Chapitre 1
Le son
1. La phonétique acoustique
La phonétique est la science qui se propose de décrire les sons du langage. À la différence de la phonologie qui s’intéresse aux mêmes objets, cette description est indépendante de la fonction des sons dans le système linguistique. Alors que la phonétique articulatoire est très ancienne (voir la scène bien connue du Bourgeois gentilhomme, dans laquelle Monsieur Jourdain se fait expliquer très précisément les détails de l’articulation des consonnes et des voyelles, que tout locuteur réalise sans avoir conscience des mécanismes impliqués), la phonétique acoustique n’a pu se développer qu’avec l’apparition des premiers instruments d’enregistrement de la parole et des outils mathématiques permettant de décrire leurs propriétés physiques.
Au cours du xxe siècle, les techniques d’enregistrement sur disque vinyle puis sur bande magnétique ont permis de conserver le son et d’en rendre l’analyse possible même en l’absence des locuteurs. Grâce au développement de l’électronique et à l’invention du spectrographe, on a pu réaliser rapidement des analyses harmoniques autrefois péniblement exécutées à la main. Plus tard, l’émergence dans les années 1980 de l’informatique personnelle mettant en œuvre des processeurs de plus en plus rapides et des mémoires de grande capacité a entraîné le développement d’outils d’analyse acoustique informatiques, mis à la portée de tous, au point que les phonologues autrefois rétifs aux investigations phonétiques ont fini par les utiliser (sans toujours maîtriser totalement leur fonctionnement…).
La phonétique acoustique se propose de décrire les sons de la parole d’un point de vue physique en explicitant les caractéristiques qui rendent compte de leur usage dans le système linguistique. Elle parvient également à décrire les liens qui existent entre les sons de la parole et le mécanisme phonatoire, faisant ainsi le pont avec la phonétique articulatoire traditionnelle. Dans le domaine prosodique enfin, elle se révèle comme outil essentiel dans l’acquisition des données, difficile à maîtriser de manière fiable par la seule investigation auditive.
2. Le son
La parole constitue une grande invention humaine car elle permet de communiquer par le son sans avoir nécessairement de contact visuel entre les actants de la communication. En phonétique acoustique, dont l’objet est le son de la parole, le terme «son» implique la perception par l’oreille (ou les deux oreilles) des variations de pression dans un milieu dans lequel ces oreilles sont plongées, c’est-à-dire l’air, mais ce peut être aussi, exceptionnellement, l’eau pour les plongeurs sous-marins. Les variations de pression sont créées par une source sonore constituée par tout élément matériel en contact avec le milieu qui parvient à en modifier la pression. Dans le vide, il ne peut y avoir de pression ni de variation de pression et le son ne s’y propage pas. Le vide est donc un excellent isolant sonore.
La variation de pression se propage a priori dans toutes les directions autour de la source, à une vitesse qui dépend de la nature du milieu, de sa température, de la pression moyenne, etc. Dans l’air à 15 °C, la vitesse de propagation est de 340 m/s (1 224 km/h) au niveau de la mer, alors que dans l’eau de mer elle est de 1 500 m/s (5 400 km/h). La Table 1.1donne quelques valeurs de vitesse de propagation dans différents milieux. On voit que c’est dans l’acier que la vitesse du son est une des plus élevées (5 200 m/s soit 18 720 km/h), ce qui pourrait expliquer pourquoi dans les films de notre enfance les outlaws de l’Ouest américain pouvaient sans trop de danger coller une oreille sur un rail de train pour en estimer l’approche avant de l’attaquer.
La possibilité que le son puisse être perçu par l’humain dépend de sa fréquence et de son intensité. Si la fréquence est trop basse, inférieure à 20 Hz environ, le son ne sera pas perçu (on parle d’infrasons). Si elle est trop haute (supérieure à 16 000 Hz, mais cette valeur dépend de l’âge des oreilles), le son ne sera pas perçu non plus (on parle alors d’ultrasons). Beaucoup de mammifères comme les chiens, les chauves-souris ou les dauphins n’ont pas les mêmes plages de perception de fréquence que les humains et peuvent entendre des ultrasons jusqu’à 100 000 Hz. Cette valeur dépend aussi de l’âge. On a interdit récemment l’usage de générateurs de sons à fréquence élevée très désagréables pour les adolescents pour empêcher qu’ils ne se regroupent dans certains endroits publics, alors que ces sons ne constituaient aucune gêne pour les adultes puisqu’ils ne peuvent pas les percevoir.