I
Lignes de fuite
3 SEPTEMBRE 1939
La guerre – celle-ci ou une autre – cela équivaut à l’éclipse de toutes les choses de l’esprit.
André Breton.
Août 1939 : le monde s’affole. Dans les ambassades et les chancelleries, les palais présidentiels et ministériels, les portes claquent sur la guerre imminente. Les accords de Munich ont été ratifiés un an plus tôt sans que la tension entre les puissances retombe durablement. Après avoir envahi l’Autriche et le territoire des Sudètes, Hitler menace désormais la Pologne. Le 23 août, dans la stupeur générale, il signe un pacte de non-agression avec Moscou.
Le 29, Berlin adresse un ultimatum à Varsovie : le Reich veut Dantzig. La Pologne proteste. Le secrétaire d’Etat au Foreign Office, Lord Halifax, communique sans interruption avec son homologue polonais.
En France, Edouard Daladier, président du Conseil, nomme le général Weygand commandant des opérations en Méditerranée orientale et l’envoie à Beyrouth.
A Rome, Benito Mussolini propose la tenue d’une nouvelle conférence de Munich.
Londres rappelle ses réservistes de l’armée régulière.
Paris réquisitionne les chemins de fer pour de futurs transports de troupes et de matériels.
Dans la nuit du 30 au 31 août, Joachim von Ribbentrop, ministre des Affaires étrangères du Reich, convoque Sir Henderson, l’ambassadeur britannique en poste à Berlin. Quelques heures plus tard, le ministre plénipotentiaire câble un télégramme désespéré à Londres : la question polonaise paraît insoluble.
Le 31 août, dans son bureau de la Chancellerie, Hitler envoie une note confidentielle au commandement militaire allemand : l’attaque contre la Pologne débutera le lendemain, à quatre heures quarante-cinq.
Le 1er septembre 1939, à l’heure dite, les divisions d’infanterie et mécanisées fondent sur Varsovie.
A Londres, dans la matinée, l’armée de terre, la marine et l’aviation sont mobilisées.
A Paris, le Conseil des ministres décrète la mobilisation générale et proclame l’état d’urgence en France et en Algérie.
Le lendemain, Neville Chamberlain, Premier ministre britannique, téléphone à Edouard Daladier pour lui suggérer que la France et l’Angleterre déclarent conjointement la guerre à l’Allemagne. Paris demande un délai de quarante-huit heures : le temps d’achever la mobilisation de ses troupes.
Dans la nuit, Henderson reçoit l’ordre de solliciter une nouvelle entrevue avec le ministre des Affaires étrangères allemand pour le lendemain dimanche. A neuf heures, l’émissaire britannique rencontre l’interprète du ministère. Il reçoit la communication officielle du gouvernement britannique qu’il transmet aussitôt au grand maître du Reich : Londres fait savoir à Berlin que si le 3 septembre, à onze heures du matin, le Führer ne s’est pas engagé à évacuer les troupes allemandes de Pologne, les deux pays seront en guerre.
Une heure après la démarche britannique, M. Coulondre, ambassadeur français en poste à Berlin, fait arrêter sa voiture devant le ministère des Affaires étrangères. Ribbentrop le reçoit. L’envoyé de la France présente l’ultimatum de son gouvernement. C’est le même que celui de Londres. Le ministre communique aussitôt sa réponse : l’Allemagne n’évacuera pas la Pologne.
La Seconde Guerre mondiale vient de commencer.
PACIFISMES
Les généraux qui meurent à la guerre commettent une faute professionnelle.
Henri Jeanson.
Trois mois et demi après la déclaration de guerre, à Paris, le tribunal militaire se réunit dans les locaux de la deuxième chambre correctionnelle pour y juger le sieur Henri Jules Louis Jeanson, scénariste, dialoguiste et journaliste, coupable d’avoir écrit des insanités dans les colonnes du journal Solidarité internationale antifasciste. Cette gazette, fondée par l’anarchiste Louis Lecoin, avait fait campagne trois ans plus tôt pour l’envoi d’armes aux libertaires espagnols de la FAI. Ceux qui signent dans ses pages sont donc doublement coupables : en 1936, pour avoir critiqué la non-intervention en Espagne appliquée par le gouvernement français ; en 1939, parce qu’ils soutiennent des thèses pacifistes dans un pays en guerre.
L’accusation ne reproche pas à Henri Jeanson d’avoir écrit le scénario de Pépé le Moko ou celui d’Hôtel du Nord. C’est sa plume de journaliste qui est mise en cause. Celle avec laquelle il a tracé des mots inqualifiables au regard de l’autorité militaire chargée de veiller sur la sécurité nationale. En temps de guerre, on ne peut pas écrire impunément en ces termes au président du Conseil :