Le Sable et l’Écume
Je marche éternellement sur ces rivages,
Entre le sable et l’écume.
Le flux de la marée effacera l’empreinte de mes pas, et le vent emportera l’écume.
Mais la mer et le rivage demeureront
Éternellement.
004
Une fois, je remplis ma main de brume.
Quand je l’ouvris, la brume était une larve.
Je fermai et ouvris ma main à nouveau, et il y avait alors un oiseau.
Et je refermai et rouvris ma main, et dans son creux se trouvait un homme au visage triste, tourné vers le ciel.
Une fois encore je fermai ma main, et quand je l’ouvris il n’y avait rien que brume.
Mais j'entendis une chanson d’une douceur excessive.
005
Hier encore je pensais n’être qu’un fragment frémissant sans rythme dans la sphère de la vie.
À présent je sais que je suis la sphère, et la vie entière en fragments rythmiques se meut en moi.
006
Ils me disent dans leur éveil : « Toi et le monde dans lequel tu vis n’êtes qu’un grain de sable sur le rivage infini d’une mer infinie. »
Et dans mon rêve je leur réponds : « Je suis la mer infinie, et tous les mondes ne sont que des grains de sable sur mon rivage. »
007
Une seule fois je restai muet. Ce fut quand un homme me demanda : « Qui es-tu ? »
008
La première pensée de Dieu fut un ange.
Le premier mot de Dieu fut un homme.
009
Nous étions des créatures voletantes, errantes et désirantes des milliers d’années avant que la mer et le vent dans la forêt nous apprennent la parole.
À présent, comment pouvons-nous exprimer ce qui en nous est immémorial avec les seuls bruits de notre passé ?
010
Le Sphinx ne parla qu’une seule fois et dit : « Un grain de sable est un désert, et un désert est un grain de sable ; à présent, taisons-nous à nouveau. »
J'entendis le Sphinx, mais ne le compris pas.
011
Une fois je vis le visage d’une femme, et j’aperçus tous ses enfants qui n’étaient pas encore nés.
Et une femme regarda mon visage, et elle y reconnut tous mes ancêtres, morts avant qu’elle ne soit née.
012
À présent je souhaite me réaliser. Mais comment y parviendrais-je, à moins de devenir une planète sur laquelle habitent des vies douées d’intelligence ?
N'est-ce pas là l’objectif de chacun ?
013
Une perle est un temple bâti par la douleur autour d’un grain de sable.
Quelle nostalgie bâtit nos corps et autour de quels grains ?
014
Quand Dieu me lança, comme un galet, dans ce lac merveilleux je troublai sa surface en cercles innombrables.
Mais quand j’atteignis les profondeurs, je devins très calme.
015
Donnez-moi le silence et j’affronterai la nuit.
016
Je connus une seconde naissance, quand mon âme et mon corps s’aimèrent et s’épousèrent.
017
Une fois je connus un homme dont les oreilles étaient excessivement fines, mais il était muet. Il avait perdu sa langue dans un combat.
Je sais maintenant quelles batailles livra cet homme avant que ne survienne le grand silence. Je suis heureux qu’il soit mort.
Le monde n’est pas assez grand pour nous deux.
018
Longtemps je restai couché dans la poussière d’Égypte, silencieux et insensible aux saisons.
Puis le soleil me donna naissance, et je me levai et marchai sur les berges du Nil,
Chantant le jour et rêvant la nuit.
Et maintenant le soleil me foule de ses mille pieds, me laissant couché à nouveau dans la poussière d’Égypte.
Admirez cette merveille et cette énigme !
Ce même soleil qui m’a rassemblé ne peut m’éparpiller.
Je suis encore debout et, le pied ferme, je longe les berges du Nil.
019
Le souvenir est une forme de rencontre.
020
L'oubli est une forme de liberté.
021
Nous mesurons le temps en nous fiant au mouvement d’innombrables soleils ; et ils mesurent le temps avec de petites machines enfouies dans leurs poches.
Dites-moi à présent comment pourrions-nous jamais nous rencontrer au même endroit et au même moment ?
022
L'espace n’est pas ce qui sépare la terre du soleil pour celui qui regarde en bas par les fenêtres de la Voie lactée.
023
L'humanité est une rivière de lumière coulant de la création vers l’éternité.
024
Les esprits qui demeurent dans l’éther n’envient-ils pas à l’homme sa douleur ?
025
En chemin vers la Cité sainte je rencontrai un autre pèlerin et je lui demandai : « Est-ce vraiment la route qui mène à la Cité sainte ? »
Il me répondit : « Suis-moi, et tu gagneras la Cité sainte au bout d’un jour et une nuit. »
Et je le suivis. Et nous marchâmes plusieurs jours et plusieurs nuits, sans jamais atteindre la Cité sainte.