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Le tricot, tout comme la vie, nous propose des défis qui nous font grandir. La concentration qu’exige l’apprentissage d’un nouveau point ou d’une nouvelle technique est à la fois bénéfique à nos mains et à notre cerveau.
BEV GALESKAS, Fiber Trends Patterns,
et distributeur pour les Etats-Unis
de Naturally New Zealand Yarns.
www.fibertrends.com


Lydia Goetz
Mercredi matin, le temps était plutôt maussade pour un jour de juin. Ce qui ne m’a pas empêchée de retourner le panonceau « Ouvert » de ma boutique avec le même plaisir que d’ordinaire. J’aime Blossom Street… Je me suis attardée un moment sur le pas de la porte pour respirer le doux parfum d’hémérocalle, de glaïeul, de rose et de lavande échappé du Jardin de Susannah, le magasin de fleurs d’à côté.
Malgré le ciel couvert et la pluie menaçante, j’ai pensé : « Le soleil rayonne dans mon cœur. » Brad, mon mari, rirait s’il m’entendait formuler les choses de cette manière. Il se moque toujours un peu de moi, quand il me vient des expressions de ce genre. Mais ça m’est égal. Après avoir surmonté deux cancers, je me sens en droit d’émettre à l’occasion une remarque un peu fleur bleue. Surtout un jour comme aujourd’hui…
J’ai inspiré à fond, puis expiré lentement, goûtant la paix du petit matin. Je ne crois pas qu’il existe au monde un plus bel endroit que Seattle en été. Les fleurs qui débordent du Jardin de Susannah en sont un aperçu des plus agréables. Et ce déploiement de couleurs, ces parfums capiteux qui flottent jusqu’à moi ! Il ne se passe pas un jour sans que je me réjouisse d’avoir ma boutique située là où elle est.
Moustache, mon chat boutiquier, comme le surnomme Brad, a traversé le parquet de son pas tranquille de matou, et d’un bond est allé se nicher au milieu des pelotes de laine aux coloris pastel qui décorent ma devanture. C'est son endroit favori. Il vient presque chaque jour y dormir de longues heures et, depuis longtemps, il figure parmi les mascottes du quartier. Aucun bruit au-dessus de moi : pour le moment, l’appartement du premier étage me sert de réserve d’appoint. J’y entrepose mon stock de pelotes ; peut-être le louerai-je de nouveau un de ces quatre, mais pour l’instant, ce n’est pas à l’ordre du jour.
Le Café français, en face de ma boutique, était déjà en pleine effervescence quand je suis arrivée, les vitrines regorgeant de pâtisseries, de pains et de croissants dorés tout chauds sortis du four. Leurs effluves absolument délicieux se mêlent aux senteurs des fleurs et cet ensemble constitue pour moi l’esprit de Blossom Street en été. C'est vers 5 heures, en général, qu’Alix Turner y est à pied d’œuvre, pour enfourner quantité de ces irrésistibles gourmandises. Alix a compté parmi mes premières clientes. Elle est maintenant l’une de mes amies les plus chères. Selon moi, son parcours des dernières années est tout simplement admirable. On peut dire qu’elle a réinventé sa vie – un peu aidée en cela par ses amies. La voilà qui possède désormais un diplôme et un métier, et l’homme qu’elle a épousé semble idéalement fait pour elle.
En bas de la rue, la porte de la librairie est ouverte, comme la plupart du temps, en signe de bienvenue et pour inviter les flâneurs à venir feuilleter quelques livres. C'est l’employée qui a fait aujourd’hui l’ouverture. Anne Marie Roche et sa fille Ellen arriveront de Paris un peu plus tard dans la journée.
Presque tous les après-midi, Ellen passe devant ma vitrine en promenant leur petit york, Baxter, ce qui hérisse Moustache et donne aux deux animaux l’occasion de se lorgner d’un œil féroce. Ellen affirme que c’est pour entretenir la légende auprès des humains, qu’en réalité chiens et chats sont bons amis, mais qu’ils ne veulent surtout pas que cela s’ébruite.
J’ai souri à Moustache, incapable de ne pas partager ma joie et mon excitation – fût-ce avec un chat. En fait, je brûlais d’annoncer la nouvelle à la rue entière, la ville entière, la terre entière… Hier, nous avons appris qu’on nous accordait l’agrément d’adoption ! Je n’ai encore fait part de cette information à personne, pas même à ma sœur, Margaret. Entretiens, visite des services sociaux, relevé d’empreintes digitales, nous avons suivi toute la procédure. Et hier soir, on nous a appelés.