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Raymond veut allumer le chat, mais Mine l'amadoue
Il se plante devant la porte ouverte, jambes écartées, poings sur les hanches. Il hume l'air. La nuit s'annonce douce et tranquille. Mais d'un coup, ses sourcils se froncent, une ombre passe, et sans se retourner...
- Passe-moi le fusil, j'vais allumer le chat!
Il n'a pas bu pourtant, juste quelques verres de rouge au dîner, autant dire rien.
- Et pourquoi tu veux l'allumer, dis ?
- Quand il me regarde, j'ai l'impression qu'il se fout de ma gueule. Alors, là, j'en ai marre... Je vais lui régler son compte à ce salopard !
Elle, ça ne l'amuse pas du tout. Parce qu'à chaque fois qu'il se sert de son fusil, et malgré tout l'amour qu'elle lui porte, elle ne peut que constater son peu de talent pour cet instrument. Les cages à lapin étaient loin de la direction qu'avait prise le chat la dernière fois, et pourtant elle en avait ressorti quatre, criblés de plombs ! Les huit autres n'avaient pas survécu longtemps et même en civet, n'avaient pas été bons à manger... Ça leur avait tourné les sangs, cette histoire. Et le chat, lui, moins d'une heure après le carnage, était tranquillement retourné se chauffer près du poêle.
Depuis ce jour-là, elle aussi le soupçonne de se foutre de leur gueule... Mais ça, elle le garde pour elle, parce que quand même, un chat, c'est pas autre chose qu'une bête, hein... alors, se foutre...
Et maintenant, elle aimerait essayer de détourner Raymond de son idée. Elle se dit que c'est vraiment le moment de lui parler de...
- Tu sais qui j'ai croisé au marché ce matin? Et qui est même venu me saluer et me demander comment tu allais, par la même occasion ?
- Tu veux me détourner de mon idée, ou quoi?
- Non, juste gagner du temps, c'est tout...
- Ah ! ben, dit comme ça, d'accord. Alors, c'est qui que t'as vu ce matin, ma petite Mine?
- Josette...
Il s'emporte immédiatement. Elle s'y attendait. Elle le connaît par cœur, son bonhomme. Il rougit d'un coup et les veines de ses tempes enflent légèrement.
- Elle est venue te voir? Elle t'a parlé... et toi, tu lui as répondu ?
- Eh ! C'est que je ne pouvais pas faire autrement!
- Ah oui, bien sûr ! Tu ne pouvais pas ! Et qu'est-ce qu'elle voulait?
- Elle a besoin de toi. Son petit Rémi est couvert d'eczéma et le docteur Lubin ne sait pas bien quoi faire pour le soigner. C'est même lui qui lui a conseillé de te...
- Lubin ? Il est juste bon qu'à soigner sa tenue, celui-là ! De l'eczéma, tu dis? Qu'est-ce que tu veux que j'y fasse ? Et puis, son môme à Josette, c'est sûrement qu'un petit merdeux !
- Mais, pour l'eczéma, tu ne crois pas que...
- Non, je ne crois pas!
- Il n'a que cinq ans, le pauvre, et ce n'est pas sa faute si ses parents...
- C'est la mienne, peut-être ?
En général dans ce cas, elle laisse passer un temps ou deux. Là, elle choisit d'en laisser passer trois.
Puis très doucement, elle l'amadoue...
- C'est vrai qu'il a l'air un peu bébête, le petit.
- Ah ? Tu vois? J'en étais sûr. Et pardessus le marché, il est mal foutu, non ?
— Oui, c'est vrai. Les épaules en bouteille de Perrier, les jambes un peu arquées. Il tient de Martial, c'est bien dommage. Mais Raymond, mon grand, pour son eczéma, tu pourrais peut-être...
- Ah, t'es chiante !
- Mais t'aimes bien quand même, non ?
- Oui, c'est vrai, ma Mine...
Elle se colle, il l'embrasse.
Ce sont des vieux qui s'aiment.
— Bon, pour l'eczéma du gnome, je veux bien essayer. Tu l'amèneras seul, j'veux pas qu'elle mette les pieds ici ! Pour maintenant oublie le fusil, j'suis encore un peu énervé. J'ai l'impression que je viserais à côté, et ça serait dommage.
Mais il ne perd rien pour attendre, ce trou du cul de chat !
2
Raymond et Rémi s'apprivoisent
Mine fait du pain perdu. Rémi reste derrière elle, tenant le bas de sa robe. Il est certainement timide en temps normal, mais là en plus il ne la ramène pas, parce que sa mère l'a un peu briefé. « Ton grand-père Raymond est un peu méchant, il pique des joues quand on l'embrasse et il veut toujours tuer les chats avec son fusil. » Tu parles que le môme il est à l'aise...
Mine touille les œufs, ça fait bouger ses fesses sous sa robe, il aime bien. Elle est gentille, Mine. C'est la seule qui n'ait pas reculé brusquement en voyant les plaques rouges sur son visage. Sa mère prend toujours un air dégoûté et dit qu'elle n'a pas le temps, quand il s'approche pour faire un câlin... Son père, lui, tourne la tête de l'autre coté et court se laver les mains dès qu'il le touche... Alors il se cache dans la buanderie, dans le panier de Youka, une très très vieille chienne tout élimée, qui lui lèche le visage pendant des heures.