DU MÊME AUTEUR

Le Seigneur-Chat (Philippe Berthelot), Plon, 1988 ; réédition 1998.

Les Mendiants du ciel (Jacques et Raïssa Maritain), Stock, 1995 ; réédition Fayard, 2009 ; Éditions Paoline (Italie), 2000 ; Notre Dame Press (États-Unis), 2006. Prix de la biographie de l’Académie française, Grand Prix catholique de littérature.

Algérie, l’espoir fraternel, Stock, 1997. Prix Albert Camus.

Devenir de Gaulle, Perrin et Le Grand Livre du mois, 2003.

Dominique de Roux, le Provocateur, Fayard, 2005. Prix de la Fondation Charles Oulmont.

La Reconquête, Mémorial de Caen, 2006.

Entretiens

Le Général et le Journaliste (avec Jean Mauriac), Fayard, 2008.

Édition et présentation

La Ferveur et le Sacrifice de Jean de Lattre de Tassigny, Plon, 1988.

Mémoires de Charles de Gaulle (en collaboration avec M.-F. Guyard et J.-L. Crémieux-Brilhac), Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 2000.

L’Après-de Gaulle, de Jean Mauriac, Fayard, 2006.

Il faut partir..., Correspondances inédites de Dominique de Roux, Fayard, 2007.

Journal et Mémoires politiques, de François Mauriac, Robert Laffont, coll. « Bouquins », 2008.

Contributions

Dictionnaire de Gaulle, Robert Laffont, coll. « Bouquins », 2006.

À Jacqueline Cieutat,
complice de cette aventure et de quelques autres

« Un écrivain qui se guinda toute sa vie dans une attitude laisse de lui, après sa mort, une image officielle où nul ne songe à faire des retouches. Mais un auteur dont le souci fut d’être sincère envers lui-même, et de ne rien dire ni rien écrire qui n’exprimât sa plus profonde pensée, demeure pour les survivants l’objet d’un débat sans issue. La sincérité d’un homme nous le rend plus mystérieux. »

François Mauriac,
Du côté de chez Proust.

 

L’INDICIBLE

« Le caché est l’autre côté d’une présence. »

Jean Starobinski,
L’œil vivant.

L’idée de raconter sa vie s’est toujours heurtée, chez François Mauriac, au refus ou à l’impossibilité de « tout dire » sur lui-même. Hormis ses souvenirs d’enfance et d’adolescence, sans cesse repris, remodelés d’un bout à l’autre de son œuvre, et quelques évocations fragmentaires des premières années de sa carrière, l’écrivain a préféré s’abstenir de livrer au grand jour l’intégralité de son histoire personnelle. « L’auteur d’une autobiographie est condamné au tout ou rien, déclare-t-il dès le préambule de ses Mémoires intérieurs. Je ne dirai donc rien. » Un souci de discrétion qui paraîtrait somme toute légitime si François Mauriac ne laissait entendre dans le même temps qu’il a été contraint, en renonçant à « une approche directe de l’homme que je fus », de sacrifier une part de vérité essentielle. Et si, en multipliant les allusions insistantes à ce sujet – « J’ai gardé le silence sur l’indicible » –, il ne s’était plu à officialiser, en quelque sorte, ce qu’il avait résolu de taire...

Est-ce seulement sa défiance à l’égard d’un genre littéraire jugé trop concerté qui a détourné François Mauriac de toute confession publique, lui qui n’a cessé de fustiger la propension calculée de Rousseau, de Chateaubriand, de Gide à « tirer gloire de tout ce qui diffame une vie », à « mettre l’accent sur le pire d’eux-mêmes » ? Mémoires et journaux intimes ne sont jamais pour Mauriac que leurre et mise en scène permettant à l’auteur, en fin de compte, de préserver ses masques. « S’il existe un seul homme qui tienne son journal pour son agrément particulier et non pour les siècles futurs (et nous doutons fort que cet homme existe), il lui reste toujours quelqu’un à duper et c’est lui-même. L’amour qui l’a le plus marqué dans sa vie est souvent le seul sur lequel il garde le silence et ce qui l’expliquerait tout entier, c’est cela qu’il dissimule. » Plaidoyer trompeur et mensonger, l’autobiographie ne servirait, en bref, qu’à brouiller les pistes sous prétexte de confession.

Pour autant, François Mauriac ne va pas jusqu’à considérer sa décision de se taire comme un meilleur gage de sincérité. S’il refuse d’« écrire sa vie », il se résout mal à « n’en rien laisser connaître », entreprend de la raconter sous couvert des livres qu’il a aimés, feint de « jouer le jeu » dans ses Nouveaux mémoires intérieurs en proposant un « rapide survol » de sa « vie apparente ». Mais sans consentir à la moindre confidence susceptible d’« atteindre » ses proches.

Ne pas parler de soi pour ne pas être amené à parler d’eux, telle est en effet la principale raison que Mauriac a toujours mise en avant pour ne rien divulguer de sa vie intime. Mais une raison chargée, là encore, de tant d’ambiguïté qu’elle suscite davantage de doutes qu’elle n’apporte de réponses convaincantes. Pourquoi le « monstre des lettres » qui, depuis toujours, « tire sa substance d’une classe et d’une lignée » s’est-il montré si soucieux, en fin de parcours, de les épargner l’une et l’autre ? Et quels secrets risquait-il de trahir en exhumant l’histoire de leurs destinées communes ? « Si je me suis tu et si je continue à me taire, explique-t-il, c’est que mon histoire ne saurait être détachée d’un contexte foisonnant. J’entraînerais ainsi avec moi toute une race. » En se dérobant devant « ce qu’exigerait l’autobiographie », peut-être assurerait-il aux siens – « écorchés humbles et tragiques » – de dormir enfin en paix, après les avoir si peu ménagés de leur vivant.

Bien qu’il se sache voué, même après sa mort, à demeurer pour les siens un témoin « redoutable », c’est le plus souvent ce scrupule d’ordre familial que François Mauriac invoque auprès de ceux qui, étonnés par tant de réserve, le pressent de se dévoiler. « Je ne peux pas, je ne suis pas seul, j’ai une famille », répond-il à Julien Green qui lui demande pourquoi, « en parlant de lui-même et de sa vie passée, il ne disait pas tout ». Et Mauriac de déclarer à Jean Amrouche, au cours de leurs entretiens radiophoniques, qu’« on peut aller très loin dans la vérité sur soi-même sans pour autant se confesser » quand on a « une famille, une femme, des enfants, des amis ».

Mais c’est une explication plus complexe que suggère un document publié une dizaine d’années après sa disparition, dans le premier tome des Lettres d’une vie. En juin 1963, son frère Pierre, toujours prompt à sermonner son cadet en dépit de leur grand âge respectif, lui reproche d’avoir révélé dans la presse la mésentente religieuse de leurs parents. « Ta lettre m’inquiète, lui écrit aussitôt François, car le second volume des Mémoires intérieurs auquel je travaille ne peut pas ne pas déboucher dans ses dernières pages sur ce sujet. (...) Que faire ? Je ne pourrai donc écrire ni mon Si le grain ne meurt, ni l’équivalent du dernier livre de Green, même après soixante ans ? Ou je le ferai avec tant de gêne et de timidité que sans doute mieux vaut y renoncer ? ».

Cette protestation résignée du vieil écrivain toujours en butte, à près de quatre-vingts ans, à l’incompréhension des siens, nous éclaire sur les véritables raisons de son silence. Après avoir essuyé, une quarantaine d’années auparavant, un premier désaveu de son frère, indigné de le voir renier leur adolescence dans la préface d’une réédition des Mains jointes, puis avoir été confronté à d’autres remous familiaux lors de la publication du Mystère Frontenac, François Mauriac avait reçu dans les années cinquante une « lettre horrible » de sa sœur aînée, Germaine Fieux, lui faisant grief, en des termes assez crus, de la parution dans la presse de photographies de famille.

Est-ce pour ne pas s’exposer, une fois encore, à la réprobation de son entourage que François Mauriac n’a finalement jamais écrit l’équivalent des souvenirs de Gide ou de Green ? Ou bien a-t-il pris prétexte de ce nouvel incident pour esquiver définitivement toute révélation intime ? S’il a renoncé à dévoiler, à son tour, « le secret combat d’une destinée particulière », sans doute est-ce davantage sous la pression conjuguée de ses proches que de son propre chef.

Ainsi allait perdurer, nonobstant les rumeurs, les insinuations, les attaques à peine voilées dont il a souvent été la cible à ce sujet, ce qu’il est convenu d’appeler encore aujourd’hui le « mystère Mauriac ». Un secret de Polichinelle, en réalité, mais entouré jusqu’ici du même carcan de non-dits et de sous-entendus plus ou moins bienveillants.

Tabou entre tous, la « question homosexuelle » dans la vie de François Mauriac n’a jamais été qu’effleurée ou traitée avec la plus grande prudence, quand elle n’a pas été délibérément occultée. À la discrétion forcée du mémorialiste a succédé la réserve embarrassée de la plupart de ses biographes et exégètes, eux-mêmes peu ou prou conditionnés par la vigilance familiale...

Présentateur de ses Œuvres autobiographiques parues dans la Bibliothèque de la Pléiade en 1990, François Durand reconnaît, non sans précautions, que l’écrivain était « très sensible au charme des jeunes hommes » et même « un adorateur de la jeunesse ». Mais il avoue s’être d’autant moins attaché à cette question-là qu’il l’estime « accessoire » dans la mesure, affirme-t-il, où, pour le chrétien Mauriac, « peu importait l’objet du désir », « c’était le désir lui-même qui, hors des liens du mariage, se trouvait fatalement lié au mal, au malheur, à la mort ». Assertion qui revient à nier sinon minimiser la fascination amoureuse qu’ont précisément exercée sur lui, toute sa vie, la jeunesse et la « beauté vivante » de quelques êtres spécifiques. Dans la biographie qu’elle lui a consacrée en 2000, Violaine Massenet s’est appliquée plus encore à contourner le sujet en évoquant sans rire « sa crainte obsessionnelle des pédérastes » – crainte qui n’a pourtant jamais empêché François Mauriac, comme on sait, de fréquenter de près la plupart des écrivains homosexuels de son temps, de Cocteau et Proust à Gide, Green et Jouhandeau. Pour ne parler que des plus célèbres...

L’un des rares qui aient abordé cette « question » est Jean Lacouture, son premier biographe. Mais il l’a fait avec une extrême prudence et sans beaucoup s’aventurer au-delà de la seule version alors agréée par Claude Mauriac : celle d’une « tentation refrénée » et « d’autant plus pathétique », liée à « quelques années terribles » où son père fut « en proie à une passion sans issue ». Si l’hypothèse homosexuelle est ici admise, c’est tout au plus sous la forme, circonscrite dans le temps et limitée dans sa réalité, d’un état momentané, vécu comme une épreuve dramatique et refoulé au prix d’une lutte déchirante. Non comme une donnée essentielle et permanente de son être et de sa destinée.

Revenant sur le sujet en 2003, plus d’une vingtaine d’années après la parution de sa biographie, Lacouture évoque, dans Profession biographe, les contraintes familiales auxquelles il dut faire face et les limites qu’il s’est lui-même imposées dans sa recherche de la vérité :

« Tout cela était lourd de risques, ceux qui consistent à faire, non seulement des erreurs, mais du mal. Je crois avoir, pour l’essentiel, évité le pire. Jeanne Mauriac m’a reçu avec bienveillance. Elle m’a parlé très librement, faisant allusion à quelques “coquins” qui avaient accompagné la jeunesse de son mari, et m’a montré un “petit cahier” qu’il n’était pas question de me confier (...).

« Je n’ai pas recueilli la preuve qu’il ait eu des amants, des relations sexuelles avec des hommes, poursuit Lacouture. Mais il a été obsédé par tel ou tel, il a eu des amours au moins verbales (sic) dont témoigne la correspondance publiée – excellemment – par sa belle-fille Caroline. (...) Bref, je n’ai pas esquivé cette question, parce qu’il s’agit d’une composante de l’œuvre. Je ne suis pourtant pas partisan de dire “toute la vérité” (...). Je crois qu’il y a des choses qui doivent rester secrètes. Qu’il faut même parfois sauvegarder des zones d’ombre. (...) Mon travail a donc des limites. Je ne me donne pas tous les droits pour arracher la vérité, celui de porter le bistouri dans toutes les plaies, je ne suis ni un chirurgien, ni un confesseur, ni un procureur général. »

Reste que le sujet en question ne relève ni de la médecine ni du domaine judiciaire, mais de celui des sentiments, de l’histoire amoureuse, sinon sexuelle, d’un romancier qui n’a jamais craint, pour sa part, d’explorer les « abîmes » du cœur humain...

Ce n’est qu’en 2008, soit près de quarante ans après la disparition de l’écrivain, que le tabou a été en partie levé grâce à son fils cadet, qui a pris le risque d’encourir à son tour la réprobation d’une partie de sa famille. Répondant, dans le cadre d’un livre d’entretiens, à une question que je ne pouvais manquer de lui poser, de manière certes un peu abrupte – « En bref, votre père était-il homosexuel ? » –, Jean Mauriac s’est exprimé sans détour, avec un franc-parler qui mérite d’être salué.

« Homosexuel, mon père ? Non, certainement pas au sens où l’on entend ce terme quand on l’applique à Gide, Cocteau, Jouhandeau ou Montherlant. Mais de tendance homosexuelle, oui, bien sûr. Pour une fois, je citerai mon frère Claude : “François Mauriac a été dévoré par l’amour. L’amour le brûla jusqu’à l’épuisement.” Cet amour est-il allé chez lui jusqu’à la sexualité ? Pourquoi pas ? Voilà qui ne me gênerait en aucune manière. Si je le croyais, pourquoi ne le dirais-je pas ? Mais, bien évidemment, je ne le crois pas. Je connais bien les amis de mon père, ceux pour lesquels François Mauriac a ressenti de l’amitié, de l’affection, de la tendresse, parfois une véritable passion : pour la plupart, c’étaient des hommes mariés, “des hommes à femmes”, comme on dit vulgairement. Si je suis triste quand j’évoque ce problème, c’est parce que mon père en a beaucoup souffert. Il a cru – plus ou moins, il est vrai – devoir cacher ces sentiments en raison de la religion (toujours elle), de sa famille, de son milieu provincial borné, de sa réputation. Mais ne le regrettons pas : sans ce véritable drame intérieur, sans cette tendre affection à l’égard de Louis, Robert, Jean, Daniel, Bernard, Roger, Jean-Jacques, Gabriel, Yves, Christian, jamais François Mauriac n’aurait pu écrire l’œuvre romanesque, brûlante, trouble, haletante, tragique, qu’il a écrite.

« “Je suis seul ce soir, confie-t-il dans une lettre qui n’a jamais été publiée. J’écoute l’adorable Freischütz. Je suis calme et à la fois troublé. Plein de tendresse humaine à crever. Et pourtant calme et, il me semble, dans la paix de Dieu.” Tout n’est-il pas dit ? Lisez ou relisez les Lettres d’une vie et les Nouvelles lettres d’une vie, celles, par exemple, écrites à Jean Blanzat aux jours les plus sombres de la guerre : “Vous ne pouvez savoir ce que j’ai pu être exigeant, ardent, désespéré...” Et, quelques mois après : “... Que j’ai à lutter, tout vieux que je suis, contre mon étrange cœur.” Son “étrange cœur” ! Nous voilà convaincus, si nous avions le moindre doute (...).

« À la vérité, nous avons vécu aux côtés de François Mauriac sans avoir rien compris de lui. C’est incroyable, n’est-ce pas ? Il a fallu attendre sa mort, la publication de sa correspondance, la connaissance de certains de ses textes, pour connaître la vraie nature de l’homosexualité de François Mauriac. »

Cette mise au point, même mesurée, fit scandale du côté des héritiers de Claude Mauriac dont la veuve, petite-nièce de Marcel Proust, n’est pourtant pas avare, quand on l’interroge, de confidences sur le même sujet. Les représailles n’ont guère tardé. Après m’avoir ouvert librement les archives de son mari et permis d’accéder à l’intégralité de sa correspondance avec François Mauriac, celle-ci me fit aussitôt savoir, compte tenu du livre que je venais de publier avec son beau-frère, qu’elle s’opposait à toute exploitation des documents qu’elle m’avait confiés, ainsi que des entretiens qu’elle m’avait, de son côté, accordés sans réserve. Je pris acte de ce curieux interdit, formulé après coup au mépris du travail déjà accompli, en y voyant une nouvelle illustration du malaise, de l’embarras, si ce n’est du rejet, qu’ont toujours suscités, chez quelques-uns des siens, certains aspects de la « vie privée » de François Mauriac.

Il suffit pourtant de lire de près l’ensemble de son œuvre ou de savoir, comme le suggère Jean Mauriac, quels amis, confidents ou inspirateurs ont durablement compté dans son existence, pour comprendre que la « tentation » homosexuelle n’a jamais cessé d’être une des composantes majeures de sa sensibilité, une des sources profondes de ses angoisses, de ses révoltes, de sa causticité permanente, de son sens implacable de la démystification. Comment ne pas voir tout ce que son univers romanesque doit à la part la plus trouble, la plus clandestine de son être, et à quel point les engagements du chrétien, les combats du polémiste, sa solidarité constante avec les réfractaires et les humiliés, empruntent à la conscience de sa propre différence ? Que l’auteur des Anges noirs ait cédé ou non à ses « tendances particulières », selon l’expression consacrée, il n’en demeure pas moins que celles-ci font partie intégrante de sa vérité intime et sont aussi indissociables du contenu de son œuvre que de l’histoire de sa destinée.

Évoquer tout ce que François Mauriac a résolu, parfois contre son gré, de laisser dans l’ombre, est-ce le réduire aux aspects présumés scabreux de sa personnalité ? Ou plutôt le rendre enfin à lui-même en l’envisageant tel qu’il fut, sans rien occulter de sa complexité ? Épouvanté par les entreprises iconoclastes de son ami Henri Guillemin, sa « façon si cruelle d’accommoder les morts illustres », sa chasse intempestive aux « manuscrits accusateurs », le grand écrivain couvert d’honneurs et de gloire s’avouait sans illusion quant au sort posthume qui lui serait réservé : « Ses livres m’ont fait réfléchir sur ce qui risque de nous accabler lorsque nous ne serons plus là pour nous défendre. (...) Un cadavre encore vulnérable, quelle tentation pour les survivants. Il laisse des traces écrites : celles qu’on connaît déjà, mais d’autres aussi et qui sont le gibier des chasseurs de l’espèce Guillemin : correspondances privées, carnets intimes, notes de toutes sortes, tout ce que, de l’enfance à la vieillesse, peut accumuler un homme dont l’écriture est le moyen naturel d’expression. (...) Ce n’est pas notre œuvre qui demeure, c’est nous-même, c’est notre vie dans la mesure où elle propose des découvertes amusantes ou scandaleuses aux érudits. » Or, contrairement à ses prévisions, ce n’est pas d’un excès d’intérêt pour sa vie personnelle, au détriment de son œuvre, que la postérité de François Mauriac souffre le plus aujourd’hui, mais d’une réputation qui s’est peu à peu brouillée à force d’interdits et de faux-semblants dans la compréhension de son personnage.

Il est significatif, à cet égard, que l’auteur du Bloc-Notes ait fini par éclipser, dans l’esprit de nos contemporains, l’auteur de Thérèse Desqueyroux et du Désert de l’amour. Paradoxalement, l’œuvre du journaliste, par nature éphémère, paraît n’avoir rien perdu, avec les années, de son actualité, quand celle du romancier ne refléterait plus qu’une époque révolue, du fait, notait déjà un critique quinze ans à peine après sa mort, « d’une rhétorique de la grâce et de la perdition qui nous est devenue langue étrangère ». À l’évidence, le polémiste qui traite essentiellement de vie publique se révèle plus direct, plus débridé, plus libre de ses propos que le narrateur confronté aux personnages issus de son seul univers. Tandis que le premier s’avance à découvert, avec l’allègre férocité d’un vieil adolescent émancipé, le second, pour impitoyable qu’il soit dans la mise en cause de son milieu originel, apparaît d’autant plus contenu, réservé, qu’il manipule ses créatures comme les avatars inavouables de sa personnalité intime, exhibe leurs destinées étouffantes comme les répliques masquées de son propre drame intérieur. Certes, pour une grande part, la beauté singulière, sinon, la vérité profonde des romans mauriaciens réside dans ce qu’ils ne livrent pas, les renoncements amoureux qui les ont secrètement inspirés. Mais un tel jeu d’ombres a fini par estomper dans le même temps la vigueur subversive de ces récits haletants et clos où des vies se consument à force de passions refoulées, où des irréguliers dressés contre les lois de la tribu échouent à se délivrer d’une solitude sans appel.

Contrairement à l’idée aujourd’hui la plus répandue à son sujet, ce qu’il y a chez François Mauriac d’authentiquement rebelle et dérangeant ne se limite pas au seul journaliste politique, mais concerne tout autant le créateur sulfureux de Thérèse Desqueyroux, de Jean Peloueyre ou de Bob Lagave, tous messagers d’une douleur, d’une colère, d’un désir de transgression qui l’ont habité lui-même, sa vie durant, sans jamais s’exprimer pleinement au grand jour. « ... Je rigole, mon cher Mauriac, je rigole quand on fait de vous un écrivain du catholicisme, lui écrivait Roger Martin du Gard à la fin des années vingt. Il n’y a pas une œuvre d’incrédule ou d’athée où le péché soit plus exalté... Ce sont des livres à damner les saints !... Il crève les yeux que vos tableaux sont peints avec une frénésie, une complaisance, une évidente et charnelle tendresse... » Déjà perceptible du vivant de François Mauriac, ce malentendu n’a fait que croître après sa mort, au point de fausser la perception qu’on peut avoir désormais de son œuvre comme de lui-même.

L’objet de cette biographie, on l’aura compris, n’est pas de perpétuer une image officielle devenue par trop fallacieuse et restrictive, mais d’appréhender, autant que faire se peut, la vérité d’un écrivain qui fut aussi, selon sa formule, « un sang brûlant et une chair aimée ». Une entreprise aussi délicate exigeait naturellement de pouvoir accéder aux sources susceptibles de révéler l’homme Mauriac dans ce qu’il eut de moins dissimulé. À défaut d’authentiques mémoires ou d’un journal continu, c’est essentiellement dans sa correspondance privée qu’il paraît s’être livré sans trop de réserve et avec le plus de sincérité. « Vos lettres, lui disait Jacques Chardonne, sont vous-même plus que tout. » Le prolixe correspondant de Robert Vallery-Radot, d’André Gide ou de Jean Paulhan a beau prétendre, fidèle à son goût de l’antithèse, s’être toujours défié de la pratique épistolaire comme du genre autobiographique – « ce qu’il y a au monde de plus mensonger » –, le fait est que la masse considérable de lettres qu’il a laissées derrière lui, encore pour partie inédites, constitue le plus sûr vivier d’informations le concernant.

Ce n’est pas par hasard que François Mauriac s’était mis à redouter, avec l’âge, l’existence de tels documents et les usages divers qu’on risquait d’en faire à son détriment. Lui qui avouait à Marcel Proust ne pouvoir s’épancher dans ses livres qu’« avec prudence et circonspection » – « parce que je suis inséré dans une famille et que j’ai choisi de ne pas être libre » –, il s’inquiétait d’autant plus de cette profusion de messages disséminés et de la manière, surtout, dont elle serait exploitée qu’il savait s’y être exprimé plus librement que dans aucun autre de ses écrits. Au demeurant, ses pires détracteurs ne s’y sont pas trompés : réputées explosives, bien que la plupart du temps introuvables, certaines de ses lettres circulaient déjà sous le manteau, de son vivant, comme de présumées pièces à conviction.

En 1964, l’insidieuse et virulente campagne de presse déclenchée contre lui par Roger Peyrefitte dans le magazine Arts gravite en grande partie autour d’une correspondance supposée scandaleuse avec Jean Cocteau, son ami de jeunesse. « Où sont-elles, ces lettres d’amour que vous lui aviez écrites et que vendit Maurice Sachs après les lui avoir volées ? interroge avec insistance l’auteur des Amitiés particulières... Ces lettres, les uns prétendent qu’elles sont chez un curé de Nice, les autres chez le collectionneur Godoï en Suisse... » En cherchant à démasquer de cette manière – sans d’ailleurs y parvenir – l’écrivain catholique le plus prestigieux de son époque, Peyrefitte ne faisait que rendre publique, en réalité, une vieille rumeur entretenue dans les milieux littéraires parisiens depuis l’avant-guerre et déjà exploitée à outrance contre Mauriac sous l’Occupation. Ce dernier n’avait d’ailleurs pas attendu cette controverse spectaculaire pour tenter de conjurer une menace qu’il jugeait redoutable.

En juillet 1961, il intervient auprès d’un de ses confidents de longue date, l’écrivain libertaire Daniel Guérin, ardent défenseur de la cause homosexuelle, pour récupérer la partie la plus sensible de leur correspondance :

« Tout simplement, et au nom de notre vieille amitié, je vous demande de me restituer ce qui, dans cette correspondance, est trop personnel pour que je puisse exposer les miens au risque d’une publication posthume. Non qu’il y ait rien là dont j’aie à rougir. Mais enfin, cette crise d’il y a trente-quatre ans dont vous avez été le témoin, vous comprendrez que je ne souhaite pas la voir exposer à la curiosité (à supposer qu’on s’intéresse à moi, après moi, pour se poser des questions sur le pauvre être que je fus entre 1924 et 1928 !...). »

Trois semaines plus tard, Guérin ne lui ayant pas encore répondu, Mauriac, « étonné et inquiet », se fait plus pressant : « J’aimerais savoir ce que vous avez dans l’esprit à ce sujet... Un mot, s’il vous plaît ! » Et rappelle assez sèchement à ce familier de près d’un tiers de siècle que, si ces lettres appartiennent aussi à leur destinataire, elles ne lui donnent « aucun droit quant à une publication ni intégrale ni fragmentaire... »

Plus péremptoires encore seront les réclamations qu’il adressera dans le même sens, au printemps 1966, aux héritiers d’un autre ami d’autrefois, François Le Grix. Lesquels lui opposeront une fin de non-recevoir catégorique, en raison non seulement de leur droit de propriété, mais aussi de l’« intérêt intellectuel » de cette correspondance, « depuis longtemps en sécurité », qui leur permet de « mieux comprendre »... la personnalité de leur oncle.

Si ces démarches semblent avoir produit malgré tout leur effet – les lettres à Daniel Guérin ont finalement rejoint le fonds Mauriac déposé à la bibliothèque Jacques Doucet, celles échangées avec François Le Grix auraient été soit égarées soit brûlées, selon les versions successives de leurs probables détenteurs –, on ne verra pas moins surgir, une quinzaine d’années après la mort de François Mauriac, lors d’une vente publique à l’hôtel Drouot, l’une des rares correspondances de ce genre dont il avait manifestement omis de se préoccuper : une série de messages adressés à un jeune dominicain homosexuel, le père Jacques Laval, dont seuls quelques initiés connaissaient l’existence. Dans le catalogue de Drouot figurent quelques extraits particulièrement révélateurs de sa profonde connivence affective avec ce prêtre d’une trentaine d’années, très tourmenté par les sollicitations de la chair, auxquelles il cède d’ailleurs ouvertement.

Pour choquante qu’elle soit aux yeux des descendants de François Mauriac, cette publication partielle eut au moins le mérite de mettre en lumière, pour la première fois, une de ces grandes amitiés souterraines qui ont parfois davantage compté dans la vie de l’écrivain que ses relations les plus notoires. L’amitié qu’il a entretenue, plusieurs décennies durant, avec Jacques Laval ne saurait être tenue pour négligeable, quand on sait qu’il a dédié, en 1939, à ce religieux peu conformiste un de ses livres les plus intimes, Les Maisons fugitives. « Vous êtes le seul qui m’entendiez sans étonnement et sans trop de scandale », lui confie Mauriac en mai 1945, alors qu’il est en proie à « une crise » qu’il ne sait « comment dénouer ». Vingt-cinq ans plus tard, le sulfureux père Jacques Laval prendra part en la cathédrale Notre-Dame, aux côtés du cardinal Marty, à la célébration des obsèques officielles de l’écrivain en tant qu’ami du défunt.

Bien plus que d’offrir des « découvertes amusantes et scandaleuses », l’intérêt des multiples correspondances que l’écrivain a échangées depuis sa jeunesse avec les acteurs, proches ou lointains, de son aventure personnelle est de nous offrir, selon l’expression de sa belle-fille, Caroline Mauriac, « le plus juste reflet de sa véritable vie ».

Une vie certes intensément mêlée à l’actualité littéraire, intellectuelle et politique du siècle qu’elle a traversé, mais dont « la part importante », comme le rappelle l’écrivain dans la postface de ses Nouveaux mémoires intérieurs, a résidé « dans ce qui se passait au-dedans de moi ». C’est cette histoire-là, la mieux préservée et la seule qui ait compté pour lui en définitive, que nous avons voulu raconter.

1

L’ESPRIT D’ENFANCE

« Un écrivain a besoin d’ancêtres. »

Elias Canetti,
Jeux de regard,
Histoire d’une vie, 1931-1937.

L’inconnu bien-aimé

Le 18 octobre 1965, Bordeaux célèbre avec faste le quatre-vingtième anniversaire de son écrivain le plus illustre depuis Montaigne et Montesquieu. Hommage en forme de trêve plus que de réconciliation, après un demi-siècle de « malentendus ». Ce soir-là, sur la scène du Grand Théâtre, devant un parterre rutilant de notabilités locales, François Mauriac, comblé sans être dupe, ne peut s’empêcher d’évoquer le conflit qui l’a longtemps opposé à sa ville natale. Il se défend du « crime » de trahison et de calomnie envers ses « frères bordelais et landais », tout en soulignant sans détour leur vieux sujet de discorde : ses « partis pris politiques » depuis la guerre d’Espagne. « Lorsque les lampions seront éteints, écrit-il peu après dans son Bloc-Notes, je me doute de ce qu’il en restera. Ceux de mes ennemis que cet anniversaire désarme et qui se taisent se soulageront à la première occasion d’avoir dû me ménager. »

Une quarantaine d’années plus tard, si Bordeaux se flatte officiellement d’être la patrie des « trois M », la reconnaissance réelle accordée au dernier d’entre eux reste on ne peut plus mesurée. Aucune place ni artère du centre de la ville ne porte encore à ce jour le nom de l’auteur de Préséances et du Nœud de vipères. Une plaque assez modeste signale tout au plus la maison, 86 rue du Pas-Saint-Georges, où il est né le 11 octobre 1885. Maison dans laquelle il n’a passé, en réalité, que les vingt premiers mois de son existence jusqu’à la perte brutale de son père. Ironie du sort : le seul lieu qui perpétue aujourd’hui le souvenir de François Mauriac est aussi celui qui, d’emblée, a incarné pour lui le « tragique » d’une ville dont « toutes les rues, constatera-t-il un jour, sont bloquées par mes chagrins d’enfant ».

À la source de son différend avec Bordeaux, il y a des raisons plus profondes que les seuls « malentendus » politiques qu’il a lui-même invoqués. Tout ce qui l’a éloigné de sa ville natale à partir de l’adolescence, c’est tout ce qui ferait de lui l’écrivain qu’il est devenu : la conscience d’une appartenance inexorable et le refus de s’y conformer au point d’abdiquer le « sentiment obscur » de sa différence. Symbole du pouvoir matriarcal qui a dominé sa jeunesse, Bordeaux a été tout autant à ses yeux celui de la disparition, de l’effacement du père, son allié intime contre l’ordre de la tribu.

« Plus obsédante que n’importe quelle omniprésence, souligne Michel Suffran, l’absence du père fonde, dès l’origine et à jamais, le destin de François Mauriac, sa vie d’homme et son regard d’écrivain, son monde. » Inconsolable d’avoir manqué cet « être très fin, très timide, ami des livres, ennemi des affaires auxquelles il était condamné », Mauriac s’est attaché, faute de réminiscences personnelles, à le recréer, le ressusciter jusque dans ses dernières œuvres romanesques, saluant chez cet « absent bien-aimé » un personnage « si rare dans son milieu : un intellectuel ». « Il me ressemble, regarde », lance-t-il un jour à son fils aîné en comparant leurs photographies de jeunesse, bouleversé par ce qu’il découvre entre eux de similitudes. Dans une famille où les écrivains étaient considérés comme « des gens redoutables qui se damnaient et qui damnaient les autres », son père seul, se plaisait-il à rappeler, avait « le culte des lettres et de la littérature, et certainement le culte des écrivains ». Devenue comme l’essence même de leur filiation, la littérature opérait entre eux la rencontre qu’ils n’avaient jamais eue, scellait l’entente indéfectible qu’ils n’avaient pu connaître.

François Mauriac, âgé d’à peine vingt mois à la mort de son père, ne gardait de celui-ci, par la force des choses, aucun souvenir direct. Rien ne subsistait dans sa mémoire de la brève période vécue à ses côtés dans l’appartement de la rue du Pas-Saint-Georges, au cœur du vieux Bordeaux. Rien non plus de cette date fatidique du 11 juin 1887 où, saisi d’un violent mal de tête en rentrant de ses propriétés des Landes, Jean-Paul Mauriac est emporté en quelques jours, à trente-sept ans, par un « abcès au cerveau ». On racontait en famille que, conduit auprès de son père mourant, le petit garçon, effrayé au point de pousser des cris, avait refusé obstinément de l’embrasser. Scène que les siens prendront soin de lui relater quelques années plus tard comme pour lui donner à jamais mauvaise conscience. L’écrivain attendra près d’un demi-siècle avant d’oser évoquer dans un de ses romans, Le Mystère Frontenac, l’« interminable agonie » du jeune chef de famille, « la tête renversée, le cou énorme que dévorait sa jeune barbe vigoureuse », en se répétant, avec un regret infini, qu’« aujourd’hui on aurait tenté de le trépaner », qu’« on l’aurait sauvé peut-être » et qu’« il serait là... Il serait là ».

Chaque année, leur mère, Claire Mauriac, conduisait ses cinq enfants en bas âge au cimetière de Langon devant le caveau de leur père. François observait avec un mélange de crainte et d’amusement ce petit temple d’allure un peu païenne. Il imaginait que le purgatoire se trouvait à l’intérieur et que la Vierge, tous les samedis, « en soulevait le couvercle comme d’une bouilloire ». Dans le psaume qu’elle récitait face au tombeau de son mari, la jeune veuve implorait le Seigneur avec la même ardeur pathétique qu’elle mettait, chaque soir, dans ses prières pour l’âme du disparu.

François Mauriac a vécu dès sa petite enfance dans « la familiarité des morts ». Ce sont eux, plus encore que les vivants, qui ont peuplé son imaginaire, éveillé son « instinct d’affabulateur ». De « pauvres morts oubliés » dont il se sentira voué ou condamné, dès ses premiers livres, à exhumer la « figure inconnue », à perpétuer le souvenir comme à dénoncer les faux-semblants, à divulguer les secrets les mieux gardés, jusqu’à puiser dans ce magma d’existences consumées l’essentiel de ses intrigues et de ses personnages. Traître ou rédempteur, pilleur d’épaves ou libérateur de consciences, le romancier ne cessera de se nourrir des destins qui l’ont façonné, se disputant son identité, tous mêlés, enchevêtrés en lui avec ce qu’ils renfermaient de passions refoulées, d’ambitions inassouvies, de haines et d’antagonismes inextricables. « Quelle fut la vie cachée de ces hommes et de ces femmes ? Qu’ont-ils aimé, désiré, haï ? » Ces interrogations qui l’ont toujours hanté à propos des morts, l’écrivain les portait en lui, depuis sa jeunesse, avec d’autant plus d’acuité qu’elles touchaient au mystère même de son hérédité, à l’emprise que celle-ci avait exercée sur sa propre vie, à la prédestination qu’elle lui avait imposée.

Cette obsession héréditaire, ce besoin inlassable d’explorer les « sources innombrables » dont il était issu, de fouiller la mémoire des morts pour percer le secret de leur cœur, ce travail d’identification d’une « race », d’une lignée, en vue de « découvrir le mot de sa propre énigme », ont été intimement liés, chez François Mauriac, aux questions, restées sans réponse, qu’il s’est toujours posées au sujet de son père. « Souvent, dans mon enfance, confie-t-il dans le Journal d’un homme de trente ans, les souvenirs de ma sœur et de mes trois frères sur “pauvre papa” m’ont donné l’illusion que je retrouvais au fond de moi ce visage pâle et triste d’une photographie agrandie par Nadar et que maman avait dans sa chambre. Mais c’est une illusion. »

De cet « inconnu » ne subsistaient que quelques traces éparses et disparates : son chapeau melon noir que Claire Mauriac conservait pieusement dans son armoire à glace sur une pile de linge, des meubles et bibelots venus de sa maison de Langon, une poignée de lettres datées de 1870 et signées « Jean-Paul Mauriac, soldat de la République », quelques portraits de jeunesse, de « belles éditions de Montaigne et de La Bruyère », ses auteurs favoris. Le reste était fait de « légendes » propagées à voix basse dans les réunions de famille. François Mauriac ne sera jamais dupe de celle, soigneusement entretenue par sa mère, selon laquelle le défunt avait essayé, avant de mourir, d’approcher de ses lèvres un crucifix – « mais mon grand-père, précise-t-il, insinuait que c’était pour se gratter ». Dans le destin de ce libre penseur « violemment » anticlérical, il pressentait le drame d’un marginal épris de culture et sacrifié aux intérêts du clan : « Comme il était l’aîné, on l’avait mis d’office dans les affaires alors qu’il eût préféré poursuivre ses études classiques. Il avait très tôt perdu la foi et j’ai retrouvé des lettres pathétiques de prêtres qui le chérissaient. Toute notre enfance, pour son salut et pour celui de mon grand-père, s’est inquiétée et a prié. »

Pour tout savoir ou presque de ce père frondeur et atypique, de ses goûts, de ses idées, de ses rêves inaboutis, il lui manquera toujours d’avoir pu lire deux cahiers manuscrits retrouvés seulement après sa mort chez l’un de ses frères : les journaux de jeunesse de Jean-Paul Mauriac. Le sort de ces documents est pour le moins troublant, tant on s’explique mal comment François Mauriac a pu toute sa vie ignorer leur existence. Sont-ils restés enfouis par mégarde, un siècle durant, dans une armoire de famille, ou sciemment dissimulés pour n’être révélés que le plus tard possible ? Cette dernière hypothèse paraît la plus plausible, quand on sait que certaines pages en ont été arrachées, d’autres partiellement amputées : celles, sans doute, qui ne devaient être lues à aucun prix...

Jean-Paul Mauriac a vingt et un ans lorsqu’il décide, lors d’un séjour d’initiation commerciale en Angleterre au cours de l’automne 1871, de relater quotidiennement les « aventures » dont il sera l’« auteur » ou le « simple spectateur », de consigner ses remarques, observations et impressions, « voire, ajoute-t-il, mes opinions, voire même mes inspirations si j’en ai jamais ».

En fait d’« aventures », ce sont avant tout ses états d’âme et ses moments de spleen que le jeune dandy bordelais, féru de musique, de théâtre, de poésie, et promis malgré lui à une carrière de négociant, rapporte tout au long de ces pages empreintes d’une ironie déjà désabusée. Notations intimes entrecoupées de réflexions acerbes sur la religion catholique, moins sincère à ses yeux que la religion anglicane, et de jugements aussi sévères sur les nouveaux maîtres du pouvoir en France depuis la chute du Second Empire. Tout comme son frère Louis qui a pris part, en janvier 1870, aux manifestations organisées lors des obsèques du journaliste Victor Noir assassiné par Pierre Bonaparte, Jean-Paul Mauriac se déclare passionnément républicain. Mais il déplore de ne trouver du côté de Jules Favre ou de Monsieur Thiers ni homme d’État, ni « législateur », ni « fondateur d’institutions durables ».

Hormis quelques brèves promenades dans la banlieue de Londres, Jean-Paul Mauriac consacre la majeure partie de son temps à recueillir ses idées, à lire, à rédiger des poèmes, à correspondre avec ses proches, comme si sa véritable vocation était là, et non dans celle qu’on lui destine. Alors que son père le presse d’aller visiter de grands centres industriels avant son retour en France, il objecte que « rien n’est plus triste que de voyager seul ». Il préfère, à tout prendre, déambuler dans les musées de Londres ou débattre avec ses amis anglais du sort de Napoléon III – « cet aventurier qui porte le nom d’un autre aventurier et qui assassine et qui vole »... L’auteur du Bloc-Notes avait de qui tenir.

On imagine l’émotion qu’aurait eue François Mauriac à la lecture d’un tel journal, son bonheur en vérifiant ici tout ce qui le rapprochait de ce père dont il ne savait presque rien : une même sensibilité d’esthète, une même liberté d’esprit, la même conscience exacerbée d’être né « chargé de chaînes ». Loin d’être « fanatiquement irréligieux », cet admirateur d’Auguste Comte lui serait apparu moins étranger qu’on le disait à toute préoccupation spirituelle. Jean-Paul Mauriac s’avoue certes convaincu qu’il n’existe « aucune intervention directe ou surnaturelle de la divinité dans les affaires humaines » ; mais il confie dans le même temps qu’il lui est arrivé de prier au chevet d’un ami malade, avec l’espoir, « si Dieu existe, d’être exaucé tant mon désir était pur et mon cœur sincère ». Et, tout en affirmant qu’il n’est pas de « ceux qui tremblent devant l’inconnu », il se défend d’être un de ces irréductibles qui, « en face de formidables mystères, ricanent et se croient forts ». Voilà qui eût suffi à rassurer son plus jeune fils.

Mais le plus bouleversant pour François Mauriac eût été de découvrir le véritable secret de son père, celui sans doute qu’on s’était employé à lui dissimuler : l’aveu de la neurasthénie, du désespoir qui ont rongé Jean-Paul Mauriac dès son retour en France, au point de lui faire craindre ou espérer une disparition précoce. « Ainsi les années, comme un chapelet qui s’égrène, tombent sans bruit dans le temps, écrit-il en janvier 1875, à vingt-cinq ans. Combien en compterai-je encore ? Une... deux... ou trois... Plus ? Moins ? En tout cas, ce ne sera pas long... Et puis.... comédie ou drame, la pièce sera finie, et... la nuit, le froid, les ténèbres. » En novembre 1874, Jean-Paul, harcelé de factures à traiter et de clients à recevoir, se plaint de ne plus avoir le temps de noter ses impressions, ni de s’adonner à la lecture ou de déclamer à haute voix dans sa chambre – « je déclame assez bien quand je suis tout seul » – des poèmes d’Alfred de Musset. Seul lui reste le bonheur de pouvoir s’évader en pleine nature à travers ses propriétés de Malagar et de Saint-Symphorien. « Ici je me sens vivre, je monte à cheval, je vais voir fleurir la vigne, les coquelicots font bien dans les champs et le soir, quand nous sommes sous la marquise, le rossignol vient chanter tout près de nous. À Bordeaux, je ne suis qu’une marionnette de plus au milieu de toutes les marionnettes des Chartrons. »

François Mauriac s’est toujours interrogé sur l’homme qu’il serait devenu, élevé non par sa mère puritaine et conformiste, mais par ce père rebelle et iconoclaste. Cet homme-là, « je ne le connaîtrai jamais, observait-il comme à regret, les possibles n’existent pas dans la pensée de Dieu ». Il n’ignorait rien, cependant, de ce qu’il devait à l’influence souterraine de sa lignée paternelle, salutaire « contrepoids » à une éducation religieuse trop formaliste et répressive. Formé, encadré par une mère qu’il adorait, il n’en avait pas moins été façonné par ce mélange, en lui, de deux héritages contraires, ce conflit sous-jacent entre deux tendances d’une même race. C’est en grande partie à l’esprit critique et au sens de l’ironie hérités de son père que François Mauriac devait cette « conscience troublée et qui se complaît dans son trouble », cette ambiguïté d’« être hybride et divisé contre lui-même », auxquelles il n’a cessé d’être confronté. « Il se peut que ce que j’ai fait, ce que j’ai réalisé, déclarera-t-il à Robert Mallet vers la fin de sa vie, vienne justement de ce déchirement ou – si vous préférez – de cette heureuse contradiction. C’est peut-être de cela qu’est née mon œuvre. »

En s’identifiant peu à peu, durant sa jeunesse, à la figure, pour lui si fascinante, de ce père solitaire et incompris, brisé par les règles du clan, François s’est intéressé de plus près à ce qu’il savait ou devinait des « Mauriac », à l’histoire de ces paysans de Guyenne dont on ne lui parlait jamais, du côté bordelais, sans « une arrière-pensée critique, sinon hostile ». Dans ses autobiographies successives, l’écrivain met toujours en exergue son appartenance à cette hérédité campagnarde, pétrie de « l’alios de la grande lande » et de « l’argile de la Garonne », qui lui a pourtant inspiré, de Genitrix au Nœud de vipères, quelques-uns de ses romans les plus féroces. Lui si caustique et persifleur à l’égard des « saintes femmes » de l’autre bord, c’est avec une affection complice et même indulgente qu’il parle, dans ses souvenirs, de son grand-père paternel, Jacques Mauriac, « fort anticlérical toute sa vie, ennemi juré des maristes de Verdelais », comme de son oncle et tuteur Louis Mauriac, lui-même « irréligieux, agnostique, peut-être athée », dont il estime « naturel » le refus farouche de pénétrer dans la moindre église. « Oncle Louis n’allait pas à la messe comme un chien de garde ne va pas à la chasse. Il appartenait à une autre espèce que ma mère. Il n’y avait pas lieu d’approuver ou de blâmer son comportement. » À ses yeux, le véritable travers, sinon le vice des « Mauriac », tenait à leur appétit effréné de possession, à cette « passion de la propriété que la conscience bourgeoise avait déguisée en vertu ». Un mal héréditaire qui caractérisait tout autant la branche maternelle, celle des « raffineurs de la rue Sainte-Croix », des « marchands de drap de la rue Saint-James », partie intégrante de la même « race industrieuse », rivée à ce qu’elle croyait être sa meilleure arme contre la mort : le culte de l’héritage.

Les Mauriac se flattaient d’être de ces négociants « partis de rien » qui, à force d’« argent honnêtement gagné », avaient acquis « le droit de s’allier à une vieille famille ». Fixés de longue date dans les environs de Langon, ils avaient d’abord été artisans de père en fils avant de se tourner vers les métiers du fleuve, et devaient leur ascension sociale à la Révolution – d’où leur attachement indéfectible aux idéaux de la République.

Premier des siens dont la signature atteste qu’« il écrivait correctement », Jacques Mauriac, charpentier de navire à ses débuts, accède après 1789 au statut de maître de bateau et fait fonction d’officier municipal à Castets-en-Dorthe, d’où il est originaire. Sa deuxième épouse, née Catherine Duthu, se consacre dans le même temps à des opérations immobilières qui permettront au couple de se doter, en quelques années, d’un patrimoine foncier conséquent. Peu avant sa mort, Jacques Mauriac, véritable père fondateur de la dynastie, arrange le mariage de son fils aîné, Jean, avec Catherine Debayle, la fille d’un riche propriétaire terrien des environs. Alliance décisive : la famille acquiert en 1829 un domaine à Saint-Pierre-d’Aurillac, dans l’Entre-deux-Mers. Jean Mauriac y fera fortune dans la fabrication de tonneaux, puis l’importation de bois merrain en provenance d’Autriche. Une quinzaine d’années plus tard, il achète au-dessus de Saint-Macaire, sur l’une des collines opulentes de la rive droite de la Garonne, un petit château vinicole appelé « Malagarre » – nom signifiant « mauvaise garenne » –, longtemps propriété des Célestins de Verdelais avant d’être mis en vente en 1792 au titre des « biens nationaux ».

Constituée d’une vingtaine d’hectares de vignes et de terres labourables autour d’une maison de maître et de vastes communs regroupant, selon l’acte de vente, « cuviers et dépêches, écuries, parc à bétail », la propriété de « Malagarre » représente pour Jean Mauriac un investissement aussi flatteur qu’onéreux. « L’arrière-grand-père savait ce qu’il lui en avait coûté pour acheter Malagar, de cet argent gagné, économisé peu à peu, ce trésor que le fils avait mission de quintupler, ce fruit de tant de peines et de veilles... », rappellera, un siècle plus tard, son arrière-petit-fils en ironisant quelque peu sur cet aïeul « fort sentencieux » dont la morale tenait en trois mots : « ordre, travail, économie ».

Le « livre de raison », registre de comptes qui deviendra, avec le temps, une sorte de mémorial des « Mauriac de Malagar », témoigne de l’acharnement passionné, inventif et rigoureux avec lequel Jean Mauriac s’est employé, jusqu’à sa disparition en avril 1869, à faire fructifier son domaine, à l’agrandir, à l’embellir, à le rénover, pour léguer à la génération suivante un patrimoine digne de ce nom. Après avoir engagé, dès son arrivée, d’importants travaux de rénovation, Jean Mauriac entreprend la remise en état du vignoble dont l’exploitation a été délaissée par ses propriétaires précédents. Il développe l’élevage et le commerce du bétail. Un siècle avant que son lointain héritier dote Malagar d’une allée de cyprès digne d’un paysage de Toscane, Jean Mauriac multiplie, avec le même amour de la nature, les plantations d’acacias, de tilleuls, de charmes, de châtaigniers, qui lui donneront peu à peu au domaine sa physionomie définitive. Bien qu’il n’ait jamais habité sur place – François Mauriac sera le premier à faire de Malagar un lieu de résidence –, ce « parfait homme d’affaires » s’identifie corps et âme à sa propriété. C’est en pensant à lui que Mauriac écrira dans ses réflexions sur la province : « Le paysan ne connaît qu’une religion, celle de la terre. Il possède la terre bien moins qu’il en est possédé. Il lui donne sa vie, elle le dévore vivant. »

Le portrait de Jean Mauriac à la fin de sa vie suffit à illustrer le caractère opiniâtre et conquérant, la pleine satisfaction matérielle de ce vieux paysan de Guyenne : taille robuste, face large et rubiconde, front massif, yeux plissés de ruse, mains plaquées sur le gilet. Un notable balzacien, sa fortune faite.

À ce possédant mal dégrossi mais solidement ancré sur ses terres succède un fils d’allures plus policées, Jacques Mauriac, habité par une même passion du négoce, mais plus soucieux de distinction sociale. Un bourgeois du Second Empire au visage lisse et impavide, la coiffure soignée, la taille sanglée dans une redingote, la main droite posée sur un livre. Tout chez lui exhale réussite, aisance, sûreté de soi.

En 1843, l’année où son père prenait possession de Malagar, Jacques Mauriac a épousé Mathilde Lapeyre, un des meilleurs partis de la lande. Dans un milieu où les unions conjugales, rarement fondées sur l’amour, se négocient entre chefs de clan en vertu de leur seul intérêt patrimonial – « on ne refuse pas des métairies, des fermes, des troupeaux de moutons, des pièces d’argenterie, le linge de dix générations bien rangé dans les armoires hautes et parfumées », rappellera l’auteur du Baiser au lépreux –, ce mariage est un modèle du genre, qui permet d’associer aux propriétés du Langonnais et de l’Entre-deux-Mers plus d’un millier d’hectares de pins situés dans la région de Villandraut et de Saint-Symphorien. Les deux faces à jamais conjuguées, indissociables, de l’univers mauriacien...

En 1850, le couple a un premier fils, Jean-Paul, suivi de Louis deux ans plus tard, puis d’Henri, en 1858, qui disparaîtra prématurément à l’âge de trois ans. L’avenir de la lignée est assuré, le partage des rôles déjà établi. Il imposera à Jean-Paul Mauriac, en sa qualité d’aîné, de quitter le collège dès la fin de l’adolescence pour garantir la « continuité de la possession », tandis que son frère Louis, seul autorisé à poursuivre des études, pourra se destiner sans encombre à la magistrature.

En 1865, Jacques Mauriac fait construire aux portes de Langon, dans un vaste enclos jouxtant la nouvelle gare, une vaste demeure à double pavillon coiffée d’ardoises, bientôt pompeusement baptisée « Château Mauriac ». Le choix du site ne doit rien au hasard. Il répond avant tout, pour Jacques Mauriac, à un impératif commercial : transférer à proximité de la voie ferrée l’entreprise familiale d’importation de bois merrains. C’est dans cette maison sombre et labyrinthique, aux pièces hautes et mal aérées et qui « tressaillait » au passage des trains de nuit « comme un être vivant et qui a peur », que s’affronteront un jour sans merci les créatures de Genitrix...

Au milieu des années 1870, Jacques Mauriac ouvre, en association avec son fils aîné, une succursale dans Bordeaux, la « Maison de consignation Mauriac et fils / Bois merrains », sise sur trois étages, 83 cours Saint-Louis. Les Mauriac ont pour la première fois pignon sur rue dans cette ville où ils ne se sont jamais sentis chez eux. Jean-Paul y fait bientôt la connaissance de sa future épouse, Claire Coiffard, héritière d’une dynastie de petits commerçants bordelais, avant de s’y établir malgré lui, dans les dernières années de sa vie, pour s’occuper d’opérations bancaires, quand son père décidera brusquement de liquider leurs affaires commerciales afin de se consacrer à ses seules propriétés des Landes et du Langonnais.

Jacques Mauriac, qui ne s’est jamais beaucoup intéressé jusque-là au sort de Malagar, doit faire face à cette époque à un domaine en plein déficit dont il ne parvient plus à couvrir les frais. En 1887, l’année de la disparition de son fils aîné, il en vient, de guerre lasse, à envisager, plutôt que de les laisser en friche, de confier ses terres à un métayer. Lequel, note-t-il, résigné, dans son « livre de raison », « ne donnera que ce qu’il voudra ». C’est finalement à sa belle-fille Claire que le vieil homme choisira de léguer de son vivant l’ensemble de ses biens, en indivision avec le dernier de ses fils, Louis, resté célibataire. Arrangement illégal, expliquera un jour François Mauriac, puisqu’il revenait, selon lui, à déposséder les cinq enfants encore mineurs d’une fortune issue du seul côté paternel. « Mais mon grand-père admirait sa belle-fille, il la jugeait capable de tout gérer, de tout conduire, et il lui a tout légué à condition qu’elle ne se remarie pas... Ma mère, d’ailleurs, s’est révélée une femme d’affaires remarquable, et ce fut pour elle un gros travail, car nous avions de très, très grandes propriétés. »

Seule garante désormais de l’avenir de la dynastie, Claire Mauriac est une femme de caractère, intelligente, pratique, déterminée, le visage un peu austère, les yeux très noirs, le sourire réservé, habitée par un sens du devoir et une rigueur morale qui ne souffrent aucun compromis. On ne sait rien de sa rencontre avec l’aîné des Mauriac ni des conditions de leur mariage, le 14 janvier 1878. Sans doute cette union fut-elle en partie dictée par les intérêts bien compris des deux familles : Claire Coiffard jouissait d’une dot appréciable, Jean-Paul Mauriac était promis à un solide héritage... Mais il fallait une certaine entente amoureuse pour unir durablement deux êtres de tempéraments et de convictions si antagoniques. La question religieuse est une source de conflits permanents entre cette jeune catholique aux opinions tranchées, pleine de fougue et d’autorité, farouchement acquise aux idées les plus conservatrices, et cet agnostique rêveur, indécis, toujours en quête de lui-même, qui, selon son dernier fils, « avait tenu à accrocher chez lui, face aux images pieuses disposées par sa femme, les portraits de Galilée, de Copernic et de Descartes ». Leur désaccord était si vif à ce sujet que Claire Mauriac ne cherchait plus à dissimuler, dans les dernières années de son existence, « le grave problème » qui, si son époux avait vécu, se serait posé quant à l’éducation de leurs enfants, ce dernier ayant vraisemblablement refusé qu’ils « soient élevés ailleurs qu’à l’école laïque ». Mais elle assurait dans le même temps avoir été si éprise de lui que ce différend, « quoique difficile à résoudre », n’aurait pu les conduire à la rupture.

Tous ceux, à commencer par ses enfants, qui ont côtoyé Claire Mauriac durant son long veuvage, auraient sans doute eu peine à imaginer qu’une chrétienne aussi hantée par le « péché de chair » ait pu entretenir avec son mari une relation physique passionnée, comme elle en avait également fait l’aveu, sur le tard, à l’une de ses petites-filles. « Elle lui avait été très attachée, rapporte cette dernière, et l’avait aimé follement, physiquement, si vous voyez ce que je veux dire. Un jour, oncle Jean la surprit, peu avant sa mort, qui brûlait des lettres de son mari dont elle disait qu’elle ne voulait pas les laisser derrière elle. (...) Il en prit une, la lut, revint à nous en disant : “C’est inimaginable. On ne peut imaginer ce qu’il lui écrivait. Elle l’aimait, oui, encore qu’il lui avait fait cinq enfants en sept ans ! Elle n’en était pas encore remise...”. »

En octobre 1885, le ménage, déjà pourvu de trois garçons, Raymond, Jean et Pierre, a espéré en vain la venue au monde d’une seconde fille après celle de Germaine, l’aînée de la tribu. Cette déception n’est probablement pas étrangère à la tendresse particulière dont Claire Mauriac, par une sorte de substitution affective, entourera toujours son dernier-né, présumé plus fragile, et le seul de ses enfants, qui plus est, à ne rien avoir connu de son père.

Les dernières photographies de Jean-Paul Mauriac, à trente-sept ans, sont celles d’un homme usé avant l’âge, le visage triste, le regard las, le front prématurément dégarni. Ni son mariage ni la naissance de ses enfants n’ont suffi à guérir d’une insondable mélancolie ce marginal qui, pressentant la brièveté de sa destinée, s’était persuadé très tôt de la vanité de toute aventure humaine : « L’homme a un jour à vivre, entre la nuit qui précède sa naissance et la nuit qui suit sa mort, deux nuits bien noires où l’on n’a pas de rêves, écrivait-il à vingt-quatre ans. Il a donc un jour pour se pénétrer des chauds rayons du soleil, pour respirer, pour voir, pour aimer. (...) Un homme mort est une charogne qui pue, ajoutait-il. Il est quelquefois, chez les survivants qui l’ont connu, un souvenir qui s’efface comme l’impression que laisse sur la rétine un objet lumineux disparu... et plus rien. » Sans doute ne pouvait-il imaginer qu’il allait laisser sur l’un de ces « survivants », écrivain de surcroît, une empreinte aussi durable.

La chambre maternelle

Bouleversée par la mort de son mari et incapable désormais de se fixer où que ce soit durablement, Claire Mauriac quitte peu après l’appartement de la rue du Pas-Saint-Georges pour s’installer au troisième étage de la maison de sa mère, Irma Coiffard, 7, rue Duffour-Dubergier, non loin de la place Pey-Berland et de la cathédrale Saint-André. « C’est là, écrit François Mauriac, que je suis né à la vie consciente. » Là qu’il situait ses tout premiers souvenirs, les lointaines réminiscences, peut-être imaginaires, qui suivirent de peu la disparition de son père. Là qu’il passa l’essentiel de son enfance jusqu’à ce que sa mère décide, sans raisons apparentes, de déménager à nouveau, neuf ans plus tard, pour résider provisoirement 1, rue Vital-Carles, au coin du cours de l’Intendance.

Le petit garçon n’a pas encore deux ans quand se met en place autour de lui l’autorité exclusive qui modèlera son caractère et sa sensibilité. Livré à la seule emprise de deux femmes que leur veuvage a rendu « maîtresses de tout », selon sa formule, François grandira en vase clos, jalousement protégé de l’influence de son tuteur, Louis Mauriac, un vieux garçon libre penseur, jugé d’autant moins fréquentable qu’on le soupçonne, outre ses idées, de mener une vie irrégulière. « Ma mère s’inquiétait de l’exemple que nous donnait notre oncle qui lui inspirait une grande estime mais qu’elle aimait peu. » Le problème religieux ne cessera d’alimenter la « guerre larvée » que se livrent les deux clans censés veiller conjointement sur les orphelins de Jean-Paul Mauriac.

Alors magistrat en Charentes, à Saint-Jean-d’Angély, le futur « oncle Xavier » du Mystère Frontenac retourne tous les quinze jours à Langon pour s’occuper des propriétés familiales avant d’aller rendre visite, rue Duffour-Dubergier, à ses neveux et nièce dont il a en partie la charge jusqu’à leur majorité. Son arrivée parmi eux est toujours une fête. « Après avoir acheté des pâtisseries et des bonbons, il sonnait chez sa belle-sœur. On courait dans le corridor. Les enfants criaient : “C’est l’oncle Xavier !” De petites mains se disputaient le verrou de la porte. Ils se jetaient dans ses jambes, lui arrachaient ses paquets. » S’il se garde de contester trop ouvertement l’éducation religieuse que sa belle-sœur entend donner à ses enfants, Louis Mauriac affiche dans le même temps un anticléricalisme intraitable. « Au retour de la messe, le dimanche, nous le retrouvions encore au lit, ou traînant en pantoufles et fumant du caporal, se souvient l’auteur des Nouveaux Mémoire intérieurs. Un jour de 15 août, nous espérâmes qu’il assisterait à la grand-messe où ma mère chantait la prière d’Élisabeth de Tannhaüser. Au dernier moment il ne put s’y résoudre. » Louis Mauriac s’en tient le plus souvent à cette « opposition muette », la seule qui lui permette d’éviter un conflit familial sans avoir à dissimuler ses convictions. Mais apprenant, quelques années plus tard, que son neveu Jean se destine à la prêtrise, il ne pourra s’empêcher de le mettre en garde dans une lettre de quatre pages lui certifiant, en bref, que le Bon Dieu n’existe pas. « Je ne t’en parlerai plus jamais, conclut-il. Mais mon devoir était de le dire... »

En réalité, la tutelle féminine et catholique a d’autant moins de mal à s’imposer qu’il ne subsistait plus, selon Claire Mauriac, qu’un seul récalcitrant parmi les libres penseurs de Malagar, les autres s’étant peu ou prou convertis in extremis par crainte d’une damnation éternelle.

Outre la version pieuse des derniers instants de leur père, qu’elle s’efforçait d’inculquer à ses enfants, Claire Mauriac relatait avec la même ardeur la fin, d’après elle tout aussi exemplaire, de son beau-père Jacques Mauriac, en juin 1891. L’« histoire terrible et merveilleuse » de son aïeul, François l’aura entendu raconter à satiété durant toute son enfance. « Ce jour-là, rapporte-t-il dans Commencements d’une vie, il alla revoir tous les endroits qu’il aimait, sa propriété de Malagar, l’hospice de Langon qu’il administrait ; puis, après le dîner, il se rendit chez de vieux amis où il faisait chaque soir sa partie de boston ; et c’est ici qu’intervient le surnaturel : “Monsieur Mauriac, je vais à la bénédiction, voulez-vous m’accompagner ?” lui demande la dame amie. Mon grand-père (...) n’avait pas mis les pieds dans une église depuis des années. Or, à la surprise générale, il accepta d’accompagner la vieille dame et parut très recueilli jusqu’à la fin du salut. Au retour, sur la route, devant chez les demoiselles Merlet, il défaillit, s’affaissa. On le porta jusqu’à son lit. Il eut le temps de répondre à l’amie qui le suppliait de prier : “La foi nous sauve...” et il joignit les mains. » C’est en exploitant de telles « légendes » que les deux régentes de la rue Duffour-Dubergier avaient acquis un pouvoir sans partage sur la nouvelle tribu mauriacienne.

Figure maîtresse de son hérédité bordelaise, sa grand-mère, Irma Coiffard, a profondément marqué la jeunesse de François Mauriac. Nulle n’a incarné avec autant d’autorité à ses yeux la toute-puissance du matriarcat dans un milieu comme le sien où « les femmes, résume-t-il, étaient impératrices ou esclaves ». Réputée « de bonne famille », sans appartenir toutefois à la frange la plus en vue de la bourgeoisie locale, Irma Coiffard, née Abribat, avait hérité de la raffinerie fondée par ses grands-parents maternels dans le vieux quartier moyenâgeux de Sainte-Croix. En 1848, elle avait dû se résoudre, pour préserver l’entreprise familiale en train de péricliter, à épouser un commerçant de la rue Saint-James, Raymond Coiffard, propriétaire d’un magasin de confection opportunément baptisé « Au Magot ». Le couple s’était vite enrichi sous le Second Empire dans le commerce des « tissus, soieries et châles de l’Inde » réputés inusables. En 1886, à la mort de son mari, Irma Coiffard était devenue seule détentrice d’un patrimoine imposant fait d’immeubles sis dans le centre de Bordeaux, auxquels s’ajoutait, à Gradignan, dans un lointain faubourg de la ville, un vaste domaine appelé « Château-Lange ».

Toute la vie du clan gravite autour de cette souveraine à l’ample faciès victorien, les cheveux serrés dans une résille, le corps massif enchâssé dans de lourdes robes couleur de jais, qui règne à part entière sur ses trois filles, deux gendres, quinze petits-enfants, et autant de sœurs, de nièces, de cousines auxquelles seule sa protection permet encore de tenir leur rang. « Pour ma grand-mère qui était très âgée, raconte Mauriac, un de ses gendres gérait sa fortune et était sous ses ordres. (...) Il n’avait aucune autre raison d’être au monde que celle-là, ni d’autre rétribution que d’être, lui et les siens, hébergés chez ma grand-mère – une bonne-maman très tendre, certes, mais je me souviens de l’avoir entendue couper net une discussion : “Qui est maîtresse ici ?” Tous les nez se baissaient vers les assiettes. »

Le sens sacré de la propriété va de pair, chez Irma Coiffard, avec un zèle religieux insatiable. Cette dévote emploie à faire fructifier ses biens la même autorité qu’elle met à diriger les œuvres de la paroisse, à présider aux ventes de charité. Ses relations généreusement entretenues avec le clergé local lui ont permis de conserver le saint-sacrement dans le colombier de « Château-Lange » aménagé en chapelle – privilège dont ses petits-enfants s’avouaient « éblouis », convaincus que le saint-sacrement devait se sentir mieux chez eux qu’à l’intérieur de la cathédrale. Les prêtres sont d’ailleurs si nombreux à se rendre à « Château-Lange » pour servir la messe et entourer leur bienfaitrice que la demeure d’Irma Coiffard a fini par être surnommée « la maison des curés ». Une sorte de consécration pour celle qui a obtenu, en outre, d’être servie nuit et jour par une sœur du Bon-Secours.

C’est en partie à « Château-Lange » que François Mauriac a pris conscience, dès sa jeunesse, de cette « équivoque mortelle » entre morales bourgeoise et cléricale, qu’il n’allait cesser de fustiger, sa vie durant, comme une usurpation même de l’esprit de l’Évangile. « Ce que je puis assurer, écrira-t-il à la fin de sa vie en songeant une fois encore à ses ancêtres maternelles, c’est que rien, dans leur jugement, ne manifesta jamais qu’elles aient senti l’ombre d’une inquiétude touchant l’usage des richesses. (...) Ce qui devait être transmis intact et si possible accru aux enfants, constituait le devoir bourgeois auquel toute morale demeurait subordonnée, et la parole même de Dieu. Une certaine forme d’avarice, sous le nom d’économie, se muait en vertu. Une certaine dureté à l’égard des hommes prenait le nom de prudence. Ces vertus trouvaient leur récompense dans la possession du patrimoine. En fait, les pauvres l’étaient trop souvent par leur faute. Non que cette loi ait jamais été formulée devant moi. Mais la morale bourgeoise en ce temps-là était comme imprégnée de cette certitude que, depuis 1789, en dépit de l’abolition des privilèges de la noblesse, l’argent allait aux plus sages, aux plus économes, aux plus travailleurs, c’est-à-dire aux plus vertueux, qui étaient aussi les plus malins. »

Mais, sous ses apparences de « vieille reine » pétrie de bonne conscience, Irma Coiffard cache une douleur dont son confesseur attitré et quelques-uns de ses proches seront les seuls, jusqu’à son dernier souffle, à connaître l’origine : la perte de son fils, retrouvé mort à Lyon après un probable suicide. Le secret le plus intolérable à porter pour une chrétienne aussi préoccupée de respectabilité sociale que soucieuse du salut de son âme... « Les médailles qui jalonnaient son rosaire, la chapelle de Château-Lange où elle avait obtenu de tenir Dieu à sa merci, tous ces signes étaient comme des bouées qui marquent à la surface de la mer l’endroit d’un naufrage ».

Indissociable de sa mère depuis son propre veuvage, Claire Mauriac n’a pas tardé à instaurer autour d’elle le même climat de piété anxieuse et obsessionnelle, mêlé d’inquiétudes qui tenaient, selon son dernier fils, à « des histoires de propriétés et d’argent », à « des secrets qu’elle était seule à détenir, à quoi elle faisait parfois allusion ». Seul réussit à apaiser cette âme tourmentée un vieux père jésuite, devenu son directeur de conscience, que François ne connaîtra jamais que de vue, un ami le lui ayant montré, un jour, dans la rue « où il glissait le long des maisons, le visage tourné vers le dedans, étranger à tout le visible ». La foi – une foi irréductible, intransigeante – est désormais l’ultime refuge de celle qui a renoncé à toute existence personnelle pour se vouer à la seule éducation de ses enfants, s’immoler dans cette tâche au point de ne plus quitter pendant près d’une dizaine d’années ses vêtements de deuil. Évoquant le sacrifice de sa mère dans Le Mystère Frontenac, François Mauriac trace le portrait d’une femme de quarante ans aux cheveux gris, aux « épaules maigres », à la « figure bilieuse et ravinée », l’air épuisé de quelqu’un qui « n’attend plus rien de la vie » et ne peut compter que sur Dieu pour l’aider à accomplir la mission qu’elle s’est assignée. Au prix, il va sans dire, d’une stricte observance religieuse...

Tous les soirs à la même heure, ses enfants groupés autour d’elle, Claire Mauriac s’agenouille et récite, le visage enfoui dans ses mains, la prière alors en usage dans le diocèse de Bordeaux : Prosternée devant Vous, ô mon Dieu, je Vous rends grâce de ce que Vous m’avez donné un cœur capable de Vous connaître et de Vous aimer – terminant par cette incantation : Dans l’incertitude où je suis si la mort ne me surprendra pas cette nuit, je Vous recommande mon âme, ô mon Dieu, ne la jugez pas dans Votre colère... Incantation que le petit François interprète déjà de manière plus « pathétique », croyant entendre, saisi d’effroi : « Dans l’incertitude où je suis, que la mort ne me surprenne, ah ! pas cette nuit » –, avant d’aller se coucher, le corps enserré dans une chemise de nuit « si longue que je n’eusse pu me gratter le pied », et les mains posées en croix sur la poitrine, selon ce que l’« Être infini », lui a-t-on appris, exige des enfants. « Nous entrions dans le sommeil les bras repliés, les paumes comme clouées sur notre corps, étreignant des médailles bénites et le scapulaire du Mont-Carmel que, pour le bain, il fallait ne pas quitter. »

Élevé dans l’idée toute janséniste d’un Dieu implacable, auquel tout homme doit se soumettre sans débat pour expier sa faute originelle, l’enfant vit dès son plus jeune âge dans la hantise d’offenser ou contrarier ce juge à la fois inaccessible et omniprésent, « qui est là et qu’on ne voit pas, et qui nous voit, et envers qui nous sommes comptables de nos moindres pensées ». Un Dieu qui « connaît tout et qui lit au fond de nos cœurs », tatillon, autoritaire et possessif. Un Dieu qui « contrôlait non seulement tes moindres gestes, se souviendra le vieil écrivain catholique, tes plus furtives pensées », mais qui « entrait dans d’infinis détails de nourriture : il fallait faire attention au jour du Vendredi saint que la croûte du petit pain de quatre heures ne fût pas “jaunie”, car l’usage des œufs était interdit, même aux enfants. Une gorgée d’eau avalée en se lavant les dents, et ta communion, croyais-tu, devenait sacrilège ».

Dans cette éducation religieuse dominée tout entière par l’obsession du mal, le péché joue un rôle primordial, à la fois marque indélébile – l’homme naît pécheur – et condition du salut, puisque l’homme peut être pardonné. Pour l’enfant Mauriac, la foi qu’on lui inculque « à l’âge où le doute est inconnu », où parents et maîtres « apparaissent comme les dépositaires de toute vérité », se confond d’emblée avec la terreur du péché. Et quel péché plus redoutable que celui auquel il suffit seulement de penser pour être aussitôt « séparé de Dieu », le péché de chair, domaine privilégié du mal, premier foyer de corruption et de déchéance ?

« ... Le Dieu que ma grand-mère adorait était un Dieu inexorable pour tout ce qui touchait aux choses de la chair. Les saintes femmes de la famille se reportaient à un barème fixé à jamais. En ces matières-là, il n’existait pas de fautes vénielles. Tout pourtant pouvait se racheter. Les indulgences, qu’est-ce que cela représentait pour elles ? La communion des Saints, ce dogme si beau, tel qu’elles le concevaient, ne transposait-elle pas dans leur vie religieuse une conception un peu bancaire d’échanges, de compensation et de rachats ? (...) Leur croyance se manifestait moins par des paroles que par un comportement, des jugements sans hésitation et sans appel, appuyés sur le barème : les péchés mortels et les péchés véniels selon l’espèce et selon le genre, chacun avec son prix fixé pour l’éternité. »

En dépit d’une éducation religieuse qu’il jugera plus tard absurde et étouffante à force d’angoisse et de scrupules, d’aveux tourmentés et de psaumes terrifiants, François Mauriac gardera toute sa vie la nostalgie de cette petite enfance pieuse, circonscrite au huis clos protecteur de « la chambre maternelle tendue de gris, autour d’une lampe chinoise coiffée d’un abat-jour rose cannelé ». Un havre de solitude et de sécurité dont « le charme, confiera-t-il, tenait à une présence réelle : dans l’ombre de ma mère tout risque se trouvait conjuré ». Repliée à son étage, la tribu mène une existence sans luxe, austère mais confortable, résolument fermée à toute mondanité et ponctuée des seules visites des membres de la famille.

François n’oubliera jamais celle de son grand-père, Jacques Mauriac, l’avant-veille de sa mort. Arrivé de Langon avec son habituelle provision de confits et de foies gras, le vieil homme s’était exclamé avec une ironie un peu amère, en regardant les photos de famille, dont la sienne : « Quel cimetière ! » Encore trop jeune pour s’y rendre, François n’avait pas assisté à l’enterrement de son aïeul et c’est en entrebâillant la porte de sa chambre, lors d’une visite à Langon dans les jours suivants, que l’enfant avait compris avec effroi que « bon-papa était mort. Les persiennes en étaient toujours closes, racontera-t-il. De grands rideaux chocolat enveloppaient à larges plis le lit funèbre, les fenêtres. Ma sœur me montrait l’endroit où avait été placé le cercueil ». Après la disparition de sa grand-mère, Mathilde Lapeyre, une vieille dame immobilisée sur son fauteuil, que François n’a fait qu’entrevoir, à l’âge de deux ans, dans « la triste maison langonnaise », la mort de Jacques Mauriac compte parmi ses tout premiers souvenirs d’enfant. Ceux qui laisseront en lui une trace ineffaçable...

Jusqu’à l’âge de cinq ans, le petit garçon de la rue Duffour-Dubergier ignore tout ou presque de la ville alentour dont il ne perçoit le plus souvent qu’une rumeur lointaine, comme tamisée par les persiennes et l’air calfeutré du dedans. Les seules images de Bordeaux qui lui soient familières sont celles qu’il peut distinguer depuis le balcon de l’appartement familial : le clocher de Saint-André, la tour Pey-Berland avec, dressée à son sommet, une Vierge dorée luisant « en sourdine » dans un ciel voilé de brume... « Selon les saisons, les cris des martinets déchiraient le soir étouffant, ou le bourdon de la cathédrale emplissait la nuit de Noël, ou les sirènes des bateaux gémissaient dans le brouillard. » Mais ni le fleuve ni le port ne font partie de son univers initial...

« J’ai tout de suite été tourné beaucoup plus vers l’intérieur, beaucoup plus vers les êtres, dira-t-il à Jean Amrouche. Je me rends compte à quel point, quand j’étais enfant, et sans aucune préméditation, sans même en avoir conscience, j’ai été attentif aux autres. (...) J’avais la passion des grandes personnes, des conversations des grandes personnes, rien ne m’intéressait autant que de me faire oublier dans un coin et d’écouter ce que l’on disait... » Plus tard, même enfoui au plus obscur de sa mémoire, rien ne sera perdu des conflits, des apartés, des conciliabules enregistrés à son insu dès ce moment-là. Aucun protagoniste ne sera oublié. Aucun visage laissé pour compte ni épargné. Issu d’un milieu où « ce qui s’appelle vie de famille se ramène souvent à la surveillance de chaque membre par tous les autres, à l’attention passionnée avec laquelle ils s’épient », ce petit spectateur aux aguets a trouvé très tôt auprès des siens, dans le petit univers clos, retranché, d’une jeunesse provinciale, le foyer le plus propice à « l’étude du cœur humain » comme à l’apprentissage de la lucidité. François Mauriac n’aura jamais besoin de parcourir le monde pour forger son œuvre romanesque. Ni les quelques voyages qu’il a accomplis, ni les milieux divers qu’il a fréquentés à l’âge adulte, ni même les combats, les engagements incessants auxquels il s’est voué toute sa vie, n’influeront de près ou de loin sur son travail de créateur. Il lui suffira, pour l’accomplir, d’exploiter jusqu’au bout le « magma confus », le vivier inépuisable de secrets, de souvenirs, d’impressions, de sentiments amassés depuis l’enfance au contact de son seul milieu originel.

Ainsi s’est constitué ce « romancier par prédestination », convaincu que tout s’était joué pour lui dès sa naissance, qui expliquait encore à Jean Amrouche vers la fin de sa vie :

« Il y a un moment dans une famille où, tout à coup, quelqu’un renonce à tout et se donne à Dieu ; une fille tourne mal, une autre est religieuse ; tout à coup un personnage se met à raconter des histoires et à livrer au grand jour tout ce qui avait été caché pendant des générations. Cela correspond-il à des lois physiologiques qui nous échappent ? Je n’en sais rien. Est-ce une volonté providentielle qui agit à ce moment-là ? N’est-ce pas plutôt, et c’est ce que le chrétien en moi voit davantage, un phénomène de réversibilité ? Je crois que tout se paie ; que nos morts n’ont pas fini de payer leurs dettes et que nous continuons de les payer sous une forme ou sous une autre. Je crois énormément à la solidarité familiale, à la solidarité de race ; je crois même à quelque chose de plus qui fait partie de ma théologie personnelle : Dieu condamne la race pour pouvoir sauver l’individu. »

Le « plus passionnant des jeux », pour le jeune François, est d’abord celui qui consiste à s’observer et s’éprouver soi-même, à tirer parti du « perpétuel examen des consciences » imposé par son éducation catholique pour s’analyser sans relâche, débusquer ses « plus secrètes intentions ». Mauriac interprétera plus tard comme un autre « signe évident » de sa vocation d’écrivain le fait d’avoir aimé très tôt « à se regarder souffrir », à cultiver son personnage d’enfant blessé, solitaire et incompris. Comme si un instinct l’avait averti qu’il y avait là « beaucoup plus qu’un jeu : une préparation, un exercice pour devenir homme de lettres ». Ce sens précoce de la dramatisation doit beaucoup à l’atmosphère pathétique entretenue d’emblée autour de lui par la mort de son père et le poids d’une pratique religieuse obsédante. Mais il est lié plus encore à l’extrême singularité de sa nature et de son caractère.

Fluet, chétif, d’une émotivité à fleur de peau, réfractaire au moindre exercice physique, François a tout pour devenir le petit souffre-douleur de ses frères. Un rôle qu’il subit non sans se complaire parfois dans le sentiment de sa propre faiblesse. À l’âge de quatre ans, une dispute avec son frère Jean tourne au drame : François est blessé, il a la paupière droite déchirée par l’extrémité d’un fouet. L’accident lui vaut aussitôt d’être affublé du sobriquet de « Coco Bel Œil » qui le poursuivra durant toute son enfance, comme l’insigne même d’une disgrâce irrémédiable. Au cours de leurs escapades communes à la campagne, les trois aînés prennent plaisir à terroriser leur cadet, à l’abandonner soudain en chemin, sanglotant, épouvanté, au milieu de saltimbanques, quand ils ne le menacent pas d’être englouti par une fourmilière géante dans le trou où ils le retiennent prisonnier... Jeux, brimades assez banals entre frères, mais qui ne font qu’aviver chez François la crainte de se voir toujours « bousculé, piétiné, vaincu ». Mais la pire épreuve serait d’être un jour séparé de sa mère...

Un matin d’octobre 1890, Claire Mauriac le conduit pour la première fois au jardin d’enfants de la rue du Mirail. L’institution est tenue par trois religieuses, sous l’autorité de sœur Adrienne. « C’était une converse qui nettoyait nos doigts à la pierre ponce, ces doigts déjà un peu meurtris, quelquefois, par le claquoir de sœur Ascension, aux yeux de braise. Je me souviens, le premier jour (...), de cette chaleur contre ma cuisse, de cette flaque à mes pieds que je contemplais d’un air stupide ; et de tous les enfants qui me faisaient les cornes. » C’en est assez pour que le petit François se sente à jamais déchu, humilié...

Seule peut le sauver du « désespoir » l’apparition de sa mère, en fin d’après-midi, dans l’encadrement de la fenêtre ouverte sur la cour. Quarante ans plus tard, François Mauriac évoquait encore l’« élan fou » qui le précipitait alors vers ses bras tendus, avec une « impression de délivrance, de total abandon. Telle m’apparaissait notre mère : une créature au-dessus de toutes les créatures, et le peuple hostile des ogres, des bohémiens, des voleurs d’enfants, des fantômes tapis dans les coins obscurs ou cachés derrière les rideaux de la fenêtre se dissipait comme de la fumée dès qu’elle pénétrait... » Les photographies de Claire Mauriac entourée de ses enfants à cette époque témoignent de la relation fusionnelle qui unit cette mère toujours vêtue de noir, le visage empreint d’une gravité de veuve espagnole, à son plus jeune fils blotti contre elle, la mine taciturne et l’air assuré d’un amour exclusif.

À l’ombre de sa mère, François se sait aussi heureux, privilégié et maître de lui qu’il se sent, loin d’elle, vulnérable, maladroit, impuissant à vivre. Il a déjà acquis à ses côtés une sorte d’autonomie qui le rend inapte à se fondre dans un groupe – fût-ce celui de ses frères, cette petite collectivité, si encombrante parfois, qu’on appelle en famille « les garçons ». « Je me rappelle de mots bien inoffensifs qui m’atteignaient jusqu’au tréfonds : “Le règlement est fait pour tous... Tu n’es jamais comme les autres... Tu n’es pourtant pas différent des autres... Tu es fabriqué de la même pâte...” Ce qui m’intéressait en moi, c’était justement ce qui n’était pas les autres. »

François Mauriac a brossé, dans ses souvenirs de jeunesse, un tableau sinistre des cinq années passées sous l’autorité des pères marianistes, à l’Institution Sainte-Marie de la rue du Mirail, où il rejoint ses frères à l’automne 1892 – forçant le trait jusqu’à dater de ce moment-là sa « conscience du malheur ». Effroi d’être livré à la promiscuité des cours de récréation, terreur des maîtres en longue redingote noire, honte des leçons mal sues, impression, les jours de sorties collectives, de « prendre rang dans une chaîne de forçats », angoisse des nuits où, les absences de sa mère le contraignant à rester pensionnaire, il guette « l’ombre du surveillant » sur le mur du dortoir... Tout ici le blesse et le mortifie, et tout concourt dans le même temps à le persuader intimement d’une sorte de supériorité, à nourrir un esprit critique né, avouera-t-il, « d’aussi loin qu’il me souvienne ».

Convaincu d’être mal noté en raison d’un physique trop ingrat – crâne tondu et paupières tombantes –, il s’indigne de la préférence que son professeur de neuvième accorde, trop souvent à son goût, aux « petits garçons bouclés » de la classe, malgré le devoir d’humilité qu’on leur enseigne. Leurre, tromperie : « que les enfants, du moins, aient grand besoin d’être mignons, voilà ce que j’avais découvert tout seul, à sept ans ».

Mais François aura beau cracher un jour sur son bulletin de notes pour effacer avec son mouchoir, de rage, la dernière place que son maître vient de lui infliger, il demeure avant tout un enfant réservé et scrupuleux, élevé dans la crainte des « mauvaises pensées » et moins enclin à la révolte qu’au repli sur soi.

C’est ainsi qu’il apparaît, en avril 1894, au retour des vacances de Pâques, à l’un de ses camarades de la classe de huitième, André Lacaze, « attiré jusqu’à ne pouvoir cesser de le regarder » par ce « jeune visage pensif » qui n’exprime que « recueillement » et « application ». « Mauriac était un bon élève, sage, rarement puni, capable de préparer avec soin des compositions qui ne lui ont jamais paru négligeables », assure celui qui deviendra l’ami primordial de son adolescence. Dans ses souvenirs, Pierre Mauriac présente la même image de son frère, affirmant qu’il ne fut un écolier malheureux que « dans la mesure où il décida de l’être ». Et il arrivera à l’intéressé lui-même d’admirer « l’audace » avec laquelle il mit l’accent, dans certains de ses livres, sur la solitude et la tristesse de son enfance... Est-ce à dire que ses frayeurs, ses angoisses n’ont jamais été que jouées, simulées, voire amplifiées après coup ? Ou qu’il y a déjà chez lui un être plus ambivalent qu’il ne le laisse encore soupçonner ?

Le pays des sources

Son « désir frénétique » d’exister par lui-même, de pouvoir se retrouver seul enfin, François Mauriac ne parvenait déjà à l’assouvir, enfant, qu’en s’éloignant de Bordeaux, mais sans franchir encore cette « muraille de Chine » qui sépare pour lui la Guyenne du reste du monde. « Au long de l’année scolaire, mon esprit ne quittait pas les campagnes de nos vacances et de notre joie. » Il lui suffisait, à la fin de la Semaine sainte, puis au début de l’été, de se mettre en route avec les siens à destination de Château-Lange pour être envahi, emporté par une sensation de délivrance immédiate. Sept kilomètres à peine séparent le centre de Bordeaux du fief d’Irma Coiffard. Mais, pour un petit garçon de cette époque, parcourir une telle distance en voiture à cheval prend facilement des allures d’expédition au long cours.

« Vers Talence, aux relents d’acide hippurique commençait à se mêler un parfum d’herbes brûlées, de vaches et de figuiers chauds. “Ça commence à sentir la campagne”, disions-nous. Et soudain apparaissait une tour qui nous annonçait l’approche de Château-Lange. (...) Les cousines avaient entendu le bruit des roues sur le gravier ; des capricornes volaient dans le soir pesant ; la table était servie près du massif de fuchsias ; bonne-maman tricotait sur le perron ; la sœur garde-malade lisait Le Pèlerin. On n’avait pas beaucoup de temps pour jouer avant que le dîner fût servi ; il ne fallait pas perdre une minute. »

François aime l’atmosphère si particulière de Château-Lange où les rires et les cris des parties de cache-cache sous les hautes frondaisons du parc côtoient l’émouvante solennité des fêtes liturgiques célébrées dans la petite chapelle du domaine. Il aime la tendresse bourrue de sa grand-mère, et jusqu’à son « odeur de vinaigre de Bully » quand elle le serre entre ses bras en grondant : « Ah ! ce drôle ! Ah ! canaille ! Tous les hommes sont des canailles ! » Mais, à ses yeux, le pays des « vacances heureuses » est d’abord celui des sentiers sablonneux, des eaux dormantes, des quartiers perdus de la lande girondine. Jusqu’à son premier séjour à Malagar, l’été de ses dix-huit ans, François ne fera que traverser le territoire des vignes et des collines lumineuses de la rive droite de la Garonne, impatient de rejoindre, au départ de Langon, l’immense forêt des pins dressés soudain comme des sentinelles de chaque côté de la route de Villandraut et de Saint-Symphorien.

« C’était pour moi le commencement d’un monde enchanté. Nous suivions le cours (invisible depuis la route) de ce minuscule affluent de la Garonne, le Ciron, dont les gorges sauvages n’ont jamais attiré personne. Le Ciron arrose Villandraut, pays natal (...) d’un pape, Clément V, ce Bertrand de Got qui fut le premier pape français d’Avignon et qui livra les Templiers à Philippe le Bel. Après sept siècles, son château dresse encore à Villandraut des tours orgueilleuses. La route de Saint-Symphorien part du château et traverse un pays solitaire, une lande arrosée de ces vifs ruisseaux, glacés et purs, affluents du Ciron : le ruisseau bleu, le Balion et la Hure. (...) Que dire de Saint-Symphorien ? Mes meilleurs livres y sont nés. C’est le dernier bourg de la Gironde. Le village le plus proche, Sore, est dans le département des Landes. C’était, à mes yeux d’enfant, un pays étranger, une frontière que nous ne franchissions pas. »

François Mauriac avait à peine deux ans lorsqu’il est venu ici pour la première fois. C’était au cours de l’été 1887, peu après la mort de son père. Par fidélité à la mémoire du défunt, Claire Mauriac avait décidé de passer chaque année les mois de juillet et août à Saint-Symphorien, d’abord dans une vieille maison du village héritée de la famille Lapeyre – legs d’un vieil oncle réputé libertin –, avant de faire construire, comme son mari en avait le projet, un « chalet » de vacances à proximité de leurs métairies, sur la propriété de Jouanet.

Avec ses façades de briques rouges striées de vert, de jaune et de noir, sa toiture hérissée de crêtes et de pignons ouvragés, son perron proustien surplombé d’un balcon de bois, cette villégiature, conçue par un architecte d’Arcachon d’après le style des villas balnéaires de la côte, détonne quelque peu dans une contrée aussi austère. La décoration intérieure baigne, des murs aux plafonds, dans un bariolage tout aussi insolite : celui, « tendre et violent », qui orne le salon évoque irrésistiblement au jeune François « une crème fouettée de rose » qu’il eût volontiers mangée. Mais, pour le petit garçon photographié aux côtés de ses frères, tous quatre en costume marin et chapeau Jean-Bart en forme de champignon, un jour de l’été 1890, devant le chalet à peine achevé, seul compte vraiment l’univers du parc et de la forêt alentour.

Ici, écrira-t-il, « je prenais possession de la terre, je participais à la vie végétale, je m’avançais dans un mystère que les enfants citadins ignoreront toujours ». Mystère des sources, des arbres, des chemins sans issue, de la rumeur du large, du feu qui couve au plus secret de la lande. Mystère d’un monde primitif, souterrain, toujours menacé d’être consumé et sans cesse renaissant... Dans la touffeur des après-midi écrasés de soleil, assis sur un tronc de pin au milieu d’une clairière ou blotti au pied d’un des grands chênes du parc, François s’abandonne à une communion enivrante avec la nature, un « enchantement panique » qui l’étreint jusqu’au début de la nuit, quand monte de la terre apaisée un « parfum de bruyère brûlée, de sable tiède et de résine ». L’écolier rétif et solitaire, qui ne se plaît à Bordeaux que dans le réduit douillet et confiné de la chambre maternelle, découvre ici les vertiges d’un espace sans limites, aux horizons insaisissables, où tout s’offre au rêve et à l’imaginaire.

Ces premières vacances dans les Landes n’auraient pas eu, pour lui comme pour ses frères, la même saveur ni la même intensité poétique sans la complicité de leur cher oncle Louis. Les « garçons » attendent son arrivée à Jouanet avec la même impatience que ses trop brefs séjours rue Duffour-Dubergier. Une des plus belles scènes du Mystère Frontenac les montre partant « après dîner, dans la nuit noire », pour aller accueillir leur compagnon de jeu préféré à la petite gare de Saint-Symphorien, et lui faire escorte jusqu’à la demeure familiale. « Il se laissait conduire par eux, comme un aveugle, à travers les piles de planches et respirait, avec le même bonheur qu’à chacune de ses visites, l’odeur nocturne du vieux pays des Péloueyre. Il savait qu’au tournant de la route qui évite le bourg, les enfants allaient crier : “Attention au chêne de M. Duparc” (...), puis, la dernière maison dépassée, il y aurait, dans la masse obscure des bois, une coupure, une coulée blanche, l’allée gravelée où les pas des enfants feraient un bruit familier. »

Coiffé d’un panama, portant col dur, gilet et chaîne de montre à la campagne comme à la ville, l’oncle Louis leur apprend à bâtir des cabanes, à fabriquer des sifflets en aubier, à sculpter dans des écorces de pin de minuscules barques qu’on laisse glisser ensuite, mâtées d’une bougie allumée, sur les eaux vives de la Hure qui coule au fond de la propriété. Et François et ses frères, allongés sur les bords du ruisseau, d’imaginer que ces petits « bateaux-phares », descendant jusqu’à la Garonne, finiraient par atteindre l’Océan puis, qui sait, les rives de l’Amérique... « avec leur cargaison de mystère Frontenac ».

Confiés le plus souvent à un jeune ecclésiastique, l’abbé Carreyre, qu’ils appellent entre eux « notre abbé », les enfants de Claire Mauriac sont astreints chaque jour à de « copieux » devoirs de vacances avant de pouvoir s’adonner à un de leurs passe-temps favoris, la pêche aux écrevisses. Mais, pour François, aussi incapable de s’intéresser à la pêche ou de se passionner pour la chasse à la palombe que de suivre jusqu’au bout ses premières leçons d’équitation, la « grande aventure » est d’abord celle qui consiste, sous la conduite de l’abbé Carreyre, à tenter d’accéder aux sources de la Hure. « Nous partions pleins d’espérance, bien que nous ne les eussions jamais atteintes, ces sources. Mais il nous semblait impossible de ne pas les découvrir enfin... et puis, une fois encore, nous nous perdions dans les fourrés inextricables, nous nous enlisions dans le marécage des prairies et jamais nous ne pûmes, à genoux, toucher des lèvres et des mains, en écartant les fougères, lorsqu’elle jaillit de la boue, l’eau glacée de notre enfance. » La sourde mélancolie qui l’étreint au retour de cette expédition sans issue, François Mauriac la retrouvera bien plus tard en percevant dans la musique de Mozart le même appel « vers une source qui existe, qui est là, tout près, au secret de nous-mêmes », mais dont la route est « perdue, à jamais perdue ». Comme s’il s’agissait là du mystère même de toute création...

Plus troublante encore, l’exploration qui l’entraîne, certains jours, au cœur du quartier isolé de Jouanhaut, à sept kilomètres de Saint-Symphorien, ultime limite au-delà de laquelle s’étend jusqu’à l’Océan la partie la plus obscure du pays landais, celle du marais de la Téchoueyre et de la lande du Midi, l’autre territoire de ses ancêtres.

De cette « extrémité de la terre » cernée par la forêt et réduite à quelques métairies disséminées autour d’un immense champ de millet, étaient issus, enracinés ici depuis trois siècles, les ascendants de Mathilde Lapeyre, « avec leurs troupeaux et leur langue sauvage ». La ferme où sa lointaine aïeule, Françoise Martin, lisait les premiers romans de Dumas à la lueur d’une chandelle de résine avait été détruite par les incendies. Seules, au fond de ce hameau coupé du temps, résident encore, recluses mais accueillantes, deux vieilles filles, les demoiselles Desbarrot, chez qui François vivra quelques journées d’enfance inoubliables. « Je n’y jouais à aucun jeu. Il ne se passait rien pour moi dans ce monde dont les frontières étaient des cuisines odorantes, un salon de compagnie (comme disaient les demoiselles) qui sentait la cire, des greniers mystérieux où la chienne avait mis bas, l’étable noire où un gros œil de bête luisait dans la demi-ténèbre. (...) Ce petit monde enchanté au bout d’une route qui s’arrêtait là me donnait l’idée de ce qui ne change jamais. Tout passerait, mais cela au moins serait immuable... ».

François se sent « inexprimablement à l’abri » dans ce refuge ancestral où subsistent quelques « créatures préservées », gardiennes d’une mémoire hors d’atteinte. Mais il perçoit aussi, d’instinct, l’emprise inexorable de ces endroits clos « au-delà desquels il est impossible d’avancer », de cet univers de cendre et de poussière, d’eaux croupies et d’arbres blessés, où « le monde extérieur se réduit le plus possible » et où rien ne « nous détourne de nous-mêmes ». « En vérité, avouera-t-il, je savais déjà que cette protection était illusoire, et que dans ce pays sans chemin, la mort savait se frayer une route comme partout ailleurs : le père des demoiselles était venu se tuer dans une chambre de cette vieille maison, après sa ruine. (...) Je savais aussi qu’un assassin, nommé Daguerre, avait été traqué dans ces bois, et c’était un de nos chiens qui l’avait découvert à demi mort de faim. » D’ici surgiront les figures les plus tragiques du romanesque mauriacien : celles de Thérèse Desqueyroux, la séquestrée d’Argelouse, de Jean Péloueyre et de Gabriel Gradère, les héros déchus du Baiser au lépreux et des Anges noirs, créatures à jamais captives d’une contrée sévère et inquiétante, et comme possédées par ses sortilèges...

C’est à Saint-Symphorien, en éprouvant jusqu’à l’extase la secrète poésie des lieux, en s’imprégnant des moindres frémissements de l’air, des moindres parfums de la terre, que François Mauriac a appris dès son plus jeune âge à s’identifier à la nature, à faire corps avec elle. Fusion, connivence quasi mystique qui s’exprime dans sa relation intime avec les arbres, la fascination qu’exerceront toujours sur lui les vieux chênes et les pins centenaires du parc de Jouanet, symboles fraternels d’une humanité qui souffre et se cherche entre terre et ciel. La vision des pins aux « flancs ouverts » après leur gemmage, l’écho de leur « plainte humaine » sous le souffle du vent, ont suffi à lui révéler, enfant, tout ce qui le rattache à ce monde sensible, complice de ses propres élans, de ses désirs, de ses rêves, de ses angoisses. François aime à étreindre les arbres, à déposer sur leur écorce l’empreinte de ses mains, de ses joues, jusqu’à transformer le baiser d’adieu au Gros Chêne de Jouanet, pour lequel ses frères et lui se sont pris de vénération, en véritable rituel des fins de vacances dans les Landes. « Geste d’alliance » que l’écrivain, à chacun de ses retours à Saint-Symphorien, accomplira jusqu’au bout avec une ferveur inentamée, une même attention émerveillée aux « grandes vibrations » de l’été.

À l’âge de ces premières expériences initiatiques, François Mauriac évolue déjà au plus près des deux sources, « celle de la terre et celle de Dieu », auxquelles son inspiration ne cessera de s’alimenter. Son âme d’enfant n’est pas moins sensible au charme envoûtant des eaux de la Hure qu’à la magie d’un jour de l’Assomption bourdonnant « de carillons et de cigales », à la poésie des cantiques célébrant, le 8 septembre, la fête de la Nativité de la Vierge. Et rien ne l’émeut davantage, à Pâques, que la coïncidence entre la passion du Christ et l’éveil du printemps, entre « la tristesse de la Semaine sainte » et « la merveilleuse joie » d’assister à la renaissance de la nature. Le sentiment de la Grâce, du « présent éternel de Dieu », qu’il a éprouvé si intensément le jour de sa première communion en chantant le Magnificat dans la chapelle de l’Institution Sainte-Marie, François le retrouve avec la même force et le même enchantement lorsqu’il s’immerge dans la vie profonde de la nature jusqu’à se confondre avec elle.

« Le roi des Aulnes de ma légende à moi ne tue pas le petit d’homme, écrira-t-il ; il l’initie sans hâte, prenant son temps, d’automne en automne, à un secret inscrit partout, certes, mais indéchiffrable pour l’enfant qui se croit éternel. Je recherchais des marques connues de moi seul, une initiale sur une écorce creusée en août, une pierre fossilisée enterrée en octobre au pied d’un pin, signes de mon passage à une certaine heure qui ne reviendrait pas. Ces repères ne pouvaient que m’ouvrir les yeux sur l’écoulement éternel de tout. Je commençais à me sentir emporté, je me raccrochais à des branches, je me retenais encore de crier : un poète était né. »

Le goût du songe

Pour singulier qu’il soit déjà, François n’est pas le seul à avoir reçu de son père « la passion de lire et le don d’écrire ». À l’exception de leur sœur Germaine qui n’a hérité, pour sa part, que de la dévotion sourcilleuse de sa famille maternelle, les enfants de Jean-Paul Mauriac ont eu très tôt en commun l’amour des livres et le goût de l’écriture. « Le mystère, souligne Pierre Mauriac, est l’unanimité de quatre frères à n’accorder de crédit qu’à la littérature dont notre entourage se souciait peu. Peut-être, si nous avions connu notre père qu’on nous disait secret et méditatif, aurions-nous compris. (...) Encore bien jeunes, nous déclamions des pages entières des Morceaux choisis de l’abbé Ragon que nous savions par cœur, et nous plaisions à jouer des comédies et revues de notre composition. (...) Nous arrivâmes à l’âge d’homme sans autres préoccupations qu’intellectuelles et religieuses. »

En décembre 1933, un des grands critiques littéraires de l’époque, André Rousseaux, ira jusqu’à célébrer dans Le Figaro le génie particulier des quatre frères : « Il y aura dans l’avenir un beau livre à écrire qui aura pour titre : Une famille française : les Mauriac. Comme nous avons déjà dans le passé les Arnaud, les Perrault, les Couperin... » Dans un de ses Bloc-Notes, François Mauriac évoquera la carrière littéraire avortée de son frère Raymond, « un rêveur, et comme absent de la vie », condamné, comme leur père, par « la stupide loi qui gouverne les familles bourgeoises », à pratiquer toute sa vie un métier d’avoué auquel rien ne le destinait, pour ne publier que deux romans sous le pseudonyme de Raymond Housilane. Devenu professeur de médecine de son plein gré, semble-t-il, Pierre Mauriac a consacré, lui aussi, une partie de son temps à l’écriture, encouragé par François qui l’aidera à publier chez Grasset plusieurs de ses livres, dont une biographie de Claude Bernard. Quant à l’abbé Jean, le seul des quatre à n’avoir signé aucun ouvrage en dehors de quelques articles parus dans La Vie fraternelle, l’organe des sillonnistes de Bordeaux, et la Revue Montalembert, peut-être était-il, dans l’âme, le plus artiste de tous, amoureux fou de poésie, de musique, d’opéra et de peinture, étincelant de drôlerie, de fantaisie sous ses airs de gravité ecclésiastique...

Avant de s’affirmer en solitaire, c’est dans ce climat de connivence fraternelle que la vocation de François s’est d’abord exprimée. Vocation qui se fonde, dans le même temps, sur la conscience précoce, le « sentiment profond » d’être « particulier », différent du reste de « la nichée », tant chez lui le « goût du songe », le « pouvoir de transfiguration » ont très tôt été portés à l’extrême.

François Mauriac datait de sa septième année le moment où il a commencé à « rêver sourdement d’écrire », à entrevoir dans la littérature son refuge le plus salutaire, « une porte ouverte sur un monde enchanté », sinon le meilleur moyen de s’appartenir. Il se réjouit, les jours de congé, quand la pluie, empêchant toute promenade, lui permet de rester seul dans sa chambre, un livre à la main. « Enfant, les livres des autres m’étaient l’unique délivrance », avouera-t-il, bien que ses premières lectures aient été, jusqu’au début de l’adolescence, aussi surveillées que son éducation religieuse dont elles étaient d’ailleurs indissociables dans l’esprit de sa mère.

Comme la plupart des enfants de son milieu, c’est dans le Saint-Nicolas, le Journal des voyages et Le Petit Français illustré que François s’est d’abord initié à la lecture. Mais une seule référence dicte les choix de Claire Mauriac : L’Œuvre des bons livres de l’abbé Bethléem, un « catalogue raisonné » des ouvrages à lire et à proscrire « en vertu de la morale chrétienne ». Cette même morale au nom de laquelle ont été mis à l’Index, vingt-cinq ans plus tôt, Les Misérables, Madame Bovary, Le Rouge et le Noir et toute l’œuvre de Balzac.

On trouve ici, parmi les romans recommandés pour « les petits jeunes gens, les petites filles et les enfants », et ceux jugés « propres à intéresser la jeunesse à l’âge de l’éveil des sens et des passions impérieuses » l’essentiel des premières lectures de François Mauriac jusqu’à son entrée au collège Grand-Lebrun. Les livres « charmants », quoique d’un goût parfois « douteux », de la Comtesse de Ségur y côtoient les « romans chrétiens » d’Alexandre Guiraud et ceux, « nationaux et historiques », d’Alexandre de Lamothe. Les récits « puissamment agencés, très dramatiques et toujours moraux » de Raoul de Navery y sont aussi fortement recommandés que les « livres délicieux » de Zénaïde Fleuriot et la série des « romans piquants, ingénieux, empoignants et instructifs » de Jules Verne. Seules ne figurent pas dans la catégorie des « bons livres » pour adolescents les œuvres de deux écrivains auxquels le fils de Claire Mauriac, en dépit des fortes préventions de l’abbé Bethléem, aura tout de même accès, avec ou sans l’assentiment de sa mère : les romans de Paul Féval, relégué parmi les auteurs « inquiétants du point de vue catholique », et ceux surtout d’Hector Malot, jugés aussi « immoraux » que les ouvrages de Balzac. À l’exception de Sans famille, l’un de ses rares volumes, concède le cher abbé, que « tout le monde puisse lire » – et l’un des romans préférés, avec L’Île mystérieuse et Le Petit Lord Fauntleroy, du jeune vacancier des Landes qui glissera un jour sur la page de garde : « Ce livre est beau parce qu’il m’a fait pleurer. » Au grand amusement de ses frères...

François Mauriac assurait avoir été davantage marqué par les romans de son enfance que par « aucun chef-d’œuvre » après eux, et avoir reçu « infiniment plus » d’Hector Malot et même de Zénaïde Fleuriot que de Gustave Flaubert – lequel ne figurera jamais, il est vrai, parmi ses auteurs de prédilection. Quelle que soit ici la part de la provocation, le fait est que Sans famille, Le Petit Poucet et même Les Pieds d’argile de Zénaïde Fleuriot ou Les Camisards d’Alexandre de Lamothe, comme un peu plus tard les romans de Charles Dickens, d’Emily Brontë et de George Eliot, lui ont apporté quelque chose d’irremplaçable : des personnages, des situations, des atmosphères auxquels s’identifier, des héros d’autant plus authentiques à ses yeux qu’il pouvait les assimiler à sa propre histoire. « Le pays des merveilles, j’exigeais qu’il fût peuplé des choses et des êtres tels que je les voyais et les affrontais. (...) Ici faut-il compter avec la religion qui pénétra mon enfance et l’investit de partout (...) : je crois que la pratique religieuse, dès l’enfance, m’a imposé le goût du songe qui serait vrai, d’un invisible réel. »

François manifeste ce goût du « songe » dès ses toutes premières « œuvres » personnelles : un recueil d’onze « fables anciennes et modernes, offert à la famille Mauriac », vraisemblablement rédigé aux alentours de sa dixième année. Dans l’une de ces « fables », intitulée en toute simplicité Ma vie, le jeune Mauriac relate sans fioritures sa morne existence quotidienne et ses états d’âme d’enfant, comme s’il venait déjà d’entreprendre son autobiographie :

À 7 heures je suis lever (sic)

À la demie j’ai déjeuné

Puis pour la pension je pars

Et j’arrive à moins le quart

Je passe mon noir tablier

Je commence à travailler

Depuis 8 heures jusqu’à 6 heures

Puis on vient me chercher Oh bonheur !

J’arrive, et entrant

J’embrasse ma chère maman

C’est la même chose le lendemain

Je suis toujours le même chemin

Excepté mercredi et dimanche

Jours pendant lesquels on prend sa revanche

C’est ainsi qu’est ma vie

Qui jamais ne varie.

Une autre de ces « fables » véridiques est un hymne à Saint-Symphorien – assorti d’une évocation déjà très critique de sa ville natale :

Un chalet élégant

Un grand prés (sic) très riant,

Des bois, un joli ruisseau

Complètent ce charmant tableau

Moi j’aime ce petit village

Où l’on entend le doux ramage

De tous les petits oiseaux

Oh ! Grande ville de Bordeaux !

Je préfère ce lieu enchanteur

À tout (sic) tes plaisirs trompeurs

Je préfère mon ruisseau poétique

À ta garonne magnifique

En un mot

Oh ! Bordeaux

Tes charmes ne sont rien

En comparaison de ceux de Saint-Symphorien.

Dans ses entretiens avec Jean Amrouche, Mauriac fait état d’« un roman d’aventures » rédigé au cours d’un de ses étés à Saint-Symphorien, à l’intention de son précepteur, l’abbé Carreyre. Peut-être s’agit-il de ce Boudoir conspirateur qu’il écrivit « secrètement, selon ses proches, sur un petit carnet » à l’âge de huit ou neuf ans. Récit dont on ne connaît qu’une phrase, la seule que son frère Jean affirmait avoir pu lire par surprise, à moins qu’il l’eût lui-même inventée : « Dans un élan de passion, il la baisa au front. Le lendemain, elle était mère. » Canular ou pas, ce raccourci d’une pieuse ingénuité est tout ce qui subsiste des premières tentatives romanesques de François Mauriac...

Pour cet écrivain encore balbutiant, avide de révélations et de découvertes, mais abreuvé de livres édifiants dans lesquels les enfants naissent toujours de façon mystérieuse ou spontanée, l’imagination créatrice ne saurait être autre chose, dans l’immédiat, qu’un exercice de vertu. Une manière, tout au plus, d’appréhender le « réel » et de se distraire de sa propre vie. Non de troubler la pureté d’« un cœur qui se trouve prédisposé à Dieu ».

. Selon l’expression de Claude Mauriac, citée par Jean Lacouture dans Profession biographe, Paris, Hachette Littératures, 2003.

. Le lecteur découvrira l’identité de la plupart d’entre eux au fil de cet ouvrage.

. À qui l’on doit la publication des deux volumes des Lettres d’une vie (Paris, Grasset, 1981 et 1989). Document irremplaçable pour la connaissance intime de François Mauriac.

. La seule rue François-Mauriac à Bordeaux se situe dans le quartier de Caudéran, près du collège Grand-Lebrun.

. Expression que Jean-Paul Mauriac est le premier à employer dans un de ses poèmes.

. Située dans le canton de Saint-Macaire, non loin de Malagar, l’église Notre-Dame de Verdelais est un lieu de pèlerinage que François Mauriac fréquenta assidûment sa vie durant.

. Et non Castets dans les Landes, comme on l’a souvent affirmé. Les éléments dont on dispose aujourd’hui confirment les origines essentiellement girondines de la lignée Mauriac.

. Décision que François Mauriac situe, dans ses Nouveaux mémoires intérieurs, en 1870, son grand-père ayant alors pris peur, explique-t-il, des conséquences de la guerre. Mais la date d’ouverture de la succursale bordelaise indique que celle-ci fut plus tardive et liée à des raisons essentiellement commerciales.

. Son petit-fils lui reprochait d’avoir seulement contribué à enlaidir le site en y ajoutant un « ridicule chalet d’homme d’affaires, tout en hauteur, que l’on voit de dix lieues à la ronde... » (Journal II, Paris, Grasset, 1937).

. Le deuxième frère de François Mauriac.

. La grand-mère de François Mauriac avait perdu son mari, Raymond Coiffard, un an plus tôt.

. En 1864, précisément, par le pape Pie IX.