Préambule

Pourquoi ce livre ?

La cigarette électronique est un produit qui défie tous les modèles de développement. Habituellement, les produits de consommation qui émergent naissent de la conception de grandes compagnies qui imaginent une nouvelle voiture, une nouvelle télévision, une nouvelle cigarette, optimisent le produit et conduisent de nombreux tests avant de les commercialiser. Plus rarement, un nouveau produit provient d’une idée de génie d’un inventeur qui cherche avec passion des débouchés pour son invention.

L’e-cigarette ne correspond à aucun de ces critères habituels de développement des produits modernes. L’e-cigarette est née de l’histoire d’amour d’un fils pour son père fumeur souffrant d’un cancer. Celui-ci toussait toute la journée et sa souffrance à chaque effort de toux était devenue insupportable pour lui et pour son fils. Cette « histoire », qui pour les vapoteurs est maintenant assimilée à de l’histoire ancienne, remonte à une dizaine d’années.

Que de chemin parcouru en si peu de temps !

À l’époque, ces produits étaient loin de fonctionner de façon optimale et il s’en est suivi un bricolage frénétique des e-cigarettes et de leurs e-liquides, et ce jusqu’en 2010.

Les compagnies de tabac qui, dans les années 1990, avaient elles-mêmes essayé de développer des cigarettes générant moins de fumée pour en réduire les effets toxiques n’avaient pas réussi à inventer « le » produit qui plaise aux consommateurs ; ainsi, jusqu’au milieu de l’année 2010, ils ne croyaient pas à l’avenir de la cigarette électronique. Les premiers succès de celle-ci ont changé en 2011 le regard des cigarettiers sur le produit quand sa percée fulgurante est devenue incontestable.

L’e-cigarette est maintenant disponible partout,
10 millions de Français l’ont essayée en novembre 2013, et pourtant il faut admettre que l’on sait bien peu de choses sur ce produit. Début 2013, moins de 100 publications scientifiques avaient abordé le sujet dans leurs colonnes et nombre d’entre elles ne faisaient que la synthèse des maigres informations révélées par d’autres. Depuis, les connaissances sur l’e-cigarette explosent, elles ont plus que doublé en un an. Mais faire la synthèse des certitudes et des doutes, faire la part des choses, n’est pas une tâche facile dans un monde où le passage de la certitude au doute et du doute à la certitude est si rapide. Et pourtant l’e-cigarette peut sauver des vies, des milliers, ou plus probablement des centaines de milliers de vies.

C’est tout l’objectif de ce livre, que j’ai écrit parce que je suis un médecin exaspéré de voir que le nombre de jeunes qui s’initient au tabac ne faiblit pas, exaspéré de voir que c’est parmi les femmes que se produit la plus forte croissance de l’épidémie de cancer du poumon – avec une incidence multipliée par 4 ces quinze dernières années chez les femmes de moins de 45 ans –,
exaspéré par l’industrie cigarettière qui veut tromper les jeunes en leur faisant croire que fumer est une liberté, alors que les cigarettes sont majoritairement fumées par des sujets rendus dépendants au tabac, c’est-à-dire ayant perdu leur liberté de ne pas fumer, car ils sont devenus esclaves du tabac.

Médecin pneumologue et tabacologue, je me suis intéressé à l’e-cigarette au contact quotidien des patients fumeurs, au contact des vapoteurs, au contact des autorités françaises et européennes.

Je me propose de restituer ce que j’ai appris aux fumeurs qui se posent la question de passer au vapotage, aux vapoteurs exclusifs, à ceux qui, bien que vapoteurs, restent fumeurs, à ceux qui les côtoient, aux professionnels qui sont confrontés à leurs questions. Je veux ainsi aider chacun à trouver les réponses pratiques et théoriques aux questions sur l’e-cigarette afin d’en finir avec le tabac dans les meilleures conditions.

Aux non-fumeurs, je donnerai toujours le même conseil : n’utilisez pas ce produit. En effet, bien qu’infiniment moins toxique que le tabac, l’e-cigarette garde un pouvoir addictif et des effets potentiellement toxiques qui n’en font pas un produit complètement anodin.

La cigarette est une tueuse

Le tabac est une arme de destruction massive : il a été responsable de 100 millions de morts au xxe siècle… Vous avez bien lu : 100 000 000. Et le tabac se prépare à condamner à un décès prématuré un milliard de fumeurs au xxie siècle.

Une grande étude débutée après la Seconde Guerre mondiale, menée durant cinquante ans sur 33 000 médecins anglais, dont plus de 70 % étaient fumeurs, le démontre : un fumeur sur deux meurt du tabac. Une étude récente publiée en 2012 sur plus d’un million de femmes laisse à penser que ce chiffre minimise la réalité et que les fumeuses perdent en moyenne 11 années de vie en bonne santé et que le tabac fait plus que doubler le risque de mourir avant 65 ans.

Laisser tomber le tabac est une nécessité vitale individuelle pour chaque fumeur, mais se débarrasser du tabac serait aussi d’un grand bénéfice pour notre société. Des États pionniers comme l’Australie, la Nouvelle-Zélande ou la Californie vont y arriver les premiers. Les députés finlandais ont déjà voté la fin du tabac prévue pour 2040 ! L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a fait voter la Convention-cadre pour la lutte antitabac (CCLAT). Ce premier traité international sur la santé est celui qui a été signé par le plus grand nombre de pays de l’histoire de l’ONU (dont l’OMS est l’autorité directrice et coordonnatrice dans le domaine de la santé). Les États ont à conduire un combat difficile, car ils sont souvent tiraillés entre le désastre sanitaire et économique lié au tabac et l’appât de l’apport immédiat des milliards de dollars ou d’euros des taxes. Le piège de la dépendance qui empêche le fumeur de se libérer du tabac et la puissance des lobbies expliquent la persistance du tabagisme.

L’arrêt du tabac à tout prix

Les fumeurs souhaiteraient majoritairement être non fumeurs. Ils voudraient ne pas dépenser 100, 200 ou 300 euros chaque mois pour acheter des cigarettes, ne pas être paniqués le soir quand il n’y a plus de cigarettes à la maison, ne plus avoir de reproches sur l’odeur de cendrier froid, ne plus tousser. Le combat que les fumeurs conduisent contre le tabac est souvent méconnu des non-fumeurs et nombre d’entre eux ressentent le fait de fumer comme un échec.

L’arrêt du tabac est d’autant plus profitable que l’on arrête tôt. Le bénéfice est optimal si l’on arrête avant 30 ans, mais encore considérable si l’on arrête avant 50 ans. Une nécessité vitale donc, mais aussi une libération, une porte ouverte sur une vie plus saine pour soi et pour son entourage, une estime de soi souvent retrouvée, et enfin un gain financier parfois très appréciable. La vie est plus belle sans tabac !

L’e-cigarette bouleverse la donne

La cigarette électronique, que j’appellerai dans ce livre l’e-cigarette et que certains appellent « la vapoteuse », bouleverse complètement la donne de « la guerre au tabac » que j’avais déclarée, avec beaucoup d’autres, il y a quarante ans. Elle doit toujours être considérée comme une guerre pour les fumeurs, qui sont les premières victimes du tabac. Jacques Chirac en 2003 avec le premier plan cancer et l’OMS ne disent pas autre chose : la « guerre au tabac » est avant tout une guerre pour les fumeurs.

Les traitements classiques de l’arrêt du tabac – substituts nicotiniques, médicaments de prescription, prise en charge par la consultation d’un tabacologue ou d’un autre médecin – sont efficaces. Mais ces traitements sont choisis par moins de 10 % des fumeurs. Ceux qui sont tentés par l’arrêt du tabac par ces méthodes ou qui ont été pris en charge par leur médecin doivent poursuivre leur démarche. Cette approche classique utilisant les médicaments disponibles est celle que j’adopte pour tous les fumeurs qui viennent me consulter pour un arrêt du tabac. C’est une prise en charge que j’ai décrite dans d’autres livres et que je ne ferai qu’effleurer dans celui-ci.

Cependant, je développe ici la thèse que, même à l’intérieur de ces démarches d’arrêt du tabac, l’e-cigarette peut jouer un rôle et doit être prise en compte.

Force est de constater que la grande majorité des fumeurs ne se lance pas chaque année dans cette démarche. Ceux qui actuellement ne sont pas prêts à arrêter par ces méthodes doivent s’intéresser à l’e-cigarette… si ce n’est déjà fait. Par ailleurs, on peut constater que ceux qui ont essayé l’e-cigarette ne l’adoptent pas forcément. C’est souvent dû à une mauvaise expérience, ou bien ils n’ont pas su, ou pu, trouver le produit qui leur plaisait. En effet, passer avec succès de la cigarette à l’e-cigarette nécessite que le fumeur y prenne du plaisir.

Ce livre, bien qu’écrit par un médecin, n’est ni un ouvrage médical ni un traité scientifique, mais il vise à aider les fumeurs à goûter au plaisir de vapoter, au plaisir de s’éloigner de « la tueuse » qu’est la cigarette, au plaisir de ressentir dans son corps les bienfaits de ne plus être enfumé 300 fois par jour. Chacun n’oubliera cependant pas que les e-cigarettes ne sont pas, au jour où sont écrites ces lignes, des médicaments, que la connaissance qu’en a l’auteur vient en grande partie des témoignages des consommateurs et enfin que – bien que des études scientifiques soient en cours – il est peu probable que des résultats probants soient pleinement disponibles de façon cohérente avant 2018. Ainsi, ce livre aura une durée de vie courte et une mise à jour sera probablement nécessaire. N’hésitez pas à faire retour de vos observations, car pour quelques années encore ce sont les vapoteurs autant que les scientifiques qui construiront la connaissance du vapotage.

Liens d’intérêts et absence de conflits d’intérêts de l’auteur

Avant de rentrer dans le vif du sujet, je souhaite m’expliquer sur les liens et conflits d’intérêts et m’adresser directement à vous.

Je suis fonctionnaire, j’ai donc des obligations envers vous. Mon objectif est, et a toujours été, le bien commun.

Je n’ai jamais eu aucun lien avec l’industrie du tabac. Je me suis élevé contre l’influence des lobbies du tabac auprès des politiques, comme en témoigne en particulier mon livre La République enfumée, les lobbies du tabac sous Chirac et Sarkozy, publié juste avant les élections présidentielles de 2012.

Depuis mai 2013, je suis en contact avec les associations de vapoteurs.

Jusqu’en novembre 2013, je n’ai eu aucun contact avec les industriels de l’e-cigarette et, depuis, je n’ai eu des contacts que de façon transparente dans le cadre de réunions officielles ou organisées par des tiers, en particulier l’Institut national de la consommation (INC), qui édite 60 millions de consommateurs, et en présence de nombreux témoins. Je me sens libre de tout conflit d’intérêt avec cette industrie pour tenir mes propos.

Avec l’industrie du médicament, j’ai eu dans le passé, et j’ai encore des liens épisodiques à l’occasion de meetings, congrès, protocoles de recherche, évaluations. Je refuse systématiquement les honoraires pour ne pas aliéner ma liberté. Ces liens ne se sont pas traduits selon mon analyse par des conflits d’intérêts. À l’opposé, j’ai eu deux conflits avec l’industrie pharmaceutique. Le premier a été un procès intenté contre moi par un laboratoire n’ayant pas apprécié que je qualifie de « gogothérapie » son produit qui était prétendument une aide aux fumeurs. Le second conflit est récent et m’a opposé aux lobbyistes des multi­-
nationales pharmaceutiques qui exerçaient fin 2013 leur activité auprès du Parlement européen et de la Commission pour que la vente des e-cigarettes soit soumise à la réglementation des médicaments.

À de multiples reprises, à l’époque où j’étais rapporteur auprès de l’Agence du médicament (devenue maintenant Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, ANSM), j’ai émis des avis négatifs sur des dossiers soutenus par des laboratoires avec lesquels j’avais déclaré des « liens d’intérêts » pour des congrès ou colloques scientifiques.

J’essaye de toujours construire mes jugements sur une balance bénéfice/risque pour les patients et la collectivité, ce qui n’est pas toujours le cas de tous les décideurs publics. Certains experts qui analysent l’e-cigarette, sans prendre en compte qu’elle remplace le tabac, ont une certaine réticence à l’égard de l’e-cigarette. Les experts qui sont au contact des consommateurs de tabac et d’e-cigarettes analysent la balance bénéfice/risque et constatent qu’elle est totalement déséquilibrée en défaveur du tabac et en faveur de l’utilisation de l’e-cigarette par les fumeurs. En revanche si le risque d’initiation de la prise de nicotine par ce produit apparaissait important, la balance bénéfice/risque pour la société justifierait alors de restreindre l’accès à ce produit, et donc la liberté individuelle des vapoteurs.

Quelques conseils pratiques pour lire ce livre

Ce livre comprend trois parties :

L’e-cigarette et les connaissances sur l’e-cigarette évoluent vite, justifiant qu’un expert les assimile pour apporter les réponses aux questions pratiques de ceux qui veulent en savoir plus sur un produit qui inquiète, intrigue ou fascine.

Bonne lecture !