INTRODUCTION
Choses vues, entendues, lues…
« Il s'agit pour nous de remettre en cause l'une des mesures les plus catastrophiques prise par le gouvernement précédent : les 35 heures. Dans le monde d’aujourd’hui, si l’on veut rester compétitif, si l’on veut que la France continue à figurer dans le peloton de tête, il faut retrousser nos manches. Il faut travailler plus et il faut avoir le courage de dire qu’en France aujourd’hui on ne travaille pas assez.» Propos de campagne électorale.
Journal télévisé : 20 heures : « Les 450 salariés de l’usine de X occupent les locaux depuis qu’ils ont appris l’annonce de la fermeture de leur établissement. Le groupe agroalimentaire auquel appartient l’établissement a justifié cette fermeture pour des raisons de rentabilité insuffisante. Les salariés sont bien décidés à faire revenir la direction générale sur cette décision et continuent à faire tourner l’usine en utilisant les stocks de matière première. » Ce bref commentaire du journaliste est suivi d’une série d’images qui montrent des hommes et des femmes dont les visages expriment la colère et la détermination, autant que le désespoir. L'usine qu’on nous donne à voir est récente, les machines aussi. Chiffres à l’appui, le délégué syndical interviewé explique que la productivité de l’usine est excellente, mais qu’elle fabrique une gamme de produits dont les débouchés diminuent, pas assez rentables pour les actionnaires. Une ouvrière intervient en larmes : «Voilà vingt ans que l’on travaille ici et on a toujours bien travaillé! Qu’est-ce qu’on va devenir! Il n’y a pas de travail dans la région ! » Tous savent, malgré leur détermination, que le combat est perdu : il ne reste plus que l’honneur et la dignité à défendre.
Dans un grand quotidien de l’Ouest : « Nous sommes allés à la rencontre des anciennes ouvrières de Z. Un an après, seules dix pour cent d’entre elles ont retrouvé un emploi. »
Un grand journal du soir : « Les maladies professionnelles et en particulier les TMS sont en train de devenir un véritable fléau. Les cancers dus à l’amiante provoqueront entre 3 000 et 5 000 morts par an dans les années à venir.»
Journal télévisé, août 2005 : « Hewlett Packard annonce un plan de restructuration et la suppression de 12 000 emplois. La France pourrait être particulièrement touchée. Rappelons que H.P. a racheté Compaq il y a deux ans et que cette dernière entreprise avait elle-même racheté, trois ans auparavant, l'entreprise Digital Équipement. »
Les sondages enfin, comment pourrait-on s’en passer aujourd’hui pour connaître l’opinion des Français? Dans ce qui est le plus important pour eux, les Français mettent en tête la santé, la famille, puis « un travail intéressant », bien avant le salaire ou les loisirs.
Comment donner sens à toutes ces informations contradictoires ? On accuse les Français de ne pas travailler assez, alors même que le chômage frappe à leur porte, que les jeunes « galèrent », que tous ceux qui travaillent disent le faire avec une intensité accrue, que beaucoup, enfin, ne savent pas à qui appartiendra demain l’entreprise dans laquelle ils travaillent aujourd’hui. Même si l’on se méfie des sondages, on ne peut être qu’impressionné par cette attitude constante, qui place en tête « des valeurs » la santé, la famille et un bon travail, non pas, sans doute, comme trop de commentateurs l’affirment, parce qu’il s’agirait là de «valeurs éternelles », mais bien peut-être parce que beaucoup ont le sentiment qu’il y a là quelque chose de très fragile à quoi l’on tient d’autant plus aujourd’hui, que l’on risque demain de le perdre. Ce siècle commence plombé d’incertitudes. Certains annoncent haut et fort la «fin du travail», grâce ou à cause de ces nouvelles machines bourrées d’électronique, de plus en plus capables de remplacer l’homme. Tous les parents rêvent pour leurs enfants d’un bon métier, mais qu’est-ce qu’un bon métier quand on sait qu’il faudra en changer dix fois dans sa vie ? Même le secteur public, ce havre de certitudes, n’est plus ce qu’il était. Là aussi, la concurrence devient vive, les monopoles s’effritent, les clients exigeants supplantent les usagers forcés d’être dociles. Et puis, il y a le «plombier polonais» et le tee-shirt chinois! «L'économie-monde» ne date pas d’aujourd’hui, mais la dureté des temps et la médiatisation de l’information nous ont fait prendre conscience que l’emploi avait désormais pour frontières celles d’un marché aussi vaste que le monde.