INTRODUCTION
Mythe ou réalité
Le Nouveau Larousse illustré définit la cathédrale comme l'« église épiscopale du diocèse », ce qui est exact ; il ajoute cependant à cette affirmation une notion plus vague après avoir cité comme exemple Notre-Dame de Paris, « grande église monumentale de l'architecture chrétienne du Moyen Age ». Ainsi se trouve posée d'entrée de jeu la problématique de la cathédrale. Pour l'homme du commun qui n'est pas spécialiste du domaine de la religion, la cathédrale est avant tout un édifice catholique de grande dimension, de style gothique. Que d'édifices annoncés par des panonceaux touristiques comme cathédrales ne sont en fait que des églises paroissiales ! – ce qui d'ailleurs n'enlève rien à leur mérite ou à leur intérêt. Il est étrange de remarquer qu'il s'agit toujours de monuments gothiques. On imagine mal, en France du moins, qu'il puisse y avoir des cathédrales romanes ou d'autres de l'époque classique. A contrario, on constate avec étonnement que celle de Saint-Denis, ville choisie comme chef-lieu du diocèse lors de la création du département de la Seine-Saint-Denis, conserve son titre de « basilique » aussi bien pour les habitants qui n'y voient pas malice que pour les hautes autorités de l'État, sans que les uns ou les autres sachent véritablement ce que recouvre ce terme. Pourtant elle aurait pu servir à conforter le mythe gothique : elle ne se trouve pas véritablement en ville, mais dans une banlieue jugée dangereuse car appartenant à cette fameuse « ceinture rouge ».
Cette mythification de la « cathédrale » puise ses sources dans le XIXe siècle et plus particulièrement dans le mouvement romantique. La découverte bouleversante de l'architecture gothique par cette génération de 1830, qui prend en compte la puissance de la foi catholique et la force de la monarchie, va déclencher un mouvement que les incroyants vont se trouver contraints, tant il est dynamique, de reprendre à leur compte tout en lui donnant une signification autre, d'inspiration laïque. À cette différence d'appréciation, qui tient à la diversité des sensibilités, il faut ajouter la variété apportée suivant le pays : chaque nation a réagi de façon différente à l'image de son passé.
L'ANGLETERRE
L'Angleterre a été le premier pays de l'Europe à se trouver confronté à son passé culturel et à avoir élaboré à son propos une doctrine dont devaient s'inspirer bien des étrangers. La sécularisation des monastères, ordonnée par Henri VIII en 1536 et 1539, provoqua un abandon de nombre d'entre eux, et leurs ruines précoces suscitèrent aussitôt un intérêt passionné. Dès le milieu du XVe siècle, John Leland prit à cœur de décrire les restes de l'abbaye de Malmesbury transformée en manufacture de drap. Sir William Dugdale obéit à une semblable inspiration lorsqu'il entreprit de rédiger l'Histoire de la cathédrale Saint-Paul (Londres, 1658), cherchant à conserver un témoignage de l'édifice qui avait particulièrement souffert des attaques des puritains. Ainsi s'explique-t-on que les gravures de Wenceslas Hollar ne tiennent pas compte des déprédations dévastatrices. La Société des antiquaires de Londres allait reprendre en compte ce mouvement trop individuel et amplifier cet intérêt pour l'architecture gothique. Elle se mit à éditer une revue, Archaœlogia (1770), dans laquelle elle publia de remarquables monographies sur les cathédrales anglaises. Ce courant devait trouver son apogée dans l'œuvre de Pugin, Contrasts (1836), qui a su attirer avec un certain brio l'attention générale sur l'architecture médiévale. Pour la première fois se trouvait évoqué le lien étroit entre la religion et l'architecture et affirmée la supériorité de l'architecture médiévale. Aussi, après l'incendie du Parlement en 1834, prit-il résolument parti pour une reconstruction du monument en style gothique, persuadé que ce style l'emportait sur tous les autres du point de vue moral. L'architecte, sir Charles Barry ( 1796-1860), malgré ses goûts classiques, élabora un monument gothique (1836) qui s'inspire, pour le décor, de la chapelle d'Henri VII voisine, mais qui, dans le rythme de la façade sur la Tamise, n'échappe pas à un formalisme palladien.
L'ALLEMAGNE
En Allemagne, la découverte de l'architecture gothique prit une autre dimension, liée à la politique, qui s'inscrit dans un contexte romantique identique : les guerres de Napoléon avaient profondément secoué cette mosaïque de pays, les laissant assoiffés d'unité. Cependant, dès avant cette date, la cathédrale de Strasbourg était reconnue comme symbole de l'âme allemande. Valorisant un terme que les humanistes italiens de la Renaissance avaient accolé à l'architecture du XIIIe siècle (tedesco), Goethe en avait tiré la conclusion que l'art gothique était un art authentiquement allemand (Von der deutscher Baukunst, 1773). Analysant la façade de cette cathédrale généreusement attribuée à Erwin de Steinbach, le poète y reconnaissait l'incarnation d'un art enraciné dans la nature. Erwin, dont la tombe venait d'être découverte, devint un mythe qui égalait celui de Dürer pour l'invention et le génie national. Les écrivains du « Sturm und Drang », à la suite de Herder, s'engouffrèrent dans la voie ouverte par Goethe. On assista à une résurrection du Moyen Age avec tous les partis pris d'un nationalisme exacerbé. Nuremberg devint un des hauts lieux du mouvement. Mais rapidement l'intérêt se déplaça de Strasbourg sur Cologne, qui allait canaliser pendant près d'un demi-siècle l'énergie d'un peuple.