INTRODUCTION
Cet ouvrage a pour sujet l'histoire de la vie sur la Terre, depuis son origine ensevelie dans les profondeurs du passé, jusqu'au cortège bigarré des êtres vivants qui peuplent aujourd'hui notre planète. Cette histoire est l'aventure la plus extraordinaire dont nous ayons connaissance dans l'Univers, une aventure qui a produit une espèce capable d'influer de façon décisive sur le devenir du processus naturel qui lui a donné naissance.
L'histoire de la vie est marquée par une série d'innovations dont chacune introduit un nouveau degré de complexité et doit être expliquée conformément aux lois de la physique et de la chimie. Avant de convier le lecteur à embarquer pour ce voyage, je définirai quelques notions générales qui nous accompagneront tout au long de la traversée.
L'unité de la vie
La vie est une. Ce fait, que l'on reconnaît implicitement lorsqu'on utilise le même mot pour désigner des objets aussi disparates que des champignons, des arbres, des poissons et des êtres humains, a maintenant été établi sans le moindre doute. Chaque progrès réalisé dans la capacité de discrimination de nos outils d'observation, depuis les débuts hésitants de la microscopie il y a à peine plus de trois siècles jusqu'aux techniques de pointe de la biologie moléculaire, a ancré un peu plus fermement la constatation que tous les organismes vivants actuels sont construits avec les mêmes matériaux, fonctionnent selon les mêmes principes, et sont en réalité bel et bien apparentés. Tous descendent d'une forme de vie ancestrale unique.
On le sait aujourd'hui avec certitude grâce à l'étude comparée des structures moléculaires des protéines et des acides nucléiques. Ces deux groupes de substances, qui sont les deux constituants les plus importants de toutes les formes de vie, sont totalement différents chimiquement mais ont en commun le fait d'être l'un et l'autre de longues chaînes constituées par l'assemblage d'un grand nombre de sous-unités moléculaires – jusqu'à plusieurs centaines pour les protéines, souvent beaucoup plus pour les acides nucléiques. Imaginez des chaînes de perles de différentes couleurs, des trains constitués de différents wagons accrochés les uns aux autres ou, de façon plus appropriée, des mots très longs assemblés à partir de lettres différentes. Les perles, wagons ou lettres qui constituent les protéines sont appelés acides aminés; ceux qui constituent les acides nucléiques sont appelés nucléotides. Les protéines-mots sont « écrites » à l'aide d'un alphabet contenant vingt sortes d'acides aminés-lettres; les acides nucléiques-mots sont écrits à l'aide d'un alphabet contenant quatre espèces de nucléotides-lettres.
On dispose maintenant de méthodes très performantes pour établir l'ordre précis dans lequel les constituants fondamentaux de ces macromolécules naturelles se succèdent dans une chaîne donnée. Ces techniques permettent au chercheur de déchiffrer très précisément la séquence d'acides aminés dans les protéines et de nucléotides dans les acides nucléiques, c'est-à-dire « l'orthographe » des mots moléculaires. Les petits caractères du livre de la vie sont aujourd'hui lisibles.
Un fait de toute première importance est apparu récemment grâce à la possibilité qui nous est donnée de lire les molécules. Des organismes aussi différents qu'un microbe, un plant de maïs, un papillon ou un être humain contiennent des protéines et des acides nucléiques très voisins. Ces ressemblances sont beaucoup trop étroites pour qu'il soit possible de n'y voir que le produit du seul hasard. Elles imposent la conclusion inévitable que ces molécules, et par conséquent tous les organismes du monde vivant, sont apparentés et proviennent d'un ancêtre commun. À titre de comparaison, considérez le mot anglais « assembly » et le mot « assemblée » utilisé en français pour désigner la même notion. De toute évidence, ces deux mots ne sont pas apparus indépendamment l'un de l'autre dans les deux langues ; ils sont liés par un ancêtre commun duquel ils dérivent l'un et l'autre. Si les mots ne sont pas identiques, c'est parce qu'ils ont évolué différemment depuis qu'ils se sont séparés de leur ancêtre commun. La même chose se vérifie pour les macromolécules cousines. Leurs séquences diffèrent parce qu'elles ont subi des modifications qui se sont transmises de génération en génération – c'est-à-dire des mutations – à mesure que les divers organismes qui les contiennent évoluaient après s'être différenciés de leur ancêtre commun.