goût pour la terre, la nature et les arbres, qui le conduit spontanément à se défier des placements en Bourse et à encourager son fils à entrer à l’Institut agronomique ; son amour de la conversation, ponctuée d’humour et de bons mots, sa prédilection pour les disciplines littéraires dont il déplore le recul dans l’enseignement au profit des sciences, et sa méfiance instinctive envers les intellectuels qu’il juge perturbateurs ; son réflexe du persiflage quand il croise des parvenus, des « rastas » ou la « haute noce internationale ».

Sa conception avant tout dynastique du mariage résume bien des aspects de sa culture et de ses valeurs. Il considère qu’une alliance est une affaire patrimoniale engageant la fratrie entière puisqu’elle est susceptible de lui apporter du lustre ou de ternir son éclat : chaque mariage doit avoir pour objectif de maintenir et, si possible, d’accroître son prestige. Dans cette logique, et conformément aux habitudes de la haute aristocratie déjà sous l’Ancien Régime, Alfred de Gramont ne réprouve pas les « mariages riches », autrement dit les « mésalliances », si elles procurent à une famille de haut rang les moyens de vivre selon sa position sociale. Son journal est parsemé d’indications chiffrées donnant une idée des exigences financières requises par un « grand nom » à la Belle Époque. Mais, surtout, il est saturé de détails relatant ses efforts opiniâtres pour accumuler les renseignements susceptibles de conduire au choix le plus raisonné : Alfred de Gramont évalue l’illustration des lignages, jauge les santés, soupèse dots, rentes et héritages, s’informe de toutes les rumeurs sur les brouilles, les infidélités et les séparations… On imagine sans peine à quel point l’échec du mariage de sa fille l’anéantit : à l’humiliation s’ajoute la faillite de stratégies patiemment réfléchies.

L’ami fidèle du duc d’Orléans

Le duc d’Orléans – Philippe VIII –, arrière-petit-fils du roi Louis-Philippe, est, avec Alfred de Gramont et sa famille, la figure principale du journal. Né à Twickenham, en Angleterre, en 1869, il est le chef de la Maison de France depuis la mort, en 1894, de son père Philippe VII, comte de Paris, fils du duc d’Orléans mort dans un accident à Neuilly en 1842. Contraint à l’exil par la loi de 1886, il se partage entre l’Angleterre, la Belgique et la Sicile, où il a hérité des biens du duc d’Aumale, avant de s’installer près de Bruxelles à la veille de la Grande Guerre. Il séjourne aussi, à intervalles réguliers, en Andalousie chez sa mère, fille du duc de Montpensier et d’une infante d’Espagne, à Gênes chez sa sœur, la duchesse d’Aoste, et en Autriche, où il chasse. Enfin, il parcourt les mers, de la Méditerranée au pôle Nord, à bord de son yacht, la Maroussia.

Membre de son service d’honneur de 1894 à sa mort en 1915, Alfred de Gramont a été son plus fidèle ami, avec le duc de Luynes qui est l’homme de confiance du prince, son intermédiaire pour les négociations délicates et les communications importantes. Il justifie son attachement au prétendant par son appartenance à une « vieille et ancienne » famille, ce qui lui impose, à ses yeux, le devoir de tenir devant la famille royale « un voile de considération et de dignité ». Son père, certes, a servi Napoléon III et, au cours d’un de ses séjours à Biarritz, l’impératrice Eugénie s’est attendrie devant les ruines romantiques de Bidache ; mais son grand-père et son arrière-grand-père ont manifesté une fidélité sans faille aux Bourbons. Antoine, 8duc de Gramont, époux d’Aglaé de Polignac, fille de la favorite de Marie-Antoinette, a rejoint Louis XVIII à Mittau en Courlande, ne l’a plus quitté et a été nommé capitaine des gardes à la Restauration. Son fils, le grand-père d’Alfred, né le 17 juin 1789 au château de Versailles dans l’aile dite « des Princes », a passé sa vie auprès des derniers Bourbons. La reine Marie-Antoinette, qui portait à la jeune duchesse de Guiche une grande amitié – elle la surnommait familièrement « Guichette » –, voulut qu’il s’appelât Agénor : ainsi est entré dans la famille ce prénom souvent joint au prénom d’Antoine que portent tous les Gramont. Quatre semaines après la naissance de l’enfant, la Bastille est prise. L’impopularité attachée au nom des Polignac oblige la jeune duchesse à quitter au plus vite Versailles avec ses parents, dans la nuit du 15 au 16 juillet 1789. La crainte d’un voyage difficile et l’espoir d’un prompt retour l’incitent à renoncer à emmener avec elle ses trois enfants, d’autant que la reine accepte de garder auprès d’elle le dernier-né. Le 6 octobre, le peuple, venu de Paris, envahit au petit jour le château de Versailles. Le jeune Agénor est sauvé par un garde du corps, remis à une personne de confiance et conduit auprès de sa mère. Dès lors, le duc de Guiche – il garde ce titre jusqu’en 1836 – suit ses parents tout au long de leur exil. Sous la Restauration, il est nommé premier écuyer du duc d’Angoulême qu’il accompagne, en février 1823, à la tête de l’armée envoyée au secours du roi d’Espagne, Ferdinand VII. En 1830, il escorte la famille royale jusqu’à Cherbourg et la rejoint, avec sa femme et ses six enfants, à Édimbourg pour partager son infortune. À seize ans d’intervalle, il retrouve le château d’Holyrood où sa mère, Aglaé de Polignac, est morte en 1803. Il suit Charles X à Prague et y reste jusqu’en 1834. Son fils, Antoine Agénor, le futur ministre, partage les jeux du comte de Chambord, de treize mois son cadet, et fait sa première communion en même temps que lui.

Considérant sans la moindre réserve que les princes d’Orléans sont les héritiers légitimes de la Couronne depuis l’extinction de la branche aînée des Bourbons, Alfred de Gramont manifeste à leur égard une révérence absolue. Toutefois, il clame sans cesse qu’il est doué d’un esprit trop indépendant et trop franc pour être courtisan. Se déclarant un « ami vrai » du prince, il revendique le droit de le juger et le fait sans complaisance. Outre une intelligence vive, il lui reconnaît un charme qui pourrait le rendre populaire. Mais il regrette de le voir gâcher ses talents et livre de lui, en définitive, un portrait affligeant. Paresseux, impulsif, velléitaire, le prince n’a de suite ni dans ses idées ni dans ses actes. Ingrat à l’égard de ses amis, faible devant les femmes, il s’entoure mal et mène une vie privée scandaleuse, qui résulte en partie de l’échec de son mariage avec l’archiduchesse Marie-Dorothée, fille de l’archiduc Joseph, comte palatin de Hongrie. En outre, à la différence de son père, le comte de Paris, qui vécut sans faste dans une dignité tranquille, il porte gravement atteinte au patrimoine de la Maison d’Orléans : il transforme ses châteaux à grands frais et dépense des fortunes dans des expéditions à travers le monde, de l’Afrique à l’Arctique, pour satisfaire son goût de l’aventure et sa passion des collections cynégétiques.

Alfred de Gramont n’a donc aucune illusion sur son prince. Mais il le respecte par esprit de discipline et le sert avec une affection sincère et un dévouement inlassable, car il sait que l’homme, d’une grande sensibilité, est fragile. Mieux que quiconque, il a conscience que sa situation est difficile. Outre les complications inhérentes à la vie d’exilé, le prétendant doit arbitrer les jalousies et les conflits plus ou moins latents au sein de la famille royale. L’attente vaine d’un héritier stimule les ambitions de son cadet, Ferdinand, duc de Montpensier. L’un des petits-fils du roi Louis-Philippe, le duc d’Alençon, ne s’entend pas avec son frère aîné, le comte d’Eu, qui en épousant Isabelle de Bragance, princesse héritière du Brésil, est devenu prince étranger, a perdu ses droits sur la succession à la couronne de France, mais se montre d’autant plus attaché à son rang au sein de la Maison de France que son beau-père a été chassé de son trône. Quant à la duchesse d’Aoste, sœur du duc d’Orléans, elle ne cache pas sa sympathie pour le prince Napoléon… Le prétendant doit aussi composer avec les susceptibilités de son entourage, secrétaires, intendants, dames ou gentilshommes d’honneur. La société de cour, en effet, existe toujours et la noblesse, plus largement la société mondaine, observent encore jalousement les degrés de faveur accordés par le prince.

Du parti royaliste, Alfred de Gramont dresse un tableau tout aussi accablant. Son déclin, certes, depuis la fin des années 1880, a été accéléré par l’aventure boulangiste, le Ralliement (l’encyclique Au milieu des sollicitudes en 1892) et le procès en Haute Cour consécutif aux arrestations d’août 1899 ordonnées par Waldeck-Rousseau quelques semaines après la constitution du gouvernement « de défense républicaine », en réaction à la tentative de coup d’État de Paul Déroulède, le 23 février, jour des obsèques du président Félix Faure. Si l’année 1899 fut, en politique, l’une des plus agitées de la Troisième République, au cours de la décennie suivante le régime se consolide, les idées monarchistes s’affaiblissent et chaque élection marque un recul des royalistes, même s’ils paraissent toujours un danger aux yeux des autorités, comme en témoigne la surveillance policière jamais relâchée autour du prétendant et de ses amis. Les raisons de leur marginalisation sont à chercher aussi ailleurs que dans les efforts, acharnés et triomphants, des défenseurs de la République : « Ce qui m’avait décidé à me retirer de tout sans exception, sauf de l’affection du prince, c’était tout ce que j’avais vu avant, pendant et après la Haute Cour, dans le parti royaliste surtout et aussi un peu à côté. Il n’y a rien de plus misérable, de plus dégoûtant, de plus méprisable que les intrigues, les cabales, les jalousies, les haines, les calomnies, les médisances, les méchancetés, les espionnages, les mensonges et les trahisons que j’ai vus, de mes yeux vus et entendus de mes oreilles, pendant cette période si agitée, depuis le commencement de l’affaire Dreyfus jusqu’à environ un mois après la Haute Cour. C’est à ne pas le croire », écrit Alfred de Gramont en 1901. Comme l’a souvent été la noblesse dans son histoire, les royalistes sont déchirés et se révèlent incapables de mener une action collective. Leurs comités disparates le désespèrent par leur léthargie ou leurs maladresses. S’il n’éprouve que dédain à l’égard des royalistes salonnards qui « parlent, jabotent, papotent, potinent, médisent », il se montre encore plus féroce à l’égard des plus résolus et des plus véhéments, qui s’agitent en essayant de tirer parti de l’effervescence nationaliste et antisémite. Il stigmatise leur fébrilité stérile et leur incompétence résultant d’une double faiblesse : l’absence d’un chef susceptible de leur donner une direction vigoureuse et de leur proposer un plan d’action, et, plus grave, le rôle néfaste des militants de l’Action française qui veulent se rendre maîtres de l’appareil royaliste et s’acharnent à faire échouer les efforts de ceux qui ne pensent pas exactement comme eux. Alfred de Gramont manifeste sa réprobation sans réserve à l’encontre du mouvement de Maurras qui s’efforce de conquérir l’opinion monarchiste. Sans doute a-t-il perçu l’athéisme de son fondateur. Mais surtout l’extrémisme, le sectarisme, le goût de la violence, les provocations des militants, leur constant souci de l’action immédiate, les insultes et les attaques ad hominem émaillant leur revue, devenue un quotidien en 1908, l’exaspèrent et le désolent. Il tente inlassablement de mettre en garde le duc d’Orléans contre leur intolérance, leur exclusivisme et leur goût de la politique du pire. Il l’incite à ne pas se laisser inféoder à eux et regrette qu’il donne l’impression de leur accorder son soutien en s’entourant de conseillers comme André Buffet ou Eugène de Lur-Saluces qu’il considère comme des « fous politiques » quand il les entend prôner le retour à une monarchie d’Ancien Régime antiparlementaire, aux antipodes de l’orléanisme modéré auquel il demeure attaché. Preuve qu’il n’a pas été entendu, l’Action française réussit à prendre le contrôle du bureau politique du prince en 1911. Cet échec, joint à sa lassitude et à sa mauvaise santé, explique son éloignement progressif du prince. Sa fidélité reste intacte, mais son royalisme, triste et désenchanté, n’est plus qu’affectif et culturel.

Si Alfred de Gramont n’a aucune illusion sur le duc d’Orléans, l’avenir de la monarchie et la capacité de la noblesse à s’unir pour mener une action collective en faveur de son rétablissement, il n’aime pas la République. Le spectacle quotidien de l’avancée de la démocratie l’inquiète : que le fils de son fermier entre à l’École centrale perturbe, à ses yeux, l’ordre naturel. L’appel au Ralliement lancé par Léon XIII en 1892 l’a laissé désemparé comme beaucoup de monarchistes. Son journal décline le répertoire classique des diatribes antirépublicaines, assorties d’une dénonciation du « complot judéo-franc-maçon » et d’une complainte lancinante sur la dégénérescence de la France, gangrenée par la corruption et les scandales financiers. Enfin, il adhère à des préjugés antisémites, aujourd’hui inavouables mais à l’époque très répandus.

Hostile par principe à la République, il demeure toutefois légaliste et se montre très attaché au principe d’autorité. S’il espère que les souverains européens réagiront au lendemain du bain de sang qui fait disparaître la dynastie Obrenovic, le 10 juin 1903 à Belgrade, et glace d’horreur les cours européennes, il condamne également toute atteinte physique au président de la République. S’il déteste les « socialistes chrétiens », à commencer par Albert de Mun, et dénonce la politique antireligieuse des radicaux, Émile Combes en tête, il se méfie de l’influence de l’Église et désapprouve, avec des accents presque anticléricaux, toute alliance du trône et de l’autel qu’il juge rétrograde, mais surtout nuisible à l’idée monarchique. S’il peut déplaire par son misonéisme et sa hantise de la décadence, il est attachant par son indépendance d’esprit, son honnêteté et son amour de la France qu’il préfère à tout autre pays, même à l’Angleterre qu’il connaît bien : il déteste le pragmatisme britannique et condamne la politique de Delcassé visant à rapprocher Paris et Londres.

Son ton désabusé, fruit d’un tempérament sceptique aggravé par l’épreuve du deuil de son fils, agace parfois. Quel contraste avec les mémoires de sa nièce, Élisabeth de Clermont-Tonnerre, qui récuse la moindre amertume, professe des idées avancées, proclame son goût pour la République ! Mais il amuse par sa capacité à pourfendre, avec une lucidité incontestable et un humour décapant, les travers et les snobismes de ses pairs. La « dégringolade » de la noblesse lui semble inéluctable. Si les mésalliances peuvent aider à contrecarrer l’effritement des fortunes, elles sont inutiles si elles ne servent qu’à renforcer un goût pour l’inertie. L’oisiveté est, en effet, le principal reproche qu’il adresse à ses semblables. Adhérant pleinement aux valeurs bourgeoises de l’effort et de l’épargne, il insiste sur la nécessité, pour son groupe social, de diversifier les patrimoines et de les faire fructifier par le travail. La paresse de la société mondaine le désespère : le mauvais exemple donné par les familles ducales, en particulier le clan La Rochefoucauld Doudeauville – auquel il voue une haine inextinguible après le divorce de sa fille, car la duchesse de Doudeauville est la sœur de Léon Radziwill –, cristallise à ses yeux les tares rédhibitoires des riches inactifs.

Le goût de l’écriture

Alfred de Gramont aime lire et écrire. Il apprécie la poésie, versifie de temps à autre, rédige des nouvelles qu’il intègre parfois à son journal6 et répond à un abondant courrier, le sien et celui du duc d’Orléans. Son attrait pour l’écriture relève d’une tradition familiale très vivace. Si le goût de la plume est traditionnel dans l’aristocratie, il est particulièrement aiguisé chez les Gramont et dans leur entourage. Diane d’Andouins, la « Belle Corisande », mariée à Philibert de Gramont, mère du premier duc de Gramont, était l’amie de Montaigne ; elle a laissé une correspondance avec Henri IV, dont elle fut l’égérie pendant les huit années qui précédèrent son accession au trône. Son petit-fils Philibert, frère cadet d’Antoine III, 2e duc de la lignée, est le comte de Guiche, libertin de la jeune cour de Louis XIV, « héros de roman » d’après Mme de Sévigné et beau-frère d’Antoine Hamilton qui raconta, avec son accord, les péripéties de sa vie dans un petit chef-d’œuvre d’écriture, Mémoires du comte de Gramont. Catherine, fille du deuxième maréchal de la famille, Antoine V, 4e duc, est la belle-fille de Saint-Simon… Depuis Saint-Évremond, qui fut toute sa vie ami du premier maréchal de Gramont, la famille est régulièrement citée par les mémorialistes et les épistoliers. Au xixe siècle, elle entre dans l’univers romanesque et théâtral avec Proust, Dumas, Rostand, mais aussi avec des auteurs aujourd’hui moins connus comme Philippe Hériat qui fit du tombeau Greffulhe, au Père-Lachaise, celui des Boussardel7, trilogie romanesque racontant l’essor, les grandeurs et les vicissitudes d’une famille de la haute bourgeoisie parisienne de 1815 à l’aube du xxe siècle.


Le journal d’Alfred de Gramont compte douze volumes8. Il a été soumis à des caviardages qu’il est impossible de situer chronologiquement. Une seule fois, dans le premier volume, une relecture est signalée et datée de novembre 1904. Les volumes rédigés postérieurement à cette date ont-ils été relus ? Peut-être pas, comme le laissent supposer quelques lignes qui figurent sur la première page de trois des volumes couvrant la période allant de 1905 à 1911 : elles soulignent la spontanéité de l’écriture, appellent à l’indulgence du lecteur quant au style et précisent que « ces souvenirs ne doivent être ni copiés ni publiés à moins d’être fortement expurgés ». Voilà qui laisse penser que l’ensemble n’a pas été l’objet d’une relecture. Une publication intégrale étant difficilement envisageable en raison de passages répétitifs et de récits trop anecdotiques, des coupures, toujours signalées, ont dû être réalisées. Ainsi réduit, le journal gagne en cohérence et permet de mieux saisir la personnalité de son auteur.

1 À l’époque, la rue de Chaillot. Le prolongement de la rue de Chaillot jusqu’aux Champs-Élysées est rebaptisé en 1919 en l’honneur de Pierre Quentin-Bauchart (1881-1916), conseiller municipal mort au champ d’honneur. L’hôtel de Gramont a été démoli.

2 Le château de Vallière a été vendu en 1982 par son petit-fils, Antoine, 13e duc de Gramont (1907-1995), à l’émirat de Dubaï.

3 Afin d’assurer l’unité et la pérennité de cette collection qui constitue, au-delà de l’intérêt historique familial, un panorama complet de l’histoire du portrait du xvie au xxe siècle, Antoine, 13e duc de Gramont (1907-1995), père de l’actuel duc de Gramont, a érigé cette collection en « bien de famille », propriété commune de la Maison de Gramont mais remis à la garde du chef de famille, et l’a confiée en 1982 à la ville de Bayonne dans l’objectif, promis mais malheureusement non réalisé aujourd’hui, de créer au Château-Neuf un musée historique régional. Une sélection de trente-quatre toiles a été présentée au Musée national du château de Pau dans le cadre de l’exposition « La Belle Époque des Gramont au temps des équipages » (4 décembre 1991-28 avril 1992).

4 Le château est vendu 1,8 million de francs en mai 1928 par la fille et la veuve d’Alfred de Gramont à l’association Léopold-Bellan, qui ouvre en 1932 un sanatorium pour femmes. Il abrite aujourd’hui un centre de gérontologie (B. Charenton, Un philanthrope sous la Troisième République : la vie et l’œuvre de Léopold Bellan (1857-1936), thèse de l’École nationale des chartes soutenue en 2003, ainsi que les archives de la Fondation Bellan et de l’étude notariale Letulle).

5 Au prix de 201 565 francs.

6 Elles n’ont pu être maintenues dans cette édition.

7 Les Enfants gâtés (1939), Famille Boussardel (1946), Les Grilles d’or (1957).

8 T. I, juin 1892-30 octobre 1902 ; t. II, 2 novembre 1902-23 octobre 1904 ; t. III, 24 octobre 1904-4 mai 1905 ; t. IV, 4 mai 1905-2 octobre 1905 et 30 novembre 1908-28 avril 1909 ; t. IV bis, 2 octobre 1905-30 novembre 1908 ; t. V, 28 avril 1909 -27 septembre 1911 ; t. VI, 28 septembre 1911-3 novembre 1913 ; t. VII, 3 novembre 1913-21 janvier 1914 ; t. VIII, 21 janvier 1914-22 février 1914 ; t. IX, 22 février 1914-18 mai 1914 ; t. X, 8 septembre 1914-13 décembre 1914 ; t. XI, 14 décembre 1914-18 février 1915.

Remarque d’Alfred de Gramont

Ces souvenirs sont écrits au courant de la plume et de la mémoire. Aux rares personnes qui perdront leur temps à les parcourir, je demande la plus grande indulgence pour le fond, la forme, le style et même l’orthographe1. Je n’ai rien changé et j’ai laissé mes impressions et mes réflexions telles que je les ai écrites au jour le jour, et cela pour deux raisons : l’impression du moment est toujours la plus vraie et, si elle n’est pas la plus juste, elle est du moins la plus intéressante ; au bout d’un certain temps, on ne sent pas de même et, souvent, on ne juge pas de même les mêmes événements, étant sous l’influence de circonstances et d’impressions différentes.

Il est alors intéressant de pouvoir constater combien on peut se tromper, et combien souvent les événements ne réalisent pas les prévisions faites au jour le jour et soumises aux émotions du moment. Malheureusement, il se trouve dans ces souvenirs de grandes lacunes qui ont pour cause des moments de paresse, de découragement, d’écœurement, de tristesse, d’inquiétude, de discrétion, de ces moments où on a envie de ne rien faire et où on est incapable de faire quoi que ce soit. En effet, je cessais d’écrire lorsque j’étais trop paresseux ; lorsque j’étais trop contrarié par la ligne politique suivie par mon cher prince ; lorsque j’étais absolument écœuré par la bêtise incommensurable du parti royaliste en politique, par les jalousies, les médisances, les calomnies, les coups de Jarnac qui y règnent en maître, encore maintenant exactement comme au siècle dernier pendant l’émigration. On dirait vraiment que, depuis cette époque, le parti royaliste a été pétrifié et momifié, et qu’il ne s’est réveillé que pour disputer, critiquer, médire, calomnier le duc d’Orléans. Les intrigues qui se nouent et s’agitent autour des princes en exil sont pires que si ces princes étaient sur le trône. C’est à ne pas le croire, mais cela est ainsi. Je me suis toujours demandé quel était le but de ces personnes qui, autour des princes en exil, passent leur temps à dire pis que pendre les unes des autres, à écarter des princes tous les indépendants qui pourraient être utiles, mais aussi qui pourraient prendre de l’influence.

Si les princes étaient sur le trône, on pourrait croire que ces personnes sont poussées par le désir d’écarter les autres et d’obtenir pour elles, leurs familles et leurs amis, influence et faveurs. Mais cela n’est pas le cas auprès des princes en exil. Les servir est un acte de pur dévouement qui ne peut procurer aucun avantage, mais en revanche beaucoup d’ennuis et de tracas. Je n’ai pas encore pu trouver la solution de ce problème éminemment royaliste ! Lorsqu’il m’a été impossible de confier au papier des choses par trop intimes, très intéressantes mais confidentielles, que je n’ai pu savoir que par ma position auprès des princes et mon intimité avec M. le duc d’Orléans ; lorsque, au moment de l’affaire Dreyfus, étant sous le coup de perquisitions et d’arrestations, je n’ai pas pu livrer au papier des noms (et quels noms !) qui auraient pu être compromis de cette façon, j’ai évité autant que possible d’être méchant. Et il faut un talent que je n’ai pas pour pouvoir écrire des souvenirs qui intéressent sans méchanceté.

Il est plus que probable que ces souvenirs présenteront des répétitions et des redites. Mais il est bien difficile de n’en pas faire, parce que, souvent, à des époques éloignées, des causes différentes amènent les mêmes réflexions. Et, à moins d’avoir une mémoire étonnante que je n’ai pas, il est bien difficile de se rappeler avec certitude s’il y a ou s’il n’y a pas redite. Souvent j’ai été sur le point de brûler ces élucubrations sans suite, mais je me suis décidé à les conserver […].

Les années 1892 et 1893 entières, et 1894 jusqu’à novembre, sont résumées et racontées pour ainsi dire grosso modo. Mais tout ce que je raconte est absolument vrai, sauf lorsque je dis « on dit que » ou « on a dit que ». Lorsque j’emploie cette formule, cela veut dire que je n’ai pas vérifié la chose par moi-même, et que je raconte ce qu’on m’a dit. Je me sers souvent de la locution « Monseigneur et moi », ou je dis « nous avons fait telle chose… » ou « nous allâmes » ; c’est plus commode pour raconter, mais c’est un grand tort. Je devrais toujours dire « Monseigneur que j’accompagne » ou « Monseigneur qui m’amène avec lui », etc. La formule « Monseigneur et moi », ou « nous », a l’air de dire : « Vous savez, c’est moi qui étais avec Monseigneur ! » Si ce journal était destiné à être publié, j’aurais tourné ces phrases autrement.

1 Les fautes d’orthographe, au demeurant très peu nombreuses, ont été corrigées.

1892

En juin 1892, je suis allé à Marienbad1 pour la première fois. J’y ai retrouvé Daniel Thuret2, le général de Galliffet3 et Standish4. Tous les matins nous faisions ensemble, après avoir pris les eaux, la même promenade dans les bois, promenade que le général avait appelée la « Réglementation ». À 2 heures de l’après-midi, jusqu’à 5 heures et demie ou 6 heures, nous faisions de même une grande trotte dans la forêt ou dans la plaine. […]

Durant nos nombreuses promenades, je parlais très peu et j’écoutais ; Thuret questionnait ; Standish ne parlait que lorsque la conversation portait sur l’étiquette, les potins, les préséances et la cour d’Angleterre. Quant au général, comme on dit vulgairement, « il tenait le crachoir de la conversation », et cela avec brio et persistance. Malheureusement, il avait l’habitude fort ennuyeuse pour les autres de parler constamment de sa femme qu’il appelait « ma défunte » et de faire sur son compte des plaisanteries du plus mauvais goût qui ne nous amusaient nullement. Nous n’avions alors qu’une ressource, c’était de mettre la conversation sur la vie militaire du général, ce qui devenait, sinon véridique, du moins très intéressant. Lorsque la conversation prenait une tournure sérieuse, elle ennuyait ce brave Standish ; il ne disait plus mot et même marchait devant ou derrière nous d’un air fort dégoûté. Il faut dire aussi, à sa décharge, qu’il devait connaître déjà à fond toutes les histoires que le général nous servait ; car, dans la suite, j’ai remarqué que le général répétait chaque année les mêmes anecdotes. […]

Voici sur le général de Galliffet certaines anecdotes absolument vraies et textuelles. Le général de Galliffet, tant qu’il fut en activité de service, refusait de se faire présenter au duc d’Orléans, pour ne pas se compromettre et pouvoir dire à Paris qu’il ne le connaissait pas. Il en résulte que le matin, à la source, il se promenait à gauche de la princesse Hélène5, le duc d’Orléans se trouvant à droite de sa sœur, et qu’il faisait semblant de ne pas voir le prince, ce qui était déjà fort grossier. Dès que le général fut au rancart, il se fit présenter au prince. C’est moi-même qui le présentai sous la Colonnade à Marienbad. Thuret était présent.

Un jour, se trouvant en promenade entre Thuret et moi, le général nous raconta comment il avait été blessé au Mexique. Un éclat d’obus, animé d’un mouvement rotatif, vint le frapper au ventre, qu’il ouvrit tangentiellement, et ses intestins voulurent sortir de leur récipient. Galliffet resta étendu, serrant son ventre avec ses mains ; et comme il était défendu de s’occuper des blessés avant la fin de l’action, ce ne fut que longtemps après qu’il put être transporté à l’ambulance, dans un état désespéré. Le chirurgien le condamna, lui demanda s’il voulait voir un prêtre, s’il avait des dispositions à prendre, des lettres ou des télégrammes à envoyer : « Je dis de télégraphier à ma femme ma blessure et mon état désespéré. Le télégramme lui arriva au moment où elle partait pour un bal aux Tuileries ; elle le lut, le mit dans sa poche, alla au bal et ne le fit connaître que le lendemain. » À ces mots, Thuret s’arrête, se tourne vers le général et lui dit : « Comment, mon général, déjà ! » Et le général de répondre en ouvrant les bras : « Oui, déjà, nous sommes cocus de père en fils ! » Un autre jour, nous nous promenions de même, mais Standish se trouvait à six ou sept pas en avant. Le général s’arrête, me prend de la main gauche par le bras, me montre avec sa canne de la main droite Standish et me dit : « Quel con… ! » Et, à Paris, le général ne sortait pas de chez Standish ! Voici la manière dont Standish s’est pris pour être envoyé au Mexique ; c’est lui-même qui me l’a raconté. « Il était très difficile d’obtenir d’être désigné pour le Mexique à cause du nombre très considérable de demandes. J’étais en Algérie ; j’avais fait toutes les demandes réglementaires et hiérarchiques et j’avais fait agir tous les pistons dont je disposais sans obtenir aucun résultat. Je demandai alors ma permission de quinze jours ; j’allai trouver Marguerite Bellanger6, la maîtresse de l’empereur, chez qui je passai trois jours ; et, une nuit, je lui dis : “Ma petite, tu sais, je veux absolument aller au Mexique. Il faut me décrocher cela de l’empereur.” Et quinze jours après j’étais nommé au corps expéditionnaire, et je partis. C’est un moyen comme un autre, mais il n’est pas à la portée de tout le monde. »

Je demandai un jour au général ce qu’il ferait s’il avait le pouvoir en main, s’il était président de la République ou dictateur. Il me répondit textuellement : « Je remettrais toutes choses en état, et je passerais la main au plus digne. » À ces mots, j’éclatai de rire fort irrespectueusement. Le général, me regardant d’un air jaune, me dit : « Pourquoi riez-vous ? » Je lui répondis : « Parce que je ne crois pas un mot de ce que vous dites. Une fois au pouvoir, vous ne le lâcheriez qu’avec la vie. » Le général ne dit mot, mais n’eut pas l’air content de ma franchise. […] Il haïssait le général de Négrier7, qui avait été désigné pour commander en chef au Tonkin en son lieu et place. Il haïssait Boulanger8 et avait fait ce qu’il avait pu pour aider à l’abattre, et cela parce que Boulanger lui avait coupé l’herbe sous le pied et avait fait avant lui ce que lui, Galliffet, voulait faire et préparait depuis longtemps. Il m’a répété souvent qu’il n’avait jamais aimé et qu’il n’aimait qu’une seule femme au monde plus que tout, c’était Mme Standish. J’en ai assez dit pour donner ici grosso modo le portrait du général. Le voici : homme très intelligent, très ambitieux, très brimeur, très autoritaire, très vindicatif, peu discret, plutôt méchant, cynique, sceptique, sans principes, ne respectant rien, ne croyant à rien, disant du mal de tout le monde, même de ses meilleurs amis comme du Lau9, d’Arenberg10, Joseph Reinach11, très blagueur, disant indifféremment la vérité ou le contraire, capable de marcher sur son père et sa mère pour arriver, ne faisant pas de mal si on ne se trouve pas sur son chemin, mais prêt à écraser s’il y trouve le moindre intérêt personnel, faisant souvent le pitre et souvent amusant. Je crois qu’il aurait fait un très bon président ou dictateur, ayant autant de courage civil que de courage militaire, ce qui est excessivement rare chez les officiers. Il aurait mis tout le monde au pas ; nous ne serions pas dans la boue d’aujourd’hui ; et nous aurions peut-être Galliffet Ier. Je ne l’ai jamais fréquenté qu’à Marienbad.

Je quittai Marienbad au bout d’un mois, ayant perdu huit kilos et me portant infiniment mieux. Huit jours après mon arrivée arrivèrent à Marienbad le duc d’Orléans, accompagné par Eugène Schneider12, la comtesse de Paris13 avec la princesse Hélène, accompagnées par la baronne de Charette14 et le marquis de Ganay15. Par politesse pure, je m’inscrivis chez les princes qui étaient français et en exil ; et, quelques jours après, Ganay me présenta au duc d’Orléans, à la comtesse de Paris et à la princesse Hélène. […]

1 Marienbad (ancien nom de Mariánské Lázné), en Bohême occidentale, aujourd’hui en République tchèque, alors dans l’Empire austro-hongrois, est, à la Belle Époque, une station thermale où séjournent régulièrement les têtes couronnées.

2 Daniel Thuret (1854-1909), marié à Ida de Berckheim (1858-1951), est membre du service d’honneur du duc d’Orléans. Il possède le château de Béguin à Lurcy-Lévis dans l’Allier. Sa femme est la fille de Sigismond-Guillaume, baron de Berckheim (1819-1892), et la sœur de Théodore de Berckheim (1865-1936), diplomate.

3 Le général marquis Gaston de Galliffet, prince de Martigues (1830-1909), a participé à la guerre de Crimée (1854-1855) et à la campagne d’Italie (1859), a été envoyé au Mexique (1862), où il a été grièvement blessé lors de la prise de Puebla (1863), puis a servi en Algérie. Il a été fait prisonnier à Sedan (2 septembre 1870). En 1871, il commanda l’armée de Versailles qui réprima la Commune et il fut gouverneur de Paris en 1881-1882. Ministre de la Guerre dans le gouvernement de « défense républicaine » constitué en février 1899 par Waldeck-Rousseau, il est remplacé en mai 1900 par le général André. Il a épousé en 1859 Florence Laffitte (1841-1901), fille de Charles Laffitte (1803-1875), neveu du banquier Jacques Laffitte (1767-1844).

4 Henry Standish (1847-1920), fils de Lionel Standish et de Sabine de Noailles (1819-1870), sœur de Henri, 5e duc de Mouchy (1808-1854), a épousé en 1870 Hélène de Pérusse (1848-1933), fille du comte Amédée des Cars (1820-1899) et de Mathilde de Cossé-Brissac (1821-1898). Sa femme est connue pour sa ressemblance avec la princesse de Galles, épouse du futur Édouard VII, qu’elle s’efforce d’accentuer.

5 La princesse Hélène d’Orléans (1871-1951), troisième enfant du comte et de la comtesse de Paris, est la sœur du duc d’Orléans.

6 Marguerite Bellanger (1840-1886) fut la maîtresse de Napoléon III de 1858 à 1860.

7 Le général François-Oscar de Négrier (1839-1913) commanda l’une des brigades du corps expéditionnaire du Tonkin en 1884.

8 Le général Georges Boulanger (1837-1891), ministre de la Guerre dans le cabinet Freycinet (1886), regroupa autour de son nom, jusqu’en 1889, l’opposition à la république parlementaire.

9 Alfred, marquis du Lau d’Allemans (1833-1919).

10 Le prince Auguste d’Arenberg (1837-1924), marié en 1868 à Jeanne Greffulhe (1850-1891), fille de Louis-Charles Greffulhe (1814-1888) et de Félicité de La Rochefoucauld d’Estissac (1824-1911), est propriétaire des châteaux d’Arlay dans le Doubs et de Menetou-Salon dans le Cher. Conseiller général du Cher en 1871, député conservateur et monarchiste en 1877, réélu en 1889, en 1893 et en 1898, il devient, avec le baron Armand de Mackau, l’un des leaders du parti conservateur rallié à la République. Il est président de la Compagnie du canal de Suez de 1896 à 1913. De 1897 à sa mort, il préside le Comité de la Société d’encouragement pour les courses au titre du Jockey-Club. Son fils Pierre (1871-1919) épouse en 1904 Emma de Gramont (1883-1958), fille d’Armand de Gramont, duc de Lesparre (1854-1931), frère d’Alfred de Gramont.

11 Joseph Reinach (1856-1921), fils d’un banquier d’origine allemande et frère aîné des deux archéologues Salomon (1858-1932) et Théodore (1860-1928), est avocat et journaliste. Il est élu député des Basses-Alpes en 1889, en 1893, puis de 1906 à 1914. Dès 1894, il prend la défense d’Alfred Dreyfus et publie, en 1901, une Histoire de l’affaire Dreyfus.

12 Eugène II Schneider (1868-1942) est le fils de Henri Schneider (1840-1898) et petit-fils d’Eugène I Schneider (1805-1875), qui fonda la Société Schneider Frères et Cie au Creusot. Il a épousé en 1894 Antoinette de Rafélis de Saint-Sauveur (1875-1869).

13 Marie Isabelle d’Orléans et Bourbon (1848-1919) est la fille d’Antoine d’Orléans, duc de Montpensier (1824-1890), dernier fils du roi Louis-Philippe, et de Louise-Fernande de Bourbon (1832-1897), fille du roi d’Espagne Ferdinand VII et sœur de la reine Isabelle II. Elle a épousé en 1864 son cousin germain, Philippe d’Orléans, comte de Paris (1838-1894), fils aîné de Louis-Philippe, duc d’Orléans (1810-1842), et d’Hélène de Mecklembourg-Schwerin (1814-1858). Celui-ci est devenu le chef de la Maison de France au décès du comte de Chambord en 1883 et a pris le nom de Philippe VII.

14 Antoinette Plock, mariée en 1876 au général Athanase de Charette de La Contrie, baron de Charette (1832-1911), fils d’Athanase, baron de Charette (1796-1848), et de Louise de Bourbon, comtesse de Vierzon (1809-1891), qui est une fille naturelle du duc de Berry. Le général de Charette s’est distingué dans la défense des États du pape et pendant la guerre de 1870 à la tête des zouaves pontificaux.

15 Anne Étienne de Ganay, marquis de Ganay (1833-1903), marié en 1858 à Anna Emily Ridgway (1838-1921).