Le Tartuffe ou l’Imposteur

Le Tartuffe ou l’Imposteur

© Éditions Larousse, 2006
ISBN : 978-2-03-586777-3

Le Tartuffe ou l’Imposteur

AVANT D’ABORDER L’ŒUVRE

Le Tartuffe ou l’Imposteur

Le Tartuffe ou l’Imposteur

Fiche d’identité de l’auteur

Molière

Nom : Jean-Baptiste Poquelin, dit Molière à partir de 1644.

Naissance : 1622. Baptisé à Saint-Eustache, à Paris, le 15 janvier 1622.

Famille : père “tapissier du roi”. Sa mère meurt alors qu’il a dix ans.

Formation : études au collége de Clermont (actuel Louis-le-Grand).Licence en droit à Orléans.

Début de carrière : en 1643, rencontre Madeleine Béjart. Abandonne la situation bourgeoise que pourrait lui léguer son père. Fonde l’“Illustre-Théâtre” et devient auteur, comédien et directeur de troupe. Après la faillite de son théâtre, il doit quitter Paris. Mène une vie itinérante en province, en particulier dans le Languedoc (Pézenas) pendant quinze ans.

Premiers succès : arrive à la cour en 1658. Premier grand succès : Les Précieuses ridicules en 1659. Première grande comédie en vers : L’École des femmes (1662). Molière est célèbre mais doit affronter de violentes critiques. Se défend dans La Critique de “l’École des Femmes” et L’Impromptu de Versailles (1663).

Tournant de sa carrière : Le Tartuffe (1664), interdit à la représentation. Dom Juan (1665), pièce jugée subversive, supprimée après deux semaines. Le Misanthrope (1666), sa comédie la plus fine et la plus sombre. En 1669, après la chute des jansénistes, Le Tartuffe ou l’Imposteur est enfin autorisé. Vif succès.

Dernière partie de sa carrière : devient chef de la “Troupe du roi”, chargé des divertissements royaux. Écrit des comédies-ballets : Monsieur de Pourceaugnac (1669) ; des comédies proches de la farce : Les Fourberies de Scapin (1671), Les Femmes savantes (1672), Le Malade imaginaire (1673).

Mort : le 17 février 1673. Funérailles chrétiennes, mais de nuit, le 21 février 1673.

Le Tartuffe ou l’Imposteur

Repères chronologiques

Le Tartuffe ou l’Imposteur

Fiche d’identité de l’œuvre

Le Tartuffe ou l’Imposteur

Auteur : Molière, 1669.

Genre : théâtre, comédie.

Registres : comique et satirique.

Structure : cinq actes.

Forme : dialogue en alexandrins.

Principaux personnages : Orgon, Elmire, Damis, Mariane, Valère, Cléante, Tartuffe.

Sujet : Orgon a charitablement recueilli Tartuffe chez lui. La famille est divisée au sujet de ce soi-disant dévot (acte I). Orgon, aveuglé, veut marier sa fille Mariane à Tartuffe alors que celle-ci est déjà promise à Valère. Valère et la servante Dorine décident d’aider Mariane à faire échouer ce projet (acte II). Première apparition de Tartuffe. Il déclare son amour à Elmire, l’épouse d’Orgon. Celui-ci fait de Tartuffe son héritier à la place de son fils qu’il chasse (acte III). Elmire intervient pour démasquer Tartuffe. Elle cache Orgon sous une table pendant que Tartuffe expose ses projets sans équivoque. Orgon a enfin compris à qui il a affaire, il sort de sa cachette et chasse aussitôt Tartuffe. Mais celui-ci répond par des menaces (acte IV). Tartuffe vient prendre possession des biens de la famille. Il détient aussi des documents compromettants : il va dénoncer Orgon au roi. Orgon s’apprête à s’enfuir quand Tartuffe revient accompagné d’un officier de police. Mais celuici, contre toute attente, arrête Tartuffe sur ordre du roi “ennemi de la fraude” (acte V).

Représentations de la pièce : première version en trois actes, Tartuffe ou l’Hypocrite, représentée le 12 mai 1664. Les dévots font interdire les représentations. Deuxième version, Panulphe ou l’Imposteur, jouée le 5 août 1667. Interdite dès le lendemain. Version définitive, Tartuffe ou l’Imposteur, représentée à partir du 5 février 1669. Grand succès. 77 représentations du vivant de Molière.

Objets d’étude : comique et comédie ; le théâtre : texte et représentation ; le classicisme.

Le Tartuffe ou l’Imposteur

L’œuvre dans son siècle

Molière, auteur comique à un tournant de sa carrière

ENTRE 1663 ET 1669, période pendant laquelle se déroule « la bataille de Tartuffe », Molière est déjà un auteur de tout premier plan. L’École des femmes (1662) a suscité de vigoureuses critiques pour des raisons artistiques et morales. Ses adversaires n’hésitaient pas à l’accuser d’immoralité et même d’impiété. Mais tout cela ne débouchait encore que sur une polémique littéraire. Il avait suffi que Molière se défende dans la Critique de L’École des femmes, et dans L’Impromptu de Versailles.

À PARTIR DE LA PREMIÈRE VERSION DE TARTUFFE, il devient un auteur interdit (27 avril 1664), donc scandaleux, donc très célèbre. D’autant plus qu’il semble provoquer à plaisir les attaques pour impiété. Après L’École des femmes, trois versions de Tartuffe se succèdent, ainsi que Dom Juan, peu fait pour apaiser les esprits puisque son héros est un grand seigneur qui ne respecte rien, ni le mariage, ni l’autorité de son père, ni la religion. « L’affaire Tartuffe » devient une véritable affaire d’État où le roi en personne devra intervenir. Molière est désormais un auteur qui dérange beaucoup de monde, à commencer par la Compagnie du Saint-Sacrement.

La cabale des dévots

À PARTIR DE 1640, la Contre-Réforme (courant dans l’Église qui cherche à lutter contre l’Église protestante autorisée par Henri IV avec l’édit de Nantes) s’appuie sur de nombreuses organisations (on en compte une cinquantaine) dont la plus célèbre est la Compagnie du Saint-Sacrement. Ces associations officiellement religieuses et charitables sont en réalité de véritables sociétés secrètes qui forment un réseau à travers tout le royaume. Elles s’emploient à monter des cabales, c’est-à-dire des intrigues, afin d’influencer les affaires de l’État. Elles s’introduisent aussi dans les familles de la bourgeoisie par l’intermédiaire de directeurs de conscience qui dispensent leurs conseils au sujet des mariages et des testaments. La Compagnie du Saint-Sacrement et ses semblables utilisent donc la religion à des fins machiavéliques et se font fort de censurer la vie luxueuse et culturellement avancée de la Cour.

OR LOUIS XIV, qui est jeune, qui n’est pas encore devenu lui-même dévot comme ce sera le cas à la fin de sa vie, et dont le pouvoir absolu est encore récent, ne peut tolérer ce foyer d’opposition « réactionnaire ». Il finit par interdire la Compagnie du Saint-Sacrement. Parallèlement, les persécutions contre Port-Royal en 1664 mettent fin à la querelle des jansénistes dont l’austérité et l’intransigeance religieuse représentaient, elles aussi, une contestation du pouvoir personnel du roi. Et en 1668, un accord appelé « Paix de l’Église » est signé et marque la fin (provisoire) de l’intolérance religieuse. Molière peut enfin jouer Tartuffe.

Les trois versions de Tartuffe

LA PREMIÈRE VERSION, en trois actes, s’intitulait Tartuffe ou l’Hypocrite. La satire y était particulièrement hardie : Molière n’avait pas hésité à faire du personnage de Tartuffe un homme d’Église (sans toutefois qu’il soit prêtre, puisqu’il doit épouser la fille d’Orgon). Le 27 avril 1664, la Compagnie du Saint-Sacrement décida de faire interdire la pièce, de peur que la peinture de la fausse dévotion ne fasse douter de la vraie. Mais elle ne put empêcher qu’elle soit jouée une fois, en présence du roi – qui n’y trouva rien à redire –, le 12 mai 1664, à Versailles, lors des fêtes appelées « Plaisirs de l’île enchantée ». Peu après, l’archevêque de Paris en personne intervient et Molière ne peut ni jouer sa pièce, ni même la faire imprimer. Un certain Pierre Roullé va jusqu’à écrire que Molière est « un démon vêtu de chair et habillé en homme » et qu’il mérite « un supplice exemplaire et public ». Molière adresse au roi un premier placet (1664), c’est-à-dire une demande écrite sollicitant une grâce. La pièce reste interdite mais Molière conserve la faveur du roi. Le manuscrit de cette première version a été perdu ; nous n’en connaissons que quelques comptes rendus.

MOLIÈRE remanie alors sa comédie qui devient Panulphe ou l’Imposteur. Elle est jouée le 5 août 1667. Dès le lendemain, Guillaume de Lamoignon, premier président du Parlement de Paris (c’est-à-dire, sous l’Ancien Régime, la Chambre de justice royale) et membre de la Compagnie du Saint-Sacrement, la fait interdire. (Le roi était alors en Flandre.) Le président Lamoignon interdit à tout chrétien (et donc au roi lui-même) d’assister à la représentation de cette œuvre impie, de la lire et même de se la faire lire... sous peine d’excommunication. Molière rédige alors un deuxième placet au roi où il insiste sur les « adoucissements » qu’il a introduits par rapport à la première version. Tartuffe y est en effet un pur laïc, sans lien avec l’Église.

UN AN PLUS TARD, le parti des dévots ayant perdu de son influence, le public peut enfin assister à une troisième version, intitulée cette fois Le Tartuffe ou l’Imposteur (1669) et qui reste pour l’essentiel proche du Panulphe de 1667. À partir du 5 février 1669, Tartuffe est joué sans interruption. L’auteur en remercie Louis XIV dans un troisième placet. Le succès est triomphal. Le jour de la première, la recette est la plus importante jamais encaissée par la troupe de Molière.

Une comédie de caractère

LES TRIBULATIONS politico-religieuses de la pièce ne doivent cependant pas nous faire oublier qu’elle est d’abord une comédie au sens classique du terme, une comédie de caractère dont le but avoué est de montrer certains défauts de la société contemporaine. Le nom « Tartuffe » n’est pas indifférent. Il est apparenté à l’italien tartufo qui signifie « truffe », champignon parasite des racines du chêne. Dans la langue du XVIe siècle, il existait le mot truffe avec le sens de « tromperie » et un verbe trupher, employé par Rabelais, dans le sens de « se moquer de ».

TARTUFFE est donc un hypocrite qui trompe Orgon et – surtout aux yeux de la Compagnie du Saint-Sacrement – se moque de la religion. Tout lui est bon pour construire son personnage de faux dévot : l’ascétisme intransigeant des jansénistes (III, 2) ; la casuistique des jésuites (IV) ; les œuvres charitables de la Compagnie du Saint-Sacrement (III, 2). Il a su attirer la compassion d’Orgon par une version burlesque de l’Imitation de Jésus (I, 5). En réalité, il apparaît comme l’incarnation des péchés capitaux. Quelques-uns d’entre eux sont particulièrement mis en relief : la gourmandise (I, 4) ; la luxure (III, 3 et IV, 5) ; l’avarice et l’envie (IV, 7). Il utilise la religion à des fins purement matérielles.

LE PERSONNAGE DE TARTUFFE est évidemment inconcevable sans sa dupe, Orgon. Celui-ci vient enrichir la galerie des monomaniaques égoïstes et autoritaires typiques du répertoire moliéresque. Orgon n’est pas un « honnête homme » car il perd le sens commun, le sens de la mesure. En recueillant Tartuffe, il croit se procurer en quelque sorte une « assurance tous risques » pour le paradis, à quoi il sacrifie toute sa famille, à commencer par sa fille. Orgon prend un saint homme pour gendre comme le malade imaginaire en voudra un qui soit médecin. C’est sa sécurité à lui, et seulement à lui, qu’il vise en échafaudant ce projet. Dorine, lucide, le dit en peu de mots : « Et que si son Tartuffe est pour lui si charmant, / Il le peut épouser sans nul empêchement. » (II, 3).

Le Tartuffe ou l’Imposteur

Lire l’œuvre aujourd’hui

Qu’est-ce qui, dans Tartuffe, peut encore séduire en ce début de XXIe siècle ? On dit un tartuffe, une tartufferie mais que le nom propre soit devenu nom commun – une « antonomase » – tant le personnage est exemplaire ne prouve pas que la pièce avec son intrigue complexe trouve encore un écho dans le public des théâtres d’aujourd’hui. L’hypocrisie et l’imposture sont certes des travers qui ont cours à toutes les époques, mais l’imposture de Tartuffe est d’un type bien particulier, et cela est de la toute première importance : c’est une imposture religieuse à conséquences sociales. Ce sujet a provoqué beaucoup de remous au temps de Louis XIV. Qu’en est-il aujourd’hui ?

La question religieuse

Au xxe siècle, époque de déchristianisation rapide et profonde, on a eu parfois tendance à lire Tartuffe d’une manière outrageusement simplificatrice : sous prétexte que Molière dénonce la fausse dévotion, l’on fait de Tartuffe une pièce anti-chrétienne. Les enseignants et les critiques ont dû rappeler régulièrement que Tartuffe est un imposteur et qu’il faut se garder des assimilations hâtives. Aujourd’hui que la question religieuse redevient brûlante un peu partout dans le monde, la distinction entre dévotion sincère et dévotion dévoyée à des fins inavouables est à nouveau d’actualité. Des rapprochements, parfois pesamment soulignés, n’ont pas manqué d’être faits entre les agissements de Tartuffe et ceux de certaines sectes ou de certains extrémistes religieux qui visent des buts autres que spirituels.

Tartuffe pose la question de savoir si, sous prétexte de ne pas manquer de respect à la piété sincère, on doit aussi se taire sur l’utilisation frauduleuse de la religion. Les mésaventures de cette pièce font aussi réfléchir sur la liberté de critiquer qui, de nos jours, est loin d’être une évidence pour tout le monde, du fait de régimes politiques comme de groupes de pression ultra-actifs. On est, en effet, frappé par l’atmosphère totalitaire qui règne tout au long de la pièce.

Tartuffe, comédie du totalitarisme ?

Dès la première scène de la pièce, Mme Pernelle développe un programme réactionnaire particulièrement rigide. Quand Orgon apparaît peu après, c’est pour abonder dans son sens. La famille se trouve sous la coupe d’une troïka étouffante : Mme Pernelle, la grand-mère ; Orgon, le pater familias ; Tartuffe, le directeur de conscience. Comme dans les régimes totalitaires, tout, jusqu’à la vie privée, et même les sentiments les plus intimes, est sous le coup de l’idéologie. Ainsi, sous le toit d’Orgon, tout devient sournois : on se cache pour parler (IV, 5), on se cache pour écouter (III, 4 et IV, 4). Cela provoque le bouleversement général de la famille : dislocation des rapports humains normaux, surexcitation des esprits, déshumanisation de la religion, répression des émotions naturelles comme la tendresse et l’amour.

Ce qui règne chez Orgon, c’est la terreur religieuse, omniprésente, et surtout toute-puissante jusqu’à la dernière scène. Tout espoir de mener une vie normale, où l’on peut rester soimême sans être obligé de se couler dans un moule rigide, semble à jamais impossible. Tartuffe fait penser à un virus qui s’est introduit dans la famille et la détruit inexorablement. Tartuffe est une comédie qui pourrait porter en soustitre La machine infernale car c’est une comédie qui prend des allures de cauchemar.

Tartuffe fait-il rire le public contemporain ?

Les critiques le répètent, Tartuffe est une œuvre comique qui doit faire rire parce que Molière l’a conçue ainsi. Pour preuve les procédés comiques nombreux et variés qui sont mis à contribution. Pourtant, force est de constater que le rire que soulève (éventuellement) Tartuffe n’est pas de la même nature que celui que suscite Le Bourgeois gentilhomme. Quand M. Jourdain prend une leçon d’escrime, on rit franchement. Quand Tartuffe pose sa main sur le genou d’Elmire, disons que l’on rit « quand même » car l’aspect inquiétant de Tartuffe l’emporte sur le rire. La tradition classique veut que l’honnête homme rie de celui qui se montre extravagant : ce rire aurait un effet cathartique. Peut-être est-ce le cas avec Orgon. En ce qui concerne Tartuffe, l’honnête homme est plutôt révulsé. Si catharsis il y a, elle est produite par l’horreur.

La mise en scène de Jacques Lassalle au Théâtre national de Strasbourg, dont Gérard Depardieu a tiré un film où il tient le rôle de Tartuffe, est exemplaire en ce sens. Elle constitue certes une trahison puisque tous les passages comiques susceptibles de faire sourire le spectateur sont systématiquement neutralisés par le ton glacial sur lequel ils sont dits, mais l’effet produit est saisissant. Tartuffe fait peur. Et s’il fait peur, ce n’est pas grâce à un ingrédient que le metteur en scène aurait ajouté, une transposition par exemple. Il fait peur parce que le personnage tel qu’il est dans le texte de Molière a réellement quelque chose de terrifiant.

Le Tartuffe ou l’Imposteur

LE TARTUFFE OU L’LMPOSTEUR

Le Tartuffe ou l’Imposteur

Le Tartuffe ou l’Imposteur

Préface

Voici une comédie dont on a fait beaucoup de bruit, qui a été longtemps persécutée ; et les gens qu’elle joue ont bien fait voir qu’ils étaient plus puissants en France que tous ceux que j’ai joués jusques ici. Les marquis, les précieuses, les cocus et les médecins ont souffert doucement1 qu’on les ait représentés, et ils ont fait semblant de se divertir, avec tout le monde, des peintures que l’on a faites d’eux ; mais les hypocrites n’ont point entendu raillerie2 ; ils se sont effarouchés d’abord, et ont trouvé étrange que j’eusse la hardiesse de jouer leurs grimaces et de vouloir décrier un métier dont tant d’honnêtes gens se mêlent. C’est un crime qu’ils ne sauraient me pardonner ; et ils se sont tous armés contre ma comédie avec une fureur épouvantable. Ils n’ont eu garde de l’attaquer par le côté qui les a blessés : ils sont trop politiques pour cela, et savent trop bien vivre pour découvrir le fond de leur âme. Suivant leur louable coutume, ils ont couvert leurs intérêts de la cause de Dieu ; et Le Tartuffe, dans leur bouche, est une pièce qui offense la piété. Elle est, d’un bout à l’autre, pleine d’abominations, et l’on n’y trouve rien qui ne mérite le feu. Toutes les syllabes en sont impies ; les gestes même y sont criminels ; et le moindre coup d’œil, le moindre branlement de tête, le moindre pas à droite ou à gauche y cache des mystères qu’ils trouvent moyen d’expliquer à mon désavantage. J’ai eu beau la soumettre aux lumières de mes amis, et à la censure de tout le monde, les corrections que j’y ai pu faire, le jugement du roi et de la reine, qui l’ont vue, l’approbation des grands princes et de messieurs les ministres, qui l’ont honorée publiquement de leur présence, le témoignage des gens de bien, qui l’ont trouvée profitable, tout cela n’a de rien servi. Ils n’en veulent point démordre ; et, tous les jours encore, ils font crier en public des zélés indiscrets, qui me disent des injures pieusement, et me damnent par charité.

Je me soucierais fort peu de tout ce qu’ils peuvent dire, n’était l’artifice qu’ils ont de me faire des ennemis que je respecte, et de jeter dans leur parti de véritables gens de bien, dont ils préviennent3 la bonne foi, et qui, par la chaleur qu’ils ont pour les intérêts du ciel, sont faciles à recevoir les impressions qu’on veut leur donner. Voilà ce qui m’oblige à me défendre. C’est aux vrais dévots que je veux partout me justifier sur la conduite de ma comédie ; et je les conjure, de tout mon cœur, de ne point condamner les choses avant que de les voir, de se défaire de toute pré-vention, et de ne point servir la passion de ceux dont les grimaces les déshonorent.

Si l’on prend la peine d’examiner de bonne foi ma comédie, on verra sans doute que mes intentions y sont partout innocentes, et qu’elle ne tend nullement à jouer les choses que l’on doit révérer ; que je l’ai traitée avec toutes les précautions que me demandait la délicatesse de la matière et que j’ai mis tout l’art et tous les soins qu’il m’a été possible pour bien distinguer le personnage de l’hypocrite d’avec celui du vrai dévot. J’ai employé pour cela deux actes entiers à préparer la venue de mon scélérat. Il ne tient pas un seul moment l’auditeur en balance4, on le connaît d’abord aux marques que je lui donne ; et, d’un bout à l’autre, il ne dit pas un mot, il ne fait pas une action, qui ne peigne aux spectateurs le caractère d’un méchant homme, et ne fasse éclater celui du véritable homme de bien que je lui oppose.

Je sais bien que, pour réponse, ces messieurs tâchent d’insinuer que ce n’est point au théâtre à parler de ces matières ; mais je leur demande, avec leur permission, sur quoi ils fondent cette belle maxime. C’est une proposition qu’ils ne font que supposer, et qu’ils ne prouvent en aucune façon ; et, sans doute, il ne serait pas difficile de leur faire voir que la comédie, chez les anciens, a pris son origine de la religion, et faisait partie de leurs mystères ; que les Espagnols, nos voisins, ne célèbrent guère de fête où la comédie ne soit mêlée, et que même, parmi nous, elle doit sa naissance aux soins d’une confrérie5 à qui appartient encore aujourd’hui l’Hôtel de Bourgogne ; que c’est un lieu qui fut donné pour y représenter les plus importants mystères de notre foi ; qu’on en voit encore des comédies imprimées en lettres gothiques, sous le nom d’un docteur de Sorbonne et, sans aller chercher si loin, que l’on a joué, de notre temps, des pièces saintes de M. de Corneille6, qui ont été l’admiration de toute la France.

Si l’emploi de la comédie est de corriger les vices des hommes, je ne vois pas par quelle raison il y en aura de privilégiés. Celui-ci est, dans l’État, d’une conséquence bien plus dangereuse que tous les autres ; et nous avons vu que le théâtre a une grande vertu pour la correction. Les plus beaux traits d’une sérieuse morale sont moins puissants, le plus souvent, que ceux de la satire ; et rien ne reprend mieux la plupart des hommes que la peinture de leurs défauts. C’est une grande atteinte aux vices que de les exposer à la risée de tout le monde. On souffre7 aisément des répréhensions ; mais on ne souffre point la raillerie. On veut bien être méchant, mais on ne veut point être ridicule.

On me reproche d’avoir mis des termes de piété dans la bouche de mon Imposteur. Et pouvais-je m’en empêcher, pour bien représenter le caractère d’un hypocrite ? Il suffit, ce me semble, que je fasse connaître les motifs criminels qui lui font dire les choses, et que j’en aie retranché les termes consacrés, dont on aurait eu peine à lui entendre faire un mauvais usage. Mais il débite au quatrième acte une morale pernicieuse. Mais cette morale est-elle quelque chose dont tout le monde n’eût les oreilles rebattues ? Dit-elle rien de nouveau dans ma comédie ? Et peut-on craindre que des choses si généralement détestées fassent quelque impression dans les esprits ; que je les rende dangereuses en les faisant monter sur le théâtre ; qu’elles reçoivent quelque autorité de la bouche d’un scélérat ? Il n’y a nulle apparence à cela ; et l’on doit approuver la comédie du Tartuffe, ou condamner généralement toutes les comédies.

C’est à quoi l’on s’attache furieusement depuis un temps, et jamais on ne s’était si fort déchaîné contre le théâtre8. Je ne puis pas nier qu’il n’y ait eu des Pères de l’Église qui ont condamné la comédie ; mais on ne peut pas me nier aussi qu’il n’y en ait eu quelques-uns qui l’ont traitée un peu plus doucement. Ainsi l’autorité dont on prétend appuyer la censure est détruite par ce partage ; et toute la conséquence qu’on peut tirer de cette diversité d’opinions en des esprits éclairés des mêmes lumières, c’est qu’ils ont pris la comédie différemment, et que les uns l’ont considérée dans sa pureté, lorsque les autres l’ont regardée dans sa corruption, et confondue avec tous ces vilains spectacles qu’on a eu raison de nommer des spectacles de turpitude9.

Et, en effet, puisqu’on doit discourir des choses et non pas des mots, et que la plupart des contrariétés viennent de ne se pas entendre et d’envelopper dans un même mot des choses opposées, il ne faut qu’ôter le voile de l’équivoque, et regarder ce qu’est la comédie en soi, pour voir si elle est condamnable. On connaîtra sans doute que, n’étant autre chose qu’un poème ingénieux, qui, par des leçons agréables, reprend les défauts des hommes, on ne saurait la censurer sans injustice ; et, si nous voulons ouïr là-dessus le témoignage de l’antiquité, elle nous dira que ses plus célèbres philosophes ont donné des louanges à la comédie, eux qui faisaient profession d’une sagesse si austère, et qui criaient sans cesse après les vices de leur siècle ; elle nous fera voir qu’Aristote10 a consacré des veilles au théâtre, et s’est donné le soin de réduire en préceptes l’art de faire des comédies ; elle nous apprendra que de ses plus grands hommes, et des premiers en dignité, ont fait gloire d’en composer euxmêmes, qu’il y en a eu d’autres qui n’ont pas dédaigné de réciter en public celles qu’ils avaient composées, que la Grèce a fait pour cet art éclater son estime par les prix glorieux et par les superbes théâtres dont elle a voulu l’honorer, et que, dans Rome enfin, ce même art a reçu aussi des honneurs extraordinaires : je ne dis pas dans Rome débauchée, et sous la licence des empereurs, mais dans Rome disciplinée, sous la sagesse des consuls, et dans le temps de la vigueur de la vertu romaine.

J’avoue qu’il y a eu des temps où la comédie s’est corrompue. Et qu’est-ce que dans le monde on ne corrompt point tous les jours ? Il n’y a chose si innocente où les hommes ne puissent porter du crime, point d’art si salutaire dont ils ne soient capables de renverser les intentions, rien de si bon en soi qu’ils ne puissent tourner à de mauvais usages. La médecine est un art profitable, et chacun la révère comme une des plus excellentes choses que nous ayons ; et cependant il y a eu des temps où elle s’est rendue odieuse, et souvent on en a fait un art d’empoisonner les hommes. La philosophie est un présent du Ciel ; elle nous a été donnée pour porter nos esprits à la connaissance d’un Dieu par la contemplation des merveilles de la nature ; et pourtant on n’ignore pas que souvent on l’a détournée de son emploi, et qu’on l’a occupée publiquement à soutenir l’impiété. Les choses même les plus saintes ne sont point à couvert de la corruption des hommes ; et nous voyons des scélérats qui, tous les jours, abusent de la piété, et la font servir méchamment aux crimes les plus grands. Mais on ne laisse pas pour cela de faire les distinctions qu’il est besoin de faire. On n’enveloppe point dans une fausse conséquence la bonté des choses que l’on corrompt, avec la malice des corrupteurs. On sépare toujours le mauvais usage d’avec l’intention de l’art ; et comme on ne s’avise point de défendre11 la médecine pour avoir été bannie de Rome12, ni la philosophie pour avoir été condamnée publiquement dans Athènes13, on ne doit point aussi vouloir interdire la comédie pour avoir été censurée en de certains temps. Cette censure a eu ses raisons, qui ne subsistent point ici. Elle s’est renfermée dans ce qu’elle a pu voir ; et nous ne devons point la tirer des bornes qu’elle s’est données, l’étendre plus loin qu’il ne faut, et lui faire embrasser l’innocent avec le coupable. La comédie qu’elle a eu dessein d’attaquer n’est point du tout la comédie que nous voulons défendre. Il se faut bien garder de confondre celle-là avec celle-ci. Ce sont deux personnes de qui les mœurs sont tout à fait opposées. Elles n’ont aucun rapport l’une avec l’autre que la ressemblance du nom ; et ce serait une injustice épouvantable que de vouloir condamner Olympe, qui est femme de bien, parce qu’il y a eu une Olympe qui a été une débauchée. De semblables arrêts, sans doute, feraient un grand désordre dans le monde. Il n’y aurait rien par là qui ne fût condamné ; et, puisque l’on ne garde point cette rigueur à tant de choses dont on abuse tous les jours, on doit bien faire la même grâce à la comédie, et approuver les pièces de théâtre où l’on verra régner l’instruction et l’honnêteté.

Je sais qu’il y a des esprits dont la délicatesse ne peut souffrir aucune comédie, qui disent que les plus honnêtes sont les plus dangereuses ; que les passions que l’on y dépeint sont d’autant plus touchantes qu’elles sont pleines de vertu, et que les âmes sont attendries par ces sortes de représentations. Je ne vois pas quel grand crime c’est que de s’attendrir à la vue d’une passion honnête ; et c’est un haut étage de vertu que cette pleine insensibilité où ils veulent faire monter notre âme. Je doute qu’une si grande perfection soit dans les forces de la nature humaine ; et je ne sais s’il n’est pas mieux de travailler à rectifier et adoucir les passions des hommes, que de vouloir les retrancher entièrement. J’avoue qu’il y a des lieux qu’il vaut mieux fréquenter que le théâtre ; et, si l’on veut blâmer toutes les choses qui ne regardent pas directement Dieu et notre salut, il est certain que la comédie en doit être, et je ne trouve point mauvais qu’elle soit condamnée avec le reste. Mais, supposé, comme il est vrai, que les exercices de la piété souffrent des intervalles et que les hommes aient besoin de divertissement, je soutiens qu’on ne leur en peut trouver un qui soit plus innocent que la comédie. Je me suis étendu trop loin. Finissons par un mot d’un grand prince14 sur la comédie du Tartuffe.

Huit jours après qu’elle eut été défendue, on représenta devant la Cour une pièce intitulée Scaramouche ermite, et le roi, en sortant, dit au grand prince que je veux dire : « Je voudrais bien savoir pourquoi les gens qui se scandalisent si fort de la comédie de Molière ne disent mot de celle de Scaramouche » ; à quoi le prince répondit : « La raison de cela, c’est que la comédie de Scaramouche joue le ciel et la religion, dont ces messieurs-là ne se soucient point ; mais celle de Molière les joue eux-mêmes ; c’est ce qu’ils ne peuvent souffrir. »

 

  1. Doucement : patiemment.

  2. Entendu raillerie : admis la plaisanterie.

  3. Préviennent : trompent.

  4. En balance : hésitant.

  5. Confrérie : la confrérie de la Passion.

  6. Pièces...de Corneille : Polyeucte martyr, Théodore, vierge et martyre.

  7. Souffre : tolère.

  8. Contre le théâtre : le théâtre était attaqué à la fois par des ecclésiastiques (Bossuet, Bourdaloue) et par les jansénistes (Nicole).

  9. Spectacles de turpitude : expression de saint Augustin, désignant les jeux du cirque et les pantomimes licencieuses de Rome.

10. Aristote : dans sa Poétique.

11. Défendre : interdire.

12. Bannie de Rome : les Romains expulsant les Grecs d’Italie chassèrent, par le même décret, les médecins (selon Pline l’Ancien).

13. Athènes : allusion à la condamnation de Socrate.

14. Prince : le Grand Condé.

Le Tartuffe ou l’Imposteur

Placets1 au roi

Comme les moindres choses qui partent de la plume de M. de Molière ont des beautés que les plus délicats ne se peuvent lasser d’admirer, j’ai cru ne devoir pas négliger l’occasion de vous faire part de ces placets, et qu’il était à propos de les joindre au Tartuffe, puisque partout il y est parlé de cette incomparable pièce.

Le libraire2 au lecteur.

Premier placet3 présenté au roi sur la comédie du Tartuffe

Sire,

Le devoir de la comédie étant de corriger les hommes en les divertissant, j’ai cru que, dans l’emploi où je me trouve, je n’avais rien de mieux à faire que d’attaquer par des peintures ridicules les vices de mon siècle ; et, comme l’hypocrisie, sans doute, en est un des plus en usage, des plus incommodes et des plus dangereux, j’avais eu, Sire, la pensée que je ne rendrais pas un petit service à tous les honnêtes gens de votre royaume, si je faisais une comédie qui décriât les hypocrites, et mît en vue, comme il faut, toutes les grimaces étudiées de ces gens de bien à outrance, toutes les friponneries couvertes de ces faux-monnayeurs en dévotion, qui veulent attraper les hommes avec un zèle contrefait et une charité sophistique4.

Je l’ai faite, Sire, cette comédie, avec tout le soin, comme je crois, et toutes les circonspections que pouvait demander la délicatesse de la matière ; et, pour mieux conserver l’estime et le respect qu’on doit aux vrais dévots, j’en ai distingué le plus que j’ai pu le caractère que j’avais à toucher5. Je n’ai point laissé d’équivoque, j’ai ôté ce qui pouvait confondre le bien avec le mal, et ne me suis servi dans cette peinture que des couleurs expresses et des traits essentiels qui font reconnaître d’abord un véritable et franc hypocrite.

Cependant toutes mes précautions ont été inutiles. On a profité, Sire, de la délicatesse de votre âme sur les matières de religion, et l’on a su vous prendre par l’endroit seul que vous êtes prenable, je veux dire par le respect des choses saintes. Les tartuffes, sous main, ont eu l’adresse de trouver grâce auprès de Votre Majesté ; et les originaux enfin ont fait supprimer la copie, quelque innocente qu’elle fût, et quelque ressemblante qu’on la trouvât.

Bien que ce m’ait été un coup sensible que la suppression de cet ouvrage, mon malheur, pourtant, était adouci par la manière dont Votre Majesté s’était expliquée sur ce sujet ; et j’ai cru, Sire, qu’elle m’ôtait tout lieu de me plaindre, ayant eu la bonté de déclarer qu’elle ne trouvait rien à dire dans cette comédie qu’elle me défendait de produire en public.

Mais, malgré cette glorieuse déclaration du plus grand roi du monde et du plus éclairé, malgré l’approbation encore de M. le légat6, et de la plus grande partie de nos prélats, qui tous, dans les lectures particulières que je leur ai faites de mon ouvrage, se sont trouvés d’accord avec les sentiments de Votre Majesté ; malgré tout cela, dis-je, on voit un livre composé par le curé de…7, qui donne hautement un démenti à tous ces augustes témoignages. Votre Majesté a beau dire, et M. le légat et MM. les prélats ont beau donner leur jugement, ma comédie, sans l’avoir vue8, est diabolique, et diabolique mon cerveau ; je suis un démon vêtu de chair et habillé en homme, un libertin, un impie digne d’un supplice exemplaire. Ce n’est pas assez que le feu expie en public mon offense, j’en serais quitte à trop bon marché ; le zèle charitable de ce galant homme de bien n’a garde de demeurer là : il ne veut point que j’aie de miséricorde auprès de Dieu, il veut absolument que je sois damné, c’est une affaire résolue.

Ce livre, Sire, a été présenté à Votre Majesté ; et, sans doute, elle juge bien elle-même combien il m’est fâcheux de me voir exposé tous les jours aux insultes de ces messieurs ; quel tort me feront dans le monde de telles calomnies, s’il faut qu’elles soient tolérées ; et quel intérêt j’ai enfin à me purger9 de son imposture, et à faire voir au public que ma comédie n’est rien moins que ce qu’on veut qu’elle soit. Je ne dirai point, Sire, ce que j’avais à demander pour ma réputation, et pour justifier à tout le monde l’innocence de mon ouvrage : les rois éclairés comme vous n’ont pas besoin qu’on leur marque ce qu’on souhaite ; ils voient, comme Dieu, ce qu’il nous faut, et savent mieux que nous ce qu’ils nous doivent accorder. Il me suffit de mettre mes intérêts entre les mains de Votre Majesté, et j’attends d’elle, avec respect, tout ce qu’il lui plaira d’ordonner là-dessus.

Second placet présenté au roi dans son camp devant la ville de Lille en Flandre10

Sire,

C’est une chose bien téméraire à moi que de venir importuner un grand monarque au milieu de ses glorieuses conquêtes ; mais, dans l’état où je me vois, où trouver, Sire, une protection qu’au lieu où je la viens chercher ? et qui puis-je solliciter, contre l’autorité de la puissance qui m’accable11, que la source de la puissance et de l’autorité, que le juste dispensateur des ordres absolus, que le souverain juge et le maître de toutes choses ?

Ma comédie, Sire, n’a pu jouir ici des bontés de Votre Majesté. En vain je l’ai produite sous le titre de l’Imposteur, et déguisé le personnage sous l’ajustement d’un homme du monde ; j’ai eu beau lui donner un petit chapeau, de grands cheveux, un grand collet, une épée, et des dentelles sur tout l’habit, mettre en plusieurs endroits des adoucissements, et retrancher avec soin tout ce que j’ai jugé capable de fournir l’ombre d’un prétexte aux célèbres originaux du portrait que je voulais faire : tout cela n’a de rien servi. La cabale12 s’est réveillée aux simples conjectures qu’ils ont pu avoir de la chose. Ils ont trouvé moyen de surprendre des esprits qui, dans toute autre matière, font une haute profession de ne se point laisser surprendre. Ma comédie n’a pas plus tôt paru, qu’elle s’est vue foudroyée par le coup d’un pouvoir qui doit imposer du respect ; et tout ce que j’ai pu faire en cette rencontre pour me sauver moi-même de l’éclat de cette tempête, c’est de dire que Votre Majesté avait eu la bonté de m’en permettre la représentation, et que je n’avais pas cru qu’il fût besoin de demander cette permission à d’autres, puisqu’il n’y avait qu’elle seule qui me l’eût défendue.

Je ne doute point, Sire, que les gens que je peins dans ma comédie ne remuent bien des ressorts auprès de Votre Majesté, et ne jettent dans leur parti, comme ils l’ont déjà fait, de véritables gens de bien, qui sont d’autant plus prompts à se laisser tromper qu’ils jugent d’autrui par euxmêmes. Ils ont l’art de donner de belles couleurs à toutes leurs intentions. Quelque mine qu’ils fassent, ce n’est point du tout l’intérêt de Dieu qui les peut émouvoir ; ils l’ont assez montré dans les comédies qu’ils ont souffert qu’on ait jouées tant de fois en public, sans en dire le moindre mot. Celles-là n’attaquaient que la piété et la religion, dont ils se soucient fort peu ; mais celle-ci les attaque et les joue eux-mêmes, et c’est ce qu’ils ne peuvent souffrir. Ils ne sauraient me pardonner de dévoiler leurs impostures aux yeux de tout le monde ; et, sans doute, on ne manquera pas de dire à Votre Majesté que chacun s’est scandalisé de ma comédie. Mais la vérité pure, Sire, c’est que tout Paris ne s’est scandalisé que de la défense qu’on en a faite, que les plus scrupuleux en ont trouvé la représentation profitable, et qu’on s’est étonné que des personnes d’une probité si connue aient une si grande déférence pour des gens qui devraient être l’horreur de tout le monde et sont si opposés à la véritable piété dont elles font profession.

J’attends avec respect l’arrêt que Votre Majesté daignera prononcer sur cette matière ; mais il est très assuré, Sire, qu’il ne faut plus que je songe à faire des comédies, si les tartuffes ont l’avantage, qu’ils prendront droit par là de me persécuter plus que jamais, et voudront trouver à redire aux choses les plus innocentes qui pourront sortir de ma plume.

Daignent vos bontés, Sire, me donner une protection contre leur rage envenimée ; et puissé-je, au retour d’une campagne si glorieuse, délasser Votre Majesté des fatigues de ses conquêtes, lui donner d’innocents plaisirs après de si nobles travaux, et faire rire le monarque qui fait trembler toute l’Europe !

Troisième placet13 présenté au roi

Sire,

Un fort honnête médecin, dont j’ai l’honneur d’être le malade, me promet et veut s’obliger par-devant notaires de me faire vivre encore trente années, si je puis lui obtenir une grâce de Votre Majesté. Je lui ai dit, sur sa promesse, que je ne lui demandais pas tant, et que je serais satisfait de lui pourvu qu’il s’obligeât de ne me point tuer. Cette grâce, Sire, est un canonicat14 de votre chapelle royale de Vincennes, vacant par la mort de...

Oserais-je demander encore cette grâce à Votre Majesté le propre jour de la grande résurrection de Tartuffe, ressuscité par vos bontés ? Je suis, par cette première faveur, réconcilié avec les dévots ; et je le serais, par cette seconde, avec les médecins. C’est pour moi, sans doute, trop de grâce à la fois ; mais peut-être n’en est-ce pas trop pour Votre Majesté ; et j’attends, avec un peu d’espérance respectueuse, la réponse de mon placet.

 

  1. Sophistique : feinte.

  2. Toucher : peindre, décrire.

  3. M. le légat : le cardinal Chigi, neveu du pape, chargé d’une ambassade en France.

  4. Un livre composé par le curé de... : Le Roi glorieux, écrit par Pierre Roullé, curé de la paroise de Saint-Barthélémy à Paris.

  5. Sans l’avoir vue : sans qu’il (le curé de...) l’ait vue.

  6. Purger : justifier.

  7. Devant la ville de Lille en Flandre : Lille sous domination espagnole est assiégée par les Français en août 1667

  8. La puissance qui m’accable : le président du parlement de Paris, Lamoignon, avait interdit la représentation.

  9. La cabale : le parti dévot.

10. Troisième placet : présenté au roi en 1669, le jour même de la représentation autorisée de Tartuffe.

11. Canonicat : bénéfice de chanoine, demandé pour le fils de son médecin.

12. Placet : écrit adressé à un puissant pour demander justice ou obtenir une faveur.

13. Libraire : imprimeur et libraire.

14. Premier placet : écrit en août 1664.

Le Tartuffe ou l’Imposteur

Clefs d’analyse

Second placet présenté au roi dans son camp devant la ville de Lille en Flandre.

Compréhension

Une lettre de sollicitation

• Observer le vocabulaire et les formules particulières de cette adresse au roi (formules de respect, majuscules).

• Observer le champ lexical du respect et de la flatterie envers le roi.

Au sujet de la comédie

• Expliquer dans quelles circonstances et dans quel but Molière s’adresse au roi.

• Étudier le ton satirique de Molière quand il parle de ses ennemis (vocabulaire, tournures ironiques, voire agressives).

Réflexion

• Étudier l’opposition entre les hypocrites qui condamnent la pièce sans même l’avoir vue et le public d’honnêtes hommes qui l’apprécient (le roi au premier rang d’entre eux.)

• Comparer avec le premier placet.

À retenir :

Au XVIIe siècle, sous le règne de Louis XIV, le statut de l’écrivain est marqué par la dépendance envers la censure politique et religieuse. Mais les auteurs peuvent s’adresser directement au roi pour solliciter sa protection. Cependant, celle-ci n’est pas facile à obtenir car le roi doit ménager les forces politiques sur lesquelles repose son pouvoir. En témoigne le fait que les trois placets successifs couvrent une période de cinq ans. (1er placet : 1664 ; 2e placet : 1667 ; 3e placet : 1669.)

Le Tartuffe ou l’Imposteur

PERSONNAGES

MADAME PERNELLE mère d’Orgon.
ORGON mari d’Elmire.
ELMIRE femme d’Orgon.
DAMIS fils d’Orgon.
MARIANE fille d’Orgon et amante1 de Valère.
VALÈRE amant de Mariane.
CLÉANTE beau-frère d’Orgon.
TARTUFFE faux dévot.
DORINE suivante de Mariane.
MONSIEUR LOYAL sergent.
Un exempt2  
FLIPOTE servante de Madame Pernelle.

La scène est à Paris, dans la maison d’Orgon.

 

1. Amant(e) : qui aime et est aimé(e).

2. Exempt : officier de police.

Le Tartuffe ou l’Imposteur

ACTE I

Scène 1

MADAME PERNELLE ET FLIPOTE sa servante, ELMIRE, MARIANE, DORINE, DAMIS, CLÉANTE.

 

MADAME PERNELLE

Allons, Flipote, allons, que d’eux je me délivre.

ELMIRE

Vous marchez d’un tel pas qu’on a peine à vous suivre.

MADAME PERNELLE

Laissez, ma bru, laissez, ne venez pas plus loin :

Ce sont toutes façons dont je n’ai pas besoin.

ELMIRE

De ce que l’on vous doit envers vous on s’acquitte.

Mais, ma mère, d’où vient que vous sortez si vite ?

MADAME PERNELLE

C’est que je ne puis voir tout ce ménage1-ci,

Et que de me complaire on ne prend nul souci.

Oui, je sors de chez vous fort mal édifiée :

Dans toutes mes leçons j’y suis contrariée,

On n’y respecte rien, chacun y parle haut,

Et c’est tout justement la cour du roi Pétaud2.

DORINE

Si…

MADAME PERNELLE

Vous êtes, mamie, une fille suivante3

Un peu trop forte en gueule, et fort impertinente :

Vous vous mêlez sur tout de dire votre avis.

DAMIS

Mais…

MADAME PERNELLE

Vous êtes un sot en trois lettres, mon fils ;

C’est moi qui vous le dis, qui suis votre grand-mère.

Et j’ai prédit cent fois à mon fils, votre père,

Que vous preniez tout l’air d’un méchant garnement,

Et ne lui donneriez jamais que du tourment.

MARIANE

Je crois…

MADAME PERNELLE

Mon Dieu, sa sœur, vous faites la discrète.

Et vous n’y touchez pas4, tant vous semblez doucette.

Mais il n’est, comme on dit, pire eau que l’eau qui dort,

Et vous menez sous chape5 un train que je hais fort.

ELMIRE

Mais, ma mère…

MADAME PERNELLE

Ma bru, qu’il ne vous en déplaise,

Votre conduite en tout est tout à fait mauvaise ;

Vous devriez leur mettre un bon exemple aux yeux,

Et leur défunte mère en usait beaucoup mieux.

Vous êtes dépensière ; et cet état6 me blesse,

Que vous alliez vêtue ainsi qu’une princesse.

Quiconque à son mari veut plaire seulement,

Ma bru, n’a pas besoin de tant d’ajustement.

Mais, Madame, après tout…

MADAME PERNELLE

Pour vous, Monsieur son frère,

Je vous estime fort, vous aime, et vous révère ;

Mais enfin, si j’étais de mon fils7, son époux,

Je vous prierais bien fort de n’entrer point chez nous.

Sans cesse vous prêchez des maximes de vivre

Qui par d’honnêtes gens ne se doivent point suivre.

Je vous parle un peu franc ; mais c’est là mon humeur,

Et je ne mâche point ce que j’ai sur le cœur.

DAMIS

Votre Monsieur Tartuffe est bienheureux sans doute…

MADAME PERNELLE

C’est un homme de bien, qu’il faut que l’on écoute ;

Et je ne puis souffrir sans me mettre en courroux

De le voir querellé par un fou comme vous.

DAMIS

Quoi ? je souffrira, moi, qu’un cagot de critique8

Vienne usurper céans un pouvoir tyrannique,

Et que nous ne puissions à rien nous divertir,

Si ce beau monsieur-là n’y daigne consentir ?

DORINE

S’il le faut écouter et croire à ses maximes,

On ne peut faire rien qu’on ne fasse des crimes ;

Car il contrôle tout, ce critique zélé.

MADAME PERNELLE

Et tout ce qu’il contrôle est fort bien contrôlé.

C’est au chemin du Ciel qu’il prétend vous conduire,

Et mon fils à l’aimer vous devrait tous induire9.

DAMIS

Non, voyez-vous, ma mère10, il n’est père ni rien

Qui me puisse obliger à lui vouloir du bien :

Je trahirais mon cœur de parler d’autre sorte ;

Sur ses façons de faire à tous coups je m’emporte ;

J’en prévois une suite, et qu’avec ce pied plat11

Il faudra que j’en vienne à quelque grand éclat.

DORINE

Certes, c’est une chose aussi qui scandalise

De voir qu’un inconnu céans s’impatronise12 ;

Qu’un gueux qui, quand il vint, n’avait pas de souliers

Et dont l’habit entier valait bien six deniers,

En vienne jusque-là que de se méconnaître,

De contrarier tout, et de faire le maître.

MADAME PERNELLE

Hé ! merci de ma vie13 ! il en irait bien mieux,

Si tout se gouvernait par ses ordres pieux.

DORINE

Il passe pour un saint dans votre fantaisie :

Tout son fait14, croyez-moi, n’est rien qu’hypocrisie.

MADAME PERNELLE

Voyez la langue !

DORINE

À lui, non plus qu’à son Laurent,

Je ne me fierais, moi, que sur un bon garant.

MADAME PERNELLE

J’ignore ce qu’au fond le serviteur peut être ;

Mais pour homme de bien, je garantis le maître.

Vous ne lui voulez mal et ne le rebutez

Qu’à cause qu’il vous dit à tous vos vérités.

C’est contre le péché que son cœur se courrouce,

Et l’intérêt du Ciel est tout ce qui le pousse.

DORINE

Oui ; mais pourquoi, surtout depuis un certain temps,

Ne saurait-il souffrir qu’aucun hante15 céans ?

En quoi blesse le Ciel une visite honnête,

Pour en faire un vacarme à nous rompre la tête ?

Veut-on que là-dessus je m’explique entre nous ?

Je crois que de Madame il est, ma foi, jaloux.

MADAME PERNELLE

Taisez-vous, et songez aux choses que vous dites.

Ce n’est pas lui tout seul qui blâme ces visites.

Tout ce tracas qui suit les gens que vous hantez,

Ces carrosses sans cesse à la porte plantés,

Et de tant de laquais le bruyant assemblage

Font un éclat fâcheux dans tout le voisinage.

Je veux croire qu’au fond il ne se passe rien ;

Mais enfin on en parle, et cela n’est pas bien.

CLÉANTE

Hé ! voulez-vous, Madame, empêcher qu’on ne cause ?

Ce serait dans la vie une fâcheuse chose,

Si pour les sots discours où l’on peut être mis16,

Il fallait renoncer à ses meilleurs amis.

Et quand même on pourrait se résoudre à le faire,

Croiriez-vous obliger tout le monde à se taire ?

Contre la médisance il n’est point de rempart.

À tous les sots caquets n’ayons donc nul égard ;

Efforçons-nous de vivre avec toute innocence,

Et laissons aux causeurs une pleine licence.

DORINE

Daphné, notre voisine, et son petit époux

Ne seraient-ils point ceux qui parlent mal de nous ?

Ceux de qui la conduite offre le plus à rire

Sont toujours sur autrui les premiers à médire ;

Ils ne manquent jamais de saisir promptement

L’apparente lueur du moindre attachement17,

D’en semer la nouvelle avec beaucoup de joie,

Et d’y donner le tour qu’ils veulent qu’on y croie :

Des actions d’autrui, teintes de leurs couleurs,

Ils pensent dans le monde autoriser les leurs,

Et sous le faux espoir de quelque ressemblance,

Aux intrigues qu’ils ont donner de l’innocence,

Ou faire ailleurs tomber quelques traits partagés

De ce blâme public dont ils sont trop chargés.

MADAME PERNELLE

Tous ces raisonnements ne font rien à l’affaire.

On sait qu’Orante mène une vie exemplaire :

Tout ses soins vont au Ciel ; et j’ai su par des gens

Qu’elle condamne fort le train18 qui vient céans.

DORINE

L’exemple est admirable, et cette dame est bonne !

Il est vrai qu’elle vit en austère personne ;

Mais l’âge dans son âme a mis ce zèle ardent,

Et l’on sait qu’elle est prude à son corps défendant :

Tant qu’elle a pu des cœurs attirer les hommages,

Elle a fort bien joui de tous ses avantages ;

Mais, voyant de ses yeux tous les brillants baisser,

Au monde, qui la quitte, elle veut renoncer,

Et du voile pompeux d’une haute sagesse

De ses attraits usés déguiser la faiblesse.

Ce sont là les retours19 des coquettes du temps.

Il leur est dur de voir déserter les galants.

Dans un tel abandon, leur sombre inquiétude

Ne voit d’autre recours que le métier de prude ;

Et la sévérité de ces femmes de bien

Censure toute chose, et ne pardonne à rien ;

Hautement d’un chacun elles blâment la vie,

Non point par charité, mais par un trait d’envie,

Qui ne saurait souffrir qu’une autre ait les plaisirs

Dont le penchant de l’âge20 a sevré leurs désirs.

MADAME PERNELLE

Voilà les contes bleus21 qu’il vous faut pour vous plaire.

Ma bru, l’on est chez vous contrainte de se taire,

Car Madame à jaser tient le dé22 tout le jour.

Mais enfin je prétends discourir à mon tour :

Je vous dis que mon fils n’a rien fait de plus sage

Qu’en recueillant chez soi ce dévot personnage ;

Que le Ciel au besoin l’a céans envoyé

Pour redresser à tous votre esprit fourvoyé ;

Que pour votre salut vous le devez entendre,

Et qu’il ne reprend rien qui ne soit à reprendre.

Ces visites, ces bals, ces conversations

Sont du malin esprit23 toutes inventions.

Là jamais on n’entend de pieuses paroles :

Ce sont propos oisifs, chansons et fariboles ;

Bien souvent le prochain en a sa bonne part,

Et l’on y sait médire et du tiers et du quart.

Enfin les gens sensés ont leurs têtes troublées

De la confusion de telles assemblées :

Mille caquets divers s’y font en moins de rien ;

Et comme l’autre jour un docteur24 dit fort bien,

C’est véritablement la tour de Babylone25,

Car chacun y babille, et tout du long de l’aune26 ;

Et pour conter l’histoire où ce point l’engagea…

(Montrant Cléante.)

Voilà-t-il pas Monsieur qui ricane déjà !

(À Elmire.)

Allez chercher vos fous qui vous donnent à rire,

Et sans… Adieu, ma bru : je ne veux plus rien dire.

Sachez que pour céans j’en rabats de moitié27,

Et qu’il fera beau temps quand j’y mettrai le pied.

(Donnant un soufflet à Flipote.)

Allons, vous, vous rêvez, et bayez aux corneilles.

Jour de Dieu ! je saurai vous frotter les oreilles.

Marchons, gaupe28, marchons.

 

  1. Ménage : désordre.

  2. La cour du roi Pétaud : lieu où règne la confusion (du nom du roi Pétault, personnage sans autorité inventé par Rabelais).

  3. Fille suivante : servante et dame de compagnie.

  4. Vous n’y touchez pas : vous avez l’air de ne pas y toucher (vous faites la sainte-Nitouche).

  5. Sous chape : sous cape.

  6. État : manière de s’habiller, toilette.

  7. Si j’étais de mon fils : à la place de mon fils.

  8. Cagot de critique : un faux dévot qui a la manie de tout critiquer.

  9. Induire : amener.

10. Ma mère : Damis s’adresse à sa grand-mère.

11. Ce pied plat : homme du commun portant des souliers sans hauts talons (contrairement aux gens de qualité).

12. S’impatronise : s’établisse comme chez lui, devienne le maître.

13. Merci de ma vie ! : Dieu merci ! (populaire).

14. Son fait : conduite, allure.

15. Hante : fréquente.

16. Les sots discours où l’on peut être mis : les calomnies dont on peut être la victime.

17. Attachement : intrigue amoureuse.

18. Train : affluence des visiteurs

19. Les retours : en vénerie, ruses de la bête qui revient sur ses pas ; au sens figuré, ruses, artifices.

20. Le penchant de l’âge : la vieillesse.

21. Contes bleus : contes pour les enfants.

22. Tient le dé : celui qui monopolise la parole est comparé au joueur qui a le dé en main.

23. Malin esprit : démon, Satan.

24. Docteur : prédicateur, docteur en théologie.

25. La tour de Babylone : nom hébreu de la tour de Babel. C’est une confusion de Mme Pernelle.

26. Babille, et tout du long de l’aune : Mme Pernelle reprend ici un calembour que l’on trouve chez certains moralistes chrétiens du temps : babille-aune/Babylone ; « tout au long de l’aune » : sans discontinuer.

27. J’en rabats de moitié : je retire la moitié de mon estime.

28. Gaupe : souillon.

Le Tartuffe ou l’Imposteur

Clefs d’analyse

Acte I, scène 1.

Compréhension

Une scéne de dispute

• Étudier la longueur des répliques. Au début, remarquer la disproportion entre celles de Mme Pernelle et celles de ses interlocuteurs. Qu’est-ce que cela indique ? Puis les répliques des membres de la famille deviennent plus longues : qu’en conclure ?

À chaque personnage son langage

• Étudier la façon dont Mme Pernelle s’exprime : formules populaires, proverbes.

• Relever les termes qui, dans ses répliques, expriment l’aigreur, l’esprit chagrin, l’autoritarisme.

• Étudier le franc-parler de Dorine.

Réflexion

Une scène de portraits

• Mme Pernelle critique les membres de la famille de son fils. Relever les défauts qu’elle reproche à chacun.

• Opposer Tartuffe vu par Mme Pernelle et Tartuffe vu par les autres.

Une scène d’exposition

• Montrer que le fait que Mme Pernelle soit partisane de Tartuffe rend ce dernier antipathique dès le début de la pièce, bien avant son apparition.

À retenir :

La scène d’exposition présente les éléments essentiels à la compréhension de la pièce. Elle montre où l’on en est au moment où l’action débute et ce qui s’est passé avant. Mais elle sert aussi à orienter la perception du spectateur, surtout dans une pièce comme celle-ci qui repose sur un conflit radical. Pas question d’un tableau objectif: le spectateur doit prendre position, choisir son camp.

Le Tartuffe ou l’Imposteur

Scène 2

CLÉANTE, DORINE.

CLÉANTE

Je n’y veux point aller,

De peur qu’elle ne vînt encor me quereller ;

Que cette bonne femme 1...

DORINE

Ah ! certes, c’est dommage

Qu’elle ne vous ouît tenir un tel langage :

Elle vous dirait bien qu’elle vous trouve bon,

Et qu’elle n’est point d’âge à lui donner ce nom.

CLÉANTE

Comme elle s’est pour rien contre nous échauffée !

Et que de son Tartuffe elle paraît coiffée2 !

DORINE

Oh ! vraiment, tout cela n’est rien au prix du fils,

Et si vous l’aviez vu, vous diriez : « C’est bien pis !»

Nos troubles3 l’avaient mis sur le pied d’homme sage,

Et pour servir son prince il montra du courage ;

Mais il est devenu comme un homme hébété,

Depuis que de Tartuffe on le voit entêté ;

Il l’appelle son frère, et l’aime dans son âme

Cent fois plus qu’il ne fait4 mère, fils, fille, et femme.

C’est de tous ses secrets l’unique confident,

Et de ses actions le directeur prudent ;

Il le choie, il l’embrasse, et pour une maîtresse

On ne saurait, je pense, avoir plus de tendresse ;

À table, au plus haut bout5 il veut qu’il soit assis ;

Avec joie il l’y voit manger autant que six ;

Les bons morceaux de tout, il fait qu’on les lui cède ;

Et s’il vient à roter, il lui dit : « Dieu vous aide ! »

Enfin il en est fou ; c’est son tout, son héros ;

Il l’admire à tous coups, le cite à tout propos ;

Ses moindres actions lui semblent des miracles,

Et tous les mots qu’il dit sont pour lui des oracles.

Lui, qui connaît sa dupe et qui veut en jouir,

Par cent dehors fardés6 a l’art de l’éblouir,

Son cagotisme7 en tire à toute heure des sommes,

Et prend droit de gloser sur tous tant que nous sommes.

Il n’est pas jusqu’au fat8 qui lui sert de garçon

Qui ne se mêle aussi de nous faire leçon ;

Il vient nous sermonner avec des yeux farouches,

Et jeter nos rubans, notre rouge et nos mouches9.

Le traître, l’autre jour, nous rompit de ses mains

Un mouchoir10 qu’il trouva dans une Fleur des Saints11,

Disant que nous mêlions, par un crime effroyable,

Avec la sainteté les parures du diable.

Scène 3

ELMIRE, MARIANE, DAMIS, CLÉANTE, DORINE.

ELMIRE, à Cléante.

Vous êtes bienheureux de n’être point venu

Au discours qu’à la porte elle nous a tenu.

Mais j’ai vu mon mari ! comme il ne m’a point vue,

Je veux aller là-haut attendre sa venue.

CLÉANTE

Moi, je l’attends ici pour moins d’amusement12,

Et je vais lui donner le bonjour seulement.

DAMIS

De l’hymen de ma sœur touchez-lui quelque chose.

J’ai soupçon que Tartuffe à son effet13 s’oppose,

Qu’il oblige mon père à des détours si grands ;

Et vous n’ignorez pas quel intérêt j’y prends.

Si même ardeur enflamme et ma sœur et Valère,

La sœur de cet ami, vous le savez, m’est chère ;

Et s’il fallait...

DORINE

Il entre.

Scène 4

ORGON, CLÉANTE, DORINE.

ORGON

Ah ! mon frère, bonjour.

CLÉANTE

Je sortais, et j’ai joie à vous voir de retour.

La campagne à présent n’est pas beaucoup fleurie.

ORGON

Dorine... Mon beau-frère, attendez, je vous prie :

Vous voulez bien souffrir, pour m’ôter de souci,

Que je m’informe un peu des nouvelles d’ici.

Tout s’est-il, ces deux jours, passé de bonne sorte ?

Qu’est-ce qu’on fait céans ? comme14 est-ce qu’on s’y porte ?

DORINE

Madame eut avant-hier la fièvre jusqu’au soir,

Avec un mal de tête étrange à concevoir.

ORGON

Et Tartuffe ?

DORINE

Tartuffe ? Il se porte à merveille.

Gros et gras, le teint frais, et la bouche vermeille.

ORGON

Le pauvre homme !

DORINE

Le soir, elle eut un grand dégoût,

Et ne put au souper toucher à rien du tout,

Tant sa douleur de tête était encore cruelle !

ORGON

Et Tartuffe ?

DORINE

Il soupa, lui tout seul, devant elle,

Et fort dévotement il mangea deux perdrix,

Avec une moitié de gigot en hachis.

ORGON

Le pauvre homme !

DORINE

La nuit se passa toute entière

Sans qu’elle pût fermer un moment la paupière ;

Des chaleurs l’empêchaient de pouvoir sommeiller,

Et jusqu’au jour près d’elle il nous fallut veiller.

ORGON

Et Tartuffe ?

DORINE

Pressé d’un sommeil agréable,

Il passa dans sa chambre au sortir de la table,

Et dans son lit bien chaud il se mit tout soudain,

Où sans trouble il dormit jusques au lendemain.

ORGON

Le pauvre homme !

DORINE

À la fin, par nos raisons gagnée,

Elle se résolut à souffrir la saignée,

Et le soulagement suivit tout aussitôt.

ORGON

Et Tartuffe ?

DORINE

Il reprit courage comme il faut,

Et contre tous les maux fortifiant son âme,

Pour réparer le sang qu’avait perdu Madame,

But à son déjeuner quatre grands coups de vin.

ORGON

Le pauvre homme !

DORINE

Tous deux se portent bien enfin ;

Et je vais à Madame annoncer par avance

La part que vous prenez à sa convalescence.

Scène 5

ORGON, CLÉANTE.

CLÉANTE

À votre nez, mon frère, elle se rit de vous ;

Et sans avoir dessein de vous mettre en courroux,

Je vous dirai tout franc que c’est avec justice.

A-t-on jamais parlé d’un semblable caprice ?

Et se peut-il qu’un homme ait un charme15 aujourd’hui

À vous faire oublier toutes choses pour lui,

Qu’après avoir chez vous réparé sa misère,

Vous en veniez au point… ?

ORGON

Halte-là, mon beau-frère :

Vous ne connaissez pas celui dont vous parlez.

CLÉANTE

Je ne le connais pas, puisque vous le voulez ;

Mais enfin, pour savoir quel homme ce peut être…

ORGON

Mon frère, vous seriez charmé de le connaître,

Et vos ravissements ne prendraient point de fin.

C’est un homme… qui… ha ! un homme… un homme enfin.

Qui suit bien ses leçons goûte une paix profonde,

Et comme du fumier regarde tout le monde.

Oui, je deviens tout autre avec son entretien ;

Il m’enseigne à n’avoir affection pour rien,

De toutes amitiés il détache mon âme ;

Et je verrais mourir frère, enfants, mère et femme,

Que je m’en soucierais autant que de cela.

CLÉANTE

Les sentiments humains, mon frère, que voilà !

ORGON

Ha ! si vous aviez vu comme j’en fis rencontre,

Vous auriez pris pour lui l’amitié que je montre.

Chaque jour à l’église il venait, d’un air doux,

Tout vis-à-vis de moi se mettre à deux genoux.

Il attirait les yeux de l’assemblée entière

Par l’ardeur dont au Ciel il poussait sa prière ;

Il faisait des soupirs, de grands élancements16,

Et baisait humblement la terre à tous moments ;

Et lorsque je sortais, il me devançait vite,

Pour m’aller à la porte offrir de l’eau bénite.

Instruit par son garçon, qui dans tout l’imitait,

Et de son indigence, et de ce qu’il était,

Je lui faisais des dons ; mais avec modestie

Il me voulait toujours en rendre une partie.

« C’est trop, me disait-il, c’est trop de la moitié ;

Je ne mérite pas de vous faire pitié » ;

Et quand je refusais de le vouloir reprendre,

Aux pauvres, à mes yeux, il allait le répandre.

Enfin le Ciel chez moi me le fit retirer,

Et depuis ce temps-là tout semble y prospérer.

Je vois qu’il reprend tout, et qu’à ma femme même

Il prend, pour mon honneur, un intérêt extrême ;

Il m’avertit des gens qui lui font les yeux doux,

Et plus que moi six fois il s’en montre jaloux.

Mais vous ne croiriez point jusqu’où monte son zèle17,

Il s’impute à péché la moindre bagatelle ;

Un rien presque suffit pour le scandaliser ;

Jusque-là qu’il se vint l’autre jour accuser

D’avoir pris une puce en faisant sa prière,

Et de l’avoir tuée avec trop de colère.

CLÉANTE

Parbleu ! vous êtes fou, mon frère, que je croi18.

Avec de tels discours vous moquez-vous de moi ?

Et que prétendez-vous que tout ce badinage… ?

ORGON

Mon frère, ce discours sent le libertinage19 :

Vous en êtes un peu dans votre âme entiché ;

Et comme je vous l’ai plus de dix fois prêché,

Vous vous attirerez quelque méchante affaire.

CLÉANTE

Voilà de vos pareils le discours ordinaire :

Ils veulent que chacun soit aveugle comme eux.

C’est être libertin que d’avoir de bons yeux,

Et qui n’adore pas de vaines simagrées

N’a ni respect ni foi pour les choses sacrées.

Allez, tous vos discours ne me font point de peur :

Je sais comme je parle, et le Ciel voit mon cœur,

De tous vos façonniers20 on n’est point les esclaves.

Il est de faux dévots ainsi que de faux braves ;

Et comme on ne voit pas qu’où l’honneur les conduit

Les vrais braves soient ceux qui font beaucoup de bruit,

Les bons et vrais dévots, qu’on doit suivre à la trace,

Ne sont pas ceux aussi qui font tant de grimace.

Hé quoi ? vous ne ferez nulle distinction

Entre l’hypocrisie et la dévotion ?

Vous les voulez traiter d’un semblable langage,

Et rendre même honneur au masque qu’au visage,

Égaler l’artifice à la sincérité,

Confondre l’apparence avec la vérité,

Estimer le fantôme autant que la personne,

Et la fausse monnaie à l’égal de la bonne ?

Les hommes la plupart sont étrangement faits !

Dans la juste nature on ne les voit jamais ;

La raison a pour eux des bornes trop petites ;

En chaque caractère ils passent ses limites ;

Et la plus noble chose, ils la gâtent souvent

Pour la vouloir outrer et pousser trop avant.

Que cela vous soit dit en passant, mon beau-frère.

ORGON

Oui, vous êtes sans doute un docteur qu’on révère ;

Tout le savoir du monde est chez vous retiré ;

Vous êtes le seul sage et le seul éclairé,

Un oracle, un Caton21 dans le siècle où nous sommes ;

Et près de vous ce sont des sots que tous les hommes.

CLÉANTE

Je ne suis point, mon frère, un docteur révéré,

Et le savoir chez moi n’est pas tout retiré.

Mais, en un mot, je sais, pour toute ma science,

Du faux avec le vrai faire la différence.

Et comme je ne vois nul genre de héros

Qui soient plus à priser que les parfaits dévots,

Aucune chose au monde et plus noble et plus belle

Que la sainte ferveur d’un véritable zèle,

Aussi ne vois-je rien qui soit plus odieux

Que le dehors plâtré d’un zèle spécieux22,

Que ces francs charlatans, que ces dévots de place23,

De qui la sacrilège et trompeuse grimace

Abuse impunément et se joue à leur gré

De ce qu’ont les mortels de plus saint et sacré,

Ces gens qui, par une âme à l’intérêt soumise,

Font de dévotion métier et marchandise,

Et veulent acheter crédit et dignités

À prix de faux clins d’yeux et d’élans affectés,

Ces gens, dis-je, qu’on voit d’une ardeur non commune

Par le chemin du Ciel courir à leur fortune,

Qui, brûlants et priants, demandent24 chaque jour,

Et prêchent la retraite au milieu de la cour,

Qui savent ajuster leur zèle avec leurs vices,

Sont prompts, vindicatifs, sans foi25, pleins d’artifices,

Et pour perdre quelqu’un couvrent insolemment

De l’intérêt du Ciel leur fier26 ressentiment,

D’autant plus dangereux dans leur âpre colère,

Qu’ils prennent contre nous des armes qu’on révère,

Et que leur passion, dont on leur sait bon gré,

Veut nous assassiner avec un fer sacré.

De ce faux caractère on en voit trop paraître ;

Mais les dévots de cœur sont aisés à connaître.

Notre siècle, mon frère, en expose à nos yeux

Qui peuvent nous servir d’exemples glorieux :

Regardez Ariston, regardez Périandre,

Oronte, Alcidamas, Polydore, Clitandre ;

Ce titre par aucun ne leur est débattu27,

Ce ne sont point du tout fanfarons de vertu ;

On ne voit point en eux ce faste28 insupportable,

Et leur dévotion est humaine et traitable.

Ils ne censurent point toutes nos actions :

Ils trouvent trop d’orgueil dans ces corrections,

Et, laissant la fierté des paroles aux autres,

C’est par leurs actions qu’ils reprennent les nôtres.

L’apparence du mal a chez eux peu d’appui29,

Et leur âme est portée à juger bien d’autrui.

Point de cabale en eux, point d’intrigues à suivre ;

On les voit, pour tous soins, se mêler de bien vivre.

Jamais contre un pécheur ils n’ont d’acharnement :

Ils attachent leur haine au péché seulement

Et ne veulent point prendre avec un zèle extrême

Les intérêts du Ciel plus qu’il ne veut lui-même.

Voilà mes gens, voilà comme il en faut user,

Voilà l’exemple enfin qu’il se faut proposer.

Votre homme, à dire vrai, n’est pas de ce modèle.

C’est de fort bonne foi que vous vantez son zèle,

Mais par un faux éclat je vous crois ébloui.

ORGON

Monsieur mon cher beau-frère, avez-vous tout dit ?

CLÉANTE

Oui.

ORGON

Je suis votre valet30.

(Il veut s’en aller.)

CLÉANTE

De grâce, un mot, mon frère.

Laissons là ce discours. Vous savez que Valère

Pour être votre gendre a parole de vous ?

ORGON

Oui.

CLÉANTE

Vous aviez pris jour pour un lien si doux.

ORGON

Il est vrai.

CLÉANTE

Pourquoi donc en différer la fête ?

ORGON

Je ne sais.

CLÉANTE

Auriez-vous autre pensée en tête ?

ORGON

Peut-être.

CLÉANTE

Vous voulez manquer à votre foi31 ?

ORGON

Je ne dis pas cela.

CLÉANTE

Nul obstacle, je croi32,

Ne vous peut empêcher d’accomplir vos promesses.

ORGON

Selon33.

CLÉANTE

Pour dire un mot faut-il tant de finesses ?

Valère sur ce point me fait vous visiter.

ORGON

Le Ciel en soit loué !

CLÉANTE

Mais que lui reporter ?

ORGON

Tout ce qu’il vous plaira.

CLÉANTE

Mais il est nécessaire

De savoir vos desseins. Quels sont-ils donc ?

ORGON

De faire

Ce que le Ciel voudra.

CLÉANTE

Mais parlons tout de bon.

Valère a votre foi : la tiendrez-vous, ou non ?

ORGON

Adieu.

CLÉANTE

Pour son amour je crains une disgrâce,

Et je dois l’avertir de tout ce qui se passe.

 

  1. Bonne femme : vieille femme.

  2. Coiffée : entichée.

  3. Nos troubles : la Fronde (1648-1653).

  4. Qu’il ne fait : qu’il n’aime.

  5. Au plus haut bout : à la place d’honneur.

  6. Dehors fardés : apparences mensongères.

  7. Cagotisme : fausse dévotion, hypocrisie.

  8. Fat : sot.

  9. Mouches : petites rondelles en taffetas noir imitant les grains de beauté.

10. Mouchoir : dentelle dont les femmes paraient leur décolleté.

11. La Fleur des Saints : livre pieux du jésuite espagnol Ribadeneira.

12. Pour moins d’amusement : pour perdre moins de temps.

13. Effet : exécution, réalisation.

14. Comme : comment.

15. Charme : pouvoir magique.

16. Élancements : élans de l’âme vers Dieu.

17. Zèle : ardeur religieuse.

18. Que je croi : à ce que je crois (ancienne orthographe étymologique et licence poétique qui permet de respecter la rime pour l’œil).

19. Libertinage : indépendance, liberté de penser en dehors des règles de la religion.

20. Façonniers : ceux qui font des façons, hypocrites.

21. Caton : Caton l’Ancien (234-149 av. J.-C.), symbole de la vertu romaine.

22. Zèle spécieux : zèle de belle apparence, mais trompeur.

23. De place : qui s’affichent sur la place publique.

24. Demandent : quémandent.

25. Foi : parole, loyauté.

26. Fier : féroce.

27. Débattu : contesté.

28. Faste : étalage, mise en scène.

29. D’appui : de crédit.

30. Je suis votre valet : je vous salue.

31. Foi : parole, loyauté.

32. Je croi : je crois (ancienne orthographe étymologique et licence poé-tique qui permet de respecter la rime pour l’œil).

33. Selon : c’est selon, cela dépend.

Le Tartuffe ou l’Imposteur

Clefs d’analyse

Acte I, scènes 4 et 5.

Compréhension

Répétitions et contrastes

• Relever les répétitions (I, 4).

• Opposer point par point (santé, appétit, sommeil) le malaise d’Elmire et le confort, le bien-être de Tartuffe (I, 4).

Les vrais et les faux dévots

• Relever le champ lexical de la dévotion sincère (I, 5).

• Relever le champ lexical de l’hypocrisie (I, 5).

Réflexion

Le comique

• Montrer que cette scène confirme l’opinion de Bergson selon qui le comique naît du mécanique plaqué sur le vivant (I, 4).

• Montrer en quoi cette scène complète le portrait de Tartuffe et dénonce de façon spectaculaire l’aveuglement d’Orgon (I, 4).

L’honnête homme

• Expliquer qu’avec les deux longues tirades de Cléante, Molière prend des précautions face à ses ennemis et à la censure (I, 5).

• Relever les mots et expressions qui relèvent clairement de la philosophie de l’honnête homme (I, 5).

À retenir :

Les grandes comédies de Molière présentent en général un personnage moins comique que les autres (ici Cléante) et parfois tout à fait sérieux, chargé de présenter la morale du juste milieu, c’est-à-dire celle de l’honnête homme. Ainsi, l’on rencontre dans chaque comédie au moins une scène où ce point de vue est largement exposé. On a souvent reproché à ces scènes de paraître fades, mais elles sont d’une très grande importance puisqu’elles définissent la perspective dans laquelle on doit percevoir les ridicules et les vices que critique la comédie.

Le Tartuffe ou l’Imposteur

Synthèse

Acte I

Une exposition en mouvement

Personnages

L’entrée en scène des personnages

Cet acte d’exposition est riche en informations. Tous les per-sonnages apparaissent en scène, sauf Tartuffe. Dans la première scène, en quarante vers, par la bouche de Mme Pernelle, le spectateur est informé rapidement et de manière naturelle sur tous les membres de la famille. En effet, une scène de dispute est une scène où l’on s’explique et la grand-mère malveil-lante, disant son fait à chacun, explicite les liens familiaux : Dorine est la servante, Damis est le fils, Mariane est la fille, Elmire est la seconde femme d’Orgon, Cléante est le frère de cette dernière. L’arrivée du père de famille, Orgon (sc. 4), est l’occasion d’un échange comique avec Dorine, puis d’une conversation sérieuse avec Cléante, qui montrent l’aveugle-ment du chef de famille, entiché de son protégé, Tartuffe.

Mais l’acte I dans son ensemble est un portrait de Tartuffe. Tous les personnages se définissent par rapport à lui : d’un côté les personnages sympathiques qui le rejettent, de l’autre, deux personnages qui ont l’autorité, le père et la grand-mère qui le défendent. Le rapport de forces est en place.

Langage

Le jeu des portraits

L’alternance est une caractéristique de cette écriture. Molière fait alterner des scènes au tempo rapide avec des répliques courtes où les personnages se coupent la parole (scènes 1, 2, 3) et des scènes aux répliques longues qui font place à la tirade (sc. 5, par exemple). Les portraits sont très fréquents dans la comédie classique. Le premier acte est émaillé de portraits : Mme Pernelle dresse des portraits rapides de tous les membres de la famille, Dorine répond par celui des voisins médisants et hypocrites et de la prude Orante, puis continue avec celui d’Orgon. Chacun participe à celui de Tartuffe qui est discontinu, faisant alterner l’éloge et le blâme. Pourtant, malgré un portrait aussi contrasté, le personnage est transparent pour le spectateur, parce que la louange est excessive et émane de personnages ridicules.

Société

Vraie et fausse dévotion

Molière se défend d’attaquer toute dévotion et prend bien soin de distinguer, par la bouche de Cléante, le parfait honnête homme, les « vaines simagrées » et les comportements sincères (« sincère », le dernier mot de la pièce). Le parallèle entre les vrais et les faux dévots est considérablement développé avec deux tirades de Cléante dans la scène 5, 85 vers au total, et encore une vingtaine de vers dans l’acte V (fin de la scène).

Ce n’est pas être libertin que ne pas se laisser prendre à de trompeuses apparences et les parfaits dévots, animés d’un véritable zèle, sont des gens admirables. Mais les faux dévots, guidés par l’intérêt, font de la dévotion un moyen de faire fortune. Les vrais et les faux sont aisés à reconnaître.

Le Tartuffe ou l’Imposteur

ACTE II

Scène 1

ORGON, MARIANE.

ORGON

Mariane.

MARIANE

Mon père.

ORGON

Approchez, j’ai de quoi

Vous parler en secret.

MARIANE

Que cherchez-vous ?

ORGON. (Il regarde dans un petit cabinet.)

Je voi1

Si quelqu’un n’est point là qui pourrait nous entendre :

Car ce petit endroit est propre pour surprendre.

Or sus2, nous voilà bien. J’ai, Mariane, en vous

Reconnu de tout temps un esprit assez doux,

Et de tout temps aussi vous m’avez été chère.

MARIANE

Je suis fort redevable à cet amour de père.

ORGON

C’est fort bien dit, ma fille ; et pour le mériter,

Vous devez n’avoir soin que de me contenter.

MARIANE

C’est où je mets aussi ma gloire la plus haute.

ORGON

Fort bien. Que dites-vous de Tartuffe notre hôte ?

MARIANE

Qui, moi ?

ORGON

Vous. Voyez bien comme vous répondrez.

MARIANE

Hélas ! j’en dirai, moi, tout ce que vous voudrez.

ORGON

C’est parler sagement. Dites-moi donc, ma fille,

Qu’en toute sa personne un haut mérite brille,

Qu’il touche votre cœur, et qu’il vous serait doux

De le voir par mon choix devenir votre époux.

Eh ?

(Mariane se recule avec surprise.)

MARIANE

Eh ?

ORGON

Qu’est-ce ?

MARIANE

Plaît-il ?

ORGON

Quoi ?

MARIANE

Me suis-je méprise ?

ORGON

Comment ?

MARIANE

Qui voulez-vous, mon père, que je dise

Qui me touche le cœur, et qu’il me serait doux

De voir par votre choix devenir mon époux ?

ORGON

Tartuffe.

MARIANE

Il n’en est rien, mon père, je vous jure.

Pourquoi me faire dire une telle imposture ?

ORGON

Mais je veux que cela soit une vérité ;

Et c’est assez pour vous que je l’aie arrêté.

MARIANE

Quoi ? vous voulez, mon père... ?

ORGON

Oui, je prétends, ma fille,

Unir par votre hymen Tartuffe à ma famille.

Il sera votre époux, j’ai résolu cela ;

Et comme sur vos vœux je...

Scène 2

DORINE, ORGON, MARIANE.

ORGON

Que faites-vous là ?

La curiosité qui vous presse est bien forte,

Mamie3, à nous venir écouter de la sorte.

DORINE

Vraiment, je ne sais pas si c’est un bruit qui part

De quelque conjecture, ou d’un coup de hasard,

Mais de ce mariage on m’a dit la nouvelle,

Et j’ai traité cela de pure bagatelle.

ORGON

Quoi donc ? la chose est-elle incroyable ?

DORINE

À tel point,

Que vous-même, Monsieur, je ne vous en crois point.

ORGON

Je sais bien le moyen de vous le faire croire.

DORINE

Oui, oui, vous nous contez une plaisante histoire.

ORGON

Je conte justement ce qu’on verra dans peu.

DORINE

Chansons !

ORGON

Ce que je dis, ma fille, n’est point jeu.

DORINE

Allez, ne croyez point à Monsieur votre père : Il raille.

ORGON

Je vous dis...

DORINE

Non, vous avez beau faire,

On ne vous croira point.

ORGON

À la fin mon courroux.

DORINE

Hé bien ! on vous croit donc, et c’est tant pis pour vous.

Quoi ? se peut-il, Monsieur, qu’avec l’air d’homme sage

Et cette large barbe4 au milieu du visage,

Vous soyez assez fou pour vouloir… ?

ORGON

Écoutez :

Vous avez pris céans certaines privautés

Qui ne me plaisent point ; je vous le dis, mamie.

DORINE

Parlons sans nous fâcher, Monsieur, je vous supplie.

Vous moquez-vous des gens d’avoir fait ce complot ?

Votre fille n’est point l’affaire d’un bigot :

Il a d’autres emplois auxquels il faut qu’il pense.

Et puis, que vous apporte une telle alliance ?

À quel sujet aller, avec tout votre bien,

Choisir un gendre gueux ?...

ORGON

Taisez-vous. S’il n’a rien,

Sachez que c’est par là qu’il faut qu’on le révère.

Sa misère est sans doute une honnête misère ;

Au-dessus des grandeurs elle doit l’élever,

Puisque enfin de son bien il s’est laissé priver

Par son trop peu de soin des choses temporelles,

Et sa puissante attache aux choses éternelles.

Mais mon secours pourra lui donner les moyens

De sortir d’embarras et rentrer dans ses biens :

Ce sont fiefs qu’à bon titre au pays5 on renomme ;

Et tel que l’on le voit, il est bien gentilhomme.

DORINE

Oui, c’est lui qui le dit ; et cette vanité,

Monsieur, ne sied pas bien avec la piété.

Qui d’une sainte vie embrasse l’innocence

Ne doit point tant prôner son nom et sa naissance,

Et l’humble procédé6 de la dévotion

Souffre mal les éclats de cette ambition.

À quoi bon cet orgueil ?... Mais ce discours vous blesse :

Parlons de sa personne, et laissons sa noblesse.

Ferez-vous possesseur, sans quelque peu d’ennui7,

D’une fille comme elle un homme comme lui ?

Et ne devez-vous pas songer aux bienséances,

Et de cette union prévoir les conséquences ?

Sachez que d’une fille on risque la vertu,

Lorsque dans son hymen son goût est combattu,

Que le dessein d’y vivre en honnête personne

Dépend des qualités du mari qu’on lui donne,

Et que ceux dont partout on montre au doigt le front

Font leurs femmes souvent ce qu’on voit qu’elles sont.

Il est bien difficile enfin d’être fidèle

À de certains maris faits d’un certain modèle ;

Et qui donne à sa fille un homme qu’elle hait

Est responsable au Ciel des fautes qu’elle fait.

Songez à quels périls votre dessein vous livre.

ORGON

Je vous dis qu’il me faut apprendre d’elle à vivre.

DORINE

Vous n’en feriez que mieux de suivre mes leçons.

ORGON

Ne nous amusons point, ma fille, à ces chansons :

Je sais ce qu’il vous faut, et je suis votre père.

J’avais donné pour vous ma parole à Valère ;

Mais outre qu’à jouer on dit qu’il est enclin,

Je le soupçonne encor d’être un peu libertin :

Je ne remarque point qu’il hante les églises.

DORINE

Voulez-vous qu’il y coure à vos heures précises,

Comme ceux qui n’y vont que pour être aperçus ?

ORGON

Je ne demande pas votre avis là-dessus.

Enfin avec le Ciel l’autre est le mieux du monde,

Et c’est une richesse à nulle autre seconde.

Cet hymen de tous biens comblera vos désirs,

Il sera tout confit en8 douceurs et plaisirs.

Ensemble vous vivrez, dans vos ardeurs fidèles,

Comme deux vrais enfants, comme deux tourterelles ;

À nul fâcheux débat jamais vous n’en viendrez,

Et vous ferez de lui tout ce que vous voudrez.

DORINE

Elle ? elle n’en fera qu’un sot9, je vous assure.

ORGON

Ouais ! quels discours !

DORINE

Je dis qu’il en a l’encolure10,

Et que son ascendant11, Monsieur, l’emportera

Sur toute la vertu que votre fille aura.

ORGON

Cessez de m’interrompre, et songez à vous taire,

Sans mettre votre nez où vous n’avez que faire.

DORINE

Je n’en parle, Monsieur, que pour votre intérêt.

(Elle l’interrompt toujours au moment qu’il se retourne pour parler à sa fille.)

ORGON

C’est prendre trop de soin : taisez-vous, s’il vous plaît.

DORINE

Si l’on ne vous aimait…

ORGON

Je ne veux pas qu’on m’aime.

DORINE

Et je veux vous aimer, Monsieur, malgré vous-même.

ORGON

Ah !

DORINE

Votre honneur m’est cher, et je ne puis souffrir

Qu’aux brocards12 d’un chacun vous alliez vous offrir.

ORGON

Vous ne vous tairez point ?

DORINE

C’est une conscience13

Que de vous laisser faire une telle alliance.

ORGON

Te tairas-tu, serpent, dont les traits effrontés... ?

DORINE

Ah ! vous êtes dévot, et vous vous emportez ?

ORGON

Oui, ma bile s’échauffe à toutes ces fadaises,

Et tout résolument je veux que tu te taises.

DORINE

Soit. Mais, ne disant mot, je n’en pense pas moins.

ORGON

Pense, si tu le veux ; mais applique tes soins

À ne m’en point parler, ou... Suffit.

(Se retournant vers sa fille.)

Comme sage,

J’ai pesé mûrement toutes choses.

DORINE

J’enrage

De ne pouvoir parler.

(Elle se tait lorsqu’il tourne la tête.)

ORGON

Sans être damoiseau14,

Tartuffe est fait de sorte...

DORINE

Oui, c’est un beau museau.

ORGON

Que quand tu n’aurais même aucune sympathie

Pour tous les autres dons...

(Il se tourne devant elle, et la regarde les bras croisés.)

DORINE

La voilà bien lotie !

Si j’étais en sa place, un homme assurément

Ne m’épouserait pas de force impunément ;

Et je lui ferais voir bientôt après la fête

Qu’une femme a toujours une vengeance prête.

ORGON

Donc de ce que je dis on ne fera nul cas ?

DORINE

De quoi vous plaignez-vous ? Je ne vous parle pas.

ORGON

Qu’est-ce que tu fais donc ?

DORINE

Je me parle à moi-même.

ORGON

Fort bien. Pour châtier son insolence extrême,

Il faut que je lui donne un revers de ma main.

(Il se met en posture de lui donner un soufflet ; et Dorine,

à chaque coup d’œil qu’il jette, se tient droite sans parler.)

Ma fille, vous devez approuver mon dessein...

Croire que le mari... que j’ai su vous élire15...

Que ne te parles-tu ?

DORINE

Je n’ai rien à me dire.

ORGON

Encore un petit mot.

DORINE

Il ne me plaît pas, moi.

ORGON

Certes, je t’y guettais.

DORINE

Quelque sotte16, ma foi !

ORGON

Enfin, ma fille, il faut payer d’obéissance,

Et montrer pour mon choix entière déférence.

DORINE, en s’enfuyant.

Je me moquerais fort de prendre un tel époux.

(Il lui veut donner un soufflet et la manque.)

ORGON

Vous avez là, ma fille, une peste avec vous,

Avec qui sans péché je ne saurais plus vivre.

Je me sens hors d’état maintenant de poursuivre :

Ses discours insolents m’ont mis l’esprit en feu,

Et je vais prendre l’air pour me rasseoir17 un peu.

Scène 3

DORINE, MARIANE.

DORINE

Avez-vous donc perdu, dites-moi, la parole,

Et faut-il qu’en ceci je fasse votre rôle ?

Souffrir qu’on vous propose un projet insensé,

Sans que du moindre mot vous l’ayez repoussé !

MARIANE

Contre un père absolu que veux-tu que je fasse ?

DORINE

Ce qu’il faut pour parer une telle menace.

MARIANE

Quoi ?

DORINE

Lui dire qu’un cœur n’aime point par autrui,

Que vous vous mariez pour vous, non pas pour lui,

Qu’étant celle pour qui se fait toute l’affaire,

C’est à vous, non à lui, que le mari doit plaire,

Et que si son Tartuffe est pour lui si charmant,

Il le peut épouser sans nul empêchement.

MARIANE

Un père, je l’avoue, a sur nous tant d’empire,

Que je n’ai jamais eu la force de rien dire.

DORINE

Mais raisonnons. Valère a fait pour vous des pas18 ;

L’aimez-vous, je vous prie, ou ne l’aimez-vous pas ?

MARIANE

Ah ! qu’envers mon amour ton injustice est grande,

Dorine ! me dois-tu faire cette demande ?

T’ai-je pas là-dessus ouvert cent fois mon cœur,

Et sais-tu pas pour lui jusqu’où va mon ardeur ?

DORINE

Que sais-je si le cœur a parlé par la bouche,

Et si c’est tout de bon que cet amant vous touche ?

MARIANE

Tu me fais un grand tort, Dorine, d’en douter,

Et mes vrais sentiments ont su trop éclater.

DORINE

Enfin, vous l’aimez donc ?

MARIANE

Oui, d’une ardeur extrême.

DORINE

Et selon l’apparence il vous aime de même ?

MARIANE

Je le crois.

DORINE

Et tous deux brûlez également

De vous voir mariés ensemble ?

MARIANE

Assurément.

DORINE

Sur cette autre union quelle est donc votre attente ?

MARIANE

De me donner la mort si l’on me violente.

DORINE

Fort bien : c’est un recours où je ne songeais pas ;

Vous n’avez qu’à mourir pour sortir d’embarras ;

Le remède sans doute est merveilleux. J’enrage

Lorsque j’entends tenir ces sortes de langage.

MARIANE

Mon Dieu ! de quelle humeur, Dorine, tu te rends !

Tu ne compatis point aux déplaisirs des gens.

DORINE

Je ne compatis point à qui dit des sornettes

Et dans l’occasion19 mollit comme vous faites.

MARIANE

Mais que veux-tu ? si j’ai de la timidité...

DORINE

Mais l’amour dans un cœur veut de la fermeté.

MARIANE

Mais n’en gardé-je pas pour les feux20 de Valère ?

Et n’est-ce pas à lui de m’obtenir d’un père ?

DORINE

Mais quoi ? si votre père est un bourru fieffé21,

Qui s’est de son Tartuffe entièrement coiffé

Et manque à l’union qu’il avait arrêtée,

La faute à votre amant doit-elle être imputée ?

MARIANE

Mais par un haut refus et d’éclatants mépris

Ferai-je dans mon choix voir un cœur trop épris ?

Sortirai-je pour lui, quelque éclat dont il brille,

De la pudeur du sexe et du devoir de fille ?

Et veux-tu que mes feux par le monde étalés... ?

DORINE

Non, non, je ne veux rien. Je vois que vous voulez

tre à Monsieur Tartuffe ; et j’aurais, quand j’y pense,

Tort de vous détourner d’une telle alliance.

Quelle raison aurais-je à combattre vos vœux ?

Le parti de soi-même est fort avantageux.

Monsieur Tartuffe ! oh ! oh ! n’est-ce rien qu’on propose,

Certes Monsieur Tartuffe, à bien prendre la chose,

N’est pas un homme, non, qui se mouche du pié22,

Et ce n’est pas peu d’heur23 que d’être sa moitié.

Tout le monde déjà de gloire24 le couronne ;

Il est noble chez lui, bien fait de sa personne ;

Il a l’oreille rouge et le teint bien fleuri ;

Vous vivrez trop contente avec un tel mari.

MARIANE

Mon Dieu !...

DORINE

Quelle allégresse aurez-vous dans votre âme,

Quand d’un époux si beau vous vous verrez la femme !

MARIANE

Ha ! cesse, je te prie, un semblable discours,

Et contre cet hymen ouvre-moi du secours.

C’en est fait, je me rends, et suis prête à tout faire.

DORINE

Non, il faut qu’une fille obéisse à son père,

Voulût-il lui donner un singe pour époux.

Votre sort est fort beau : de quoi vous plaignez-vous ?

Vous irez par le coche25 en sa petite ville,

Qu’en oncles et cousins vous trouverez fertile,

Et vous vous plairez fort à les entretenir.

D’abord chez le beau monde on vous fera venir ;

Vous irez visiter, pour votre bienvenue,

Madame la baillive26 et Madame l’élue27,

Qui d’un siège pliant28 vous feront honorer.

Là, dans le carnaval, vous pourrez espérer

Le bal et la grand’bande29, à savoir, deux musettes,

Et parfois Fagotin30 et les marionnettes,

Si pourtant votre époux...

MARIANE

Ah ! tu me fais mourir.

De tes conseils plutôt songe à me secourir.

DORINE

Je suis votre servante31.

MARIANE

Eh ! Dorine, de grâce...

DORINE

Il faut, pour vous punir, que cette affaire passe.

MARIANE

Ma pauvre fille !

DORINE

Non.

MARIANE

Si mes vœux déclarés...

DORINE

Point : Tartuffe est votre homme, et vous en tâterez.

MARIANE

Tu sais qu’à toi toujours je me suis confiée :

Fais-moi…

DORINE

Non, vous serez, ma foi ! tartuffiée.

MARIANE

Hé bien ! puisque mon sort ne saurait t’émouvoir,

Laisse-moi désormais toute à mon désespoir :

C’est de lui que mon cœur empruntera de l’aide,

Et je sais de mes maux l’infaillible remède.

(Elle veut s’en aller.)

DORINE

Hé ! là, là, revenez. Je quitte mon courroux.

Il faut, nonobstant tout, avoir pitié de vous.

MARIANE

Vois-tu, si l’on m’expose à ce cruel martyre,

Je te le dis, Dorine, il faudra que j’expire.

DORINE

Ne vous tourmentez point. On peut adroitement

Empêcher... Mais voici Valère, votre amant.

Scène 4

VALÈRE, MARIANE, DORINE.

VALÈRE

On vient de débiter, Madame32, une nouvelle

Que je ne savais pas, et qui sans doute est belle.

MARIANE

Quoi ?

VALÈRE

Que vous épousez Tartuffe.

MARIANE

Il est certain

Que mon père s’est mis en tête ce dessein.

VALÈRE

Votre père, Madame…

MARIANE

A changé de visée :

La chose vient par lui de m’être proposée.

VALÈRE

Quoi ? sérieusement ?

MARIANE

Oui, sérieusement.

Il s’est pour cet hymen déclaré hautement.

VALÈRE

Et quel est le dessein où votre âme s’arrête,

Madame ?

MARIANE

Je ne sais.

VALÈRE

La réponse est honnête.

Vous ne savez ?

MARIANE

Non.

VALÈRE

Non ?

MARIANE

Que me conseillez-vous ?

VALÈRE

Je vous conseille, moi, de prendre cet époux.

MARIANE

Vous me le conseillez ?

VALÈRE

Oui.

MARIANE

Tout de bon ?

VALÈRE

Sans doute.

Le choix est glorieux, et vaut bien qu’on l’écoute.

MARIANE

Hé bien ! c’est un conseil, Monsieur, que je reçois.

VALÈRE

Vous n’aurez pas grand-peine à le suivre, je crois.

MARIANE

Pas plus qu’à le donner en a souffert votre âme.

VALÈRE

Moi, je vous l’ai donné pour vous plaire, Madame.

MARIANE

Et moi, je le suivrai pour vous faire plaisir.

DORINE

Voyons ce qui pourra de ceci réussir33.

VALÈRE

C’est donc ainsi qu’on aime ? Et c’était tromperie

Quand vous…

MARIANE

Ne parlons point de cela, je vous prie.

Vous m’avez dit tout franc que je dois accepter

Celui que pour époux on me veut présenter :

Et je déclare, moi, que je prétends le faire,

Puisque vous m’en donnez le conseil salutaire.

VALÈRE

Ne vous excusez point sur mes intentions34.

Vous aviez pris déjà vos résolutions ;

Et vous vous saisissez d’un prétexte frivole

Pour vous autoriser à manquer de parole.

MARIANE

Il est vrai, c’est bien dit.

VALÈRE

Sans doute et votre cœur

N’a jamais eu pour moi de véritable ardeur.

MARIANE

Hélas ! permis à vous d’avoir cette pensée.

VALÈRE

Oui, oui, permis à moi ; mais mon âme offensée

Vous préviendra35 peut-être en un pareil dessein ;

Et je sais où porter et mes vœux et ma main.

MARIANE

Ah ! je n’en doute point ; et les ardeurs qu’excite

Le mérite…

VALÈRE

Mon Dieu, laissons là le mérite :

J’en ai fort peu sans doute, et vous en faites foi.

Mais j’espère aux bontés qu’une autre aura pour moi,

Et j’en sais de qui l’âme, à ma retraite ouverte,

Consentira sans honte à réparer ma perte36.

MARIANE

La perte n’est pas grande ; et de ce changement

Vous vous consolerez assez facilement.

VALÈRE

J’y ferai mon possible, et vous le pouvez croire.

Un cœur qui nous oublie engage notre gloire37,

Il faut à l’oublier mettre aussi tous nos soins :

Si l’on n’en vient à bout, on le doit feindre au moins ;

Et cette lâcheté jamais ne se pardonne,

De montrer de l’amour pour qui nous abandonne.

MARIANE

Ce sentiment, sans doute, est noble et relevé.

VALÈRE

Fort bien ; et d’un chacun il doit être approuvé.

Hé quoi ? vous voudriez qu’à jamais dans mon âme

Je gardasse pour vous les ardeurs de ma flamme,

Et vous visse, à mes yeux, passer en d’autres bras,

Sans mettre ailleurs un cœur dont vous ne voulez pas ?

MARIANE

Au contraire : pour moi, c’est ce que je souhaite ;

Et je voudrais déjà que la chose fût faite.

VALÈRE

Vous le voudriez ?

MARIANE

Oui.

VALÈRE

C’est assez m’insulter,

Madame ; et de ce pas je vais vous contenter.

(Il fait un pas pour s’en aller et revient toujours.)

MARIANE

Fort bien.

VALÈRE

Souvenez-vous au moins que c’est vous-même

Qui contraignez mon cœur à cet effort extrême.

MARIANE

Oui.

VALÈRE

Et que le dessein que mon âme conçoit

N’est rien qu’à votre exemple.

MARIANE

À mon exemple, soit.

VALÈRE

Suffit : vous allez être à point nommé servie.

MARIANE

Tant mieux.

VALÈRE

Vous me voyez, c’est pour toute ma vie38.

MARIANE

À la bonne heure.

VALÈRE. Il s’en va, et, lorsqu’il est vers la porte, il se retourne.

Euh ?

MARIANE

Quoi ?

VALÈRE

Ne m’appelez-vous pas ?

MARIANE

Moi ? Vous rêvez.

VALÈRE

Hé bien ! je poursuis donc mes pas.

Adieu, Madame.

MARIANE

Adieu, Monsieur.

DORINE

Pour moi, je pense

Que vous perdez l’esprit par cette extravagance :

Et je vous ai laissé tout du long quereller,

Pour voir où tout cela pourrait enfin aller.

Holà ! seigneur Valère.

(Elle va l’arrêter par le bras, et lui, fait mine de grande résistance.)

VALÈRE

Hé ! que veux-tu, Dorine ?

DORINE

Venez ici.

VALÈRE

Non, non, le dépit me domine.

Ne me détourne point de ce qu’elle a voulu.

DORINE

Arrêtez.

VALÈRE

Non, vois-tu ? c’est un point résolu.

DORINE

Ah !

MARIANE

Il souffre à me voir, ma présence le chasse,

Et je ferai bien mieux de lui quitter la place.

DORINE. Elle quitte Valère et court à Mariane.

À l’autre. Où courez-vous ?

MARIANE

Laisse.

DORINE

Il faut revenir.

MARIANE

Non, non, Dorine ; en vain tu veux me retenir.

VALÈRE

Je vois bien que ma vue est pour elle un supplice,

Et sans doute il vaut mieux que je l’en affranchisse.

DORINE. Elle quitte Mariane et court à Valère.

Encor ? Diantre soit fait de vous si je le veux39 !

Cessez ce badinage40, et venez çà41 tous deux.

(Elle les tire l’un et l’autre.)

VALÈRE

Mais quel est ton dessein ?

MARIANE

Qu’est-ce que tu veux faire ?

DORINE

Vous bien remettre ensemble, et vous tirer d’affaire.

Êtes-vous fou d’avoir un pareil démêlé ?

VALÈRE

N’as-tu pas entendu comme elle m’a parlé ?

DORINE

Êtes-vous folle, vous, de vous être emportée ?

MARIANE

N’as-tu pas vu la chose, et comme il m’a traitée ?

DORINE

Sottise des deux parts. Elle n’a d’autre soin

Que de se conserver à vous, j’en suis témoin.

Il n’aime que vous seule, et n’a point d’autre envie

Que d’être votre époux ; j’en réponds sur ma vie.

MARIANE

Pourquoi donc me donner un semblable conseil ?

VALÈRE

Pourquoi m’en demander sur un sujet pareil ?

DORINE

Vous êtes fous tous deux. Çà, la main l’un et l’autre.

Allons, vous.

VALÈRE, en donnant sa main à Dorine.

À quoi bon ma main ?

DORINE

Ah ! çà, la vôtre.

MARIANE, en donnant aussi sa main.

De quoi sert tout cela ?

DORINE

Mon Dieu ! vite, avancez.

Vous vous aimez tous deux plus que vous ne pensez.

VALÈRE

Mais ne faites donc point les choses avec peine,

Et regardez un peu les gens sans nulle haine.

(Mariane tourne l’œil vers Valère et fait un petit souris42.)

DORINE

À vous dire le vrai, les amants sont bien fous !

VALÈRE

Ho çà, n’ai-je pas lieu de me plaindre de vous ?

Et pour n’en point mentir, n’êtes-vous pas méchante

De vous plaire à me dire une chose affligeante ?

MARIANE

Mais vous, n’êtes-vous pas l’homme le plus ingrat... ?

DORINE

Pour une autre saison laissons tout ce débat,

Et songeons à parer ce fâcheux mariage.

MARIANE

Dis-nous donc quels ressorts il faut mettre en usage.

DORINE

Nous en ferons agir de toutes les façons.

Votre père se moque, et ce sont des chansons ;

Mais pour vous, il vaut mieux qu’à son extravagance

D’un doux consentement vous prêtiez l’apparence,

Afin qu’en cas d’alarme il vous soit plus aisé

De tirer en longueur cet hymen proposé.

En attrapant du temps, à tout on remédie.

Tantôt vous payerez de43 quelque maladie,

Qui viendra tout à coup et voudra des délais ;

Tantôt vous payerez de présages mauvais :

Vous aurez fait d’un mort la rencontre fâcheuse,

Cassé quelque miroir, ou songé44 d’eau bourbeuse.

Enfin le bon de tout, c’est qu’à d’autres qu’à lui

On ne vous peut lier, que vous ne disiez « oui».

Mais pour mieux réussir, il est bon, ce me semble,

Qu’on ne vous trouve point tous deux parlant ensemble. (À Valère.)

Sortez, et sans tarder employez vos amis,

Pour vous faire tenir45 ce qu’on vous a promis.

Nous allons réveiller les efforts de son frère,

Et dans notre parti jeter la belle-mère.

Adieu.

VALÈRE, à Mariane.

Quelques efforts que nous préparions tous,

Ma plus grande espérance, à vrai dire, est en vous.

MARIANE, à Valère.

Je ne vous réponds pas des volontés d’un père ;

Mais je ne serai point à d’autre qu’à Valère.

VALÈRE

Que vous me comblez d’aise ! Et quoi que puisse oser...

DORINE

Ah ! jamais les amants ne sont las de jaser.

Sortez, vous dis-je.

VALÈRE. Il fait un pas et revient.

Enfin…

DORINE

Quel caquet est le vôtre !

(Les poussant chacun par l’épaule.)

Tirez de cette part46; et vous, tirez de l’autre.

 

  1. Je voi : je vois (ancienne orthographe étymologique et licence poétique qui permet de respecter la rime pour l’œil).

  2. Or sus : allons !

  3. Mamie : mon amie.

  4. Barbe : désigne aussi la moustache.

  5. Au pays : dans sa province.

  6. Procédé : conduite, manière d’agir.

  7. Ennui : chagrin, déplaisir.

  8. Confit en : plein de.

  9. Sot : cocu.

10. Encolure : façon d’être, allure.

11. Ascendant : l’astre sous lequel il est né et qui influe sur son destin, en l’occurrence son aptitude à être cocu. (Terme d’astrologie).

12. Brocards : moqueries.

13. C’est une conscience : c’est un cas de conscience.

14. Damoiseau : jeune homme élégant.

15. Élire : choisir.

16. Quelque sotte : une sotte aurait parlé (sous-entendu : mais pas moi).

17. Me rasseoir : me calmer.

18. Des pas : des démarches.

19. Occasion : moment décisif, combat (terme militaire).

20. Feux : amour.

21. Bourru fieffé : parfait extravagant.

22. Se moucher du pié : être aussi souple qu’un saltimbanque qui touchait le nez avec son pied. C’est une manière ironique de dire que Tartuffe est un homme grave ; « pié » : orthographe archaïsante et licence poétique qui permet de respecter la rime pour l’œil.

23. Heur : bonheur.

24. Gloire : au sens religieux, béatitude des saints.

25. Coche : carrosse sans suspension.

26. La baillive : la femme du bailli, officier de justice.

27. L’élue : la femme d’un fonctionnaire local.

28. Siège pliant : dans la hiérarchie des préséances sociales, le siège indiquait le rang : le pliant vient en dernier après le tabouret.

29. La grand’bande : l’orchestre de vingt-quatre violons de la Chambre du roi. C’est ironique, puisque l’orchestre ne se composera que de deux musettes (cornemuses).

30. Fagotin : singe savant célèbre vers 1660.

31. Je suis votre servante : formule de refus polie.

32. Madame : titre qui se donnait aussi aux jeunes filles de bonne famille.

33. Réussir : résulter.

34. Ne vous... mes intentions : ne prenez pas prétexte de mes intentions pour vous excuser.

35. Préviendra : devancera.

36. Ma perte : la perte de votre amour.

37. Engage notre gloire : compromet notre honneur.

38. Pour toute ma vie : pour la dernière fois de ma vie.

39. Diantre... le veux !: que le diable vous emporte si j’y consens ! (si je vous laisse partir).

40. Badinage : jeu stupide.

41. Çà : ici.

42. Souris : sourire.

43. Vous payerez de : vous prétexterez.

44. Songé : vu en songe, rêvé.

45. Tenir : obtenir.

46. Tirez de cette part : sortez de ce côté.

Le Tartuffe ou l’Imposteur

Clefs d’analyse

Acte II, scène 4.

Compréhension

Le dépit amoureux

• Étudier comment tout le malentendu et la dispute qui en résulte est la conséquence de la réplique « Je ne sais », dite par Mariane.

• Relever les arguments que Valère, vexé, avance contre son propre intérêt en faveur du mariage de Mariane avec Tartuffe.

• Examiner la symétrie des répliques de Mariane et de Valère : longueur, sujet, effets de répétitions.

Réflexion

Deux amants entêtés

• Relever ce qui montre que Mariane est aussi entêtée que son père, capable comme lui d’aggraver une situation par bravade.

• Examiner la stratégie proposée par Dorine. Souligner le fait que cela ne constitue pas une solution mais un moyen de gagner du temps : on n’a encore aucune idée de la façon dont on va pouvoir sortir de cette situation bloquée.

• Détailler la progression de l’action dans cette scène où l’on trouve en miniature trois petits actes : les amants vexés par le malentendu, la brouille et la réconciliation.

À retenir :

Cette scène ne fait pas avancer l’action. Au contraire, elle retarde l’arrivée de Tartuffe. Elle pose la question du mariage de Mariane avec Tartuffe mais aucune véritable solution n’est encore envisagée : Dorine propose seulement de gagner du temps en faisant semblant d’obéir à Orgon. Cette scène constitue une petite comédie à l’intérieur de la pièce : la comédie du dépit amoureux où les amants s’entêtent dans leur malentendu. On y trouve tous les éléments d’un sketch comique : symétrie des répliques, malentendu à cause de quelques mots, situation qui s’envenime et intervention d’un troisième personnage pour dénouer ce drame en raccourci.

Le Tartuffe ou l’Imposteur

Synthèse

Acte II

Le mariage de Mariane

Personnages

L’ordre familial

On apprend qu’Orgon veut marier sa fille Mariane à Tartuffe. Entre l’aimable Valère, au nom de jeune premier, et le grotesque Tartuffe, la distance est grande. Mariane apparaît tout de suite comme une victime. Sa soumission à l’ordre familial est totale, elle garde le silence devant son père, elle est trop timide pour exposer ses véritables sentiments. Dorine s’agite beaucoup sans pourtant imaginer d’échappatoire et ses discours permettent de compléter l’image qu’on se fait de Tartuffe : on devine les défauts physiques d’un goinfre, on reconnaît un type comique. Mieux vaut certainement mourir qu’être « tartuffiée », c’est la seule solution qu’imagine Mariane. La passive obéissance de Mariane émeut également Valère, désappointé que sa maîtresse n’aille pas contre les volontés paternelles. Leur face-à-face tourne à la scène de dépit amoureux. Ils ne peuvent rien entreprendre sans entrer en conflit avec l’ordre familial, qui est aussi l’ordre social.

Langage

Le jeu verbal

Dans cet acte où Dorine est le personnage dominant, le comique découle de sa verve ironique et vient contrebalancer l’impression de tristesse qui accompagne le personnage de Mariane. Elle manie le comique de mots ; c’est elle qui invente le verbe « tartuffier » (sc. 3). Les répliques deviennent plus courtes, elles s’enchaînent par des reprises et des retournements de sens (« Si l’on ne vous aimait... / Je ne veux pas qu’on m’aime. / Et je veux vous aimer, Monsieur, malgré vous-même »), des jeux d’écho (« Sans être damoiseau... / Oui, c’est un beau museau »). Le rythme s’accélère, le ballet des mots entraîne les personnages dans des tours de parole rapides. Le tournoi verbal qui oppose la servante à Orgon (sc. 2) fait appel à l’ironie, à la raillerie, à l’absurde, à la contradiction. Dorine refuse d’entendre ce qu’elle entend parce qu’elle ne veut pas le croire. Elle fait appel à la superstition et à l’astrologie (Tartuffe sera cocu parce que son « ascendant » le veut ainsi). L’affrontement prend des allures de farce avec le thème du cocuage et les jeux de scène, interruptions, faux apartés que la servante multiplie, comique de geste avec la gifle dont Orgon la menace (« il se met en posture de lui donner un soufflet ») et qui finalement tombe dans le vide.

Société

Le mariage mal assorti

Le père est le chef de famille : il a un pouvoir absolu sur le choix d’un gendre et aucun des membres de la famille ne peut passer outre la décision d’Orgon. Le mariage mal assorti est un ressort traditionnel de la comédie : le chef de famille veut marier sa fille à un fantoche ridicule qui lui plaît à lui et qui déplaît à sa fille, il veut lui donner un mari pour lui-même, il prétend : « Unir par votre hymen Tartuffe à ma famille » (sc. 1). Ainsi le malade imaginaire veut marier Angélique à Thomas Diafoirus pour avoir un gendre médecin, Philinthe, la femme savante qui usurpe le rôle de chef de famille, veut marier Henriette à Trissotin. La fille mal mariée trompera son mari, car le mariage mal assorti mène inévitablement au cocuage. Les comédies de Molière prennent la défense de l’amour et des enfants opprimés par leurs parents.

Le Tartuffe ou l’Imposteur

ACTE III

Scène 1

DAMIS, DORINE

DAMIS

Que la foudre sur l’heure achève mes destins,

Qu’on me traite partout du plus grand des faquins1,

S’il est aucun respect ni pouvoir qui m’arrête,

Et si je ne fais pas quelque coup de ma tête !

DORINE

De grâce, modérez un tel emportement :

Votre père n’a fait qu’en parler simplement.

On n’exécute pas tout ce qui se propose,

Et le chemin est long du projet à la chose.

DAMIS

Il faut que de ce fat j’arrête les complots,

Et qu’à l’oreille un peu je lui dise deux mots.

DORINE

Ha ! tout doux ! Envers lui, comme envers votre père,

Laissez agir les soins de votre belle-mère.

Sur l’esprit de Tartuffe elle a quelque crédit ;

Il se rend complaisant à tout ce qu’elle dit,

Et pourrait bien avoir douceur de cœur pour elle.

Plût à Dieu qu’il2 fût vrai ! la chose serait belle.

Enfin votre intérêt l’oblige à le mander3;

Sur l’hymen qui vous trouble elle veut le sonder,

Savoir ses sentiments, et lui faire connaître

Quels fâcheux démêlés il pourra faire naître,

S’il faut qu’à ce dessein il prête quelque espoir4.

Son valet dit qu’il prie, et je n’ai pu le voir’;

Mais ce valet m’a dit qu’il s’en allait descendre.

Sortez donc, je vous prie, et me laissez l’attendre.

DAMIS

Je puis être présent à tout cet entretien.

DORINE

Point. Il faut qu’ils soient seuls.

DAMIS

Je ne lui dirai rien.

DORINE

Vous vous moquez : on sait vos transports5 ordinaires,

Et c’est le vrai moyen de gâter les affaires.

Sortez.

DAMIS

Non : je veux voir, sans me mettre en courroux.

DORINE

Que vous êtes fâcheux ! Il vient. Retirez-vous.

Scène 2

TARTUFFE, LAURENT, DORINE.

TARTUFFE, apercevant Dorine.

Laurent, serrez6 ma haire7 avec ma discipline8,

Et priez que toujours le Ciel vous illumine.

Si l’on vient pour me voir, je vais aux prisonniers

Des aumônes que j’ai partager les deniers.

DORINE

Que d’affectation et de forfanterie !

TARTUFFE

Que voulez-vous ?

DORINE

Vous dire...

TARTUFFE. Il tire un mouchoir de sa poche.

Ah ! mon Dieu, je vous prie,

Avant que de parler prenez-moi ce mouchoir.

DORINE

Comment ?

TARTUFFE

Couvrez ce sein que je ne saurais voir :

Par de pareils objets9 les âmes sont blessées,

Et cela fait venir de coupables pensées.

DORINE

Vous êtes donc bien tendre à la tentation,

Et la chair sur vos sens fait grande impression ?

Certes je ne sais pas quelle chaleur vous monte :

Mais à convoiter, moi, je ne suis point si prompte,

Et je vous verrais nu du haut jusques en bas,

Que toute votre peau ne me tenterait pas.

TARTUFFE

Mettez dans vos discours un peu de modestie,

Ou je vais sur-le-champ vous quitter la partie10.

DORINE

Non, non, c’est moi qui vais vous laisser en repos,

Et je n’ai seulement qu’à vous dire deux mots.

Madame va venir dans cette salle basse11,

Et d’un mot d’entretien vous demande la grâce.

TARTUFFE

Hélas ! très volontiers.

DORINE, en soi-même.

Comme il se radoucit !

Ma foi, je suis toujours pour ce que j’en ai dit.

TARTUFFE

Viendra-t-elle bientôt ?

DORINE

Je l’entends, ce me semble.

Oui, c’est elle en personne, et je vous laisse ensemble.

 

  1. Faquin : individu méprisable.

  2. Il : cela.

  3. Mander : faire venir.

  4. S’il faut... espoir : s’il souhaite la réalisation.

  5. Transports : emportements.

  6. Serrez : rangez.

  7. Haire : chemise de crin portée à même la peau par esprit de mortification.

  8. Discipline : fouet avec lequel les pénitents se flagellaient.

  9. Objet : ce qui est exposé au regard, à la vue.

10. Quitter la partie : céder la place.

11. Salle basse : salon situé au rez-de-chaussée.

Le Tartuffe ou l’Imposteur

Clefs d’analyse

Acte III, scène 2.

Compréhension

Un dévot qui ne risque pas de passer inaperçu

• Relever les didascalies qui soulignent l’hypocrisie de Tartuffe.

• Relever le champ lexical de l’austérité dévote.

Une servante qui n’est pas dupe

• Relever dans les propos de Dorine les mots et expressions qui dénoncent la fausseté de Tartuffe.

• Analyser les passages qui touchent à la gauloiserie.

Réflexion

Un hypocrite qui en fait trop

• Expliquer en quoi l’entrée en scène de Tartuffe comble l’attente du spectateur. Non seulement il confirme ce qu’on a déjà dit de lui mais il se révèle encore pire que son portrait.

• Montrer que, dès son arrivée, Tartuffe manifeste les appétits charnels qui vont le démasquer par la suite.

Un auteur qui se soumet aux exigences du genre théâtral

• Montrer que Molière laisse volontairement paraître la vraie nature de Tartuffe sous son masque. Expliquer quel est l’intérêt théâtral de cette contradiction.

À retenir :

Dès ses premiers mots, Tartuffe se dénonce lui-même comme un « cabotin » de la dévotion. Dans la réalité, ce serait le comble de la maladresse. Au théâtre, c’est indispensable pour que les spectateurs ne se trompent pas sur le personnage. Tartuffe ne peut faire rire que si l’on perçoit clairement ses contradictions.

Le Tartuffe ou l’Imposteur

Scène 3

ELMIRE, TARTUFFE.

TARTUFFE

Que le Ciel à jamais par sa toute bonté

Et de l’âme et du corps vous donne la santé,

Et bénisse vos jours autant que le désire

Le plus humble de ceux que son amour inspire.

ELMIRE

Je suis fort obligée à ce souhait pieux.

Mais prenons une chaise, afin d’être un peu mieux.

TARTUFFE

Comment de votre mal vous sentez-vous remise ?

ELMIRE

Fort bien ; et cette fièvre a bientôt quitté prise.

TARTUFFE

Mes prières n’ont pas le mérite qu’il faut

Pour avoir attiré cette grâce d’en haut ;

Mais je n’ai fait au Ciel nulle dévote instance

Qui n’ait eu pour objet votre convalescence.

ELMIRE

Votre zèle pour moi s’est trop inquiété.

TARTUFFE

On ne peut trop chérir votre chère santé,

Et pour la rétablir j’aurais donné la mienne.

ELMIRE

C’est pousser bien avant la charité chrétienne,

Et je vous dois beaucoup pour toutes ces bontés.

TARTUFFE

Je fais bien moins pour vous que vous ne méritez.

ELMIRE

J’ai voulu vous parler en secret d’une affaire,

Et suis bien aise ici qu’aucun ne nous éclaire1

TARTUFFE

J’en suis ravi de même, et sans doute il m’est doux,

Madame, de me voir seul à seul avec vous :

C’est une occasion qu’au Ciel j’ai demandée,

Sans que jusqu’à cette heure il me l’ait accordée.

ELMIRE

Pour moi, ce que je veux, c’est un mot d’entretien,

Où tout votre cœur s’ouvre et ne me cache rien.

TARTUFFE

Et je ne veux aussi pour grâce singulière

Que montrer à vos yeux mon âme toute entière,

Et vous faire serment que les bruits2 que j’ai faits

Des visites qu’ici reçoivent vos attraits

Ne sont pas envers vous l’effet d’aucune haine,

Mais plutôt d’un transport de zèle qui m’entraîne,

Et d’un pur mouvement...

ELMIRE

Je le prends bien aussi,

Et crois que mon salut vous donne ce souci.

TARTUFFE. Il lui serre le bout des doigts.

Oui, Madame, sans doute, et ma ferveur est telle...

ELMIRE

Ouf ! vous me serrez trop.

TARTUFFE

C’est par excès de zèle.

De vous faire aucun mal je n’eus jamais dessein,

Et j’aurais bien plutôt...

(Il lui met la main sur le genou.)

ELMIRE

Que fait là votre main ?

TARTUFFE

Je tâte votre habit : l’étoffe en est moelleuse.

ELMIRE

Ah ! de grâce, laissez, je suis fort chatouilleuse.

(Elle recule sa chaise, et Tartuffe rapproche la sienne.)

TARTUFFE

Mon Dieu ! que de ce point3 l’ouvrage est merveilleux !

On travaille aujourd’hui d’un air4 miraculeux ;

Jamais, en toute chose, on n’a vu si bien faire.

ELMIRE

Il est vrai. Mais parlons un peu de notre affaire.

On tient5 que mon mari veut dégager sa foi6,

Et vous donner sa fille. Est-il vrai, dites-moi ?

TARTUFFE

Il m’en a dit deux mots ; mais, Madame, à vrai dire,

Ce n’est pas le bonheur après quoi je soupire ;

Et je vois autre part les merveilleux attraits

De la félicité qui fait tous mes souhaits.

ELMIRE

C’est que vous n’aimez rien des choses de la terre.

TARTUFFE

Mon sein n’enferme pas un cœur qui soit de pierre.

ELMIRE

Pour moi, je crois qu’au Ciel tendent tous vos soupirs,

Et que rien ici-bas n’arrête vos désirs.

TARTUFFE

L’amour qui nous attache aux beautés éternelles

N’étouffe pas en nous l’amour des temporelles ;

Nos sens facilement peuvent être charmés

Des ouvrages parfaits que le Ciel a formés.

Ses attraits réfléchis brillent dans vos pareilles ;

Mais il étale en vous ses plus rares merveilles :

Il a sur votre face épanché des beautés

Dont les yeux sont surpris, et les cœurs transportés,

Et je n’ai pu vous voir, parfaite créature,

Sans admirer en vous l’auteur de la nature,

Et d’une ardente amour sentir mon cœur atteint,

Au7 plus beau des portraits où lui-même il s’est peint.

D’abord j’appréhendai que cette ardeur secrète

Ne fût du noir esprit8 une surprise adroite9;

Et même à fuir vos yeux mon cœur se résolut,

Vous croyant un obstacle à faire mon salut.

Mais enfin je connus, ô beauté toute aimable,

Que cette passion peut n’être point coupable,

Que je puis l’ajuster avecque la pudeur,

Et c’est ce qui m’y fait abandonner mon cœur.

Ce m’est, je le confesse, une audace bien grande

Que d’oser de ce cœur vous adresser l’offrande ;

Mais j’attends en mes vœux tout de votre bonté,

Et rien des vains efforts de mon infirmité10,

En vous est mon espoir, mon bien, ma quiétude,

De vous dépend ma peine ou ma béatitude,

Et je vais être enfin, par votre seul arrêt,

Heureux, si vous voulez, malheureux, s’il vous plaît.

ELMIRE

La déclaration est tout à fait galante,

Mais elle est, à vrai dire, un peu bien surprenante.

Vous deviez11, ce me semble, armer mieux votre sein12,

Et raisonner un peu sur un pareil dessein.

Un dévot comme vous, et que partout on nomme...

TARTUFFE

Ah ! pour être dévot, je n’en suis pas moins homme ;

Et lorsqu’on vient à voir vos célestes appas,

Un cœur se laisse prendre, et ne raisonne pas.

Je sais qu’un tel discours de moi paraît étrange ;

Mais, Madame, après tout, je ne suis pas un ange ;

Et si vous condamnez l’aveu que je vous fais,

Vous devez vous en prendre à vos charmants attraits.

Dès que j’en vis briller la splendeur plus qu’humaine,

De mon intérieur13 vous fûtes souveraine ;

De vos regards divins l’ineffable douceur

Força la résistance où s’obstinait mon cœur ;

Elle surmonta tout, jeûnes, prières, larmes,

Et tourna tous mes vœux14 du côté de vos charmes.

Mes yeux et mes soupirs vous l’ont dit mille fois,

Et pour mieux m’expliquer j’emploie ici la voix.

Que si vous contemplez d’une âme un peu bénigne

Les tribulations15 de votre esclave indigne,

S’il faut que vos bontés veuillent me consoler

Et jusqu’à mon néant daignent se ravaler,

J’aurai toujours pour vous, ô suave merveille,

Une dévotion à nulle autre pareille.

Votre honneur avec moi ne court point de hasard16,

Et n’a nulle disgrâce à craindre de ma part.

Tous ces galants de cour, dont les femmes sont folles,

Sont bruyants dans leurs faits et vains dans leurs paroles,

De leurs progrès sans cesse on les voit se targuer ;

Ils n’ont point de faveurs qu’ils n’aillent divulguer,

Et leur langue indiscrète, en qui l’on se confie,

Déshonore l’autel17 où leur cœur sacrifie.

Mais les gens comme nous brûlent d’un feu discret,

Avec qui pour toujours on est sûr du secret:

Le soin que nous prenons de notre renommée

Répond de toute chose à la personne aimée,

Et c’est en nous qu’on trouve, acceptant18 notre cœur,

De l’amour sans scandale et du plaisir sans peur.

ELMIRE

Je vous écoute dire, et votre rhétorique

En termes assez forts à mon âme s’explique.

N’appréhendez-vous point que je ne sois d’humeur

À dire à mon mari cette galante ardeur,

Et que le prompt avis d’un amour de la sorte

Ne pût19 bien altérer l’amitié qu’il vous porte ?

TARTUFFE

Je sais que vous avez trop de bénignité20

Et que vous ferez grâce à ma témérité,

Que vous m’excuserez sur l’humaine faiblesse

Des violents transports d’un amour qui vous blesse,

Et considérerez, en regardant votre air,

Que l’on est pas aveugle, et qu’un homme est de chair.

ELMIRE

D’autres prendraient cela d’autre façon peut-être ;

Mais ma discrétion se veut faire paraître.

Je ne redirai point l’affaire à mon époux ;

Mais je veux en revanche une chose de vous :

C’est de presser tout franc et sans nulle chicane

L’union21 de Valère avecque Mariane,

De renoncer vous-même à l’injuste pouvoir

Qui veut du bien d’un autre enrichir votre espoir,

Et...

 

  1. Éclaire : épie.

  2. Bruits : critiques.

  3. Point : dentelle.

  4. Air : manière.

  5. Tient : prétend.

  6. Dégager sa foi : revenir sur sa parole.

  7. Au : devant le.

  8. Noir esprit : diable.

  9. Surprise adroite : piège ; « adroite » : se prononçait « adrète » et rimait avec « secrète ».

10. Infirmité: faiblesse (terme religieux, comme offrande, quiétude, béatitude).

11. Deviez : auriez dû.

12. Sein : ici, cœur.

13. Mon intérieur : mon âme.

14. Vœux : espoirs amoureux (langue galante).

15. Tribulations : misères, afflictions, considérées comme venant de Dieu.

16. De hasard : de risques.

17. L’autel : l’amour ou la femme aimée (par métaphore).

18. Acceptant : si l’on accepte.

19. Pût : puisse

20. Bénignité : bienveillance.

21. Union : se prononce en trois syllabes (en faisant la diérèse) ; même remarque pour Mariane.

Le Tartuffe ou l’Imposteur

Clefs d’analyse

Acte III, scène 3.

Compréhension

Tartuffe

• Relever le champ lexical de la dévotion et de la galanterie.

Elmire

• Montrer comment Elmire s’efforce de maintenir, malgré lui, Tartuffe dans son rôle de dévot.

Réflexion

Un beau parleur

• Analyser la déclaration de Tartuffe en faisant semblant d’ignorer que c’est un imposteur qui parle. La rattacher à la tradition courtoise qui considère la beauté féminine comme le reflet de la divinité.

Une femme habile et digne

• Souligner la prudence et l’habileté d’Elmire qui se méfie de Tartuffe.

• Relever les aspects de cette scène qui pouvaient choquer certains spectateurs à l’époque de Molière : complète absence de scrupule chez Tartuffe, détournement galant du vocabulaire religieux (car il ne faut jamais oublier que Tartuffe ne se présente pas comme un poète courtois mais comme un dévot.)

À retenir :

Cette scène constitue le centre de la pièce. La longue déclaration de Tartuffe est un exemple de poésie amoureuse courtoise et si elle est à la fois comique et ignoble, c’est parce que celui qui la prononce est un imposteur. C’est le deuxième coup de théâtre après l’annonce du mariage de Mariane avec Tartuffe. Il est beaucoup plus inattendu (le mariage forcé est un peu un lieu commun de la comédie classique) puisque Tartuffe n’hésite pas à abattre son masque. Cela fait de lui un personnage dangereux, cynique et dont on doit craindre les réactions imprévisibles.

Le Tartuffe ou l’Imposteur

Scène 4

DAMIS, ELMIRE, TARTUFFE.

DAMIS, sortant du petitcabinetoù il s’était retiré.

Non, Madame, non : ceci doit se répandre.

J’étais en cet endroit, d’où j’ai pu tout entendre ;

Et la bonté du Ciel m’y semble avoir conduit

Pour confondre1 l’orgueil d’un traître qui me nuit,

Pour m’ouvrir une voie à2 prendre la vengeance

De son hypocrisie et de son insolence, À

détromper mon père, et lui mettre en plein jour

L’âme d’un scélérat qui vous parle d’amour.

ELMIRE

Non, Damis : il suffit qu’il se rende plus sage,

Et tâche à mériter la grâce où je m’engage3.

Puisque je l’ai promis, ne m’en dédites pas.

Ce n’est point mon humeur de faire des éclats :

Une femme se rit de sottises pareilles,

Et jamais d’un mari n’en trouble les oreilles.

DAMIS

Vous avez vos raisons pour en user ainsi,

Et pour faire autrement j’ai les miennes aussi.

Le vouloir épargner est une raillerie ;

Et l’insolent orgueil de sa cagoterie4

N’a triomphé que trop de mon juste courroux,

Et que trop excité de désordre chez nous.

Le fourbe trop longtemps a gouverné mon père,

Et desservi mes feux avec ceux de Valère.

Il faut que du perfide il soit désabusé,

Et le Ciel pour cela m’offre un moyen aisé.

De cette occasion je lui suis redevable,

Et pour la négliger, elle est trop favorable :

Ce serait mériter qu’il me la vînt ravir

Que de l’avoir en main et ne m’en pas servir.

ELMIRE

Damis…

DAMIS

Non, s’il vous plaît, il faut que je me croie5.

Mon âme est maintenant au comble de sa joie ;

Et vos discours en vain prétendent m’obliger

À quitter le plaisir de me pouvoir venger.

Sans aller plus avant, je vais vuider6 d’affaire ;

Et voici justement de quoi me satisfaire.

Scène 5

ORGON, DAMIS, TARTUFFE, ELMIRE.

DAMIS

Nous allons régaler, mon père, votre abord7

D’un incident tout frais qui vous surprendra fort.

Vous êtes bien payé de toutes vos caresses8,

Et Monsieur d’un beau prix reconnaît vos tendresses.

Son grand zèle pour vous vient de se déclarer.

Il ne va pas à moins qu’à vous déshonorer,

Et je l’ai surpris là qui faisait à Madame

L’injurieux aveu d’une coupable flamme.

Elle est d’une humeur douce, et son cœur trop discret

Voulait à toute force en garder le secret ;

Mais je ne puis flatter9 une telle impudence

Et crois que vous la taire est vous faire une offense.

ELMIRE

Oui, je tiens que10 jamais de tous ces vains propos

On ne doit d’un mari traverser11 le repos ;

Que ce n’est point de là que l’honneur peut dépendre,

Et qu’il suffit pour nous de savoir nous défendre.

Ce sont mes sentiments ; et vous n’auriez rien dit,

Damis, si j’avais eu sur vous quelque crédit.

Scène 6

ORGON, DAMIS,TARTUFFE.

ORGON

Ce que je viens d’entendre, ô Ciel ! est-il croyable ?

TARTUFFE

Oui, mon frère, je suis un méchant, un coupable.

Un malheureux pécheur tout plein d’iniquité,

Le plus grand scélérat qui jamais ait été.

Chaque instant de ma vie est chargé de souillures ;

Elle n’est qu’un amas de crimes et d’ordures,

Et je vois que le Ciel, pour ma punition,

Me veut mortifier en cette occasion.

De quelque grand forfait qu’on me puisse reprendre,

Je n’ai garde d’avoir l’orgueil de m’en défendre.

Croyez ce qu’on vous dit, armez votre courroux,

Et comme un criminel chassez-moi de chez vous.

Je ne saurais avoir tant de honte en partage

Que je n’en aie encor mérité davantage.

ORGON, à son fils.

Ah ! traître, oses-tu bien, par cette fausseté,

Vouloir de sa vertu ternir la pureté ?

DAMIS

Quoi ! la feinte douceur de cette âme hypocrite

Vous fera démentir…

ORGON

Tais-toi, peste maudite !

TARTUFFE

Ah ! laissez-le parler ; vous l’accusez à tort,

Et vous ferez bien mieux de croire à son rapport.

Pourquoi sur un tel fait m’être si favorable ?

Savez-vous, après tout, de quoi je suis capable ?

Vous fiez-vous, mon frère, à mon extérieur ?

Et, pour tout ce qu’on voit, me croyez-vous meilleur ?

Non, non, vous vous laissez tromper à l’apparence,

Et je ne suis rien moins, hélas ! que ce qu’on pense.

Tout le monde me prend pour un homme de bien ;

Mais la vérité pure est que je ne vaux rien.

(S’adressant à Damis.)

Oui, mon cher fils, parlez, traitez-moi de perfide,

D’infâme, de perdu, de voleur, d’homicide ;

Accablez-moi de noms encor plus détestés ;

Je n’y contredis point, je les ai mérités,

Et j’en veux à genoux souffrir l’ignominie,

Comme une honte due aux crimes de ma vie.

ORGON, à Tartuffe.

Mon frère, c’en est trop.

(À son fils.)

Ton cœur ne se rend point,

Traître ?

DAMIS

Quoi ! ses discours vous séduiront12 au point…

ORGON

Tais-toi, pendard !

(À Tartuffe.)

Mon frère, eh ! levez-vous, de grâce.

(À son fils.)

Infâme !

DAMIS

Il peut…

ORGON

Tais-toi.

DAMIS

J’enrage ! Quoi ! je passe…

ORGON

Si tu dis un seul mot, je te romprai les bras.

TARTUFFE

Mon frère, au nom de Dieu, ne vous emportez pas.

J’aimerais mieux souffrir la peine la plus dure

Qu’il eût reçu pour moi la moindre égratignure.

ORGON, à son fils.

Ingrat !

TARTUFFE

Laissez-le13 en paix. S’il faut, à deux genoux.

Vous demander sa grâce…

ORGON à Tartuffe.

Hélas ! vous moquez-vous ?

(À son fils.)

Coquin, vois sa bonté.

DAMIS

Donc…

ORGON

Paix !

DAMIS

Quoi, je…

ORGON

Paix, dis-je !

Je sais bien quel motif à l’attaquer t’oblige.

Vous le haïssez tous, et je vois aujourd’hui

Femme, enfants et valets déchaînés contre lui.

On met impudemment toute chose en usage

Pour ôter de chez moi ce dévot personnage ;

Mais plus on fait d’efforts afin de l’en bannir,

Plus j’en veux employer à l’y mieux retenir,

Et je vais me hâter de lui donner ma fille

Pour confondre l’orgueil de toute ma famille.

DAMIS

À recevoir sa main on pense l’obliger ?

ORGON

Oui, traître, et dès ce soir, pour vous faire enrager.

Ah ! je vous brave tous et vous ferai connaître

Qu’il faut qu’on m’obéisse et que je suis le maître,

Allons, qu’on se rétracte, et qu’à l’instant, fripon,

On se jette à ses pieds pour demander pardon.

DAMIS

Qui, moi ? de ce coquin qui par ses impostures…

ORGON

Ah ! tu résistes, gueux, et lui dis des injures ?

Un bâton ! un bâton !

(À Tartuffe.)

Ne me retenez pas.

(À son fils.)

Sus, que de ma maison on sorte de ce pas,

Et que d’y revenir on n’ait jamais l’audace.

DAMIS

Oui, je sortirai, mais…

ORGON

Vite, quittons la place.

Je te prive, pendard, de ma succession

Et te donne, de plus, ma malédiction.

Scène 7

ORGON, TARTUFFE.

ORGON

Offenser de la sorte une sainte personne !

TARTUFFE

Ô Ciel! pardonne-lui la douleur qu’il me donne.

(À Orgon.)

Si vous pouviez savoir avec quel déplaisir

Je vois qu’envers mon frère on tâche à me noircir…

ORGON

Hélas !

TARTUFFE

Le seul penser14 de cette ingratitude

Fait souffrir à mon âme un supplice si rude…

L’horreur que j’en conçois… J’ai le cœur si serré

Que je ne puis parler et crois que j’en mourrai.

ORGON, il court tout en larmes à la porte par où il a chassé son fils.

Coquin ! je me repens que ma main t’ait fait grâce,

Et ne t’ait pas d’abord assommé sur la place.

Remettez-vous, mon frère, et ne vous fâchez pas.

TARTUFFE

Rompons, rompons le cours de ces fâcheux débats.

Je regarde céans quels grands troubles j’apporte

Et crois qu’il est besoin, mon frère, que j’en sorte.

ORGON

Comment ? Vous moquez-vous ?

TARTUFFE

On m’y hait, et je voi15

Qu’on cherche à vous donner des soupçons de ma foi.

ORGON

Qu’importe ! Voyez-vous que mon cœur les écoute ?

TARTUFFE

On ne manquera pas de poursuivre, sans doute ;

Et ces mêmes rapports, qu’ici vous rejetez,

Peut-être une autre fois seront-ils écoutés.

ORGON

Non, mon frère, jamais.

TARTUFFE

Ah ! mon frère, une femme

Aisément d’un mari peut bien surprendre16 l’âme.

ORGON

Non, non.

TARTUFFE

Laissez-moi vite, en m’éloignant d’ici,

Leur ôter tout sujet de m’attaquer ainsi.

ORGON

Non, vous demeurerez, il y va de ma vie.

TARTUFFE

Hé bien, il faudra donc que je me mortifie.

Pourtant, si vous vouliez…

ORGON

Ah !

TARTUFFE

Soit, n’en parlons plus.

Mais je sais comme il faut en user là-dessus.

L’honneur est délicat, et l’amitié m’engage

À prévenir les bruits et les sujets d’ombrage :

Je fuirai votre épouse et vous ne me verrez…

ORGON

Non, en dépit de tous, vous la fréquenterez.

Faire enrager le monde est ma plus grande joie,

Et je veux qu’à toute heure avec elle on vous voie.

Ce n’est pas tout encor : pour les mieux braver tous,

Je ne veux pas avoir d’autre héritier que vous,

Et je vais de ce pas, en fort bonne manière,

Vous faire de mon bien donation entière.

Un bon et franc ami, que pour gendre je prends,

M’est bien plus cher que fils, que femme, et que parents.

N’accepterez-vous pas ce que je vous propose ?

TARTUFFE

La volonté du Ciel soit faite en toute chose !

ORGON

Le pauvre homme ! Allons vite en dresser un écrit,

Et que puisse l’envie17 en crever de dépit !

 

  1. Confondre : dénoncer.

  2. Une voie à : le moyen de.

  3. La grâce où je m’engage : le pardon que je promets.

  4. Cagoterie : hypocrisie.

  5. Que je me croie : que j’en fasse à ma tête.

  6. Vuider : vider, régler.

  7. Abord : arrivée.

  8. Caresses : marques d’amitié.

  9. Flatter : favoriser.

10. Je tiens que : je crois fermement que.

11. Traverser : troubler.

12. Séduiront : tromperont.

13. Laissez-le en paix : le e s’élide : «laissez-l(e) en paix » (usage classique).

14. Penser : pensée (vieux, très usité en poésie, pour éviter le e muet de pensée).

15. Je voi : je vois (ancienne orthographe étymologique et licence poétique qui permet de respecter la rime pour l’œil).

16. Surprendre : tromper.

17. L’envie : les envieux.

Le Tartuffe ou l’Imposteur

Clefs d’analyse

Acte III, scènes 6 et 7.

Compréhension :

La défense de Tartuffe (scène 6)

• Relever dans les propos de Tartuffe le champ lexical de la pénitence et de la confession.

• Relever les passages où Tartuffe dit la vérité sur lui-même.

Orgon dupe de Tartuffe (scène 7)

• Étudier la progression qui mène Tartuffe du désir simulé de partir à la soumission hypocrite aux ordres d’Orgon.

Réflexion

L’autocritique de Tartuffe (scènes 6 et 7)

• Montrer comment la situation qui était désespérée se retourne au profit de Tartuffe.

• Montrer par quels procédés Tartuffe arrive paradoxalement à se faire passer pour innocent en mettant en avant sa culpabilité. Comment la vérité sert la cause du mensonge.

Orgon subjugué (scène 7)

• Montrer par quel chantage Tartuffe tient Orgon sous sa volonté.

• Étudier comment Orgon, homme colérique, aggrave, de façon comique et inquiétante, la situation.

À retenir :

Ces deux scènes constituent un retournement de situation spectaculaire. Tartuffe, pris en flagrant délit, se disculpe non en niant – ce qui serait difficile devant deux témoins – mais au contraire en abondant dans le sens de ses accusateurs. Le procédé est bien connu des psychologues et des politiciens. Il« coupe l’herbe sous le pied» des attaquants tout en donnant une apparence de repentir sincère à celui qui l’emploie. Cette attitude vient renforcer le caractère cynique et opportuniste deTartuffe qui sait saisir l’occasion au moment où elle se présente avec une absence de scrupule machiavélique. Parailleurs, cette réaction surprenante donne un grand dynamisme à la fin de l’acte III. Le spectateur n’a pas le temps de souffler.

Le Tartuffe ou l’Imposteur

Synthèse

Acte III

Tartuffe se déclare

Personnages

L’entrée en scène retardée de Tartuffe

L’entrée en scène de Tartuffe vient combler une longue attente. C’est le personnage principal ; depuis le début de la pièce, il est question de lui dans toutes les conversations et le spectateur sait déjà à qui il a affaire. Il est tel qu’on l’attendait, à la hauteur de sa réputation, et les signes hyperboliques de dévotion qu’il donne parce qu’il aperçoit Dorine font sourire (la haire et la discipline sont des instruments qui évoquent les mortifications les plus sévères). Mais Tartuffe l’imposteur laisse apercevoir sa faiblesse. Ce soi-disant ascète est un personnage libidineux, il frémit à l’évocation du sein de Dorine et l’attirance qu’il éprouve pour la personne d’Elmire le pousse à se révéler. Le dévot n’est pas un froid calculateur, mais un homme sensuel sujet aux emportements. Devant Elmire, son manque de perspicacité le perd. En face de lui, celle-ci se comporte en honnête femme et se montre habile. N’hésitant pas à lui proposer un chantage, elle est sur le point d’obtenir que Tartuffe renonce à Mariane.

Langage

Éloquence et comique

La déclaration de Tartuffe est un morceau d’éloquence qui mérite que l’on s’y arrête. Il s’inscrit dans une tradition littéraire, philosophique et religieuse, mêlant le vocabulaire poétique conventionnel au vocabulaire galant. Les discours qu’il tient sont tout à fait ceux d’un homme du monde et sentent leur homme d’esprit. En effet, l’amour à cette époque s’exprimait de cette manière précieuse. Détournant le langage de la religion, il affirme que la beauté de la créature est un reflet de Dieu et un chemin vers Lui. Reprenant la tradition littéraire, il fait de la femme une déesse.

Le comique dans cet acte prend toutes les formes. Comique de mots, puisque Tartuffe fait appel au vocabulaire de la dévotion pour nourrir la galanterie. Comique de caractère : le dévot amoureux fait rire parce qu’il est prisonnier de son rôle, d’autant plus qu’Elmire feint longtemps de ne pas comprendre la déclaration qui lui est adressée. Comique de geste : Tartuffe « serre trop » Elmire et ses mains s’égarent. Comique de situation enfin : les retournements brusques se succèdent et Tartuffe va jusqu’à s’accuser de tous les crimes, pour mieux persuader Orgon de son innocence.

Société

L’honnêteté

Elmire est le parangon de l’honnête femme. Le mot « honnête » ne représente pas ici un jugement moral, il indique seulement qu’Elmire se situe dans une élite mondaine où règnent certaines mœurs et où s’imposent certains codes. L’honnêteté est l’idéal social du XVIIe siècle ; il est lié à la notion de rang et de convenances, il est fondé sur l’acceptation de l’ordre social et familial. En ne dénonçant pas Tartuffe, Elmire ne se montre pas du tout désinvolte, elle se comporte selon les codes de sa classe. Son honnêteté se rit des déclarations déplacées et elle sait qu’elle ne doit pas troubler les oreilles de son mari avec cela. Quelques années plus tôt, on a critiqué le roman de Mme de Lafayette, La Princesse de Clèves, parce que l’héroïne confiait le secret de son amour contrarié à son mari. On a condamné l’aveu, considéré comme une erreur de conduite, plus durement que la passion éprouvée.

Le Tartuffe ou l’Imposteur

ACTE IV

Scène 1

CLÉANTE, TARTUFFE.

CLÉANTE

Oui, tout le monde en parle et, vous m’en pouvez croire,

L’éclat1 que fait ce bruit2 n’est point à votre gloire ;

Et je vous ai trouvé, Monsieur, fort à propos

Pour vous en dire net ma pensée en deux mots.

Je n’examine point à fond ce qu’on expose ;

Je passe là-dessus et prends au pis la chose.

Supposons que Damis n’en ait pas bien usé,

Et que ce soit à tort qu’on vous ait accusé :

N’est-il pas d’un chrétien de pardonner l’offense

Et d’éteindre en son cœur tout désir de vengeance ?

Et devez-vous souffrir, pour3 votre démêlé,

Que du logis d’un père un fils soit exilé ?

Je vous le dis encore et parle avec franchise,

Il n’est petit ni grand qui ne s’en scandalise ;

Et, si vous m’en croyez, vous pacifierez tout

Et ne pousserez point les affaires à bout.

Sacrifiez à Dieu toute votre colère,

Et remettez le fils en grâce avec le père.

TARTUFFE

Hélas ! je le voudrais, quant à moi, de bon cœur :

Je ne garde pour lui, Monsieur, aucune aigreur ;

Je lui pardonne tout, de rien je ne le blâme

Et voudrais le servir du meilleur de mon âme ;

Mais l’intérêt du Ciel n’y saurait consentir,

Et, s’il rentre céans, c’est à moi d’en sortir.

Après son action, qui n’eut jamais d’égale,

Le commerce4 entre nous porterait du scandale :

Dieu sait ce que d’abord tout le monde en croirait ;

À pure politique on me l’imputerait,

Et l’on dirait partout que, me sentant coupable,

Je feins pour qui m’accuse un zèle charitable5 ;

Que mon cœur l’appréhende et veut le ménager

Pour le pouvoir sous main au silence engager6.

CLÉANTE

Vous nous payez ici d’excuses colorées,

Et toutes vos raisons, Monsieur, sont trop tirées7 ;

Des intérêts du Ciel pourquoi vous chargez-vous ?

Pour punir le coupable a-t-il besoin de nous ?

Laissez-lui, laissez-lui le soin de ses vengeances,

Ne songez qu’au pardon qu’il prescrit des offenses,

Et ne regardez point aux jugements humains

Quand vous suivez du Ciel les ordres souverains.

Quoi ! le faible intérêt de ce qu’on pourra croire8

D’une bonne action empêchera la gloire ?

Non, non : faisons toujours ce que le Ciel prescrit,

Et d’aucun autre soin ne nous brouillons l’esprit.

TARTUFFE

Je vous ai déjà dit que mon cœur lui pardonne,

Et c’est faire, Monsieur, ce que le Ciel ordonne ;

Mais après le scandale et l’affront d’aujourd’hui,

Le Ciel n’ordonne pas que je vive avec lui.

CLÉANTE

Et vous ordonne-t-il, Monsieur, d’ouvrir l’oreille

À ce qu’un pur caprice à son père conseille,

Et d’accepter le don qui vous est fait d’un bien

9 le droit vous oblige à ne prétendre rien ?

TARTUFFE

Ceux qui me connaîtront n’auront pas la pensée

Que ce soit un effet d’une âme intéressée.

Tous les biens de ce monde ont pour moi peu d’appas,

De leur éclat trompeur je ne m’éblouis pas ;

Et si je me résous à recevoir du père

Cette donation qu’il a voulu me faire,

Ce n’est, à dire vrai, que parce que je crains

Que tout ce bien ne tombe en de méchantes mains,

Qu’il ne trouve des gens qui, l’ayant en partage,

En fassent dans le monde un criminel usage,

Et ne s’en servent pas, ainsi que j’ai dessein,

Pour la gloire du Ciel et le bien du prochain.

CLÉANTE

Hé, Monsieur, n’ayez point ces délicates10 craintes,

Qui d’un juste héritier peuvent causer les plaintes ;

Souffrez, sans vous vouloir embarrasser de rien,

Qu’il soit à ses périls possesseur de son bien ;

Et songez qu’il vaut mieux encor qu’il en mésuse,

Que si de l’en frustrer il faut qu’on vous accuse.

J’admire11 seulement que sans confusion

Vous en ayez souffert la proposition ;

Car enfin le vrai zèle a-t-il quelque maxime

Qui montre à dépouiller l’héritier légitime ?

Et s’il faut que le Ciel dans votre cœur ait mis

Un invincible obstacle à vivre avec Damis,

Ne vaudrait-il pas mieux qu’en personne discrète

Vous fissiez de céans une honnête retraite,

Que de souffrir ainsi, contre toute raison,

Qu’on en chasse pour vous le fils de la maison ?

Croyez-moi, c’est donner de votre prud’homie12,

Monsieur…

TARTUFFE

Il est, Monsieur, trois heures et demie :

Certain devoir pieux me demande là-haut,

Et vous m’excuserez de vous quitter sitôt.

CLÉANTE

Ah !

Scène 2

ELMIRE, MARIANE, DORINE, CLÉANTE.

DORINE

De grâce, avec nous employez-vous pour elle,

Monsieur : son âme souffre une douleur mortelle ;

Et l’accord que son père a conclu pour ce soir

La fait, à tous moments, entrer en désespoir.

Il va venir. Joignons nos efforts, je vous prie,

Et tâchons d’ébranler, de force ou d’industrie13,

Ce malheureux dessein qui nous a tous troublés.

Scène 3

ORGON, ELMIRE, MARIANE, CLÉANTE, DORINE.

ORGON

Ha ! je me réjouis de vous voir assemblés :

(À Mariane.)

Je porte en ce contrat14 de quoi vous faire rire,

Et vous savez déjà ce que cela veut dire.

MARIANE, à genoux.

Mon père, au nom du Ciel, qui connaît ma douleur,

Et par tout ce qui peut émouvoir votre cœur,

Relâchez-vous un peu des droits de la naissance15,

Et dispensez mes vœux16 de cette obéissance ;

Ne me réduisez point par cette dure loi

Jusqu’à me plaindre au Ciel de ce que je vous doi17,

Et cette vie, hélas ! que vous m’avez donnée,

Ne me la rendez pas, mon père, infortunée.

Si, contre un doux espoir que j’avais pu former,

Vous me défendez d’être à ce18 que j’ose aimer,

Au moins, par vos bontés, qu’à vos genoux j’implore,

Sauvez-moi du tourment d’être à ce que j’abhorre,

Et ne me portez point à quelque désespoir,

En vous servant sur moi de tout votre pouvoir.

ORGON, se sentant attendrir.

Allons, ferme, mon cœur, point de faiblesse humaine.

MARIANE

Vos tendresses pour lui ne me font point de peine ;

Faites-les éclater, donnez-lui votre bien,

Et, si ce n’est assez, joignez-y tout le mien :

J’y consens de bon cœur, et je vous l’abandonne ;

Mais au moins n’allez pas jusques à ma personne,

Et souffrez qu’un convent19 dans les austérités

Use les tristes jours que le Ciel m’a comptés.

ORGON

Ah ! voilà justement de mes religieuses,

Lorsqu’un père combat leurs flammes amoureuses !

Debout ! Plus votre cœur répugne à l’accepter,

Plus ce sera pour vous matière à mériter20 :

Mortifiez vos sens avec ce mariage,

Et ne me rompez pas la tête davantage.

DORINE

Mais quoi... ?

ORGON

Taisez-vous, vous ; parlez à votre écot21;

Je vous défends tout net d’oser dire un seul mot.

CLÉANTE

Si par quelque conseil vous souffrez qu’on réponde...

ORGON

Mon frère, vos conseils sont les meilleurs du monde,

Ils sont bien raisonnés, et j’en fais un grand cas ;

Mais vous trouverez bon que je n’en use pas.

ELMIRE, à son mari.

À voir ce que je vois, je ne sais plus que dire,

Et votre aveuglement fait que je vous admire :

C’est être bien coiffé, bien prévenu de lui22,

Que de nous démentir sur le fait d’aujourd’hui.

ORGON

Je suis votre valet, et crois les apparences.

Pour mon fripon de fils je sais vos complaisances

Et vous avez eu peur de le désavouer

Du trait23 qu’à ce pauvre homme il a voulu jouer ;

Vous étiez trop tranquille enfin pour être crue

Et vous auriez paru d’autre manière émue.

ELMIRE

Est-ce qu’au simple aveu d’un amoureux transport

Il faut que notre honneur se gendarme si fort ?

Et ne peut-on répondre à tout ce qui le touche

Que le feu dans les yeux et l’injure à la bouche ?

Pour moi, de tels propos je me ris simplement,

Et l’éclat là-dessus ne me plaît nullement ;

J’aime qu’avec douceur nous nous montrions sages,

Et ne suis point du tout pour ces prudes sauvages

Dont l’honneur est armé de griffes et de dents,

Et veut au moindre mot dévisager24 les gens :

Me préserve le Ciel d’une telle sagesse !

Je veux une vertu qui ne soit point diablesse,

Et crois que d’un refus la discrète froideur

N’en est pas moins puissante à rebuter un cœur.

ORGON

Enfin je sais l’affaire et ne prends point le change25.

ELMIRE

J’admire, encore un coup, cette faiblesse étrange.

Mais que me répondrait votre incrédulité

Si je vous faisais voir qu’on vous dit vérité ?

ORGON

Voir ?

ELMIRE

Oui.

ORGON

Chansons.

ELMIRE

Mais quoi ? si je trouvais manière

De vous le faire voir avec pleine lumière ?

ORGON

Contes en l’air.

ELMIRE

Quel homme ! Au moins répondez-moi.

Je ne vous parle pas de nous ajouter foi ;

Mais supposons ici que, d’un lieu qu’on peut prendre,

On vous fît clairement tout voir et tout entendre,

Que diriez-vous alors de votre homme de bien ?

ORGON

En ce cas, je dirais que… Je ne dirais rien,

Car cela ne se peut.

ELMIRE

L’erreur trop longtemps dure,

Et c’est trop condamner ma bouche26 d’imposture.

Il faut que par plaisir27, et sans aller plus loin,

De tout ce qu’on vous dit je vous fasse témoin.

ORGON

Soit : je vous prends au mot. Nous verrons votre adresse,

Et comment vous pourrez remplir cette promesse.

ELMIRE

Faites-le moi venir.

DORINE

Son esprit est rusé,

Et peut-être à surprendre il sera malaisé.

ELMIRE

Non ; on est aisément dupé par ce qu’on aime.

Et l’amour-propre engage à se tromper soi-même.

Faites-le moi descendre.

(Parlant à Cléante età Mariane.)

Et vous, retirez-vous.

Scène 4

ELMIRE, ORGON.

ELMIRE

Approchons cette table, et vous mettez dessous.

ORGON

Comment ?

ELMIRE

Vous bien cacher est un point nécessaire.

ORGON

Pourquoi sous cette table ?

ELMIRE

Ah, mon Dieu ! laissez faire :

J’ai mon dessein en tête, et vous en jugerez.

Mettez-vous là, vous dis-je ; et quand vous y serez,

Gardez28 qu’on ne vous voie et qu’on ne vous entende.

ORGON

Je confesse qu’ici ma complaisance est grande ;

Mais de votre entreprise il vous faut voir sortir.

ELMIRE

Vous n’aurez, que je crois29, rien à me repartir.

(À son mari qui est sous la table.)

Au moins, je vais toucher une étrange matière30 :

Ne vous scandalisez en aucune manière.

Quoi que je puisse dire, il31 doit m’être permis,

Et c’est pour vous convaincre, ainsi que j’ai promis.

Je vais par des douceurs, puisque j’y suis réduite,

Faire poser le masque à cette âme hypocrite,

Flatter de son amour les désirs effrontés,

Et donner un champ libre à ses témérités.

Comme c’est pour vous seul, et pour mieux le confondre,

Que mon âme à ses vœux va feindre de répondre,

J’aurai lieu de cesser dès que vous vous rendrez32,

Et les choses n’iront que jusqu’où vous voudrez.

C’est à vous d’arrêter son ardeur insensée,

Quand vous croirez l’affaire assez avant poussée,

D’épargner votre femme, et de ne m’exposer

Qu’à ce qu’il vous faudra pour vous désabuser :

Ce sont vos intérêts ; vous en serez le maître,

Et… L’on vient. Tenez-vous, et gardez de paraître.

 

  1. L’léclat : le scandale.

  2. Bruit : querelle.

  3. Pour : à cause de.

  4. Le commerce : les relations.

  5. Charitable : fondé sur la charité chrétienne.

  6. Pour… engager : pour pouvoir, en sous main, l’engager au silence.

  7. Tirées : tirées par les cheveux (familier).

  8. Le faible… croire : le souci mesquin de l’opinion publique.

  9. Où : sur lequel.

10. Délicates : excessivement scrupuleuses (ironique).

11. J’admire : je m’étonne.

12. Prud’homie : probité, honnêteté.

13. D’industrie : par adresse, par ruse.

14. En ce contrat : le contrat de mariage de Mariane et Tartuffe.

15. Droits de la naissance : autorité paternelle.

16. Mes vœux : mon inclination pour Valère.

17. Je vous doi : je vous dois (ancienne orthographe étymologique et licence poétique qui permet de respecter la rime pour l’œil).

18. Ce : celui.

19. Convent : couvent (ancienne orthographe étymologique).

20. Mériter : gagner des mérites en vue du bonheur éternel (terme religieux).

21. Parlez à votre écot : mêlez-vous de vos affaires.

22. De lui : en sa faveur.

23. Trait : mauvais tour.

24. Dévisager : défigurer.

25. Prendre le change : suivre une fausse piste, se tromper.

26. Condamner ma bouche : accuser mes propos.

27. Par plaisir : pour le mettre à l’épreuve.

28. Gardez : évitez.

29. Que je crois : à ce que je crois.

30. Matière : sujet.

31. Il : cela.

32. Vous vous rendrez : vous serez convaincu.

Le Tartuffe ou l’Imposteur

Clefs d’analyse

Acte IV, scène 3.

Compréhension

Une famille déchirée

• Relever les mots et expressions qui traduisent la dureté de cœur et l’intransigeance aveugle d’Orgon face à sa famille.

• Remarquer l’ordre dans lequel les membres de la famille s’adressent à Orgon et observer la longueur des répliques. Qu’en conclure quant à l’influence de chacun sur Orgon ?

• Relever le champ lexical de la supplication dans les deux répliques de Mariane.

• Examiner le vocabulaire de la juste mesure et de la dignité dans les propos d’Elmire.

Explication

La supplique de Mariane

• Montrer que Mariane reste jusqu’au bout respectueuse envers son père.

• Montrer que l’intervention de Mariane a des intonations tragiques. L’opposer au désespoir feint de Tartuffe (III, 7).

Une épouse honnête

• Exposer en quoi le point de vue d’Elmire, qui prône la discretion, n’a rien de commun avec l’apologie de l’hypocrisie selon Tartuffe (III, 3).

Un père inflexible

• Montrer ce qu’a d’insupportable, et même de sadique, l’attitude d’Orgon face à sa fille.

À retenir :

Le conflit se radicalise. La question du mariage de Mariane qui semblait écartée après la déclaration de Tartuffe à Elmire est au contraire plus présente que jamais. Orgon n’évolue que dans le sens du pire. L’influence de Tartuffe est ici à son comble : il subjugue le père, il a fait chasser le fils, il courtise la femme et va épouser la fille. Seule Elmire se trouve encore en situation de lutter.

Le Tartuffe ou l’Imposteur

Scène 5

TARTUFFE, ELMIRE, ORGON

TARTUFFE

On m’a dit qu’en ce lieu vous me vouliez parler.

ELMIRE

Oui. L’on a des secrets à vous y révéler.

Mais tirez cette porte avant qu’on vous les dise,

Et regardez partout de crainte de surprise.

Une affaire pareille à celle de tantôt

N’est pas assurément ici ce qu’il nous faut.

Jamais il ne s’est vu de surprise de même1 ;

Damis m’a fait pour vous une frayeur extrême,

Et vous avez bien vu que j’ai fait mes efforts

Pour rompre son dessein et calmer ses transports.

Mon trouble, il est bien vrai, m’a si fort possédée,

Que de le démentir je n’ai point eu l’idée ;

Mais par là, grâce au Ciel, tout a bien mieux été,

Et les choses en sont dans plus de sûreté.

L’estime où l’on vous tient a dissipé l’orage,

Et mon mari de vous ne peut prendre d’ombrage.

Pour mieux braver l’éclat des mauvais jugements,

Il veut que nous soyons ensemble à tous moments ;

Et c’est par où2 je puis, sans peur d’être blâmée,

Me trouver ici seule avec vous enfermée,

Et ce qui m’autorise à vous ouvrir un cœur

Un peu trop prompt peut-être à souffrir votre ardeur.

TARTUFFE

Ce langage à comprendre est assez difficile,

Madame, et vous parliez tantôt d’un autre style.

ELMIRE

Ah ! si d’un tel refus vous êtes en courroux,

Que le cœur d’une femme est mal connu de vous !

Et que vous savez peu ce qu’il veut faire entendre

Lorsque si faiblement on le voit se défendre !

Toujours notre pudeur combat dans ces moments

Ce qu’on peut nous donner de tendres sentiments3.

Quelque raison qu’on trouve à l’amour qui nous dompte,

On trouve à l’avouer toujours un peu de honte ;

On s’en défend d’abord ; mais de l’air qu’on s’y prend

On fait connaître assez que notre cœur se rend,

Qu’à nos vœux par honneur notre bouche s’oppose,

Et que de tels refus promettent toute chose.

C’est vous faire sans doute un assez libre aveu,

Et sur notre pudeur me ménager bien peu4 ;

Mais puisque la parole enfin en est lâchée,

À retenir Damis me serais-je attachée,

Aurais-je, je vous prie, avec tant de douceur

Écouté tout au long l’offre de votre cœur,

Aurais-je pris la chose ainsi qu’on m’a vu faire,

Si l’offre de ce cœur n’eût eu de quoi me plaire ?

Et lorsque j’ai voulu moi-même vous forcer

À refuser l’hymen qu’on venait d’annoncer,

Qu’est-ce que cette instance a dû vous faire entendre,

Que5 l’intérêt qu’en vous on s’avise de prendre,

Et l’ennui qu’on aurait que ce nœud qu’on résout6

Vînt partager du moins un cœur que l’on veut tout7 ?

TARTUFFE

C’est sans doute, Madame, une douceur extrême

Que d’entendre ces mots d’une bouche qu’on aime :

Leur miel dans tous mes sens fait couler à longs traits

Une suavité qu’on ne goûta jamais.

Le bonheur de vous plaire est ma suprême étude,

Et mon cœur de vos vœux fait sa béatitude8 ;

Mais ce cœur vous demande ici la liberté

D’oser douter un peu de sa félicité.

Je puis croire ces mots un artifice honnête

Pour m’obliger à rompre un hymen qui s’apprête ;

Et s’il faut librement m’expliquer avec vous,

Je ne me fierai point à des propos si doux,

Qu’un peu9 de vos faveurs, après quoi je soupire,

Ne vienne m’assurer tout ce qu’ils m’ont pu dire,

Et planter dans mon âme une constante foi

Des charmantes bontés que vous avez pour moi.

ELMIRE. (Elle tousse pour avertir son mari.)

Quoi ? vous voulez aller avec cette vitesse,

Et d’un cœur tout d’abord épuiser la tendresse ?

On se tue à vous faire un aveu des plus doux ;

Cependant ce n’est pas encore assez pour vous,

Et l’on ne peut aller jusqu’à vous satisfaire,

Qu’aux10 dernières faveurs on ne pousse l’affaire ?

TARTUFFE

Moins on mérite un bien, moins on l’ose espérer.

Nos vœux sur des discours ont peine à s’assurer.

On soupçonne11 aisément un sort tout plein de gloire,

Et l’on veut en jouir avant que de le croire.

Pour moi, qui crois si peu mériter vos bontés,

Je doute du bonheur de mes témérités ;

Et je ne croirai rien, que vous n’ayez, Madame,

Par des réalités12 su convaincre ma flamme.

ELMIRE

Mon Dieu, que votre amour en vrai tyran agit,

Et qu’en un trouble étrange il me jette l’esprit !

Que sur les cœurs il prend un furieux empire,

Et qu’avec violence il veut ce qu’il désire !

Quoi ? de votre poursuite on ne peut se parer13,

Et vous ne donnez pas le temps de respirer ?

Sied-il bien de tenir une rigueur si grande,

De vouloir sans quartier14 les choses qu’on demande,

Et d’abuser ainsi par vos efforts pressants

Du faible que pour vous vous voyez qu’ont les gens ?

TARTUFFE

Mais si d’un œil bénin vous voyez mes hommages,

Pourquoi m’en refuser d’assurés témoignages ?

ELMIRE

Mais comment consentir à ce que vous voulez,

Sans offenser le Ciel, dont toujours vous parlez ?

TARTUFFE

Si ce n’est que le Ciel qu’à mes vœux on oppose,

Lever un tel obstacle est à15 moi peu de chose,

Et cela ne doit pas retenir votre cœur.

ELMIRE

Mais des arrêts du Ciel on nous fait tant de peur !

TARTUFFE

Je puis vous dissiper ces craintes ridicules,

Madame, et je sais l’art de lever les scrupules.

Le Ciel défend, de vrai, certains contentements ;

(C’est un scélérat qui parle.)

Mais on trouve avec lui des accommodements ;

Selon divers besoins, il est une science

D’étendre les liens de notre conscience

Et de rectifier le mal de l’action

Avec la pureté de notre intention.

De ces secrets, Madame, on saura vous instruire ;

Vous n’avez seulement qu’à vous laisser conduire.

Contentez mon désir, et n’ayez point d’effroi :

Je vous réponds de tout, et prends le mal sur moi.

Vous toussez fort, Madame.

ELMIRE

Oui, je suis au supplice.

TARTUFFE

Vous plaît-il un morceau de ce jus de réglisse ?

ELMIRE

C’est un rhume obstiné, sans doute et je vois bien

Que tous les jus du monde ici ne feront rien.

TARTUFFE

Cela certe16 est fâcheux.

ELMIRE

Oui, plus qu’on ne peut dire.

TARTUFFE

Enfin votre scrupule est facile à détruire :

Vous êtes assurée ici d’un plein secret,

Et le mal n’est jamais que dans l’éclat qu’on fait ;

Le scandale du monde est ce qui fait l’offense,

Et ce n’est pas pécher que pécher en silence.

ELMIRE, après avoir encore toussé.

Enfin je vois qu’il faut se résoudre à céder,

Qu’il faut que je consente à vous tout accorder,

Et qu’à moins de cela je ne dois point prétendre

Qu’on puisse être content, et qu’on veuille se rendre.

Sans doute il est fâcheux d’en venir jusque-là,

Et c’est bien malgré moi que je franchis cela ;

Mais puisque l’on s’obstine à m’y vouloir réduire,

Puisqu’on ne veut point croire à tout ce qu’on peut dire,

Et qu’on veut des témoins qui soient plus convaincants,

Il faut bien s’y résoudre, et contenter les gens.

Si ce consentement porte en soi quelque offense,

Tant pis pour qui me force à cette violence ;

La faute assurément n’en doit pas être à moi.

TARTUFFE

Oui, Madame, on s’en charge ; et la chose de soi…

ELMIRE

Ouvrez un peu la porte, et voyez, je vous prie,

Si mon mari n’est point dans cette galerie.

TARTUFFE

Qu’est-il besoin pour lui du soin que vous prenez ?

C’est un homme, entre nous, à mener par le nez ;

De tous nos entretiens il est pour faire gloire17,

Et je l’ai mis au point de voir tout sans rien croire.

ELMIRE

Il n’importe : sortez, je vous prie, un moment,

Et partout là dehors voyez exactement.

Scène 6

ORGON, ELMIRE.

ORGON, sortant de dessous la table.

Voilà, je vous l’avoue, un abominable homme !

Je n’en puis revenir, et tout ceci m’assomme18.

ELMIRE

Quoi ? vous sortez si tôt ? vous vous moquez des gens.

Rentrez sous le tapis, il n’est pas encor temps ;

 

  1. De même : pareille.

  2. Par où : pourquoi.

  3. Ce qu’on… sentiments : les tendres sentiments qu’on peut nous inspirer.

  4. Et sur… bien peu : c’est montrer bien peu de pudeur.

  5. Que : si ce n’est.

  6. Ce nœud qu’on résout : ce mariage qu’on décide.

  7. Tout : tout entier.

  8. Beatitude : bonheur promis par Dieu (terme religieux, comme félicité).

  9. Qu’un peu : à moins que.

10. Qu’aux : à moins que.

11. Soupçonne : met en doute.

12. Des réalités : la réalisation concrète du désir.

13. Se parer : se garder, se protéger (terme d’escrime).

14. Sans quartier : sans faire grâce de rien.

15. À: pour.

16. Certe : certes (orthographe archaïsante acceptée en poésie qui permet de ne pas compter le e muet de « certes »).

17. Il est pour faire gloire : il est homme à se vanter.

18. M’assomme : m’accable.

Le Tartuffe ou l’Imposteur

Clefs d’analyse

Acte IV, scène 5.

Compréhension

Elmire hypocrite pour la bonne cause

• Relever les vers où elle joue le rôle de la femme séduite.

• Relever parmi ses arguments ceux qui semblent aller dans le sens de l’hypocrisie.

Tartuffe casuiste, manipulateur de la religion

• Relever les passages où Tartuffe expose comment on peut composer avec le Ciel.

Explication

Elmire, femme d’initiative

• Étudier les moyens qu’Elmire utilise pour tromper Tartuffe. Montrer en quoi ils sont audacieux.

• Montrer que ses propos s’adressent autant à Orgon qu’à Tartuffe.

L’imposteur pris au piège

• Montrer que si Orgon comprend enfin qui est le vrai Tartuffe, c’est parce que ce dernier ne joue plus double jeu.

À retenir :

Au théâtre, les acteurs s’adressent autant aux spectateurs qu’aux autres acteurs. Dans cette scène, cette double communication est encore compliquée par la présence d’Orgon caché sous la table. Elmire souligne ses propos à l’attention d’Orgon en toussant car ils sont destinés à lui rendre sa lucidité au sujet de Tartuffe. Les paroles d’Elmire sont donc souvent à double sens. Tartuffe croit rassurer Elmire alors qu’il ne fait que se trahir lui-même aux yeux d’Orgon. Cette scène, la plus forte de la pièce, avait de quoi choquer les bienséances du XVIIe siècle par les propositions directes qu’y formule Tartuffe et par la position ridicule dans laquelle se trouve Orgon, le mari bafoué. (Au XVIIe siècle, on est encore loin du théâtre de boulevard comme Labiche ou Feydeau le pratiqueront à la fin du XIXe siècle.)

Le Tartuffe ou l’Imposteur

Attendez jusqu’au bout pour voir les choses sûres,

Et ne vous fiez point aux simples conjectures.

ORGON

Non, rien de plus méchant n’est sorti de l’enfer.

ELMIRE

Mon Dieu ! l’on ne doit point croire trop de léger1.

Laissez-vous bien convaincre avant que de vous rendre,

Et ne vous hâtez point, de peur de vous méprendre.

(Elle fait mettre son mari derrière elle.)

Scène 7

TARTUFFE, ELMIRE, ORGON.

TARTUFFE

Tout conspire, Madame, à mon contentement :

J’ai visité de l’œil tout cet appartement ;

Personne ne s’y trouve ; et mon âme ravie…

ORGON, en l’arrêtant.

Tout doux ! vous suivez trop votre amoureuse envie,

Et vous ne devez pas vous tant passionner.

Ah ! ah ! l’homme de bien, vous m’en voulez donner2 !

Comme aux tentations3 s’abandonne votre âme !

Vous épousiez ma fille, et convoitiez ma femme !

J’ai douté fort longtemps que ce fût tout de bon,

Et je croyais toujours qu’on changerait de ton ;

Mais c’est assez avant pousser le témoignage :

Je m’y tiens, et n’en veux, pour moi, pas davantage.

ELMIRE, à Tartuffe.

C’est contre mon humeur que j’ai fait tout ceci :

Mais on m’a mise au point de4 vous traiter ainsi.

TARTUFFE

Quoi ? vous croyez... ?

ORGON

Allons, point de bruit, je vous prie,

Dénichons5 de céans, et sans cérémonie.

TARTUFFE

Mon dessein…

ORGON

Ces discours ne sont plus de saison !

Il faut, tout sur-le-champ, sortir de la maison.

TARTUFFE

C’est à vous d’en sortir, vous qui parlez en maître :

La maison m’appartient, je le ferai connaître,

Et vous montrerai bien qu’en vain on a recours,

Pour me chercher querelle, à ces lâches détours,

Qu’on n’est pas où l’on pense6 en me faisant injure,

Que j’ai de quoi confondre et punir l’imposture,

Venger le Ciel qu’on blesse, et faire repentir

Ceux qui parlent ici de me faire sortir.

Scène 8

ELMIRE, ORGON

ELMIRE

Quel est donc ce langage ? et qu’est-ce qu’il veut dire ?

ORGON

Ma foi, je suis confus, et n’ai pas lieu de rire.

ELMIRE

Comment ?

ORGON

Je vois ma faute aux choses qu’il me dit,

Et la donation7 m’embarrasse l’esprit.

ELMIRE

La donation…

ORGON

Oui, c’est une affaire faite.

Mais j’ai quelque autre chose encor qui m’inquiète.

ELMIRE

Et quoi ?

ORGON

Vous saurez tout. Mais voyons au plus tôt

Si certaine cassette est encore là-haut.

 

1. De léger : à la légère.

2. Vous m’en voulez donner : vous voulez me tromper.

3. Tentations : prononcer en quatre syllabes (diérèse).

4. On m’a mise au point de : on m’a contrainte à.

5. Dénichons : allez-vous-en (tournure familière).

6. Où l’on pense : dans la position que l’on croit.

7. Donation : prononcer en quatre syllabes (en faisant la diérèse).

Le Tartuffe ou l’Imposteur

Synthèse

Acte IV

De la comédie au drame

Personnages

Tartuffe démasqué

Le désespoir vrai et touchant de Mariane s’exprime en vers lyriques qui évoquent les accents d’Iphigénie dans la pièce de Racine. Molière insiste sur la pureté d’Elmire. C’est elle qui prend l’initiative quand toutes les tentatives ont échoué. Rusée, elle est capable de jouer la coquette et de dresser un guet-apens. Elle sait flatter chez le faux dévot la sensualité et l’amour-propre. Tartuffe n’a jamais été aussi sûr de sa victoire qu’au moment où il se trahit. Tartuffe est démasqué, il a tenté de séduire la femme d’Orgon, il est pris sur le fait. Cependant il n’avoue jamais sa fausse dévotion et continue jusqu’à la fin de la pièce à se réclamer du Ciel. Orgon accepte de tendre un piège et de se cacher sous la table. Ce stratagème est nécessaire pour détromper la dupe de Tartuffe, car Orgon ne croit que ce qu’il voit et ce qu’il entend et n’accorde aucun crédit aux témoignages des membres de sa famille (comme fera Mme Pernelle dans l’acte V). On peut noter qu’Orgon met un certain temps à intervenir et ne quitte sa cachette que lorsque qu’il est directement mis en cause et que son protégé le traite de sot.

Langage

Le théâtre dans le théâtre

Du registre de la tragédie, la pièce revient au registre de la farce avec le mari caché sous la table pour surprendre le galant de sa femme. Il est en position d’écouter une conversation qui l’exclut. La situation de communication qui s’instaure alors est tout à fait remarquable. En effet, l’actrice qui incarne Elmire pour le public doit jouer une femme qui joue la comédie ; c’est une scène de théâtre dans le théâtre. C’est pour Orgon qu’elle joue la comédie de la coquetterie à Tartuffe. Ses paroles s’adressent à deux interlocuteurs différents pour lesquels les phrases prononcées n’ont pas le même sens. Quand elle tousse, c’est un signal qu’elle envoie à son mari, pour lui signifier que le jeu a assez duré. Le spectateur rit du comique de situation, il en sait plus que Tartuffe, il voit le piège se refermer sur le dévot qui, pour sa part, ne le soupçonne pas.

Société

La direction d’intention

Tartuffe sait mettre la théologie au service de ses desseins en pratiquant la casuistique (ou restriction mentale). Il explique à Elmire qu’il est passé maître dans l’art de « lever les scrupules » (scène 5). Il présente la dévotion comme un moyen de satisfaire ses besoins terrestres. On reconnaît la direction d’intention telle que Pascal l’expose dans Les Provinciales : « On peut jurer qu’on n’a pas fait une chose, quoiqu’on l’ait faite effectivement, en entendant en soi-même qu’on ne l’a pas faite un certain jour, ou avant qu’on fût né ou en sous-entendant quelque autre circonstance pareille. »

Dans la scène hardie entre Elmire et Tartuffe qui risque de choquer les bienséances, on peut dire qu’Elmire se livre à cette gymnastique mentale car, tout en opérant une séduction mensongère, elle affirme que son intention est totalement bonne. Elle multiplie les précautions oratoires, revendiquant plusieurs fois son innocence et rejetant toute la responsabilité sur Orgon. Ce faisant, elle lui impose d’assumer son rôle de père et de chef de famille.

Le Tartuffe ou l’Imposteur

ACTE V

Scène 1

ORGON, CLÉANTE

CLÉANTE

Où voulez-vous courir ?

ORGON

Las ! que sais-je ?

CLÉANTE

Il me semble

Que l’on doit commencer par consulter1 ensemble

Les choses qu’on peut faire en cet événement.

ORGON

Cette cassette-là me trouble entièrement ;

Plus que le reste encore elle me désespère.

CLÉANTE

Cette cassette est donc un important mystère ?

ORGON

C’est un dépôt qu’Argas, cet ami que je plains,

Lui-même, en grand secret, m’a mis entre les mains :

Pour cela, dans sa fuite, il me voulut élire2 ;

Et ce sont des papiers, à ce qu’il m’a pu dire,

Où sa vie et ses biens se trouvent attachés.

CLÉANTE

Pourquoi donc les avoir en d’autres mains lâchés ?

ORGON

Ce fut par un motif de cas de conscience :

J’allai droit à mon traître en faire confidence ;

Et son raisonnement me vint persuader

De lui donner plutôt la cassette à garder,

Afin que, pour nier, en cas de quelque enquête,

J’eusse d’un faux-fuyant la faveur toute prête,

Par où ma conscience eût pleine sûreté

À faire des serments contre la vérité.

CLÉANTE

Vous voilà mal, au moins si j’en crois l’apparence ;

Et la donation, et cette confidence,

Sont, à vous en parler selon mon sentiment,

Des démarches par vous faites légèrement.

On peut vous mener loin avec de pareils gages ;

Et cet homme sur vous ayant ces avantages,

Le pousser3 est encor grande imprudence à vous,

Et vous deviez4 chercher quelque biais plus doux.

ORGON

Quoi ? sous un beau semblant de ferveur si touchante

Cacher un cœur si double, une âme si méchante !

Et moi qui l’ai reçu gueusant5 et n’ayant rien…

C’en est fait, je renonce à tous les gens de bien :

J’en aurai désormais une horreur effroyable.

Et m’en vais devenir pour eux pire qu’un diable.

CLÉANTE

Hé bien ! ne voilà pas de vos emportements !

Vous ne gardez en rien les doux tempéraments6 ;

Dans la droite raison jamais n’entre la vôtre,

Et toujours d’un excès vous vous jetez dans l’autre.

Vous voyez votre erreur, et vous avez connu7

Que par un zèle feint vous étiez prévenu8 ;

Mais pour vous corriger, quelle raison demande

Que vous alliez passer dans une erreur plus grande,

Et qu’avecque le cœur d’un perfide vaurien

Vous confondiez les cœurs de tous les gens de bien ?

Quoi ? parce qu’un fripon vous dupe avec audace

Sous le pompeux éclat d’une austère grimace9,

Vous voulez que partout on soit fait comme lui,

Et qu’aucun vrai dévot ne se trouve aujourd’hui ?

Laissez aux libertins ces sottes conséquences ;

Démêlez la vertu d’avec ses apparences,

Ne hasardez jamais votre estime trop tôt,

Et soyez pour cela dans le milieu qu’il faut :

Gardez-vous, s’il se peut, d’honorer l’imposture,

Mais au vrai zèle aussi n’allez pas faire injure ;

Et s’il vous faut tomber dans une extrémité,

Péchez plutôt encor de cet autre côté.

Scène 2

DAMIS, ORGON, CLÉANTE.

DAMIS

Quoi ? mon père, est-il vrai qu’un coquin vous menace ?

Qu’il n’est point de bienfait qu’en son âme il n’efface,

Et que son lâche orgueil, trop digne de courroux,

Se fait de vos bontés des armes contre vous ?

ORGON

Oui, mon fils, et j’en sens des douleurs non pareilles.

DAMIS

Laissez-moi, je lui veux couper les deux oreilles ;

Contre son insolence on ne doit point gauchir10,

C’est à moi, tout d’un coup, de vous en affranchir,

Et pour sortir d’affaire, il faut que je l’assomme.

CLÉANTE

Voilà tout justement parler en vrai jeune homme.

Modérez, s’il vous plaît, ces transports éclatants :

Nous vivons sous un règne et sommes dans un temps

Où par la violence on fait mal ses affaires.

Scene 3

MADAME PERNELLE, MARIANE, ELMIRE, DORINE, DAMIS, ORGON, CLÉANTE.

MADAME PERNELLE

Qu’est-ce ? J’apprends ici de terribles mystères.

ORGON

Ce sont des nouveautés dont mes yeux sont témoins,

Et vous voyez le prix dont sont payés mes soins.

Je recueille avec zèle un homme en sa misère,

Je le loge, et le tiens comme mon propre frère ;

De bienfaits chaque jour il est par moi chargé ;

Je lui donne ma fille et tout le bien que j’ai ;

Et, dans le même temps, le perfide, l’infâme,

Tente le noir dessein de suborner11 ma femme,

Et non content encor de ces lâches essais,

Il m’ose menacer de mes propres bienfaits,

Et veut, à ma ruine, user des avantages

Dont le viennent d’armer mes bontés trop peu sages,

Me chasser de mes biens, où je l’ai transféré12,

Et me réduire au point d’où je l’ai retiré.

DORINE

Le pauvre homme !

MADAME PERNELLE

Mon fils, je ne puis du tout croire

Qu’il ait voulu commettre une action si noire.

ORGON

Comment ?

MADAME PERNELLE

Les gens de bien sont enviés toujours.

ORGON

Que voulez-vous donc dire avec votre discours,

Ma mère ?

MADAME PERNELLE

Que chez vous on vit d’étrange sorte,

Et qu’on ne sait que trop la haine qu’on lui porte.

ORGON

Qu’a cette haine à faire avec ce qu’on vous dit ?

MADAME PERNELLE

Je vous l’ai dit cent fois quand vous étiez petit :

La vertu dans le monde est toujours poursuivie ;

Les envieux mourront, mais non jamais l’envie.

ORGON

Mais que fait13 ce discours aux choses d’aujourd’hui ?

MADAME PERNELLE

On vous aura forgé cent sots contes de lui.

ORGON

Je vous ai déjà dit que j’ai vu tout moi-même.

MADAME PERNELLE

Des esprits médisants la malice est extrême.

ORGON

Vous me feriez damner, ma mère. Je vous di14

Que j’ai vu de mes yeux un crime si hardi.

MADAME PERNELLE

Les langues ont toujours du venin à répandre,

Et rien n’est ici-bas qui s’en puisse défendre.

ORGON

C’est tenir un propos de sens bien dépourvu.

Je l’ai vu, dis-je, vu, de mes propres yeux vu,

Ce qu’on appelle vu : faut-il vous le rebattre15

Aux oreilles cent fois, et crier comme quatre ?

MADAME PERNELLE

Mon Dieu, le plus souvent l’apparence déçoit16 :

Il ne faut pas toujours juger sur ce qu’on voit.

ORGON

J’enrage.

MADAME PERNELLE

Aux faux soupçons la nature est sujette,

Et c’est souvent à mal que le bien s’interprète.

ORGON

Je dois interpréter à charitable soin

Le désir d’embrasser ma femme ?

MADAME PERNELLE

Il est besoin,

Pour accuser les gens, d’avoir de justes causes ;

Et vous deviez attendre à17 vous voir sûr des choses.

ORGON

Hé, diantre ! le moyen de m’en assurer mieux ?

Je devais donc, ma mère, attendre qu’à mes yeux

Il eût... Vous me feriez dire quelque sottise.

MADAME PERNELLE

Enfin d’un trop pur zèle on voit son âme éprise ;

Et je ne puis du tout me mettre dans l’esprit

Qu’il ait voulu tenter les choses que l’on dit.

ORGON

Allez, je ne sais pas, si vous n’étiez ma mère,

Ce que je vous dirais, tant je suis en colère.

DORINE

Juste retour, Monsieur, des choses d’ici-bas :

Vous ne vouliez point croire, et l’on ne vous croit pas.

CLÉANTE

Nous perdons des moments en bagatelles pures,

Qu’il faudrait employer à prendre des mesures.

Aux18 menaces du fourbe on doit ne dormir point.

DAMIS

Quoi ? son effronterie irait jusqu’à ce point ?

ELMIRE

Pour moi, je ne crois pas cette instance19 possible,

Et son ingratitude est ici trop visible.

CLÉANTE

Ne vous y fiez pas : il aura des ressorts20

Pour donner contre vous raison à ses efforts ;

Et sur moins que cela, le poids d’une cabale

Embarrasse les gens dans un fâcheux dédale.

Je vous le dis encore : armé de ce qu’il a,

Vous ne deviez jamais le pousser jusque-là.

ORGON

Il est vrai ; mais qu’y faire ? À21 l’orgueil de ce traître,

De mes ressentiments je n’ai pas été maître.

CLÉANTE

Je voudrais, de bon cœur, qu’on pût entre vous deux

De quelque ombre de paix raccommoder les nœuds.

ELMIRE

Si j’avais su qu’en main il a de telles armes,

je n’aurais pas donné matière à tant d’alarmes,

Et mes…

ORGON

Que veut cet homme ? Allez tôt le savoir.

Je suis bien en état que l’on me vienne voir !

Scène 4

MONSIEUR LOYAL, MADAME PERNELLE, ORGON, DAMIS MARIANE, DORINE, ELMIRE, CLÉANTE.

MONSIEUR LOYAL

Bonjour, ma chère sœur ; faites, je vous supplie,

Que je parle à Monsieur.

DORINE

Il est en compagnie,

Et je doute qu’il puisse à présent voir quelqu’un.

MONSIEUR LOYAL

Je ne suis pas pour être en ces lieux importun.

Mon abord22 n’aura rien, je crois, qui lui déplaise ;

Et je viens pour un fait dont il sera bien aise.

DORINE

Votre nom ?

MONSIEUR LOYAL

Dites-lui seulement que je vien23

De la part de Monsieur Tartuffe, pour son bien.

DORINE, à Orgon.

C’est un homme qui vient, avec douce manière,

De la part de Monsieur Tartuffe, pour affaire

Dont vous serez, dit-il, bien aise.

CLÉANTE

Il vous faut voir

Ce que c’est que cet homme, et ce qu’il peut vouloir.

ORGON

Pour nous raccommoder il vient ici peut-être :

Quels sentiments aurai-je à lui faire paraître ?

CLÉANTE

Votre ressentiment ne doit point éclater ;

Et s’il parle d’accord, il le faut écouter.

MONSIEUR LOYAL

Salut, Monsieur. Le Ciel perde qui vous veut nuire,

Et vous soit favorable autant que je désire !

ORGON

Ce doux début s’accorde avec mon jugement,

Et présage déjà quelque accommodement.

MONSIEUR LOYAL

Toute votre maison24 m’a toujours été chère,

Et j’étais serviteur de25 Monsieur votre père.

ORGON

Monsieur, j’ai grande honte et demande pardon

D’être sans vous connaître ou savoir votre nom.

MONSIEUR LOYAL

Je m’appelle Loyal, natif de Normandie,

Et suis huissier à verge26, en dépit de l’envie.

J’ai depuis quarante ans, grâce au Ciel, le bonheur

D’en exercer la charge avec beaucoup d’honneur ;

Et je vous viens, Monsieur, avec votre licence27,

Signifier l’exploit28 de certaine ordonnance29

ORGON

Quoi ? vous êtes ici...

MONSIEUR LOYAL

Monsieur, sans passion :

Ce n’est rien seulement qu’une sommation,

Un ordre de vuider d’ici30, vous et les vôtres,

Mettre vos meubles hors31, et faire place à d’autres,

Sans délai ni remise, ainsi que besoin est...

ORGON

Moi, sortir de céans ?

MONSIEUR LOYAL

Oui, Monsieur, s’il vous plaît.

La maison à présent, comme savez de reste,

Au bon Monsieur Tartuffe appartient sans conteste.

De vos biens désormais il est maître et seigneur,

En vertu d’un contrat duquel je suis porteur :

Il est en bonne forme, et l’on n’y peut rien dire.

DAMIS

Certes cette impudence est grande, et je l’admire.

MONSIEUR LOYAL

Monsieur, je ne dois point avoir affaire à vous ;

C’est à Monsieur : il est et raisonnable et doux,

Et d’un homme de bien il sait trop bien l’office 32`,

Pour se vouloir du tout33 opposer à justice.

ORGON

Mais...

MONSIEUR LOYAL

Oui, Monsieur, je sais que pour un million

Vous ne voudriez pas faire rébellion,

Et que vous souffrirez, en honnête personne,

Que j’exécute ici les ordres qu’on me donne.

DAMIS

Vous pourriez bien ici sur votre noir jupon34,

Monsieur l’huissier à verge, attirer le bâton.

MONSIEUR LOYAL

Faites que votre fils se taise ou se retire,

Monsieur. J’aurais regret d’être obligé d’écrire,

Et de vous voir couché dans mon procès-verbal.

DORINE

Ce Monsieur Loyal porte un air bien déloyal !

MONSIEUR LOYAL

Pour tous les gens de bien j’ai de grandes tendresses,

Et ne me suis voulu, Monsieur, charger des pièces

Que pour vous obliger et vous faire plaisir,

Que pour ôter par là le moyen d’en35 choisir

Qui, n’ayant point pour vous le zèle qui me pousse,

Auraient pu procéder d’une façon moins douce.

ORGON

Et que peut-on de pis que d’ordonner aux gens

De sortir de chez eux ?

MONSIEUR LOYAL

On vous donne du temps,

Et jusques à demain je ferai surséance36

À l’exécution, Monsieur, de l’ordonnance.

Je viendrai seulement passer ici la nuit,

Avec dix de mes gens, sans scandale et sans bruit.

Pour la forme, il faudra, s’il vous plaît, qu’on m’apporte,

Avant que37 se coucher, les clefs de votre porte.

J’aurai soin de ne pas troubler votre repos,

Et de ne rien souffrir qui ne soit à propos.

Mais demain, du matin, il vous faut être habile

À vuider de céans jusqu’au moindre ustensile :

Mes gens vous aideront, et je les ai pris forts,

Pour vous faire service à tout mettre dehors.

On n’en peut pas user mieux que je fais, je pense ;

Et comme je vous traite avec grande indulgence,

Je vous conjure aussi, Monsieur, d’en user bien,

Et qu’au dû de ma charge38 on ne me trouble en rien.

ORGON

Du meilleur de mon cœur je donnerais sur l’heure

Les cent plus beaux louis de ce qui me demeure,

Et pouvoir, à plaisir, sur ce mufle assener

Le plus grand coup de poing qui se puisse donner.

CLÉANTE

Laissez, ne gâtons rien.

DAMIS

À cette audace étrange,

J’ai peine à me tenir, et la main me démange

DORINE

Avec un si bon dos, ma foi, Monsieur Loyal,

Quelques coups de bâton ne vous siéraient pas mal.

MONSIEUR LOYAL

On pourrait bien punir ces paroles infâmes,

Mamie, et l’on décrète39 aussi contre les femmes.

CLÉANTE

Finissons tout cela, Monsieur : c’en est assez ;

Donnez tôt ce papier, de grâce, et nous laissez.

MONSIEUR LOYAL

Jusqu’au revoir. Le Ciel vous tienne tous en joie !

ORGON

Puisse-t-il te confondre, et celui qui t’envoie !

Scène 5

ORGON, CLÉANTE, MARIANE, ELMIRE, MADAME PERNELLE, DORINE, DAMIS

ORGON

Hé bien, vous le voyez, ma mère, si j’ai droit,

Et vous pouvez juger du reste par l’exploit :

Ses trahisons enfin vous sont-elles connues ?

MADAME PERNELLE

Je suis toute ébaubie40, et je tombe des nues !

DORINE

Vous vous plaignez à tort, à tort vous le blâmez,

Et ses pieux desseins par là sont confirmés :

Dans l’amour du prochain sa vertu se consomme41 ;

Il sait que très souvent les biens corrompent l’homme,

Et, par charité pure, il veut vous enlever

Tout ce qui vous peut faire obstacle à vous sauver.

ORGON

Taisez-vous, c’est le mot qu’il vous faut toujours dire.

CLÉANTE

Allons voir quel conseil42 on doit vous faire élire.

ELMIRE

Allez faire éclater43 l’audace de l’ingrat.

Ce procédé détruit la vertu44 du contrat ;

Et sa déloyauté va paraître trop noire,

Pour souffrir qu’il en ait le succès qu’on veut croire.

Scène 6

VALÈRE, ORGON CLÉANTE, ELMIRE, MARIANE, ETC.

VALÈRE

Avec regret, Monsieur, je viens vous affliger ;

Mais je m’y vois contraint par le pressant danger.

Un ami, qui m’est joint d’une amitié fort tendre,

Et qui sait l’intérêt qu’en vous j’ai lieu de prendre,

A violé pour moi, par un pas délicat,

Le secret que l’on doit aux affaires d’État,

Et me vient d’envoyer un avis dont la suite

Vous réduit au parti d’une soudaine fuite.

Le fourbe qui longtemps a pu vous imposer45

Depuis une heure au Prince a su vous accuser,

Et remettre en ses mains, dans les traits qu’il vous jette,

D’un criminel d’État l’importante cassette,

Dont, au mépris, dit-il, du devoir d’un sujet,

Vous avez conservé le coupable secret.

J’ignore le détail du crime qu’on vous donne ;

Mais un ordre est donné contre votre personne ;

Et lui-même est chargé, pour mieux l’exécuter,

D’accompagner celui qui vous doit arrêter.

CLÉANTE

Voilà ses droits armés ; et c’est par où le traître

De vos biens qu’il prétend46 cherche à se rendre maître.

ORGON

L’homme est, je vous l’avoue, un méchant animal!

VALÈRE

Le moindre amusement vous peut être fatal.

J’ai, pour vous emmener, mon carrosse à la porte,

Avec mille louis qu’ici je vous apporte.

Ne perdons point de temps : le trait est foudroyant,

Et ce sont de ces coups que l’on pare en fuyant.

À vous mettre en lieu sûr je m’offre pour conduite,

Et veux accompagner jusqu’au bout votre fuite.

ORGON

Las ! que ne dois-je point à vos soins obligeants !

Pour vous en rendre grâce il faut un autre temps ;

Et je demande au Ciel de m’être assez propice,

Pour reconnaître un jour ce généreux service.

Adieu : prenez le soin, vous autres…

CLÉANTE

Allez tôt47 :

Nous songerons, mon frère, à faire ce qu’il faut.

Scène 7

L’EXEMPT, TARTUFFE, VALÈRE ORGON, ELMIRE, MARIANE, ETC.

TARTUFFE

Tout beau, Monsieur, tout beau, ne courez point si vite :

Vous n’irez pas fort loin pour trouver votre gîte,

Et de la part du Prince on vous fait prisonnier.

ORGON

Traître, tu me gardais ce trait pour le dernier ;

C’est le coup, scélérat, par où tu m’expédies48,

Et voilà couronner49 toutes tes perfidies.

TARTUFFE

Vos injures n’ont rien à me pouvoir aigrir50,

Et je suis pour le Ciel appris à tout souffrir51.

CLÉANTE

La modération est grande, je l’avoue.

DAMIS

Comme du Ciel l’infâme impudemment se joue !

TARTUFFE

Tous vos emportements ne sauraient m’émouvoir,

Et je ne songe à rien qu’à faire mon devoir.

MARIANE

Vous avez de ceci grande gloire à prétendre,

Et cet emploi pour vous est fort honnête à prendre.

TARTUFFE

Un emploi ne saurait être que glorieux,

Quand il part du pouvoir qui m’envoie en ces lieux.

ORGON

Mais t’es-tu souvenu que ma main charitable,

Ingrat, t’a retiré d’un état misérable ?

TARTUFFE

Oui, je sais quels secours j’en ai pu recevoir ;

Mais l’intérêt du Prince est mon premier devoir ;

De ce devoir sacré la juste violence

Étouffe dans mon cœur toute reconnaissance,

Et je sacrifierais à de si puissants nœuds

Ami, femme, parents, et moi-même avec eux.

ELMIRE

L’imposteur !

DORINE

Comme il sait, de traîtresse manière,

Se faire un beau manteau52 de tout ce qu’on révère !

CLÉANTE

Mais s’il est si parfait que vous le déclarez,

Ce zèle qui vous pousse et dont vous vous parez,

D’où vient que pour paraître il s’avise d’attendre

Qu’à poursuivre sa femme il ait su vous surprendre,

Et que vous ne songez à l’aller dénoncer

Que lorsque son honneur l’oblige à vous chasser ?

Je ne vous parle point, pour devoir en distraire53,

Du don de tout son bien qu’il venait de vous faire ;

Mais le voulant traiter en coupable aujourd’hui,

Pourquoi consentiez-vous à rien54 prendre de lui ?

TARTUFFE, à l’Exempt.

Délivrez-moi, Monsieur, de la criaillerie,

Et daignez accomplir votre ordre, je vous prie.

L’EXEMPT

Oui, c’est trop demeurer sans doute à l’accomplir :

Votre bouche à propos m’invite à le remplir ;

Et pour l’exécuter, suivez-moi tout à l’heure55

Dans la prison qu’on doit vous donner pour demeure.

TARTUFFE

Quoi ? moi, Monsieur ?

L’EXEMPT

Oui, vous.

TARTUFFE

Pourquoi donc la prison ?

L’EXEMPT

Ce n’est pas vous à qui j’en veux rendre raison.

Remettez-vous, Monsieur, d’une alarme si chaude.

Nous vivons sous un Prince ennemi de la fraude,

Un Prince dont les yeux se font jour56 dans les cœurs,

Et que ne peut tromper tout l’art des imposteurs.

D’un fin discernement sa grande âme pourvue

Sur les choses toujours jette une droite vue ;

Chez elle jamais rien ne surprend trop d’accès57,

Et sa ferme raison ne tombe en nul excès.

Il donne aux gens de bien une gloire immortelle ;

Mais sans aveuglement il fait briller ce zèle,

Et l’amour pour les vrais58 ne ferme point son cœur

À tout ce que les faux doivent donner d’horreur.

Celui-ci n’était pas pour59 le pouvoir surprendre,

Et de pièges plus fins on le voit se défendre.

D’abord il a percé, par ses vives clartés,

Des replis de son cœur toutes les lâchetés.

Venant vous accuser, il s’est trahi lui-même,

Et par un juste trait de l’équité suprême,

S’est découvert au Prince un fourbe renommé,

Dont sous un autre nom il était informé ;

Et c’est un long détail d’actions toutes noires

Dont on pourrait former des volumes d’histoires.

Ce monarque, en un mot, a vers vous60 détesté

Sa lâche ingratitude et sa déloyauté ;

À ses autres horreurs il a joint cette suite,

Et ne m’a jusqu’ici soumis à sa conduite61

Que pour voir l’impudence aller jusques au bout,

Et vous faire par lui faire raison62 de tout.

Oui, de tous vos papiers, dont il se dit le maître,

Il veut qu’entre vos mains je dépouille le traître.

D’un souverain pouvoir, il brise les liens

Du contrat qui lui fait un don de tous vos biens,

Et vous pardonne enfin cette offense secrète

Où vous a d’un ami fait tomber la retraite63 ;

Et c’est le prix qu’il donne au zèle qu’autrefois

On vous vit témoigner en appuyant ses droits64,

Pour montrer que son cœur sait, quand moins on y pense,

D’une bonne action verser la récompense,

Que jamais le mérite avec lui ne perd rien,

Et que mieux que du mal il se souvient du bien.

DORINE

Que le Ciel soit loué !

MADAME PERNELLE

Maintenant je respire.

ELMIRE

Favorable succès65 !

MARIANE

Qui l’aurait osé dire ?

ORGON, à Tartuffe.

Hé bien ! te voilà, traître…

CLÉANTE

Ah ! mon frère, arrêtez,

Et ne descendez point à des indignités ;

À son mauvais destin laissez un misérable,

Et ne vous joignez point au remords qui l’accable :

Souhaitez bien plutôt que son cœur en ce jour

Au sein de la vertu fasse un heureux retour,

Qu’il corrige sa vie en détestant son vice

Et puisse du grand Prince adoucir la justice,

Tandis qu’à sa bonté vous irez à genoux

Rendre ce que demande un traitement si doux.

ORGON

Oui, c’est bien dit : allons à ses pieds avec joie

Nous louer des bontés que son cœur nous déploie.

Puis, acquittés un peu de ce premier devoir,

Aux justes soins d’un autre il nous faudra pourvoir,

Et par un doux hymen couronner en Valère

La flamme d’un amant généreux et sincère.

 

  1. Consulter : discuter, délibérer.

  2. Élire : choisir.

  3. Pousser : pousser à bout.

  4. Deviez : auriez dû.

  5. Gueusant : mendiant.

  6. Doux tempéraments : juste mesure, juste milieu.

  7. Connu : reconnu.

  8. Prévenu : abusé.

  9. Austère grimace : feinte austérité, fausse démonstration d’austérité.

10. Gauchir : chercher des détours.

11. Suborner : séduire.

12. Où je l’ai transféré : dont je l’ai fait propriétaire.

13. Que fait : quel rapport a.

14. Je vous di : je vous dis (ancienne orthographe étymologique et licence poétique qui permet de respecter la rime pour l’œil).

15. Rebattre : répéter.

16. Déçoit : est trompeuse.

17. À: de, jusqu’à.

18. Aux : devant les.

19. Instance : poursuite en justice.

20. Ressorts : manigances secrètes.

21. À:devant.

22. Mon abord : ma venue.

23. Que je vien : que je viens (ancienne orthographe étymologique et licence poétique qui permet de respecter la rime pour l’œil).

24. Maison : famille (le terme s’applique aux familles nobles).

25. J’étais serviteur de : j’ai rendu des services à.

26. Verge : baguette avec laquelle l’huissier touche celui à qui il vient signifier une décision de justice. (Elle est le symbole de sa fonction.)

27. Licence : permission.

28. Exploit : acte judiciaire, saisie.

29. Ordonnance : décision du juge qui motive l’exploit.

30. Vuider d’ici : quitter ces lieux.

31. Hors : dehors.

32. Office : devoir.

33. Du tout : en aucune manière.

34. Jupon : veste ample à longues basques.

35. D’en : d’autres huissiers.

36. Ferai surséance : accorderai un délai.

37. Que : de.

38. Au dû de ma charge : dans l’exercice de mes fonctions.

39. Décrète : délivre des mandats d’arrestation

40. Ébaubie : ébahie.

41. Se consomme : atteint sa perfection.

42. Conseil : décision.

43. Faire éclater : rendre manifeste.

44. Vertu : validité.

45. Imposer : tromper.

46. Prétend : espère obtenir.

47. Tôt : vite.

48. Tu m’expédies : tu m’achèves.

49. Couronner : pour couronner.

50. À me pouvoir aigrir : qui puissent m’aigrir.

51. Pour le Ciel appris à tout souffrir : habitué à tout souffrir pour le Ciel.

52. Se faire un beau manteau : se servir de prétexte.

53. Pour devoir en distraire : pour vous détourner de cette dénonciation.

54. Rien : quelque chose.

55. Tout à l’heure : sur-le-champ.

56. Se font jour : voient clairement.

57. Rien… accès : aucune illusion ne peut l’abuser.

58. Les vrais : les gens sincères.

59. N’était pas pour : n’était pas de nature à.

60. Vers vous : envers vous (sa lâche ingratitude envers vous).

61. Soumis à sa conduite : mis à ses ordres.

62. Raison : réparation, restitution.

63. Où… retraite : à laquelle vous a contraint l’exil d’un ami.

64. Ses droits : allusion à la conduite d’Orgon pendant la Fronde.

65. Succès : issue.

Le Tartuffe ou l’Imposteur

Clefs d’analyse

Acte V, scène 7.

Compréhension

Tartuffe dans son rôle d’imposteur

• Relever les mots qui appartiennent à son rôle de faux dévot.

• Relever ceux qui font de lui un serviteur zélé du roi.

Un officier de police : l’exempt

• Relever le champ lexical de la lucidité du roi.

• Relever le champ lexical de l’autorité et de la magnanimité royale.

• Relever le champ lexical de la fourberie (concernant Tartuffe).

Réflexion

Un retournement de situation

• Analyser la manière dont s’opère le retournement de situation (l’exempt répondant à Tartuffe).

Un message politique

• Montrer que la longue tirade de l’exempt est un portrait flatteur de Louis XIV, protecteur de Molière.

• Montrer qu’à travers Tartuffe, c’est la cabale des dévots qui est visée.

À retenir :

Le dénouement heureux de la pièce arrive in extremis, de façon inattendue pour les spectateurs mais aussi pour Tartuffe qui se voyait sur le point de triompher. On a parfois reproché à cette fin d’être peu vraisemblable. Elle n’en est pas moins d’une efficacité théâtrale remarquable puisqu’elle laisse au drame qui sous-tend la comédie la possibilité de se développer jusqu’au bout sans laisser le spectateur entrevoir de solution. L’arrivée de l’exempt a toutes les apparences d’une sorte de miracle et ressemble à ce que les anciens appelaient deus ex machina. Ici, le « miracle» n’est pas divin mais politique : cet ultime renversement de situation est à la gloire du roi.

Le Tartuffe ou l’Imposteur

Synthèse

Acte V

Un dénouement politique

Personnages

La famille recomposée

Deux personnages nouveaux interviennent dans le cinquième acte : Monsieur Loyal et l’exempt. Monsieur Loyal, dont le nom apparaît comme une antiphrase, est un double de Tartuffe, il dispose de dix hommes pour expulser la famille hors de sa maison. Tartuffe n’agit pas seul, il appartient à la confrérie des bigots et apparaît comme un voleur à la tête d’une bande organisée. Il ajoute à ses méfaits la délation (non pour des motifs politiques, mais par intérêt et basse vengeance). On n’est pas loin de l’image du hors-la-loi : l’exempt suggère qu’il a, derrière lui, le lourd passé d’un « fourbe renommé » (sc. 7). En face de lui, la famille désunie se recompose. Les personnages, réunis sur scène au complet, représentent par leur nombre même l’importance du groupe social que l’avilissement de l’autorité paternelle a mis en danger. Cléante apparaît plus que jamais comme l’homme du juste milieu, mais Orgon, malgré son revirement, manifeste toujours le même caractère excessif (sc. 1), comme l’illustre sa querelle avec Mme Pernelle.

Langage

Faire rire

Le comique (sc. 3) est lié à la répétition des mots : Mme Pernelle, obstinée, joue devant Orgon le rôle que celui-ci a tenu jusque-là, de sorte que la dispute de la mère avec son fils sonne un peu comme un dialogue d’Orgon avec lui-même. Mme Pernelle représente un Orgon qui n’aurait pas été détrompé, variante tout à fait plausible, et qui aurait conduit sa famille au malheur définitif.

Société

Le pouvoir du roi

L’exempt est le seul personnage qui ne soit pas désigné par son nom mais par sa fonction : officier de police, il représente le roi, sa personne s’efface devant le symbole qu’il porte.

La pièce est située dans l’histoire, les troubles de la Fronde sont évoqués et l’on sait qu’Orgon a servi le prince. Mais, en gardant la cassette d’un opposant en fuite, Orgon a commis une faute contre le roi et mérite d’être arrêté. La cassette d’Argas contient des papiers compromettants et son recel fait d’Orgon un coupable aux yeux de la justice royale. Tartuffe serait le plus fort si le roi n’intervenait pas personnellement. La prétention de Tartuffe est allée tellement loin que l’autorité suprême est la seule force capable de l’arrêter. Le portrait du roi, fait par l’exempt, nous présente un prince idéal : il dispose des lumières qui lui permettent de répandre une justice plus juste que la justice des tribunaux. Sa perspicacité merveilleuse l’amène à démasquer Tartuffe sur le champ, et sa mansuétude accorde plus de poids à la loyauté passée qu’à l’erreur qui a suivi. Il sait témoigner sa gratitude et démasquer la corruption au moment où la fausse dévotion est en train de menacer la société. Perspicacité et bonté font du prince le fondement de l’État.

Seule une autorité supérieure pouvait rétablir l’ordre. À Orgon, le mauvais père qui conduit mal sa famille, Molière oppose l’exemple du roi (le roi est appelé « le père » de ses sujets au XVIIe siècle) qui possède toutes les qualités qui manquent à Orgon. Éclairé et juste, il est l’image du chef tel qu’il doit être.

Le Tartuffe ou l’Imposteur

POUR APPROFONDIR

Le Tartuffe ou l’Imposteur

Le Tartuffe ou l’Imposteur

Genre, action, personnages

Genre et registres

La grande comédie morale

Tartuffe appartient au genre de la grande comédie morale, c’est-à-dire qui étudie les mœurs, les critique et envisage de les corriger. Molière et l’âge classique croient en l’utilité morale du théâtre comique et Tartuffe est la plus morale de toutes ses comédies, celle où il déclenche, contre les vices de son siècle, la plus radicale et la plus dévastatrice des attaques.

En cela Tartuffe est différent des comédies essentiellement divertissantes que sont Le Médecin malgré lui ou Les Fourberies de Scapin par exemple. On ne peut, en effet, pas dire que les coups de bâtons dont Sganarelle est la victime visent à corriger qui que ce soit de quelque vice que ce soit.

Pour Molière, l’utilité morale de la comédie est double. Sa première fonction est d’instruire et de prévenir. Empêcher le spectateur de tomber dans le vice et le ridicule. Mettre sous ses yeux l’exemple de ce qu’il ne doit pas faire. La deuxième est de corriger, de ramener dans le droit chemin de la raison ou de la vertu ceux qui s’en sont écartés. Et pour ce faire, la comédie attaque les vices avec une arme jugée plus efficace que les sermons austères : le ridicule. Molière explique dans sa préface : « Rien ne reprend mieux les hommes que la peinture de leurs défauts. C’est une grande atteinte aux vices que de les exposer à la risée de tout le monde. On souffre aisément des répréhensions (remontrances) ; mais on ne souffre point la raillerie. On veut bien être méchant mais on ne veut point être ridicule. » Le théâtre comique travaille donc à corriger et adoucir les passions des hommes pour les aider à se maintenir dans une sage attitude, celle de l’honnête homme.

La comédie, miroir de l’honnête homme

L’honnête homme est celui qui se conforme habilement aux conventions de son temps et du lieu où il vit. L’original, l’excentrique qui ne suit pas cette voie raisonnable se marginalise.

Pour l’esprit classique, il a tort. Il est grotesque, il fait rire. Orgon, par exemple. Il faut, par conséquent, replacer Tartuffe dans la perspective historique qui a été la sienne et regarder cette pièce avec les yeux de l’honnête homme. C’est-à-dire en se souvenant des valeurs, des goûts et des dégoûts qui étaient ceux du spectateur de l’époque.

Nous avons trop souvent tendance à projeter sur la pièce que nous analysons nos propres valeurs et nos propres sentiments de lecteurs du XXIe siècle. Pour nous qui venons après le romantisme et tous les courants idéologiques du XXe siècle, la notion d’honnête homme nous semble quelquefois un peu fade. Or elle est l’exact point de vue à partir duquel Molière organise la perspective comique de Tartuffe, à partir duquel il nous invite à observer les défauts qu’il met en scène et à en rire.

L’honnête homme ou le sens de la mesure

La notion d’honnête homme est à rattacher à celle de juste milieu, que les classiques appellent aussi « raison ». La philosophie du juste milieu n’est en aucun cas une attitude conciliante, faite de compromis complaisants, de conformisme frileux, de refus de s’engager. C’est au contraire une forme de perfection sereine, de discipline personnelle qui exige beaucoup de lucidité et de vigilance.

Elle vient de l’Éthique à Nicomaque d’Aristote, qui définit la vertu comme un juste milieu par rapport à deux vices, l’un par excès, l’autre par défaut. Par exemple, le courage, juste milieu entre la témérité et la lâcheté ; la générosité, entre la prodigalité et l’avarice. Aristote insiste particulièrement sur la difficulté qu’il y a à se maintenir dans ce point de perfection qu’est le juste milieu.

À l’époque classique, cette éthique aristotélicienne de la mesure s’impose. Cette recherche de la voie moyenne constitue le principe fondamental de la philosophie de l’honnête homme. C’est pourquoi les grandes comédies de Molière présentent toujours un personnage posé et raisonneur. Dans Tartuffe, c’est Cléante.

La norme morale

Que n’a-t-on pas dit contre la « triste et terne sagesse » de ces raisonneurs qui, pense-t-on souvent, ne formulent que de plats lieux communs.

Attention : notre époque tend naturellement à ne voir d’issue que dans les solutions extrêmes, voire dans l’anticonformisme radical. C’est pourquoi il ne faut surtout pas oublier ce qu’était « l’idéologie » du temps de Molière. Cléante est là pour nous la rappeler.

Il est ce personnage qui, par son caractère raisonnable (son « honnêteté »), assure sur la scène la présence de la norme à partir de laquelle s’organisent la perspective comique et la visée didactique de la pièce. Il est celui auquel le spectateur doit s’identifier sous peine de tous les contresens. Il est, au sens fort du mot, le personnage « idéologique » : il fournit le point d’appui du jugement que portera le spectateur et qui fait ressortir le ridicule des personnages.

Les procédés comiques

Puisqu’il s’agit de faire rire de ceux qui ont une attitude ridicule, Molière utilise des procédés variés que l’on rencontre tout au long de la pièce.

Le comique de geste : dans le théâtre classique, les didascalies indiquant des gestes sont peu nombreuses (contrairement à la pratique du théâtre moderne, chez Beckett ou Ionesco, par exemple). Lorsqu’on en rencontre, elles n’en sont que plus significatives.

Tartuffe n’est pas une farce mais les gifles n’en sont pas absentes : celle de Mme Pernelle à Flipote (I, 1) et surtout celle, manquée, d’Orgon à Dorine (II, 2).

À l’acte III, scène 2, Tartuffe tire un mouchoir de sa poche pour voiler pudiquement la poitrine de Dorine, trop découverte selon lui. On touche à la gauloiserie. Les indications de gestes sont les plus nombreuses dans le même acte à la scène 3, lorsque Tartuffe se déclare à Elmire : « Il lui serre le bout des doigts. » « Il lui met la main sur le genou. » Un autre geste est suggéré par le texte lui-même : « Mon Dieu ! que de ce point l’ouvrage est merveilleux ! » Il s’agit de dentelle, sans doute Tartuffe la touche-t-elle et, comme se le demande J. Scherer dans Structures de Tartuffe, où se trouve cette dentelle ? Une édition de Tartuffe nous renseigne par la didascalie suivante : « maniant le fichu d’Elmire. » On appelait fichu un léger vêtement en pointe dont les femmes se couvraient la gorge et les épaules. On le voit, le désir de Tartuffe se montre de plus en plus hardi.

Puis nous avons le célèbre jeu du déplacement des chaises dans la même scène.

À l’acte suivant, scène 5, Orgon est caché sous la table, type d’attitude qui fera fureur à la fin du XIXe siècle dans le théâtre de Labiche et de Feydeau. Une gravure de l’époque le montre soulevant le tapis qui recouvre la table pour mieux suivre la scène. Certes, cela n’est pas indiqué par Molière mais semble s’imposer. Et comme si les propos de Tartuffe n’étaient pas assez explicites, Elmire tousse pour souligner les passages les plus importants.

Le comique de mots : la comédie aime jouer avec la langue. Elle ne se prive d’utiliser ni les déformations, ni les jargons en tous genres, ni les façons de parler outrées.

La répétition systématique des deux formules : « Et Tartuffe ? » et « Le pauvre homme ! » appartient à l’une des scènes les plus célèbres. Remarquons toutefois que ce comique de répétition est indissociable du caractère même de Tartuffe. Les mêmes mots, appliqués de la même façon à une personne vraiment digne de pitié seraient touchants et pathétiques. L’expression « Le pauvre homme ! » est reprise à la fin, par Dorine sur le ton ironique. (Tartuffe vient d’être démasqué.)

Molière ne dédaigne pas les jeux de mots. Dans la première scène, Mme Pernelle déforme l’expression « tour de Babel » en « tour de Babylone » et la fait suivre d’une sorte d’étymologie fantaisiste : « Car chacun y babille, et tout du long de l’aune ».

Enfin, on trouve un savoureux mélange de styles dans plusieurs scènes. Le ton à la fois dévot et galant de Tartuffe, à la fois onctueux et impitoyable de M. Loyal. Tous ces procédés empêchent la pièce de tomber dans le drame noir.

Le comique de caractère et de situation : ils sont inséparables, les situations étant conditionnées par les caractères.

Le comique du personnage de Tartuffe est essentiellement fondé sur la contradiction que constitue son double visage et sur le fait que le masque ne cache pas complètement – et même parfois pas du tout – la réalité. De ce fait, le personnage se retrouve dans des situations grotesques, comme par exemple lorsqu’il est obligé de jouer son rôle devant Dorine qui l’a pourtant percé à jour. (Acte III, sc. 2). De même, il ne renonce pas une seconde à jouer le dévot alors qu’il est en train de démontrer le contraire à Elmire. Il est ridicule parce qu’il est double et parce que le spectateur le sait.

La situation d’Orgon n’est pas moins comique lorsque, par sa faute, il se retrouve contraint d’assister d’un bout à l’autre à la déclaration de Tartuffe à sa femme. Il se retrouve doublement humilié : en tant que dévot naïf et en tant que mari bafoué par Tartuffe.

Le comique de situation repose aussi sur les nombreux retournements de situation et coups de théâtre que comporte l’action ainsi que sur des effets de répétition : à l’acte V, scène 3, Mme Pernelle rejoue exactement la même scène d’aveuglement qu’Orgon à l’acte I.

Action

Une action inexorable

Les comédies de Molière ne sont pas toutes construites sur le même modèle. Cela est également vrai des grandes comédies de mœurs.

Dom Juan et Le Bourgeois gentilhomme relèvent d’une esthétique plutôt proche du baroque. Dans Dom Juan l’unité de lieu n’est pas respectée. Ces pièces s’apparentent à ce qu’on appelle des revues. On passe en revue les différentes situations auxquelles peut se heurter le personnage. Dans Le Bourgeois gentilhomme, M. Jourdain reçoit le tailleur, prend une leçon de musique, d’escrime, de philosophie, etc.

Rien de tel dans Tartuffe. Les unités de lieu, de temps et d’intérêt y sont bien respectées et cette concentration de l’action concourt puissamment à l’effet d’ensemble. Une fois Tartuffe « impatronisé » et sûr de son ascendant sur le chef de famille, l’action progresse par retournements successifs dans une intrigue rigoureuse. Rien ne semble pouvoir l’arrêter, tout se ligue systématiquement contre la famille d’Orgon et cela jusqu’à la dernière scène de la pièce. C’est pourquoi cette comédie a des allures évoquant ce que sera le théâtre policier au xxe siècle (La Souricière d’Agatha Christie et encore plus la pièce qui a été tirée de son roman Dix petits nègres.)

Risquons un autre rapprochement plus surprenant. Une fois introduit par Orgon dans sa maison, Tartuffe devient envahissant au point qu’il s’approprie tout, les esprits, les biens, les corps – tout au moins le tente-t-il – et finit à deux doigts d’occuper tout l’espace puisqu’il fait chasser toute la famille. Ce résumé ressemble fort à la pièce de Ionesco, Amédée ou comment s’en débarrasser, dans laquelle l’amant mort grandit à vue d’œil au point de remplir toute la scène. Certes, nous sommes là dans le théâtre de l’absurde, ce qui n’est pas le cas de Tartuffe, mais ce rapprochement met en relief le caractère obsédant et terrifiant de la présence de Tartuffe. La famille d’Orgon voudrait bien « s’en débarrasser », mais plus elle s’y emploie, plus au contraire Tartuffe s’enracine.

L’effet est d’autant plus oppressant que la succession des périls causés par Tartuffe se développe de façon logique, comme une série d’engrenages.

L’engrenage

La succession des épisodes obéit à la loi de progressivité car les périls sont de plus en plus graves. En outre, chaque fois qu’on passe d’un péril à un autre, l’action se transforme et l’enjeu devient différent. C’est la technique de l’engrenage qui est ici développée par Molière.

On a six périls différents, dont l’ensemble constitue l’action de la pièce : 1) Le danger que Tartuffe épouse Mariane. 2) Le danger que Tartuffe séduise Elmire. 3) Le danger qu’Orgon déshérite son fils alors que tout accuse Tartuffe. 4) Le danger qu’Orgon fasse de Tartuffe son héritier. 5) Le danger que représente la cassette compromettante confiée à Tartuffe. 6) Le danger pour Orgon de se voir emprisonné et, pour la famille, de se retrouver à la rue, complètement ruinée.

Au début, Tartuffe ne fait que parler mais, peu à peu, ses paroles se transforment en actes, actes de plus en plus redoutables, pour aboutir à la catastrophe. On ne cesse de découvrir des éléments nouveaux de plus en plus inquiétants sans que, dans le feu de l’action, on ait le temps de reprendre son souffle, cas peu courant dans le théâtre classique. Cela suffit d’ailleurs à éloigner Tartuffe du schéma de la tragédie où l’on sait que tout est joué dès le début. C’est plutôt au thriller qu’on peut comparer cette comédie.

Personnages

Cinq rôles dominants et deux clans

On constate que cinq rôles dominent largement la pièce :

Orgon : 358 vers. C’est lui le pilier de la pièce car, sans lui, Tartuffe n’aurait aucun pouvoir.

Dorine : 339 vers, ce qui n’est guère surprenant pour une servante « un peu forte en gueule ».

Cléante : 310 vers, l’honnête homme, contrepoint d’Orgon.

Tartuffe : 294 vers. On ne le voit que dans les actes III et IV et très peu à la fin.

Elmire : 223 vers, dont les deux tiers à l’acte IV, celui du stratagème qui doit confondre l’imposteur.

On peut classer l’ensemble de la distribution en deux clans : les « tartuffiés » et les anti-Tartuffe. Ces derniers ne sont cependant pas tous sur le même plan. Deux, Dorine et Cléante, servent de contrepoids à Orgon. Trois sont inefficaces (Damis, Mariane et Valère). Enfin Elmire prend les initiatives utiles, secondée « par chance » par l’exempt dans la dernière scène.

Tartuffe

Molière avait besoin de puissants effets comiques : il a donc prêté de façon ingénieuse à son Tartuffe un caractère naturel qui contraste absolument avec le rôle qu’il joue. Gaillard robuste (gros et gras...), à l’appétit solide (deux perdrix, une moitié de gigot pour le souper), aux désirs sensuels impérieux, il n’a pas le moindre talent pour la piété, même feinte. Il joue son rôle avec une maladresse visible, il exagère parfois jusqu’à l’absurde. Ses sens sont-ils mis en éveil, il ne peut plus se tenir. Il singe le dévot plus qu’il ne le joue. À part Orgon et Mme Pernelle, personne ne peut se laisser prendre à ses simagrées. Son masque lui convient mal, on voit le vrai Tartuffe dessous. Et c’est en cela, précisément, que réside sa grande force comique. De plus, grand manieur de mensonges, il montre (on peut le vérifier parfois dans la réalité) que le mensonge le plus grossier réussit toujours du moment qu’il flatte les lubies et les désirs secrets de sa victime.

Tartuffe est aussi le champion des volte-face et des coups de théâtre. Il surprend en ne s’intéressant pas au « cadeau » que lui fait Orgon en la personne de sa fille alors que le mariage est, dans les comédies, le moyen ordinaire d’arriver à ses fins. Il surprend encore plus en se tournant vers la femme de son bienfaiteur et La Bruyère a bien raison de souligner le fait qu’un véritable imposteur ne commettrait jamais maladresse si dangereuse. Mais Tartuffe est un imposteur de théâtre. Plus loin, lorsque Damis le démasque, Tartuffe retourne la situation en abondant hypocritement dans le sens de son accusateur. Lorsque sa vraie nature est enfin connue pour de bon, loin de se sentir confondu, au contraire, il riposte par des menaces et met ces dernières à exécution.

Mais il est un autre aspect du personnage que certains critiques ont relevé et certains metteurs en scène ont mis en relief. Dans sa déclaration à Elmire (III, 3), celle qui commence par « L’amour qui nous attache aux beautés éternelles... », il prouve que, loin d’être le gueux que dénonce Dorine à l’acte I, il manie fort bien le langage de la galanterie. Dans cette longue tirade, le mélange de la galanterie et du langage dévot, loin de détoner, débouche au contraire sur une forme de préciosité courtoise du plus bel effet. Certes, dans la tirade suivante, le caractère odieux du personnage reprend finalement le dessus, ce qui est conforme à l’esprit de la pièce, mais si l’on met entre parenthèses le fait que c’est un imposteur qui parle, certain passages constituent une magnifique déclaration d’amour teinte de platonisme. « J’aurai toujours pour vous, ô suave merveille, / Une dévotion à nulle autre pareille. » Le mot dévotion n’a rien ici de risible ni de blasphématoire. Il appartient au langage amoureux courtois. Tartuffe se déclare d’une manière particulièrement raffinée ; il traite la composition, les idées, le style avec ingéniosité. Comme l’a noté Jules Lemaître à la fin du XIXe siècle : « Parole d’honneur, cela sonne presque comme du Lamartine. » Bien entendu, il ne faut surtout pas oublier qui prononce ces paroles : l’ensemble prend alors un air bizarre avec un parfum sacrilège.

On le voit, Tartuffe n’est pas un personnage simple. Il porte en lui des contradictions qui le rendent assez mystérieux. Qui estil ? D’où vient-il ? Un gueux ? Sûrement pas. Un gentilhomme comme il le laisse entendre ? En tout cas quelqu’un dont l’expérience, que nous ne connaissons pas, doit être longue, variée, originale.

Les « tartuffiés »

Mme Pernelle : son nom serait-il une contraction de « péronnelle » ? Elle est la mère d’Orgon, et en même temps son double dans la pièce, et l’antithèse d’Elmire. Elle représente l’ancienne génération, complètement dépassée, qui ne comprend plus rien au monde dans lequel elle vit. Elle est vieux jeu, rigide, chagrine, elle fait la morale à tout un chacun ; elle a un a priori défavorable envers la jeunesse. Elle paraît incapable de penser par elle-même comme le montre sa propension à utiliser des formules toutes faites et des proverbes. Elle sera, comme on pouvait s’en douter, la dernière désabusée. Le fait qu’elle soit farouche partisane de Tartuffe contribue à rendre celui-ci antipathique dès les premiers vers de la pièce, deux longs actes avant son apparition.

Orgon : c’est un homme vieillissant qui a peur de la mort et encore plus de l’enfer. On sait que, pendant la Fronde, il s’est montré fort actif : peut-être a-t-il quelque chose à se reprocher… Son plus grand souci est donc désormais de s’assurer « le paradis à la fin de ses jours ». Un trait marquant de sa personnalité est le dévouement : au roi pendant les troubles de la Fronde, mais aussi à son ami (en dépit des risques que cette fidélité comporte). Comment ne serait-il pas maintenant dévoué corps et biens à Tartuffe ? Mais dès qu’il est mis au bénéfice de Tartuffe, ce beau dévouement dégénère en aveuglement, en folie. Avant Tartuffe, Orgon était capable de « faire la part des choses » puisqu’il a servi en même temps le roi et l’ami pourtant opposant au même roi. Avec Tartuffe, Orgon devient monomaniaque.

Pour aggraver la situation, il a tendance à l’autoritarisme, c’est-à-dire qu’il manifeste son autorité de manière volontiers abusive. Il est donc heureux de pouvoir s’appuyer sur une autorité absolue : « le Ciel » qu’invoque à tout moment Tartuffe. Poussé par de si puissants motifs, Orgon s’estime dispensé de tenir compte des autres.

Enfin, il est coléreux. Il aggrave ainsi le mal comme à plaisir par ses décisions. Il ne peut résister au besoin de toujours tout pousser jusqu’à l’absurde. Non content de chasser son fils Damis, il fait de Tartuffe son héritier. Il est à la fois comique et odieux parce que le malheur augmente par sa faute, sans raison autre qu’une sorte de caprice absurde. Orgon est le contraire de l’honnête homme mesuré.

M. Loyal : son nom constitue une antiphrase. Il est surtout remarquable, en dehors du rôle qu’il joue dans le développement de l’action, par le fait qu’il apparaît comme un double de Tartuffe. Lui aussi (au début) s’exprime en adoptant le style doucereux de la dévotion. Il semble de plus être « de mèche » avec Tartuffe. Le parti des dévots forme un réseau inquiétant.

Les anti-Tartuffe

Mariane, Damis et Valère : un trio inefficace. Damis et Mariane sont frère et sœur issus d’un premier mariage d’Orgon. Elmire n’est donc pas leur mère et, en effet, jamais les deux jeunes gens ne lui parlent comme à une mère. Mais elle n’est pas une marâtre; elle n’a rien de commun avec la Béline du Malade imaginaire. Mariane et Damis réagissent à la présence et aux actions de Tartuffe de manières diamétralement opposées. Mariane est sous l’emprise « d’un père absolu » à qui elle n’ose guère répliquer. Elle ne sait que se plaindre et larmoyer (acte IV, sc. 3). Elle se définit elle-même comme timide. Damis, au contraire, est colérique. Il tient visiblement de son père. Par sa précipitation, il envenime la situation (acte III, sc. 6.)

Valère est l’amoureux et le fiancé de Mariane, à qui Orgon a retiré sa parole. Il se querelle avec Mariane (acte II) et propose à Orgon de fuir (acte V, sc. 6). Il n’a pas le génie des solutions efficaces, mais la sympathie du spectateur lui est acquise.

Cléante et Dorine : deux versions de l’honnête « homme ». Cléante est un personnage qui n’a rien de comique. Il tient les discours sérieux de la pièce, qui servent d’alternative au fanatisme d’Orgon. Il est aussi chargé de souligner la différence entre la vraie et la fausse dévotion. Molière avait tout intérêt à ne laisser planer aucun doute sur ce sujet épineux. (Voir les paragraphes : « La comédie, miroir de l’honnête homme », « L’honnête homme ou le sens de la mesure » et « La norme morale »).

Dorine n’est pas présentée comme une servante mais comme « une fille suivante ». C’est-à-dire qu’elle semble, bien que cela ne soit pas précisé, avoir un statut supérieur à la simple domestique. A-t-elle été la nourrice de Mariane ? Le mot « suivante », qui signifiait « dame de compagnie » et même, dans certains contextes, « confidente », indique qu’elle sert de chaperon à la jeune fille. Elle se caractérise par son franc-parler, son peu de respect de la hiérarchie dans la maison où elle vit. Elle est la représentante de ce qu’on appelle « le bon sens » et qui est exactement la forme populaire de la « raison » qu’incarne Cléante. Ainsi, elle exprime, de façon plaisante, vive, ironique, le point de vue que Cléante développe en termes sérieux.

Elmire : une femme de caractère. Elmire n’est pas un personnage comique. Elle ne prête jamais à rire mais elle n’a pas la relative pesanteur d’un Cléante parce qu’elle ne se contente pas de parler, elle agit et de façon particulièrement efficace. À l’acte III, si Damis n’était pas intervenu de façon intempestive, elle aurait peut-être confondu l’imposteur. Comme elle est la deuxième épouse d’Orgon, on peut se demander quel âge elle a. Elle est certainement plus jeune que son mari, elle est d’une génération plus « moderne », elle n’est pas obsédée par le salut éternel. Elle est l’exacte antithèse d’Orgon ainsi que de Mme Pernelle. Elle s’entend bien avec tout le monde, à commencer par les enfants qui ne sont pourtant pas les siens. Elle est discrète, elle respecte scrupuleusement les bienséances. (Voir « Synthèse de l’acte III », Tartuffe se déclare.) Mais surtout, elle sait prendre des risques calculés pour affronter Tartuffe en présence de son mari caché et, ce qui est sans doute largement aussi périlleux, pour ouvrir brusquement les yeux à ce dernier. Elle a donc le sens de l’initiative efficace : c’est elle qui a l’idée du stratagème et qui le met en œuvre. Ce faisant, elle endosse l’autorité de chef de famille qu’Orgon avait laissée se dévoyer.

L’exempt : il n’a pas de nom propre, il est réduit à sa fonction, celle d’un officier de police. Il est l’équivalent du deus ex machina des anciens, il représente la seule véritable autorité, celle du roi. Il intervient à l’extrême fin, au moment où la situation était devenue intenable. Il interrompt l’enchaînement des engrenages comme le réveil met fin à un cauchemar au moment où celui-ci risque de passer la limite du supportable.

Le Tartuffe ou l’Imposteur

L’œuvre : origines et prolongements

Des origines hypothétiques

LHYPOCRISIE RELIGIEUSE est un vice de tous les temps et déjà saint Matthieu dénonce les « Tartuffe » pour les siècles des siècles (Évangile, VI, 2-6.) :

« Lorsque tu fais l’aumône, ne va pas le claironner devant toi ; ainsi font les hypocrites dans les synagogues et dans les rues, afin d’être honorés des hommes ; en vérité, je vous le dis, ils ont déjà leur récompense. Pour toi, quand tu fais l’aumône, que ta main gauche ignore ce que fait ta main droite, afin que ton aumône soit secrète ; et ton Père, qui voit dans le secret, te le rendra.

Et quand vous priez, n’imitez pas les hypocrites : ils aiment, pour faire leurs prières, à se camper dans les synagogues et aux coins des places, afin de se faire voir des hommes. En vérité, je vous le dis, ils ont déjà leur récompense. Pour toi, quand tu pries, retire-toi dans ta chambre, ferme sur toi la porte et prie ton Père qui est là, dans le secret ; et ton Père, qui voit dans le secret, te le rendra. »

AU MOYEN ÂGE et au XVIe siècle, les fabliaux et le théâtre n’hésitent pas à parler de religion. La satire ne se prive pas de ridiculiser les hypocrites et, dans un épisode du Roman de Renart, ce dernier se fait moine pour des raisons qui n’ont pas grand-chose à voir avec la vocation religieuse.

Dans la 13e satire de Mathurin Régnier, une femme nommée la Macette exerce ses talents d’entremetteuse sous les dehors de la dévotion. En 1657, Les Pharisiens du temps, ou le Dévot hypocrite de Garaby de la Luzerne montre un précurseur de Tartuffe, directeur de conscience et membre d’une cabale. Mais on ne trouve nulle part un personnage de l’envergure d’un Tartuffe, qui utilise l’hypocrisie religieuse pour circonvenir une famille, y faire régner sa loi et s’approprier tous ses biens.

Molière et le thème de l’hypocrisie : un récidiviste

DANS LES FEMMES SAVANTES, Trissotin se révèle un hypocrite pour qui les belles lettres n’étaient qu’un moyen de faire un mariage avantageux. Mais il n’utilise pas la religion et, de plus, ce n’est pas en tant qu’imposteur qu’il est présent dans presque toute la pièce mais en tant que poète ridicule. On ne se rend compte de son hypocrisie que dans la dernière scène.

C’EST DANS DOM JUAN que Molière développe à nouveau le thème de l’hypocrisie, ce qui se comprend facilement si l’on considère que Dom Juan date de 1665, précisément pendant la « bataille de Tartuffe ». À l’acte V, scène 2, Dom Juan expose à Sganarelle les avantages de l’hypocrisie. Toute la tirade est à mettre en parallèle avec Tartuffe. C’est comme si le grand seigneur méchant homme formulait ce que pense Tartuffe en secret et même parfois tout haut, devant Elmire par exemple :

Dom Juan, Acte V, scène 2.

« DOM JUAN

Je m’érigerai en censeur des actions d’autrui, jugerai mal de tout le monde, et n’aurai bonne opinion que de moi. Dès qu’une fois on m’aura choqué tant soit peu, je ne pardonnerai jamais et garderai tout doucement une haine irréconciliable. […] Je ferai le vengeur des intérêts du Ciel, et, sous ce prétexte commode, je pousserai mes ennemis, je les accuserai d’impiété, et saurai déchaîner contre eux des zèles indiscrets, qui, sans connaissance de cause, crieront en public contre eux, qui les accableront d’injures, et les damneront hautement de leur autorité privée… »

Ailleurs, Dom Juan imite Tartuffe presque mot à mot en se prévalant du Ciel de façon péremptoire :

Dom Juan, Acte V, scène 1.

« DOM JUAN, faisant l’hypocrite.

Oui, vous me voyez revenu de toutes mes erreurs ; je ne suis plus le même d’hier au soir, et le Ciel tout d’un coup a fait en moi un changement qui va surprendre tout le monde… »

Dom Juan, Acte V, scène 3.

(Dom Carlos rappelle à Dom Juan l’engagement que celui-ci a pris envers Elvire.)

« DOM JUAN, d’un ton hypocrite.

Hélas ! je voudrais bien, de tout mon cœur, vous donner la satisfaction que vous souhaitez ; mais le Ciel s’y oppose directement : il a inspiré à mon âme le dessein de changer de vie…

[…]

DOM CARLOS

Croyez-vous, Dom Juan, nous éblouir par ces belles excuses ?

DOM JUAN

J’obéis à la voix du Ciel.

[…]

C’est le Ciel qui le veut ainsi.

[…]

Le Ciel l’ordonne de la sorte.

[…]

Prenez-vous en au Ciel.

[…]

Le Ciel le souhaite comme cela.

[…]

[…] le Ciel m’en défend la pensée…»

Enfin, Tartuffe et Dom Juan partagent le même avis concernant le crédit qu’on doit accorder à pareils arguments :

Tartuffe, Acte IV, scène 5.

« TARTUFFE

Si ce n’est que le Ciel qu’à mes vœux on oppose,

Lever un tel obstacle est à moi peu de chose,

Et cela ne doit pas retenir votre cœur. »

Dom Juan, acte V, scène 4.

« DOM JUAN

Va, va, le Ciel n’est pas si exact que tu penses ; et si toutes les fois que les hommes…

[…]

Si le Ciel me donne un avis, il faut qu’il parle un peu plus clairement, s’il veut que je l’entende. »

LA DIFFÉRENCE essentielle entre ces deux personnages réside dans le fait que Dom Juan utilise l’hypocrisie religieuse pour se débarrasser des importuns. Cela lui permet de parler sur un ton ironique et même cynique, d’où la brièveté et même la sècheresse de certaines de ses répliques. Il ne cache pas son hypocrisie, bien au contraire, il s’en vante. Il fait de la provocation pure et simple. En cela, il se montre en effet grand seigneur. Tartuffe, au contraire, s’exprime sur un ton doucereux et lorsqu’il invoque le Ciel, il s’efforce en général d’argumenter car son but est de s’attacher les gens pour mieux s’approprier leurs biens, leur conscience et, éventuellement, leur personne. Toujours est-il que le parallèle entre les deux comédies prouve que, malgré l’interdiction dont Tartuffe a été l’objet, Molière n’a pas renoncé à son sujet et s’est montré moins prudent qu’on le croit quelquefois.

La Bruyère a-t-il corrigé le personnage de Molière ?

DANS LES CARACTÈRES (1688), le personnage d’Onuphre (De la mode, 24) est en général interprété comme une critique de Tartuffe. Le nom lui-même – Onuphre ressemble à Tartuffe – ainsi que des allusions à certaines situations de la comédie nous induisent à penser ainsi :

« Il ne dit point : ma haire et ma discipline, au contraire ; il passerait pour ce qu’il est, pour un hypocrite, et il veut passer pour ce qu’il n’est pas, pour un homme dévot : il est vrai qu’il fait en sorte que l’on croit, sans qu’il le dise, qu’il porte une haire et qu’il se donne la discipline.

[…]

Il choisit deux ou trois jours dans toute l’année, où à propos de rien il jeûne ou fait abstinence ; mais à la fin de l’hiver, il tousse, il a une mauvaise poitrine, il a des vapeurs, il a eu de la fièvre : il se fait prier, presser, quereller pour rompre le carême dès son commencement, et il en vient là par complaisance. »

(Alors que Tartuffe est « gros et gras, le teint frais, et la bouche vermeille. »)

[…]

« S’il se trouve bien d’un homme opulent, à qui il a su imposer, dont il est le parasite, et dont il peut tirer de grands secours, il ne cajole point sa femme, il ne lui fait du moins ni avance ni déclaration ; il s’enfuira, il lui laissera son manteau, s’il n’est aussi sûr d’elle que de lui-même. Il est encore plus éloigné d’employer pour la flatter et pour la séduire le jargon de la dévotion ; ce n’est point par habitude qu’il le parle, mais avec dessein, et selon qu’il lui est utile, et jamais quand il ne servirait qu’à le rendre très ridicule.

[…]

Il ne pense point à profiter de toute sa succession, ni à s’attirer une donation générale de tous ses biens, s’il s’agit surtout de les enlever à un fils, le légitime héritier : un homme dévot n’est ni avare, ni violent, ni injuste, ni même intéressé ; […] aussi ne se joue-t-il pas à la ligne directe, et il ne s’insinue jamais dans une famille où se trouvent tout à la fois une fille à pourvoir et un fils à établir ; il y a là des droits trop forts et trop inviolables […]. Il en veut à la ligne collatérale : on l’attaque plus impunément ; il est la terreur des cousins et des cousines, du neveu et de la nièce, le flatteur et l’ami déclaré de tous les oncles qui ont fait fortune… »

EN RÉALITÉ, ce qui est mis en relief ici, c’est la différence entre un portrait ou un récit et le théâtre. Dans un portrait, l’auteur peut présenter un hypocrite parfait, c’est-à-dire non décelable par son entourage car il a toute latitude d’avertir le lecteur. Alors que le théâtre a pour obligation de donner à voir. Comme l’auteur d’une comédie ne peut fournir aucun commentaire personnel en parallèle avec le dialogue, son personnage d’hypocrite doit se signaler comme hypocrite en premier lieu alors qu’un Tartuffe dans la vie réelle s’en garderait soigneusement, ne montrant que l’apparence parfaite d’un dévot.

AINSI TARTUFFE, personnage de théâtre, doit montrer clairement qu’il est un imposteur. Le trait doit être simplifié et grossi. L’hypocrite doit être déguisé suffisamment mal, doit se trahir assez, pour que le spectateur ne se trompe pas sur son identité réelle. C’est pourquoi Tartuffe présente en même temps un habit austère et un visage de goinfre jouisseur.

LE PORTRAIT brossé par La Bruyère est plus proche de ce que serait un véritable imposteur dans la réalité. Il en paraît donc plus vraisemblable. Mais c’est que la notion de vraisemblance varie suivant qu’on est dans un portrait, un récit, ou bien dans une pièce de théâtre. Si Tartuffe ne portait pas en lui un certain nombre de contradictions qui le démasquent aux yeux du public, on ne se rendrait pas compte de ce qu’il est en réalité, pas plus qu’on ne se doute que Trissotin est autre chose qu’un poète grotesque avant l’ultime scène des Femmes savantes.

Julien Sorel, un Tartuffe maladroit et sympathique

DANS LE ROUGE ET LE NOIR (1830) de Stendhal, Julien Sorel souffre d’un grave complexe social. Il est le fils d’un fabricant de planches alors qu’il évolue dans le monde de l’aristocratie à l’époque de Louis-Philippe. Il admire Napoléon Ier mais il fréquente une société où ce dernier est regardé comme l’Antéchrist. Julien Sorel pense donc que le seul moyen de réussir pour lui est de cultiver l’hypocrisie en déguisant ses véritables opinions, en cachant ses sentiments sous une apparente froideur.

LÉPISODE central du roman montre Julien Sorel au séminaire de Besançon, mettant en œuvre sa stratégie, précisément dans un contexte religieux. Il joue donc les « Tartuffe », mais pas toujours avec bonheur, loin de là. Il se montre souvent maladroit. D’ailleurs, comment pourrait-il être un Tartuffe conforme au modèle alors qu’il est jeune, beau, séduisant, fin et plein de fraîcheur d’esprit, et qu’en plus il a des doutes ? L’abbé Pirard le prévient : « Ta carrière sera pénible. Je vois en toi quelque chose qui offense le vulgaire. » Tartuffe, lui, n’offense que l’honnête homme. Julien Sorel apparaît donc comme une variation originale sur le personnage de Tartuffe (ou plutôt sur celui d’Onuphre.) Un hypocrite inexpérimenté qui n’évite pas toujours les pièges : Julien a imprudemment choisi pour confesseur l’abbé Pirard, mal vu car soupçonné de jansénisme.

Julien Sorel est un jeune homme trop intelligent et trop indépendant, et cela se voit :

« À la vérité, les actions importantes de sa vie étaient savamment conduites ; mais il ne soignait pas les détails. Aussi, passait-il déjà parmi ses camarades pour un esprit fort. Il avait été trahi par une foule de petites actions.

À leurs yeux, il était convaincu de ce vice énorme, il pensait, il jugeait par lui-même, au lieu de suivre aveuglément l’autorité et l’exemple. ».

Un hypocrite chevronné aurait caché cette tare. Tartuffe ne pense qu’au nom du Ciel. S’en référer en toutes circonstances à l’autorité suprême est indispensable s’il veut qu’Orgon, lui non plus, ne pense jamais par lui-même.

JULIEN SOREL apprend vite mais toujours avec un temps de retard, ce qui rend ses efforts inefficaces. D’autres, moins fins que lui, trouvent d’instinct quel comportement adopter.

Prendre la physionomie du vrai dévot comme sait si bien le faire l’Onuphre de La Bruyère n’est pas à la portée de tout le monde :

« Après plusieurs mois d’application de tous les instants, Julien avait encore l’air de penser. Sa façon de remuer les yeux et de porter la bouche n’annonçait pas la foi implicite et prête à tout croire et à tout soutenir même par le martyre. »

La gloutonnerie de Tartuffe est en général considérée comme une contradiction du personnage. Or l’exemple de Julien Sorel nous prouve que la sobriété n’est pas obligatoirement bon signe. Trop de vertu peut paraître affectée.

CELUI QUI VOUDRAIT DEVENIR un véritable hypocrite et un hypocrite efficace devrait consulter Onuphre pour savoir quoi faire et observer Julien Sorel pour voir ce qu’il faut surtout éviter. L’épisode du séminaire de Besançon nous fournit un portrait en creux de l’hypocrite idéal.

Un Tartuffe en plus brutal : le film Ave Maria

EN 1984, un film s’est inspiré très librement du thème de Tartuffe, situant l’action à la fin du xxe siècle. Il s’agit de Ave Maria de Jacques Richard, avec Anna Karina, Féodor Atkine et Isabelle Pasco.

DANS UN PETIT VILLAGE de la France profonde, règne une secte pseudo-religieuse dirigée par un prêtre défroqué, Adolphe Éloi dit le « Saint Père » et sa compagne, la « Sainte Mère », Berthe Granjeux. La jeune Ursula, dont la famille appartient à la secte, a reçu une éducation morale et religieuse fanatique. À 15 ans, la jeune fille découvre ses premiers émois amoureux en la personne de Paul, à peine plus âgé qu’elle. Le « Saint Père » et la « Sainte Mère » s’attachent alors à culpabiliser l’adolescente qui, perdue et en pleine confusion, peine bientôt à distinguer le bien du mal.

CE FILM s’interroge sur la nécessité qu’éprouve le genre humain à croire en quelqu’un ou en quelque chose, sur la cruauté du choix entre la dévotion à un être suprême et la tentation d’assouvir ses pulsions terrestres. C’est le constat de la crédulité des hommes et la dénonciation des stratégies de manipulation.

Le Tartuffe ou l’Imposteur

L’œuvre et ses représentations

Des incarnations variées

Le personnage de Tartuffe est riche et, suivant les époques, les metteurs en scène l’ont plus ou moins tiré dans des directions diverses et, dans la mesure où l’on a des témoignages sur les différents interprètes, on s’aperçoit que les incarnations successives du personnage ne correspondent pas toujours au portrait que Dorine fait de lui à l’acte I, « gros et gras, le teint frais et la bouche vermeille ». Ainsi, l’on a coutume de parler du « Tartuffe de Jouvet », du « Tartuffe de Lasalle », ce qui n’empêche pas ces deux mises en scène d’être quand même le Tartuffe de Molière. Jean Vilar rapporte (De la tradition théâtrale) : « À un critique qui lui reprochait de ne pas avoir respecté les intentions de Molière, Jouvet répondit : "Tu lui as téléphoné ?" Hélas, Poquelin 00-00 ne répond pas. » Cette attitude a parfois donné lieu à des interprétations paradoxales.

Au XVIIe siècle

Tartuffe : « un gueux », « gros et gras »

On possède peu de renseignements sur la mise en scène de Molière, mais on sait que c’était l’acteur Du Croisy qui tenait le rôle de Tartuffe tandis que Molière jouait Orgon. C’est la preuve que, pour Molière, Orgon était le personnage comique puisqu’il affectionnait ce type de rôle. Quant à Du Croisy, acteur dont l’embonpoint l’empêchait de jouer les amoureux, il était spécialisé dans les rôles de père ou de valet. Il paraît donc conforme à ce que l’on apprend de Tartuffe au début de la pièce : « un gueux », « gros et gras ».

Au XVIIIe siècle

Un Tartuffe tantôt grotesque, tantôt séduisant

Deux tendances : ou bien Tartuffe était joué sur le mode comique grotesque ou bien, au contraire, on faisait de lui un homme galant, élégant, distingué, capable de faire hésiter une femme moins honnête qu’Elmire.

Au XIXe siècle

De la farce au drame

On tend à représenter Tartuffe comme une sorte de traître de mélodrame. En 1822, Stendhal observe que le public n’a « ri franchement qu’en deux endroits » (à l’acte II).

Jusqu’en 1848, applaudir Tartuffe passait pour une manifestation politique de libéralisme. À cette époque apparaissent les premières interprétations paradoxales. L’acteur Coquelin aîné, dans un opuscule qu’il a consacré à la pièce, affirme : « Tartuffe est le personnage comique de la pièce, le ridicule, la dupe. » Cette conception du personnage semble bien surprenante mais Coquelin se justifie : « Oui, il est dupe ; et savez-vous pourquoi ? Parce qu’il est sincère ; parce que ce type éternel de l’hypocrisie n’est pas un hypocrite. (…) Il doit faire rire, j’en suis convaincu, rire de lui. (…) Il n’est point sans vices et il ne craint pas de donner carrière à ceux qu’il a, car il a Dieu dans sa manche. (…) Sa conscience a subi une déviation particulière et ce grand dupeur est sa première dupe. » Il nous manque de pouvoir assister à la représentation pour nous rendre compte pleinement des intentions de l’interprète.

Au XXe siècle

L’interprétation « luciférienne » de Louis Jouvet (1951)

Siècle par excellence des interprétations hasardeuses, voire paradoxales. On parle d’ailleurs plus volontiers de « lectures ». Tartuffe a été soumis à toutes les modes, parfois au mépris des indications pourtant claires que fournit le texte. Quelquefois, les metteurs en scène n’ont pas hésité à prendre le contre-pied de la tradition.

Les interprètes n’ont pas toujours été « gros et gras », comme en témoignent les photos de Louis Jouvet en 1951.

Paul Léautaud, dans son Théâtre de Maurice Boissard, chronique parue dans le Mercure de France du 1er février 1939, rend compte d’une mise en scène donnée par la Compagnie de Paris. Celle-ci insiste particulièrement sur un Tartuffe qui aime les femmes, lascif, franchement lubrique. « M. Jean Marchat a fort bien joué cette scène, et encore mieux la suivante - que j’ai toujours vu jouer jusqu’ici d’une façon si conventionnelle. Il a donné toute sa chaleur au personnage, quand, si bien dupé par les adroits propos d’Elmire, il ne doute plus que la victoire et la possession sont là à deux minutes, lui caressant les épaules, portant presque la main à ses seins, se collant déjà à elle, comme un homme qui ne peut plus attendre, et lui envoyant des baisers en allant voir, sur sa prière, si personne ne peut les surprendre. Cela a ressemblé, un moment, à une de ces gravures qu’on voit à des ouvrages libertins, où un jeune abbé serre de près, avec des propos appropriés, une jolie dame à la gorge et aux bras nus, qui se dispose à lui rendre plaisir pour plaisir. »

En 1951, Louis Jouvet présente un Tartuffe quelque peu luciférien. Jacques Scherer, dans Structures de Tartuffe, résume ainsi ce point de vue : « Sans être vraiment hypocrite, gardant une communication réelle avec Dieu, le Tartuffe de Jouvet lutte contre ses démons, et essaie de se tirer le moins mal possible de sa situation. S’il est amoureux, il s’exprime en dévot parce que c’est le seul langage qu’il connaisse. C’est un homme inté-ressant, presque sympathique, que présentait Jouvet ; un homme douloureux, déçu, amer, qui ne voit pas clair en lui-même, mélancolique, noble, presque attirant. Au reste, Jouvet, d’après ses familiers, ne se défendait pas d’une certaine sympathie pour le personnage de Tartuffe. »

Les mises en scène de Roger Planchon (1973), d’Ariane Mnouchkine (1995) et d’Antoine Vitez (1978)

En 1973, Roger Planchon a fait des choix qui vont plus loin encore. Il voit en Tartuffe un homme jeune et séduisant. Il montre la famille d’Orgon dans le détail de sa vie quotidienne : on déjeune sur scène, Dorine étend le linge. À l’acte III, le décor présente une maison en travaux de manière à suggérer qu’on vit une période de changement, changement qui se produira brutalement dans la dernière scène de l’acte V. Roger Planchon prétend faire une lecture politique de la pièce : le changement profond étant en réalité l’accession de Louis XIV au pouvoir absolu.

En 1995, Ariane Mnouchkine proposera une nouvelle lecture politique en rapport direct avec l’actualité, un peu lourde peut-être. Les femmes sont voilées (mais qu’en est-il du sein de Dorine ?) et des fanatiques barbus suivent partout Tartuffe. Plus que sur l’oppression politique, cette mise en scène insiste sur la manipulation des esprits par le fanatisme et le sectarisme.

En 1978, Antoine Vitez au festival d’Avignon tente de retrouver le théâtre forain qui avait nourri Molière. Un décor simplifié sert aussi pour L’École des femmes, Dom Juan et Le Misanthrope. Les accessoires sont réduits au strict minimum.

La vision tragique de Jacques Lasalle (1984)

En 1984, Jacques Lasalle, au Théâtre national de Strasbourg, dans un décor particulièrement austère, tire la pièce vers le roman noir, avec Gérard Depardieu dans le rôle-titre. Tous les effets comiques sont masqués ou supprimés (sans toutefois toucher au texte.) Le ton est grave, voire tragique ; on baigne dans une atmosphère de catastrophe imminente.

On le voit, cette comédie a subi toutes les modes et parfois les lubies des metteurs en scène sans jamais cesser d’être à l’affiche. Cela prouve que malgré les exagérations, voire les trahisons, sa richesse est capable d’incarner les préoccupations des diverses époques auxquelles on l’a jouée.

Le Tartuffe ou l’Imposteur

L’œuvre à l’examen

À l’ écrit

Objet d’étude : le théâtre, texte et représentation.

Corpus bac : l’exposition au théâtre, formes et fonctions.

TEXTE 1

Tartuffe, Molière. Acte I, scène 1.

TEXTE 2

Lorenzaccio (1834), Alfred de Musset. Acte I, scène 1.

Un jardin. – Clair de lune. Un pavillon dans le fond, un autre sur le devant.

Entrent Le Duc, Lorenzo, couverts de leurs manteaux ; Giomo, une lanterne à la main.

LE DUC. Qu’elle me fasse attendre encore un quart d’heure, et je m’en vais. Il fait un froid de tous les diables.

LORENZO. Patience, Altesse, patience.

LE DUC. Elle devait sortir de chez sa mère à minuit ; il est minuit, et elle ne vient pourtant pas.

LORENZO. Si elle ne vient pas, dites que je suis un sot, et que la vieille mère est une honnête femme.

LE DUC. Entrailles du pape ! avec tout cela je suis volé d’un millier de ducats.

LORENZO. Nous n’avons avancé que moitié. Je réponds de la petite. Deux grands yeux languissants, cela ne trompe pas. Quoi de plus curieux pour le connaisseur que la débauche à la mamelle ? Voir dans une enfant de quinze ans la rouée à venir ; étudier, ensemencer, infiltrer paternellement le filon mystérieux du vice dans un conseil d’ami, dans une caresse au menton ; – tout dire et ne rien dire, selon le caractère des parents ; – habituer doucement l’imagination qui se développe à donner des corps à ses fantômes, à toucher ce qui l’effraie, à mépriser ce qui la protège ! Cela va plus vite qu’on ne pense ; le vrai mérite est de frapper juste. Et quel trésor que celle-ci ! Tout ce qui peut faire passer une nuit délicieuse à votre altesse ! Tant de pudeur ! Une jeune chatte qui veut bien des confitures, mais qui ne veut pas se salir la patte. Proprette comme une flamande ! La médiocrité bourgeoise en personne. D’ailleurs, fille de bonnes gens, à qui leur peu de fortune n’a pas permis une éducation solide ; point de fond dans les principes, rien qu’un léger vernis ; mais quel flot violent d’un fleuve magnifique sous cette couche de glace fragile qui craque à chaque pas ! Jamais arbuste en fleur n’a promis de fruits plus rares, jamais je n’ai humé dans une atmosphère enfantine plus exquise odeur de courtisanerie.

LE DUC. Sacrebleu ! Je ne vois pas le signal. Il faut pourtant que j’aille au bal chez Nasi ! c’est aujourd’hui qu’il marie sa fille.

SUJET

a. Question préliminaire (sur 4 points)

Ces deux scènes d’exposition ont une fonction informative. Vous montrerez comment elles font passer les informations essentielles (sur le genre et la tonalité de la pièce, l’époque et le lieu, les personnages et l’action), sans jamais avoir l’air de s’adresser au spectateur par-dessus la tête des personnages.

b. Travaux d’écriture au choix (sur 16 points)

Sujet 1. Commentaire.

Commentez la scène 1 de l’acte l de Tartuffe.

Sujet 2. Dissertation.

Un auteur dramatique écrit : « Les créatures de théâtre comme celles de la vie, doivent garder une part d’ambiguïté et d’indétermination. Elles ne doivent pas se livrer tout entières. Elles doivent rester pour nous des sujets d’interrogation. »

En vous fondant sur les deux extraits proposés et sur d’autres textes que vous connaissez, vous vous demanderez si cette part de mystère est toujours nécessaire et dans tous les moments de la pièce également.

Sujet 3. Écriture d’invention.

Rédigez sous forme de scène d’exposition, dans un dialogue entre deux personnages ou plus, le début d’une pièce policière, qui aurait pour sujet la disparition mystérieuse de Tartuffe. Le dévot étant installé dans la famille, fiancé à Mariane, plus ou moins toléré par les membres de la famille, votre exposition devra présenter cette situation insolite, Tartuffe, qui avait réussi dans toutes ses entreprises, est parti (ou alors on l’a fait partir, ou pire... à vous de suggérer des pistes).

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Le Tartuffe ou l’Imposteur

L’œuvre à l’examen

À l’ oral

Objet d’étude : comique et comédie.

Acte II, scènes 1, 2, et 3.

Sujet : lecture analytique de ces scènes de malentendu sentimental.

RAPPEL

Une lecture analytique peut suivre les étapes suivantes :

I. Mise en situation du passage, puis lecture à haute voix

II. Projet de lecture

III. Composition du passage

IV. Analyse du passage

V. Conclusion - remarques à regrouper un jour d’oral en fonction de la question posée

I. Situation du passage

À la fin de l’acte I, Cléante aborde la question du mariage de Mariane, fiancée à Valère. Il découvre alors qu’Orgon a changé d’avis mais il ne sait pas encore quel nouveau projet son beau-frère a en tête. Une seule chose est certaine : le bonheur de Mariane est compromis : « Pour son amour je crains une disgrâce,/Et je dois l’avertir de tout ce qui se passe.» Les trois scènes que nous proposons à l’étude montrent les réactions des personnages intéressés à cette nouvelle situation. Elles ne font pas avancer l’histoire puisque les personnages n’agissent pas. Ils ne font que commenter. Même Dorine n’y est énergique qu’en paroles. Personne ne remet en cause l’autorité d’Orgon comme chef de famille. Mais ces trois scènes permettent d’approfondir le portrait de Tartuffe avant qu’il n’apparaisse à l’acte suivant. Cela fait qu’on se le représente plus précisément en tant qu’homme. Mais attention ! on ne trouve pas là un portrait de Tartuffe tel qu’il est (ce portrait, on l’a eu au premier acte,) mais tel que les autres personnages l’imaginent en fonction de ce qu’ils savent.

II. Projet de lecture

Un portrait de Tartuffe en mari

a. Tartuffe vu par Orgon : un mari idéal. Il s’agit d’un mariage non pas d’inclination mais arrangé par le père dans le seul but de satisfaire son idée fixe à lui. L’opinion de Mariane ne pèse d’aucun poids dans la décision. On a là la même situation que dans Le Malade imaginaire, par exemple. Malgré son autoritarisme extrême, Orgon se sent tout de même tenu de brosser de Tartuffe un portrait présentable, voire alléchant. Qu’attend-on d’un mari dans une maison honnête au temps de Molière ? Qu’il soit de bonne moralité, attentif à son épouse, qu’il ait du bien. Si par-dessus le marché il est noble, il n’en paraîtra que plus attirant. Qu’à cela ne tienne : aux dires d’Orgon, Tartuffe présente justement toutes ces qualités :

- Tartuffe serait gentilhomme .

- Il a autrefois possédé des biens qu’il a perdus. Pour quelle raison ? Par désintérêt des choses temporelles. Orgon se propose de lui donner les moyens « de sortir d’embarras et rentrer dans ses biens » . Comment ? La dot de Mariane, sans doute, bien que le mot ne soit jamais prononcé.

- Sa pauvreté actuelle, loin d’être une tare, est au contraire, prétend Orgon, la conséquence, et donc la preuve, de l’excellence de son âme.

- Il sera « tout confit en douceurs et plaisirs ». Orgon sait de quoi il parle car c’est l’attitude qu’affecte Tartuffe envers lui.

- Surtout, il a le Ciel de son côté, ce qui serait en soi une raison suffisante pour l’épouser : « Enfin avec le Ciel l’autre est le mieux du monde / Et c’est une richesse à nulle autre pareille. »

b.Tartuffe vu par Dorine s’adressant à Orgon : un future cocu. Pour Dorine, ce mariage est pure bagatelle :

- Tartuffe n’est qu’un gueux .

- Il est accablé d’un physique peu attirant : « Oui, c’est un beau museau. » .

- C’est un bigot, c’est-à-dire une personne à la dévotion outrée (« punaise de sacristie », « grenouille de bénitier »).

- Il est hypocrite. Dorine à propos de Valère évoque la conduite de Tartuffe à l’église.

- C’est un ambitieux.

- En conséquence, c’est à coup sûr un futur cocu :

« Il est bien difficile enfin d’être fidèle/À de certains maris faits d’un certain modèle. »

Au bout du compte, ce qui guette Mariane, c’est le péché dont Orgon devrait avoir horreur. On retrouve donc le thème cher à l’Arnolphe de l’École des femmes : le cocu, « ceux dont partout on montre au doigt le front. » .

c.Tartuffe vu par Dorine s’adressant à Mariane : un mariprovincial. Si Mariane épouse Tartuffe, elle sera obligée de suivreson mari en province :

- Tartuffe n’est pas « un homme qui se mouche du pied », c’est-à-dire qu’il ne se prend pas pour le premier venu.

- Il se prétend noble : « chez lui », précise Dorine. Autant dire qu’on ne peut vérifier.

- Il a « l’oreille rouge et le teint bien fleuri », c’est-à-dire qu’il a de vives couleurs, à une époque où les hommes à la mode se poudrent le visage pour être blancs. Le hâle de la peau signifie qu’on travaille au dehors, ce qui n’est pas de bon ton.

- Étant notable seulement « chez lui », il faudra donc quitter Paris. Or à l’époque de Molière, la province est regardée comme un « désert» (on n’y trouve pas la belle société).

- Malheureusement, Tartuffe ne possède pas de carrosse. (Voir l’importance de ce véhicule dans l’épigramme de Trissotin, dans Les Femmes savantes.) Il se déplace en coche, le moyen de transport le plus populaire et le plus inconfortable. (Voir La Fontaine.)

- Dans sa petite ville, il est entouré d’une nombreuse famille dont on peut craindre qu’elle ne lui ressemble.

- Mariane, devenue Mme Tartuffe, devra endurer les airs supérieurs des dames du cru.

- Pour toute distraction, elle n’aura que des fêtes de village. Deux musettes (cornemuses) par opposition à la grand’bande, c’est-à-dire l’orchestre du roi qui comprenait vingt-quatre violons.

III. Composition du passage

1. Coup de théâtre : le père annonce à sa fille qu’elle va épouser Tartuffe alors qu’elle était jusqu’alors promise à Valère (III, 1).

2. Dorine dit ses quatre vérités à Orgon (II, 2).

3. Dorine s’efforce de stimuler Mariane pour qu’elle sorte de sa passivité (II, 3).

IV. Analyse du passage

1. Orgon se révèle (scènes 1 et 2)

On insistera sur la nature et le style des arguments d’Orgon. Bien que celui-ci soit autoritaire à l’extrême et décide en maître absolu, ses désirs sont tellement saugrenus qu’il ne peut se dispenser d’argumenter.

D’abord (scène 1), il ne présente pas son projet de mariage directement mais il tend un piège à sa fille. Il aborde la question de biais, sous l’angle de l’obéissance qu’une fille doit à son père. Il s’exprime de telle manière que Mariane ne peut que l’approuver . Cependant, elle regimbe : « Il n’en est rien, mon père, je vous jure. » Elle n’en dit guère plus mais le piège n’a pas pleinement réussi.

Ensuite, comme faire un portrait flatteur de Tartuffe relève de la gageure, Orgon ne s’embarrasse pas de nuances. Il s’appuie sur des affirmations gratuites, ne reposant sur aucune preuve : « Et tel que l’on le voit, il est bien gentilhomme. » La force de tels arguments ne tient que dans le ton péremptoire sur lequel ils sont avancés. Il utilise une rhétorique enthousiaste jusqu’au grotesque : « Ensemble vous vivrez, dans des ardeurs fidèles, / Comme deux vrais enfants, comme deux tourterelles.»

Ces mots sont dictés par la folie d’Orgon mais voudrait-il se moquer de sa fille avec la plus grande cruauté qu’il ne trouverait pas de mots plus blessants : il est prêt à s’aveugler de n’importe quelle illusion pourvu qu’on se plie à sa volonté.

2. Dorine face à Orgon (scène 2)

Dorine est le porte-parole du bon sens populaire, elle a son franc-parler. « Un peu forte en gueule », dit Mme Pernelle de Dorine à l’acte I.

Elle n’hésite pas à parler de certaines réalités bien opposées à la dévotion, les cocus et les cornes par exemple, et cela devant Mariane qui ne dit rien mais qui est bien présente dans cette scène. C’est sa force : elle ne se laisse pas intimider par le maître de maison malgré l’ordre qu’il lui donne de se taire. Elle n’hésite pas à lui couper la parole. Elle n’oublie aucun aspect du personnage de Tartuffe. Dans cette scène, elle n’est pas franchement comique : elle exprime en termes réalistes et populaires les mêmes idées que celles de Cléante. C’est aussi sa faiblesse : dire ses quatre vérités à une personne colérique est le meilleur moyen de la buter, ce qui ne manque pas de se produire avec Orgon : « Je ne veux pas qu’on m’aime. » Et la discussion finit par une gifle qui manque son but .

Dorine est donc lucide ; elle a la parole facile, claire, précise, mais ce ne sont, tout compte fait, que des mots. Elle n’obtient rien d’Orgon, pas plus que Cléante, pas plus que Damis.

3. Dorine face à Mariane (scène 3)

Elle adopte un ton différent : l’antiphrase. C’est une manière de s’exprimer qui dit le contraire de ce qu’elle veut faire comprendre. C’est une forme spectaculaire de l’ironie, particulièrement cinglante. Ainsi, elle affiche une fausse admiration outrée pour ce que sera la vie de Mariane une fois qu’elle aura épousé Tartuffe. Le résultat est un tableau particulièrement désespérant de l’avenir. Le procédé n’est pas moins insolent que le franc-parler dont elle a usé avec Orgon mais son intention n’est pas de blesser. Au contraire. Elle veut encourager, réveiller Mariane trop timide, trop respectueuse, et pour tout dire terrorisée par son père.

4. La résignation de Mariane (scènes 1, 2 et 3)

Elle ne tombe pas à pieds joints dans le piège que lui tend son père mais elle réagit faiblement. « Eh ? », « Plaît-il ? » : voilà qui ne témoigne pas d’un grand sens de la repartie.

Il faut souligner le fait que, dans la scène 2, elle est présente mais ne dit pas un mot, même quand, dans la dernière réplique, son père s’adresse à elle.

Dans la scène 3, elle montre son dégoût pour Tartuffe mais tout autant, ce qui est plus grave, l’impossibilité dans laquelle elle se sent de répliquer à son père. Ce qui fait qu’elle réagira à contre-temps devant Valère et créera entre eux un malentendu que Dorine devra apaiser.

V. Conclusion

Mariane est la sœur de l’Angélique du Malade imaginaire. La pièce la montre incapable de se défendre seule. Elle n’agit pas ; la question du mariage projeté ne devient pas le nœud de l’intrigue, mais reste simplement une péripétie qui broie au passage une innocente. La pièce est centrée sur l’irrésistible ascension de Tartuffe.

AUTRES SUJETS TYPES

• Les mariages forcés et l’autorité paternelle. Comparez avec d’autres comédies de Molière : Le Malade imaginaire, Les Femmes savantes (où il s’agit plutôt de l’autorité maternelle), L’École des femmes (l’autorité du tuteur, qui est aussi le futur époux).

• Le comique grinçant : ces trois scènes sont à la fois comiques (étudiez les procédés) et dramatiques (un père sacrifie sa fille au nom du Ciel et on ne voit pas comment l’en dissuader).

• Le thème du mari trompé chez Molière : L’École des femmes, Sganarelle ou le Cocu imaginaire, George Dandin ou le Mari confondu.

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Le Tartuffe ou l’Imposteur

Outils de lecture

Acte

Les actes sont des unités d’action et des moments continus, séparés par les entractes qui ménagent des coupures dans la durée.

Aparté

Propos qu’un personnage dethéâtre prononce pour lui-même, ou pour un interlocuteur ciblé, et qui est censé ne pas être entendu par les autres acteurs présents sur scène.

Bienséance

Règle classique par laquelle l’auteur ne doit pas choquer la sensibilité (ni violence, ni trivialité sur scène).

Casuistique

Partie de la morale qui traite des cas de conscience.

Coup de théâtre

Renversement brutal de situation.

Dénouement

Partie de la pièce (vers la fin) qui comprend l’élimination du dernier obstacle.

Deux ex machina («dieu sortant de la machine »)

Personnage extérieur à l’intrigue qui intervient au dernier moment pour dénouer une action apparemment inextricable.

Didascalie

Indication scénique.

Éponyme

Se dit d’un personnage qui donne son nom au titre de l’œuvre : Tartuffe est le héros éponyme de la pièce.

Exposition

Premier moment d’une pièce de théâtre, donnant les informations sur la situation et préparant la suite de l’action.

Farce

Courte pièce populaire très simple où dominent les jeux de scène.

Honnêteté

Idéal social du XVIIe siècle. L’honnête homme est un homme de bonne compagnie, distingué par les manières et l’esprit.

Intrigue

Trame qui assure la cohérence de la pièce. C’est la combinaison des circonstances et des incidents qui forment le nœud de l’action jusqu’à son dénouement. C’est ce qui fait que la pièce n’est pas une simple succession de tableaux mais forme une histoire.

Ironie

Paroles qu’il faut entendre dans un autre sens : le locuteur n’adhère pas à ce qu’il dit et le fait savoir discrètement par des signaux ironiques (intonation, figures excessives, etc.).

Jeu de scène

Très court scénario gestuel (déplacement, mimique, rire) qui vise à produire un effet.

Lyrisme

Expression poétique des sentiments personnels au détriment de la narration (étymologiquement « poésie chantée avec accompagnement de la lyre »).

Métaphore

Comparaison sans terme introducteur, la métaphore remplace un terme par un autre qui lui est lié par un rapport de ressemblance.

Péripétie

Changement d’action par un retournement fort de situation (rebondissement).

Personnage

Persona, en latin, désigne unmasque de théâtre à travers lequel l’acteur fait entendre sa voix. Le personnage, qui ne se confond pas avec l’acteur, désigne d’abord un type, un rôle qu’on peut attribuer à un masque. C’est une créature virtuelle.

Réplique

Au sens large, on appelle réplique une unité de parole dans le dialogue. Au sens étroit, la réplique désigne la phrase qui sert de signal à un acteur pour entrer en scène ou pour répondre au texte de son partenaire.

Restriction mentale

Acte par lequel on ôte à ses paroles ou à ses actes, quelle que soit leur valeur morale, toute mauvaise intention.

Scène

Partie d’un acte délimitée par les entrées et sorties des personnages.

Stichomythie

Dialogue rapide où les répliques sont de longueur égale.

Tirade

Réplique longue qui a une unité en soi.

Type

Personnage caractérisé par les mêmes traits psychologiques et physiques dans les différentes pièces où il apparaît.

Unité d’action

Règle classique selon laquelle une pièce ne doit comporter qu’une action principale pour éviter la dispersion de l’intérêt dramatique.

Unité de lieu

Règle classique qui préconise que l’action ne se déplace pas d’un lieu à un autre. Elle recommande un décor neutre (place publique, antichambre) propice aux rencontres.

Unité de temps

Règle classique qui voudrait faire coïncider le temps de la représentation avec la durée de l’action. Elle préconise de limiter la durée de l’action dramatique à 24 heures.

Vraisemblance

Règle classique qui recommande qu’une fiction soit conforme à l’opinion du public. La vraisemblance n’est pas fondée sur la vérité historique, mais sur le respect des codes sociaux et des valeurs de l’époque.

Le Tartuffe ou l’Imposteur

Bibliographie, filmographie

Édition

• Molière, Œuvres complètes, éd. R. Joanny, Bordas, coll. « Classiques Garnier », 1962, tome 1.

• Molière, Œuvres complètes, éd. G. Couton, Gallimard, coll. « La Pléiade », 1983, tome 1.

Sur Molière

• Bray René, Molière homme de théâtre, Mercure de France, 1954, rééd. 1963.

• Forestier Georges, Molière, Bordas, coll. « En toutes lettres », 1990.

Ouvrages généraux sur le théâtre

• Conesa Gabriel, La Comédie de lâge classique, 1630-1715, Le Seuil, 1995.

• Larthomas Pierre, Le Langage dramatique, sa nature, ses procédés, Colin, 1972, rééd. PUF, Paris, 1980.

• Rullier-Theuret Françoise, Le Texte de théâtre, Hachette, coll. « Ancrages », 2003.

• Scherer Jacques, La Dramaturgie classique en France, Paris, Nizet, 1re éd. 1950, rééd. 1977.

• Ubersfeld Anne, Lire le théâtre, II: L’école du spectateur, III : Le dialogue de théâtre, Belin, Paris, 1996.

Ouvrages généraux sur le XVIIe siècle

• Bénichou Paul, Morales du grand siècle, Gallimard 1948, rééd. coll. « Folio essais », 1988.

Sur Tartuffe

• Albanese Ralph, Le Dynamisme de la peur chez Molière, University of Mississipi, 1976.

• Ferreyrolles Gérard, Tartuffe, PUF, coll. « Études littéraires », 1987.

• Guicharnaud Jacques, Molière, une aventure théâtrale, Gallimard, coll. « Bibliothèque des idées », 1963, 2e éd. 1984.

• Pommier René, Études sur Tartuffe, SEDES, 1991.

• Scherer Jacques, Structures de Tartuffe, SEDES, 1966.

Mises en scène de Tartuffe à l’écran

• Trois Tartuffe muets : de Piero Fosco (1908), de Albert Capellani (1910) et de Friedrich Murnau (1925).

Tartuffe à la Comédie-Française, 1968 (mise en scène de J. Charon, avec R. Hirsch dans le rôle de Tartuffe).

Tartuffe au Théâtre national de Strasbourg, 1984 (mise en scène de J. Lasalle, avec G. Depardieu dans le rôle de Tartuffe).

Le Tartuffe ou l’Imposteur

ONT COLLABORÉ À CE PETIT CLASSIQUE

Direction de la collection : Yves GARNIER et Line KAROUBI

Direction éditoriale : Line KAROUBI, avec le concours de Romain LANCREY-JAVAL

Édition : Patricia MAIRE, avec la collaboration de Marie-Hélène Christensen

Lecture-correction : service Lecture-correction Larousse

Recherche iconographique : Valérie PERRIN, Laure BACCHETTA

Direction artistique : Uli MEINDL

Couverture et maquette intérieure : Serge CORTESI

Dessin de coverture : Alian BOYER

Responsable de fabrication : Marlène DELBEKEN

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