LA VIE QUOTIDIENNE DU PRÉSIDENT
« BLING-BLING »
Il ne peut pas s'en empêcher. Le Président est un enfant. C'est connu, les enfants ne résistent pas à leurs envies, leurs désirs, leurs pulsions. Il ne faut pas leur en vouloir. C'est ainsi. C'est normal. Il faut bien que jeunesse se passe, dit-on. Le Président est parfaitement normal. C'est un enfant comme les autres. Comme tous les enfants, il aime deux choses : le chocolat, dont il se régale dès qu'il le peut, et tout ce qui brille. Son rapport à l'argent est intime, étroit, permanent. Quand il aborde quelqu'un, il n'est pas rare que la question fuse : « Combien vous gagnez ? » En campagne, avec des commerçants rencontrés sur un marché, des ouvriers croisés dans une usine, les journalistes qui ne le quittent pas d'une semelle, etc. « Combien vous gagnez ? » C'est spontané. Naturel. Ça lui vient comme ça.
L'enfant qui nous gouverne
Dans l'esprit de Nicolas Sarkozy, il s'agit d'une donnée essentielle pour évaluer et classer l'autre, c'est-à-dire le comprendre, puisque dans son univers l'autre n'existe que s'il prend place dans une hiérarchie. Pour s'y élever, l'argent est déterminant. Le psychanalyste Jean-Pierre Winter traduit cette insatiable frénésie du Président-enfant : « Pour Sarkozy, l'argent, ce n'est pas le pouvoir de jouir des choses, c'est le statut social. Pour exister, il pense qu'il doit donner l'image d'un homme qui a du fric1. » L'argent comme identité, presque comme ADN, en tout cas comme élément résumant ce qu'est véritablement l'être au fond de lui.
Julien Dray relativise ce penchant matérialiste qui hante et gouverne les émotions du Président. « Nicolas aime l'argent, c'est vrai, mais ce n'est pas un gaspilleur, il aime le confort, c'est différent2. »
L'analyse du sociologue Christian Salmon, auteur de Storytelling, la machine à fabriquer des histoires 3, est plus tranchée : « Nicolas Sarkozy, c'est le modèle le plus poussé de ce que le marché peut faire avec les individus. C'est un modèle purement consumériste et, en ce sens, il anticipe vraiment l'époque4. »
Ce Président-enfant qui aime à plonger les deux mains dans le pot de confiture ne rate jamais une occasion de se montrer bravache, turbulent, un rien dissipé. Il ne peut pas s'empêcher de provoquer le professeur, en l'occurrence ces journalistes, ces caméras, ces photographes qu'il traîne tous les jours dans son sillage, qu'il fait mine d'exécrer, mais sans lesquels, au fond de lui, il sait qu'il n'aurait plus vraiment de raison de vivre.
Comme ce jour de l'hiver 2008 où il visite les ateliers du malletier Louis Vuitton, à Saint-Pourçain-sur-Sioule, dans l'Allier. Alignées en rang d'oignons, toutes sages dans leurs blouses informes, les ouvrières le saluent timidement. L'une d'entre elles lui tend un sac en guise de présent pour remercier le Président de l'honneur qu'il leur fait à elles, ces vestales du « travailler plus pour gagner plus », de leur accorder un peu de son temps si précieux. En chute libre dans les sondages depuis quelques semaines, Nicolas Sarkozy a promis de se tenir à carreau. Il sait que les Français ne supportent plus l'étalage de son goût du luxe. Qu'ils ne tolèrent plus ce mélange permanent de la dimension publique, présidentielle, solennelle, majestueuse, qu'implique sa fonction, et de la face privée, intime, toujours clinquante, ce « bonheur personnel » que Sarkozy revendique haut et fort et dont il ne se lasse pas de jouir sous le regard effaré de ses sujets. Ses proches et ses amis sondeurs le supplient depuis des semaines de se contenir. Il le sait, se le répète. Et pourtant... Il ne peut pas s'en empêcher. « Ça va faire plaisir à Carla... » L'ouvrière rosit de plaisir. Sarkozy poursuit : « Ce matin, elle m'a dit : “Il faut que tu me ramènes quelque chose.” » Nous voilà plongés, malgré nous, dans l'intimité présidentielle. Dans le dos du chef de l'État, les flashs crépitent, forcément. Et voilà que le Président se retourne, fier de lui, le menton relevé. Il pose. « Regardez comme ils rigolent... Vous savez à qui je vais le donner, hein ? » Et hop, un sac siglé Louis Vuitton modèle Neverfull, grand modèle (455 euros) ! Il ne peut pas s'en empêcher.
Le Petit Chose de Neuilly