Chapitre Premier
SIRE, FAITES LE ROI
Ouvrons le dossier du roi. Ce n'est pas un règne mais un accusé que nous voulons connaître. Aujourd'hui, le président de la cour d'assises commence l'audience par ces mots : il ne s'agit pas seulement d'un crime, mais d'un homme. Devant la Convention, il n'est question que d'un souverain en défaut.
De tous les procès politiques, celui de Louis XVI possède une particularité : les juges ne sont pas mobilisés pour accomplir les basses besognes de l'État. C'est l'État lui-même qui tranche. Deux siècles après le drame, la Révolution française porte en elle la partialité, l'idée préconçue, la fausse évidence, la contrevérité, le révisionnisme.
Jeanne d'Arc, Richelieu, le Petit Père Combes, relégués au rayon des souvenirs dans la mémoire collective, sont devenus des momies de l'Histoire.
Marie-Antoinette, Saint-Just, Danton sont en revanche bien vivants. À l'énoncé de leurs noms, les sourcils se froncent, les lèvres se pincent. La Révolution a inoculé au pays de Descartes la passion post-mortem. L'historien est la première victime de ce passé recomposé. Michelet, Tocqueville, Taine, Thiers, Jaurès, Gaxotte, Bainville demeurent davantage les hérauts d'une cause que des reporters impartiaux. Ils ont trempé leur plume dans le vitriol, l'eau bénite ou le crachat. Claude Manceron déplore ces excès : « Nous devons être dignes de la Révolution. Si, après deux cents ans, nous ne parvenons pas à parler de Louis XVI ou de Robespierre, de la Vendée ou de la Terreur, sans nous insulter, c'est que nous manquons de maturité. » La Terreur n'est pas un accident de l'Histoire mais une vieille tradition française fortifiée par la mort du Capétien.
Par son refus du changement, le roi est devenu le père putatif de son exécution. Paradoxe de ces journées hors du commun où les ennemis de la monarchie entendent en finir avec son chef, Capet faillit sauver sa tête.
Jusqu'à la fin, il eut ses chances. La synarchie, l'ambiguïté, le refus des évidences, la fuite devant les responsabilités contribuent à sa chute autant que l'acharnement et la haine. Le 21 janvier, on assiste à la mort du représentant de Dieu sur terre et les hommes de la Convention, pour ne pas se rendre coupables de non-assistance à république en danger, deviennent sacrilèges et transforment ainsi un homme ordinaire en martyr.
L'exécution de Louis XVI marque la fin d'une société, pas d'un régime. Fallait-il guillotiner le roi pour enfanter la liberté?

*

Un procès est toujours une agression. L'accusé, seul face à la société qui le broie, devient à son tour une victime. Il subit le verdict, expression judiciaire de la vengeance et du châtiment originel. À couleur politique, le procès ajoute à sa dramaturgie une évidence : le vainqueur du moment demande des comptes au vaincu de la veille. L'atteinte à la sûreté de l'État varie au gré du vent de l'Histoire.
Le procès de Louis XVI commence le 10 août 1792 et se termine le 20 janvier 1793. Ces interminables audiences parlementaires et judiciaires à la fois vivent encore dans les mémoires. Le roi y laisse sa tête et le pays voit son unité sectionnée en deux. Le nouveau souverain, le peuple, peut-il déléguer sa justice ou la retenir ? Le verdict doit-il être prononcé par la Convention ou soumis à la ratification des Français? À chaque grande question - l'Europe en est un exemple - la même cassure se produit : division. La joute républicaine ne doit pas masquer la réalité d'une procédure, plus protectrice des libertés, plus libérale que celle de l'Ancien Régime qui méconnaissait la défense et souvent la malmenait.
L'instruction est dominée par un accusé comme absent : le roi. À aucun moment, il ne tente de faire dévier le destin. Devant la Convention, le 11 et le 26 décembre 1792, il est sourd comme Maurras, muet comme Pétain, il est ailleurs.
Pas un instant il ne suivra l'exemple de Charles Ier d'Angleterre, qui, pourtant, le hante depuis son adolescence. Cette passivité transforme la Convention légaliste en abattoir et ses juges sourcilleux en équarrisseurs. L'accusé les rapetisse. Le roi ne retrouvera la grandeur de ses ancêtres qu'au moment de son testament, texte admirable d'un mauvais écrivain, discours sublime d'un pitoyable orateur.
Ce procès extraordinaire est conduit comme une affaire ordinaire de la répression politique. Il ne diffère guère de ceux de la révolution soviétique, du tiers monde, de l'Occupation, de la Libération. L'affaire Capet se résume en une instruction, un interrogatoire, une plaidoirie, des délibérations, des verdicts, des voies de recours, l'exécution d'une sentence. Routine.