CALENDRIER
DE LA RÉVOLUTION

(nouveau style)

3 avrilDeux divisions russes écrasées sur le Stokhod.
Le ministère allemand des Affaires étrangères demande au ministère des Finances un supplément de cinq millions de marks « à des fins politiques en Russie ».
F. Platten chargé par Lénine d’entrer en contacts secrets avec l’ambassadeur d’Allemagne à Berne.
6 avrilVendredi Saint en Occident.
Les États-Unis déclarent la guerre à l’Allemagne.
Le gouvernement allemand fait part au groupe de Lénine de son accord pour un voyage en wagon isolé.
7-10 avrilCongrès du parti Cadet* à Pétrograd.
Le groupe de Lénine-Zinoviev quitte Zurich pour l’Allemagne. L’ambassadeur d’Allemagne à Berne : « Il est absolument indispensable que la presse allemande ignore tout de la chose. »
11-16 avrilConférence panrusse des Soviets à Pétrograd
12 avrilLe groupe de Lénine vogue vers la Suède. Décision de l’empereur Guillaume : si la Suède ne l’accepte pas, le faire passer par le front de l’Est.
13 avrilAccueil de Plékhanov à la gare de Finlande.
14 avrilJournée passée par Lénine dans un coin perdu de Suède et occultée par ses biographies (rencontre avec Parvus ?).
15 avrilPremier jour de la Pâque orthodoxe.
16 avrilAccueil de Lénine à la gare de Finlande.
17 avrilAu palais de Tauride, Lénine énonce ses thèses* (« d’avril ») sur l’approfondissement de la révolution.
21 avrilÀ la gare de Finlande, accueil de Tchernov, Deutsch, Avxentiev, Savinkov.

ENTREE EN MATIÈRE

DOCUMENTS — 1

6 avril

LE SECRÉTAIRE PARTICULIER DE GEORGE V STAMFORDHAM AU MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES BALFOUR



… Je dois vous supplier de faire savoir au Premier ministre que tout ce que le Roi entend dire et lit dans la presse montre que la présence de l’Empereur et de l’Impératrice dans ce pays déplairait au public et compromettrait, bien entendu, la position du Roi et de la Reine… Il faut que Buchanan fasse savoir à Milioukov que le mécontentement causé en Angleterre par la perspective de l’arrivée de l’Empereur et de l’Impératrice est si fort que nous devons revenir sur notre précédent accord à la proposition du gouvernement russe…

DOCUMENTS — 2

13 avril

BUCHANAN, AMBASSADEUR À PÉTROGRAD, AU MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES BALFOUR



Je suis entièrement d’accord avec vous… Il vaudra beaucoup mieux que l’ex-empereur ne se rende pas en Angleterre.

1

Les social-démocrates relégués en Sibérie s’étaient vus subitement confrontés à la chose : on était venu demander à Tsérétéli, devenu en deux jours le maître d’Irkoutsk, s’il fallait acheminer vers le front des convois d’équipement arrivés de Vladivostok. Et Tsérétéli s’était exclamé sans la moindre hésitation : « Naturellement ! » Ainsi était né ce que, dans quelques semaines, on allait railler sous le nom de « défensisme* révolutionnaire ».

La guerre ! Que n’en avaient dit et pensé les relégués, toutes ces années-là ! Une attitude passionnément négative les unissait tous contre cette guerre absurde, particulièrement insensée pour la Russie qui n’avait nul besoin du moindre pouce d’acquisition territoriale. Mais l’espoir ne s’était pas concrétisé que les partis socialistes d’Europe occidentale combattraient chacun dans son propre pays les tendances impérialistes : chose ahurissante, la classe ouvrière y éprouvait plus de sympathie pour la politique nationale de sa classe dirigeante que pour les tâches internationales du prolétariat. Nous seuls, les Russes, faisions exception : nous refusions d’être aussi myopement pratiques et dépourvus de principes que nos frères occidentaux. Il y avait toutefois peu d’espoir que cette guerre prenne fin au milieu de soulèvements populaires ; à quel camp, du coup, fallait-il souhaiter la victoire ? D’Europe arrivaient des publications racontant que Lénine affichait un « nationalisme à l’envers » : souhaiter la défaite de la Russie et y travailler. Mais les socialistes sibériens (aussi bien Tsérétéli et ses camarades de parti – Dan, Voïtinski, Weinstein, Gornstein, Iermolaïev – que le S.-R. Gotz) avaient adopté, pour leur part, une ligne de neutralité absolue. En d’autres termes, ils auraient volontiers sympathisé avec les démocraties occidentales, mais cela signifiait du même coup la victoire du tsarisme, ce qui était horrible. Seul espoir : les intérêts fondamentaux de la bourgeoisie russe se révéleraient incompatibles avec l’autocratie et commenceraient à l’ébranler.

Et soudain, voilà la révolution qui éclate ! Avec cette guerre en héritage. Et les socialistes russes, d’opposition persécutée et sans responsabilités, se métamorphosèrent en maîtres d’un pays en révolution. Ce qui provoqua un tournant psychologique dans leur attitude vis-à-vis de la guerre : avant même d’être formulé en théorie, il se manifesta brusquement chez Tsérétéli de la façon qu’on a vue.