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Camp de la Barrière de Kalouga, 1946

Troisième partie

L’extermination par le travail

Les seuls qui peuvent nous comprendre, c’est ceux qu’ont mangé dans la même gamelle que nous.

Extrait de la lettre d’une Ukrainienne houtsoul, ancienne zek.

Ce qui doit trouver place dans cette partie est inembrassable. Pour en pénétrer, pour en saisir le sens sauvage, il faudrait avoir traîné plusieurs existences là-bas, dans ces lieux où, sans privilège, il était impossible de venir à bout même d’un premier temps de peine, car les camps ont été inventés pour exterminer.

 

Conséquence : tous ceux qui ont puisé au plus profond, tous ceux qui ont goûté au plus plein, tous ceux-là sont déjà dans la tombe et ne raconteront pas. L’essentiel sur ces camps, plus personne, jamais, ne le racontera à présent.

 

Embrasser toute cette histoire et toute cette vérité passe les forces d’une seule plume humaine. Je n’ai eu vue sur l’Archipel que par une fente de visée, non pas du haut d’une tourelle d’observation. Mais plusieurs livres, par bonheur, ont déjà émergé et il en émergera d’autres encore. Il se peut que les Récits de la Kolyma de Chalamov fassent ressentir plus sûrement au lecteur tout ce qu’il y a d’impitoyable dans l’esprit de l’Archipel et aussi les limites du désespoir humain.

 

Mais la mer, pour savoir quel en est le goût, il n’est besoin que d’une gorgée.

Chapitre 1

Les doigts de l’Aurore

Eôs aux doigts de rose, si souvent mentionnée par Homère et que les Latins appellent l’Aurore, a caressé de la main le premier petit matin de l’Archipel.

Lorsque nos compatriotes eurent appris par la BBC la découverte de M. Mikhaïlov, à savoir que l’existence des camps de concentration dans notre pays remontait à 1921, beaucoup d’entre nous (beaucoup d’Occidentaux aussi) furent sidérés : si tôt ! cela se peut-il ? dès 1921 ! est-il possible ?

Bien sûr que non ! Bien sûr que Mikhaïlov se trompe. En 1921, ils fonctionnaient déjà à plein régime, nos camps de concentration (ils étaient même en voie d’achèvement). Il serait bien plus juste de dire que l’Archipel est né au son des canons de l’« Aurore* ».

Comment eût-il pu en être autrement ? Réfléchissons.

Marx et Lénine n’ont-ils pas enseigné la nécessité de briser l’ancienne machine coercitive de la bourgeoisie pour la remplacer sur-le-champ en en créant une nouvelle ? Or la machine coercitive comprend : l’armée (nous ne sommes pas étonnés de voir se constituer l’Armée rouge au début de 1918) ; la police (la milice est rénovée avant même l’armée) ; les tribunaux (à partir du 24 novembre/7 décembre 1917) ; – et les prisons. Pourquoi donc, au moment où l’on instaurait la dictature du prolétariat, eût-on dû tarder à introduire une nouvelle espèce de prison ?

Autrement dit, et d’une façon plus générale, prendre du retard en matière de prison, ancien style ou nouveau style, était une chose rigoureusement impossible. Dès les premiers mois qui suivirent la révolution d’Octobre, Lénine exigeait « les mesures les plus résolues et les plus draconiennes pour relever la discipline ». Or des mesures draconiennes sont-elles possibles sans prison ?

Quelles nouveautés en la matière l’État prolétarien est-il susceptible d’apporter ? Ilitch explora de nouvelles voies. En décembre 1917, à titre d’hypothèse de travail, il propose l’arsenal suivant de châtiments : « confiscation de tous les biens (…), détention en prison, expédition au front et travaux coercitifs pour tous les contrevenants à la présente loi ». Nous pouvons donc noter que l’idée directrice de l’Archipel, les travaux forcés, a été avancée dès le premier mois de l’après-Octobre.

D’ailleurs, le futur système punitif n’avait pas pu ne pas faire l’objet des méditations d’Ilitch à l’époque où il se reposait encore paisiblement à Razliv avec son ami Zinoviev, parmi les effluves embaumés de la fenaison, bercé par le murmure des bourdons. Dès cette époque, il avait calculé pour notre plus grand apaisement que « l’écrasement d’une minorité d’exploiteurs par la majorité des esclaves mercenaires de la veille était une tâche relativement si aisée, si simple et si naturelle qu’elle coûterait beaucoup moins de sang (…) et reviendrait à l’humanité beaucoup moins cher » que l’écrasement d’antan de la majorité par une minorité.

De quel prix avons-nous donc payé, depuis le début de la révolution d’Octobre, cet écrasement interne et « relativement aisé » ? Selon les calculs du professeur émigré I.A. Kourganov, spécialiste de statistique, il nous a coûté, de 1917 à 1956, – sans compter les victimes de la guerre, rien que par la terreur exterminatrice, les répressions, la famine, la mortalité élevée dans les camps et le déficit des naissances dans le pays, – 66 700 000 vies (non compris le déficit des naissances, 55 millions).

Soixante-six millions ! Cinquante-cinq millions de vies !

Russe ou étranger, qui n’en demeure muet ?

Bien entendu, nous ne garantissons pas les chiffres du professeur Kourganov, mais nous n’en avons pas d’officiels. Dès que ceux-ci seront publiés, les spécialistes pourront faire la comparaison. (Il est déjà paru un certain nombre d’études utilisant les statistiques soviétiques, ces statistiques dissimulées et disloquées : ce sont les mêmes nuées de victimes qui envahissent les pages.)

Ici, il serait intéressant de citer encore, à titre de comparaison, les chiffres suivants. Quels étaient les effectifs du personnel dans l’appareil central de la terrible Troisième* section qui sangle toute la grande littérature russe ? À sa création, seize personnes ; au plus fort de son activité, quarante-cinq personnes. C’est-à-dire un chiffre purement et simplement ridicule pour la Tchéka du plus reculé des gouvernements. Ou bien encore : combien de détenus politiques furent trouvés par la révolution de Février dans cette « prison des peuples » qu’on disait être la Russie tsariste ? (Ne pas oublier que le terme de « détenus politiques » englobait alors les auteurs d’expropriations*, raids et assassinats politiques.) Tous les chiffres existent bien quelque part. Disons que, dans la seule prison des Croix, il y en avait plus de cinquante, à Schlusselbourg soixante-trois, et que quelques centaines de politiques revinrent de l’exil et du bagne sibériens, sans compter, bien sûr, le nombre de ceux qui se morfondaient dans les prisons de chaque chef-lieu de gouvernement. Quel nombre au juste ? voilà qui est intéressant. J’ai le chiffre pour Tambov, que j’extrais des fiévreux journaux de l’époque. En ouvrant la porte de la prison locale, la révolution de Février y trouva, en fait de prisonniers politiques… 7 (sept) personnes. À Irkoutsk, beaucoup plus : 20 personnes. (Il est superflu de rappeler que, de février à juillet 1917, on ne mit plus en prison pour motif politique ; après juillet, les emprisonnés recommencèrent à se compter sur les doigts de la main et le régime était très lâche.)

Seulement, voilà le malheur : le premier gouvernement soviétique étant un gouvernement de coalition, il fallut se résoudre à abandonner aux SR une partie des commissariats du Peuple, dont, par malchance, le commissariat à la Justice (NKIou) qui passa ainsi entre leurs mains. Guidé par les putrides conceptions petites-bourgeoises de la liberté, ledit NKIou faillit mener le système castigatif à la débâcle, les sentences se révélant trop douces et n’ayant presque jamais recours au principe du travail forcé. En février 1918, le camarade Lénine, président du SNK, exigea que fût augmenté le nombre des lieux de détention et renforcée la répression des crimes, puis, en mai, passant aux directives concrètes, il indiqua que la concussion ne méritait pas moins de dix ans de prison, plus dix ans de travaux coercitifs, c’est-à-dire vingt ans en tout. Les premiers temps, pareille échelle pouvait paraître bien pessimiste : comment ? dans vingt ans, on aurait encore besoin de travaux forcés ? Mais nous savons que les travaux coercitifs devaient se révéler une mesure pleine de vitalité ; même aujourd’hui, cinquante ans plus tard, ils restent fort populaires.

Plusieurs mois encore après Octobre, le personnel pénitentiaire était encore partout le même qu’au temps des tsars ; on s’était contenté de nommer des commissaires de prisons. Les geôliers avaient eu l’effronterie de se constituer en syndicat (« Union des personnels pénitentiaires ») et d’instaurer dans l’administration de la prison le principe électif ! Les détenus n’étaient pas en reste : ils bénéficiaient également de l’auto-administration interne. (Circulaire du NKIou en date du 24 avril 1918 : les détenus, partout où la chose est possible, doivent être amenés à pratiquer l’auto-contrôle et l’auto-surveillance.) Pareille commune libertaire (le « laisser-aller anarchiste ») ne correspondait naturellement pas aux buts de la dictature exercée par la classe d’avant-garde et contribuait bien mal à nettoyer la terre russe de ses insectes nuisibles. (Pensez donc ! les chapelles des prisons n’étaient même pas fermées, et nos prisonniers, oui, nos propres prisonniers soviétiques s’y rendaient volontiers le dimanche, ne fût-ce que pour se dérouiller les jambes !)

Bien entendu, les geôliers tsaristes ne furent pas totalement perdus pour le prolétariat ; on a beau dire, il s’agissait là d’une spécialisation indispensable, à court terme, à la révolution. Il convenait donc de « sélectionner dans l’administration pénitentiaire les personnes point trop encroûtées ou abruties par les mœurs de la prison tsariste (comment ça : « point trop » ? à quoi le reconnaître ? à ce qu’elles avaient oublié le Dieu, sauve le tsar ?) et susceptibles de travailler à de nouvelles tâches » (parce que, par exemple, elles savaient répondre en articulant : « Affirmatif » ou « Négatif » ? ou bien tourner prestement une clef dans une serrure ?) Bien sûr, les bâtiments carcéraux eux-mêmes, les cellules, les barreaux, les serrures donnaient l’impression d’être restés les mêmes, mais la chose n’était vraie que pour un œil superficiel : en fait, toutes ces choses s’étaient vu doter d’un nouveau contenu de classe, d’un sens révolutionnaire élevé.

Pourtant, l’habitude conservée par les tribunaux jusqu’au milieu de 1918, de condamner par inertie « à la prison », toujours et encore « à la prison », cette habitude ralentissait le démantèlement de la vieille machine d’État dans sa partie pénitentiaire.

Au milieu de l’année 1918, plus précisément le 6 juillet, se produisit un événement dont tout le monde ne comprend pas la portée, un événement connu superficiellement sous le nom d’« écrasement de l’émeute des SR de gauche », alors que ce fut un tournant qui n’a rien à envier au 25 Octobre. Le 25 Octobre avait été proclamé le pouvoir des Soviets (conseils) de députés, d’où son nom de pouvoir soviétique. Mais, dans les premiers mois de son existence, ce pouvoir était encore rendu impur par la représentation en son sein de partis autres que celui des bolchéviks. Encore que le gouvernement de coalition n’eût été constitué que de bolchéviks et de SR de gauche, l’effectif des Congrès* panrusses (les IIe, IIIe, IVe) et des Vtsiks qui y étaient élus comprenait également des représentants des autres partis socialistes : SR, social-démocrates, anarchistes, socialistes-populistes. Ce qui conférait aux Vtsiks le caractère malsain de « parlements socialistes ». Mais, au cours des premiers mois de 1918, grâce à une série de mesures résolues (soutenues par les SR de gauche), les représentants des autres partis socialistes furent ou bien exclus du Vtsik (par décision de ce même Vtsik : curieuse procédure parlementaire) ou bien empêchés d’y être élus. Le dernier parti allogène – il constituait encore le tiers du parlement (Ve Congrès des Soviets) – fut celui des SR de gauche. Le moment arriva enfin de se débarrasser d’eux. Le 6 juillet 1918, tous furent exclus, jusqu’au dernier, du Vtsik et du SNK. Du coup, le pouvoir des Soviets de Députés (appelé par tradition « soviétique ») cessa de faire opposition à la volonté du parti bolchévique et revêtit les formes de la Démocratie Nouveau Style.

C’est seulement à dater de ce jour historique que purent commencer la reconstruction de la vieille machine pénitentiaire et la création de l’Archipel.

Or, la direction à imprimer à cette reconstruction si désirable était depuis longtemps facile à saisir. Marx, dans sa Critique du programme de Gotha, n’avait-il pas déjà indiqué que l’unique moyen de redresser les détenus était le travail productif ? Non pas, cela va sans dire, et comme l’expliquera bien plus tard Vychinski, « non pas le travail qui dessèche l’esprit et le cœur de l’homme », mais « le magicien qui sort les hommes du néant et de l’insignifiance pour les métamorphoser en héros ». Pourquoi donc ne faut-il pas que notre détenu taille des bavettes dans sa cellule ou s’occupe à y lire des bouquins, pourquoi faut-il qu’il travaille ? Mais voyons, parce qu’il ne saurait y avoir place, dans la république des Soviets, pour l’oisiveté contrainte, « ce parasitisme forcé », tel qu’il pouvait exister sous le régime semblablement parasitaire des tsars, par exemple à Schlusselbourg. Pareille inaction des prisonniers eût été en contradiction pure et simple avec les bases du régime de travail de la République soviétique, telles qu’elles avaient été fixées dans la Constitution du 10 juillet 1918 : que celui qui ne travaille pas ne mange pas. En conséquence, si les détenus n’étaient pas conviés à travailler, ils devaient, aux termes de la nouvelle constitution, être privés de leur ration de pain.

Créé en mai 1918, le Service punitif central du NKIou (dirigé par les bolchéviks, puisque, depuis la paix de Brest-Litovsk, les SR de gauche avaient quitté le gouvernement) expédia aussitôt les zeks de l’époque au travail (« commença à organiser le travail productif »). Toutefois, dans la législation, la chose ne fut promulguée qu’après le tournant de juillet, exactement le 23 juillet 1918, dans l’« Instruction provisoire concernant la privation de liberté » (qui devait rester en vigueur pendant toute la durée de la guerre civile, jusqu’en novembre 1920) : « Les personnes privées de liberté et aptes au travail sont obligatoirement invitées à travailler physiquement. »

On peut dire que c’est bien de cette Instruction du 23 juillet 1918 (neuf mois après la révolution d’Octobre) que procèdent les camps et qu’est né l’Archipel. (Qui donc irait leur reprocher d’être nés avant terme ?)

La nécessité du travail forcé des détenus (qui n’avait point besoin de cela, du reste, pour être évidente aux yeux de tous) fut expliquée une fois de plus lors du VIIe Congrès des Soviets de l’Union : « Le travail est le meilleur moyen de paralyser l’influence pervertissante (…) des interminables conversations entre détenus, au cours desquelles les plus chevronnés font l’éducation des novices. »

Puis, bientôt, arrivèrent à point nommé les samedis* communistes et le même NKIou émit l’appel suivant : « Il est indispensable d’habituer [les détenus] au travail communiste, collectif . » Autrement dit, c’est même l’esprit des samedis communistes qu’il s’agit de faire passer dans des camps de travail coercitif !

Ainsi cette époque de précipitation posa-t-elle d’un coup un monceau d’objectifs, laissant aux décennies suivantes le soin de s’y retrouver.

Lors du VIIIe Congrès du RKP (b) (mars 1919), les fondements de la « politique du travail coercitif » furent inclus dans le nouveau programme du parti. Quant à la complète mise en forme organisationnelle d’un réseau de camps sur toute l’étendue du territoire de la Russie soviétique, elle coïncida rigoureusement avec les premiers samedis communistes (12 avril-17 mai 1919) : les arrêtés du Vtsik concernant les camps de travail forcé datent des 15 avril et 17 mai 1919. Ils prévoyaient la création (par les soins des tchékas locales) de camps de travail coercitif dans chaque chef-lieu de gouvernement (selon ce qui était le plus commode : dans l’enceinte de la ville, dans un monastère ou bien dans une propriété des environs) ainsi que dans certains districts (pour l’instant, pas dans tous). Chaque camp ne devait pas contenir moins de trois cents personnes (afin que le labeur des détenus remboursât les frais de garde et d’administration) ; tous étaient du ressort des Services punitifs des différents gouvernements.

Mais ces camps de travail forcé n’ont encore pas été les tout premiers camps de la RSFSR. Le lecteur a déjà rencontré à plusieurs reprises, en lisant les sentences des tribunaux (1re partie, chap. 8), les mots « camp de concentration ». Peut-être a-t-il cru que nous commettions un lapsus ? que nous utilisions, par inadvertance, une terminologie postérieure ? Il n’en est rien.

En août 1918, quelques jours avant l’attentat perpétré contre lui par Fanny Kaplan, Vladimir Ilitch, dans un télégramme adressé à Ievguénia Bosch et au Comité exécutif du gouvernement de Penza (aux prises avec une révolte paysanne qu’il n’arrivait pas à mater), écrivait ce qui suit : « Enfermer les douteux (pas les « coupables », les douteuxa.s.) dans un camp de concentration hors de la ville. » En outre : « … faire régner une terreur massive et sans merci… » (notez que le décret qui l’instituait n’avait pas encore été pris).

Et le 5 septembre 1918, une dizaine de jours après ce télégramme, fut publié le Décret du SNK sur la Terreur rouge, signé Pétrovski, Kourski et Bontch-Brouïévitch. Outre les instructions concernant les exécutions massives par fusillade, il y était notamment prescrit de « protéger la république des Soviets contre ses ennemis de classe en isolant ces derniers dans des camps de concentration ».

Voilà donc – dans une lettre de Lénine, puis dans un décret du Sovnarkom – il a été trouvé, pour être immédiatement saisi au vol et adopté, ce terme de « camps de concentration », l’un des termes majeurs du xxe siècle, promis à un si vaste avenir international ! Et voilà quand :en août et septembre 1918. Le mot lui-même s’était déjà employé pendant la Première Guerre mondiale, mais s’agissant de prisonniers de guerre, d’étrangers indésirables. Ici, pour la première fois, il est appliqué aux citoyens du pays lui-même. Le transfert de sens est compréhensible : un camp de concentration pour prisonniers de guerre n’est pas une prison, mais un lieu où il est nécessaire de les regrouper préventivement. On proposait maintenant que les citoyens douteux soient eux aussi l’objet de regroupements préventifs extrajudiciaires. L’esprit énergique de Lénine, s’étant représenté en pensée des non-condamnés entourés de barbelés, venait de trouver au passage le mot dont on avait besoin : kontsentratsionnyïé, « de concentration » !

Le chef des Tribunaux militaires révolutionnaires l’écrit, du reste, en toutes lettres : « L’internement dans des camps de concentration s’apparente à l’isolement des prisonniers de guerre. » Voilà qui est franc : loi du plus fort et opérations militaires, mais contre son propre peuple.

Et si les camps de travail coercitif du NKIou entraient dans la classe des « lieux communs de détention », les camps de concentration, eux, n’avaient rien d’un « lieu commun », ils étaient organisés, sous la compétence directe de la Tchéka, à l’intention des éléments particulièrement hostiles et des otages. Certes, par la suite, on put également échouer dans les camps après être passé devant un tribunal, mais il va de soi que ce qui vous marquait pour le flot, ce n’était pas la condamnation, mais le critère d’hostilité. Toute tentative d’évasion du camp de concentration multipliait (sans jugement là non plus) votre temps de peine par dix ! (Bien dans le ton de l’époque, n’est-ce pas : « Dix pour un ! », « Cent pour un ! »). En conséquence, si quelqu’un, déjà titulaire de cinq ans, s’évadait puis était repris, sa peine était automatiquement prolongée jusqu’en 1968. Pour la seconde tentative d’évasion était prévu (et, bien entendu, régulièrement appliqué) le poteau.

En Ukraine, les camps de concentration furent créés avec un certain retard, seulement en 1920.

Les racines des camps étaient implantées profond, mais nous en avons perdu l’emplacement et jusqu’à la trace. Sur la plupart des premiers camps de concentration, plus personne ne nous fera de récits. Seuls les derniers témoignages de ceux qui ne sont pas encore morts parmi les premiers internés permettent de saisir quelque chose et de le sauver.

À l’époque, les autorités qui installaient les camps avaient une certaine prédilection pour les ex-monastères : murs solides formant enceinte, bâtiments de bonne qualité, et l’ensemble vide d’occupants (les moines, n’est-ce pas, ne sont pas des hommes : dehors, tout ça !). C’est ainsi qu’à Moscou, il y eut des camps de concentration dans les monastères Saint-Andronic, Neuf-du-Saint-Sauveur, Saint-Jean. Le Journal rouge de Pétrograd du 6 septembre 1918 nous apprend que le premier camp « sera installé à Nijni-Novgorod, dans un couvent de femmes vide d’occupantes (…). Les premiers temps, il est prévu d’expédier dans le camp de Nijni-Novgorod cinq mille personnes » (souligné par moi – a.s.).

À Riazan, le camp fut également établi dans un ci-devant monastère (le monastère de Kazan). Voici ce qu’on en raconte. Il y avait là des marchands, des prêtres, des « prisonniers de guerre » (nom que l’on donnait aux officiers capturés qui ne servaient pas dans l’Armée rouge). Mais aussi des clients indéfinissables (le tolstoïen I. Ie…v, dont nous connaissons déjà le procès, y avait précisément échoué). Dépendant du camp, des ateliers : tisserands, tailleurs, cordonniers, ainsi que (cette dénomination existait déjà en 1921) des « travaux généraux* », à savoir des chantiers de remise à neuf et de construction en ville. Les détenus sortaient sous escorte, mais les artisans isolés, selon la nature de leur travail, étaient laissés sans gardiens et les habitants leur donnaient, dans les maisons, de petits suppléments de nourriture. La population de Riazan manifestait beaucoup de compassion aux privés (« privés de liberté », et non pas « détenus », telle était la dénomination officielle) ; lorsque leur colonne passait, on leur faisait l’aumône (des biscuits, de la betterave cuite, des pommes de terre) : l’escorte ne les empêchait pas de l’accepter et les privés de liberté partageaient entre eux de façon égale tout ce qu’ils avaient reçu. (À chaque pas, voilà des habitudes qui ne sont pas les nôtres, une idéologie qui n’est pas la nôtre). Les « privés » particulièrement chanceux se casaient dans quelque institution en rapport avec leur spécialité (Ie…v, aux Chemins de fer) ; dans ce cas, ils recevaient un laissez-passer pour circuler en ville (mais en revenant au camp passer la nuit).

Voici quelle était la nourriture (en 1921) : une demi-livre de pain (plus une autre demi-livre pour ceux qui remplissaient la norme), matin et soir de l’eau bouillante, au milieu de la journée une louche de soupe-lavure (renfermant quelques dizaines de grains et des épluchures de pommes de terre).

Ornements de la vie du camp : d’une part, les mouchardages des provocateurs (et les arrestations y relatives) ; de l’autre, un cercle d’activités chorales et dramatiques. Des concerts étaient donnés à l’intention des Riazanois dans la salle de l’ex-assemblée de la noblesse, l’orphéon des « privés » jouait au jardin public. De plus en plus, les privés liaient connaissance avec les habitants de la ville et se rapprochaient d’eux, cela finissait par devenir intolérable : alors on se mit à expédier les « prisonniers de guerre » dans les Camps du Nord à destination spéciale.

Il y avait une leçon à tirer de ces camps de concentration, avec leur manque de fermeté et de sévérité : ils se trouvaient en plein cœur de la vie civile. D’où la nécessité des camps spéciaux du Nord. (Les établissements du premier type furent liquidés à partir de 1922.)

Toute cette aurore des camps mérite qu’on se plonge plus intensément dans ses chatoiements.

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Après la fin de la guerre civile, les deux armées du travail constituées par Trotsky durent être dissoutes en raison des murmures des soldats maintenus sous les drapeaux, ce qui ne fit que renforcer le rôle des camps de travail forcé dans la structure de la RSFSR. Vers la fin de 1920, la RSFSR comptait 84 camps sis dans 43 gouvernements. À en croire une statistique officielle (encore que tenue secrète), ils contenaient à l’époque 25 336 personnes, sans compter 24 400 « prisonniers de la guerre civile ». Les deux chiffres, en particulier le dernier, semblent sous-estimés. Toutefois, si l’on considère qu’ils n’englobent pas les détenus relevant de la Tchéka, où, du fait des opérations de désengorgement des prisons, coulages de péniches et autres formes d’extermination massive, le décompte ne cessait d’être repris à zéro, il se peut qu’ils soient exacts. L’avenir devait compenser.

Les premiers camps de travail forcé se présentent à nous aujourd’hui comme quelque chose d’impalpable. Les gens qui y ont été enfermés n’ont, semble-t-il, rien raconté à personne : il n’existe aucun témoignage. Les œuvres littéraires, les mémoires qui parlent du communisme* de guerre, font mention de fusillades et de prisons, mais ne disent rien des camps. Nulle part, fût-ce entre les lignes, fût-ce en sollicitant le texte, leur existence n’est sous-entendue. Où se trouvaient ces camps ? Comment s’appelaient-ils ?... De quoi avaient-ils l’air ?...

L’Instruction du 23 juillet 1918 avait le défaut majeur (remarqué par tous les juristes) de ne pas souffler mot de la différenciation de classe entre les détenus, c’est-à-dire de ne pas préciser que certains détenus devaient être mieux traités et d’autres moins bien. Mais elle contenait un règlement du travail, le seul élément qui nous permette aujourd’hui de nous représenter un peu les choses. La journée de travail était fixée à 8 heures. Dans la fougue de l’innovation, il avait été décidé que chaque tâche exécutée par les détenus, à l’exception des travaux d’entretien du camp, serait rémunérée au taux… (quelle monstruosité ! la plume se refuse à le transcrire)… de 100 % des tarifs syndicaux correspondants ! (Constitutionnalité du travail obligatoire – constitutionnalité de la rémunération : rien à dire.) À la vérité, le salaire payé était amputé des sommes afférentes à l’entretien du camp et de la garde. Les « consciencieux » bénéficiaient d’un privilège : vivre chez des particuliers et ne se rendre au camp que pour le travail. Pour « particulière application au travail », promesse de libération avant terme. Mais, d’une façon générale, il n’y avait pas de prescriptions détaillées quant au régime de travail, chaque camp procédait à sa guise. « Durant la période de construction du nouveau pouvoir et compte tenu du fort surpeuplement des lieux de détention (souligné par nous – a.s.), il était impossible de se préoccuper du régime de travail, toute l’attention étant concentrée sur le désengorgement des prisons. » À cette lecture, aussi incompréhensible que du cunéiforme, que de questions surgissent à la fois : que faisait-on, dans ces malheureuses prisons ? « Nos mœurs carcérales sont affreuses. La détention la plus brève se mue en supplice. » Et quelles étaient les causes sociales d’un pareil surpeuplement ? Et comment comprendre le « désengorgement » ? Exécutions ? répartition dans les camps ? Et que signifie la phrase : il était impossible de se préoccuper du régime de travail ? Le Commissariat du Peuple à la Justice n’avait pas le loisir de protéger les détenus de l’arbitraire des chefs locaux des camps : n’est-ce pas la seule interprétation possible ? Faute d’instructions concernant le régime de travail, chaque tyranneau pouvait, en ces années de conscience juridique révolutionnaire, faire des détenus tout ce qu’il voulait ??

De modestes données statistiques (toujours extraites du même Recueil) nous apprennent ce qui suit : les travaux dans les camps étaient, pour l’essentiel, de gros travaux physiques. En 1919, seuls 2,5 % des détenus travaillaient dans des ateliers de métiers artisanaux ; en 1920, 10 %. On sait aussi qu’à la fin de 1918, le Service punitif central (un beau petit nom, hein ! à vous faire froid dans le dos) se remuait pour obtenir la création de colonies agricoles. On sait qu’à Moscou même il fut constitué un certain nombre de brigades* de choc chargées de la réparation du réseau de canalisations d’eau, des installations de chauffage et des égouts dans les immeubles nationalisés de la capitale. (Dispensés sans doute d’escorte, ces détenus, armés de clés à molette, de lampes à souder et de tuyaux, arpentaient Moscou, les couloirs des bâtiments officiels, les appartements des hauts personnages de l’époque, convoqués d’un coup de téléphone par les femmes de ces derniers, – et voyez : mémoires, pièces de théâtre, films, ils n’ont jamais figuré nulle part.) Mais si l’administration pénitentiaire n’avait pas sous la main les spécialistes requis ? Eh bien, on peut supposer qu’elle les faisait cueillir.

De plus amples renseignements sur l’état du système des prisons et des camps en 1922 nous sont fournis pas le rapport, heureusement conservé, du chef de tous les lieux de détention de la RSFSR, le camarade Ié. Chirvindt, au Xe Congrès des Soviets. Cette année-là, tous les lieux de détention dépendant du Commissariat du Peuple à la Justice et du NKVD (à l’exception des lieux spéciaux de détention du Guépéou) furent réunis pour former le Goumzak (Direction centrale des lieux de détention) et placés sous l’aile du camarade Dzerjinski. (Ayant déjà sous l’autre aile les centres de détention du Guépéou, celui-ci, insatiable, voulait également tout le reste.) Le Goumzak engloba donc 330 centres de détention contenant en tout de 80 à 81 milliers de prisonniers ; le chiffre avait grandi depuis 1920 : « on constate cette année une croissance constante de la population des lieux de détention ». Mais cette même brochure nous apprend (p. 40) qu’en ajoutant les prisonniers du Guépéou, on obtient un chiffre qui n’a jamais été inférieur à 150 000 et est parfois monté jusqu’à 195 000. « La population des lieux de détention devient de plus en plus stable » (p. 10), « non seulement le pourcentage des citoyens relevant des tribunaux révolutionnaires ne baisse pas, mais il manifeste une nette tendance à grandir » (p. 13). Là où s’étaient produits récemment des soulèvement populaires : dans les gouvernements à terres noires du centre, en Sibérie, sur le Don et dans le Caucase du Nord, les prévenus représentaient de 41 à 43 % du chiffre total des prisonniers, ce qui ouvrait devant les camps de bonnes perspectives de croissance.

Entrent en 1922 dans le système du Goumzak : des établissements de redressement par le travail (id est maisons de détention), des établissements de détention préventive (id est maisons d’arrêt), des prisons de transit, de quarantaine et d’isolation (celle d’Oriol « n’est pas en état d’accueillir tous les difficilement redressables », et les « Croix » de Pétrograd, déverrouillées à son de trompe en février 1917, reprennent leur activité), des colonies agricoles (avec arrachage à la main des taillis et des souches), des maisons de travail pour adolescents, et enfin des camps de concentration. Un système pénitentiaire déjà bien développé ! Dans les prisons « on a plus de 6 personnes pour 5 places, et nombreux sont les établissements où, pour une place, on a 3 personnes et plus » (p. 8).

Bâtiments (des prisons et des camps) : ils sont si vétustes, nous apprend le rapport, qu’ils ne satisfont même plus aux exigences sanitaires fondamentales, « si délabrés… qu’on a dû en condamner totalement certains, sinon fermer l’ensemble de l’établissement » (p. 17). Nourriture : « En 1921, la situation a été difficile dans les lieux de détention : le nombre des rations était inférieur à celui des prisonniers. » À partir de 1922, le passage à la prise en charge par les budgets locaux fait qu’on « doit considérer comme quasiment catastrophique la situation matérielle des lieux de détention » (p. 2) ; les Comités exécutifs des gouvernements vont jusqu’à refuser de fournir aux détenus l’intégralité de leur ration. Au début de l’année, le Gosplan avait attribué 100 000 rations à un nombre de détenus compris entre 150 000 et 195 000, d’où une révision à la baisse des normes de nourriture et la disparition pure et simple de certaines denrées (les trois quarts des détenus recevaient moins de 1 500 calories par jour) ; et voilà que, à partir du 1er décembre 1922, tous les centres de détention – sauf quinze, reconnus d’importance nationale – cessèrent totalement d’être fournis en denrées alimentaires. « Les détenus ont faim » (p. 41).

L’État voulait son Archipel, il le voulait – mais n’avait pas les moyens de le nourrir !

Déjà les tarifs de rémunération des travaux avaient baissé. « La fourniture en objets de consommation était extrêmement déficiente… On peut s’attendre à ce qu’elle prenne un tour catastrophique » (p. 42). « Le manque de combustible se fait sentir presque partout. » La mortalité du mois d’octobre 1922 ne représentait pas moins de 1 % des effectifs du Goumzak. On pouvait donc prévoir, pour l’ensemble de l’hiver, une perte de plus de 6 %... qui monterait peut-être jusqu’à 10 % ?

Le système de garde ne pouvait pas ne pas s’en ressentir. « La majorité des surveillants désertent littéralement leur poste, certains s’adonnent à la spéculation et concluent des marchés avec les détenus » (p. 43) – sans parler de tous ceux qui les dépouillent ! « Forte augmentation des manquements à la discipline professionnelle de la part des gardiens : c’est la faim qui les pousse. » Beaucoup ont quitté ce travail pour un autre mieux rémunéré. « Dans certaines maisons de redressement, il ne reste plus que le directeur et un seul surveillant » (on peut imaginer ce qu’il vaut), si bien qu’on « est contraint de faire assurer la surveillance par des détenus choisis dans le contingent à conduite exemplaire ».

Quelle force d’âme et quelle foi dzerjinskienne en la cause castigative communiste il fallait avoir pour ne pas dissoudre et laisser rentrer chez lui cet Archipel moribond, mais le hisser au contraire vers l’avenir radieux !

Voyons donc la suite. Au 1er octobre 1923, au début des années sans nuage de la Nep (assez loin encore du culte de la personnalité), nous avons les chiffres suivants : 355 camps, 68 297 privés de liberté ; 207 maisons de correction, 48 163 ; 105 maisons de détention et prisons, 16 765 ; 35 colonies agricoles, 2 328, plus 1 041 mineurs et malades.

Et cela sans compter les camps du Guépéou ! Réjouissante progression ! Voici les geignards confondus. Le parti avait donc raison : non seulement les détenus ne sont pas morts, mais leurs effectifs se trouvent presque multipliés par deux, et les lieux de détention, loin de s’être écroulés, ont plus que doublé en nombre.

Encore une statistique suggestive : celle de la surpopulation des camps (le nombre de détenus croissait plus vite que celui des camps mis en service). Pour 100 places budgétaires il y avait, en 1924, 112 détenus ; en 1925, 120 ; en 1926, 132 ; en 1927, 177. Quiconque y a été se représente bien les conditions de vie (place sur les châlits, écuelles au réfectoire, vestes ouatées) quand il y a 1 place pour 1,77 détenu.

Le développement du système des camps se voulait une audacieuse « lutte contre le fétichisme de la prison » répandu dans tous les pays du monde, y compris la Russie d’antan où on ne savait rien inventer de mieux que des prisons et encore des prisons. (« Le gouvernement tsariste, qui avait transformé tout le pays en une immense prison, développait avec une sorte de sadisme raffiné son système carcéral. »)

Pourtant, l’Archipel ne va compter, jusqu’en 1924, que trop peu de « simples colonies de travail ». Ce qui domine durant cette période, ce sont les « lieux fermés » de détention, et leur nombre ne diminuera aucunement par la suite. (Dans son rapport de 1924, Krylenko réclame une augmentation du nombre des isolateurs à destination spéciale, c’est-à-dire accueillant les non-travailleurs et les éléments particulièrement dangereux issus des travailleurs [catégorie dans laquelle Krylenko se retrouvera lui-même, semble-t-il, par la suite]. Cette formule entra telle quelle dans le Code de redressement par le travail de 1924).

Au seuil de la « période de reconstruction » (lisez : à partir de 1927), « le rôle des camps… – que croyez-vous ? maintenant, après toutes les victoires remportées ? – …va croître, pour combattre les éléments hostiles les plus dangereux, les nuiseurs, les koulaks, l’agitation contre-révolutionnaire ».

Ainsi donc, l’Archipel ne va pas sombrer dans les abysses de la mer ! L’Archipel vivra !

De même que le surgissement de tout archipel s’accompagne de glissements invisibles dans les strates les plus importantes qui servent de soubassement, et cela avant même que ce monde ne prenne figure à nos yeux, de même ici se produisirent des dislocations et des changements d’appellation de la dernière importance, quasi inaccessibles à notre intellect. Au commencement est le tohu-bohu primitif : les lieux de détention sont régis par trois institutions, la Vétchéka (camarade Dzerjinski), le NKVD (camarade Pétrovski) et le NKIou (camarade Kourski) ; au sein du NKVD, c’est tantôt le Goumzak (Direction centrale des lieux de détention, juste après Octobre 1917), tantôt le Goupr (Direction centrale des travaux coercitifs), puis à nouveau le Goumzak ; au sein du NKIou, c’est la Direction des prisons (décembre 1917), puis le Service punitif central (mai 1918), avec son réseau de Services punitifs de gouvernement qui se réunissent même en congrès (septembre 1920), rebaptisé ensuite de façon plus euphonique Service central du redressement par le travail (1921). Pareil éparpillement, la chose tombe sous le sens, ne servait guère la cause du redressement punitif et Dzerjinski chercha à obtenir l’unité de direction. À ce propos, c’est alors que se produisit un événement qui fut remarqué par bien peu de personnes : l’anastomose du NKVD et de la Vétchéka : à dater du 16 mars 1919, Dzerjinski devint également, par droit de cumul, commissaire du Peuple à l’Intérieur. Et en 1922, il obtint que fussent remis au NKVD, c’est-à-dire à lui-même, tous les lieux de détention qui appartenaient au NKIou (25 juin 1922).

Parallèlement à ces opérations se déroula la réorganisation de la garde des camps. Au début, c’étaient les troupes du Vokhr (Garde intérieure de la République), puis du Vnouss (Service intérieur) ; en 1919, elles fusionnèrent avec le corps militaire de la Vetchéka et eurent désormais le même Dzerjinski pour président de leur conseil militaire. (Et pourtant, pourtant, les plaintes ne cessèrent d’affluer jusqu’en 1924 : abondance des évasions, bas niveau de discipline du personnel.) Ce ne fut qu’en juin 1924 qu’un décret du Vtsik et du SNK introduisit dans le corps des Escorteurs la discipline militaire et le recomplètement des effectifs par l’entremise du Commissariat du Peuple à la Marine militaire.

Toujours parallèlement sont créés en 1922 le Bureau central d’enregistrement dactyloscopique et l’Élevage central des chiens de garde et d’enquête.

Pendant le même temps, le Goumzak de l’URSS devient le Gouitou de l’URSS (Direction centrale des établissements de redressement par le travail), puis le Gouitl de l’Oguépéou (Direction centrale des camps de redressement par le travail) dont le chef prend en même temps la tête des Troupes d’escorte de l’URSS.

Ce que ça en donne, tout cela, d’émotions ! Ce que ça en fait d’escaliers, de bureaux, de sentinelles, de laissez-passer, de tampons, de pancartes !

 

Et c’est le Gouitl, fils du Goumzak, qui a donné naissance à notre Goulag.