1. 
Il l’observait. 
La réception, organisée pour le lancement du nouveau feuilleton phare de la chaîne, comptait de nombreuses célébrités dont la plupart étaient des femmes très belles. Mais aux yeux de Maximilian Hart, elle les éclipsait toutes. Il émanait d’elle une douce simplicité qui séduisait autant les hommes que les femmes, une spontanéité rafraîchissante qui reflétait une bonté naturelle. Elle incarnait en quelque sorte la voisine idéale, jeune et jolie, appréciée de tout le quartier et sur qui l’on peut compter en toutes circonstances. 
Un léger sourire flotta sur les lèvres de Max. Et puis il y avait cette sensualité toute en douceur qui attirait les hommes de manière irrésistible. 
Il n’y avait rien d’agressif, rien d’intimidant dans son apparence. Coupés au carré, ses cheveux blonds flottaient librement autour de son visage, sans rien des coiffures sophistiquées que la mode imposait aux autres actrices. D’adorables fossettes creusaient ses joues lorsqu’elle souriait. Les traits de son visage reflétaient eux aussi une douceur infinie et son nez légèrement retroussé lui donnait un air de gamine espiègle. Tout en courbes harmonieuses et rondeurs délicieusement féminines, son corps était une ode subtile et discrète au plaisir et à la volupté. 
Mais c’étaient ses yeux qui retenaient d’abord l’attention ; d’un bleu clair et lumineux, ils étaient le reflet d’une âme généreuse, sincère et bienveillante. Ce regard si pur, presque magnétique, trahissait la moindre de ses émotions, ainsi qu’une vulnérabilité tout à fait charmante qui réveillait l’instinct de protection des hommes… en même temps qu’elle attisait des pulsions beaucoup plus élémentaires. 
Sa grande bouche aux lèvres sensuelles était presque aussi expressive que ses yeux. Un sourire étincelant s’y dessinait souvent. Elle avait ce don de projeter les émotions qu’on lui demandait avec une facilité et une sincérité déconcertantes ; ce talent rare, précieux, pourrait faire d’elle une immense star. Si c’était le cas, elle dédaignerait bientôt le genre de feuilleton télévisé pour lequel il l’avait engagée : une saga qu’il avait réécrite spécialement à son intention après l’avoir vue jouer dans plusieurs séries. 
Très bizarrement, il n’était pas sûr que cette perspective enchantait la jeune femme. Non, il n’était pas sûr qu’elle rêvait d’être une star adulée dans le monde entier. Dominatrice et tyrannique, sa mère avait pour elle cette ambition. Tout comme son mari, un scénariste de seconde zone pétri de vanité. 
Elle faisait ce qu’ils lui disaient de faire, docilement, sans jamais émettre d’objection, mais Max avait surpris quelques fois une expression lasse sur son visage, à des moments où elle s’était crue seule, loin des projecteurs et des regards indiscrets. 
Ce soir, toutefois, elle tenait à merveille son rôle de reine de la fête, entourée de célébrités et de noctambules heureux de partager un peu de sa réussite, fascinés – certains malgré eux – par son incroyable charme. Les visages qui l’entouraient ne cessaient de changer, les uns chassant les autres, tous pressés de passer un bref moment en compagnie de la star de la soirée. 
Seuls ses proches ne l’entouraient pas de leur affectueuse présence, remarqua Max avec cynisme. Il n’y avait là rien de très surprenant. Ni sa chère mère ni son tendre époux n’appréciaient l’ombre qu’elle leur faisait – sans le vouloir – lorsqu’ils étaient près d’elle. 
Au prix d’un effort, Max détacha son regard de la comédienne et balaya la salle d’un rapide coup d’œil. Il repéra vite la mère de la jeune femme, en pleine conversation avec un petit groupe de responsables de chaînes. A l’évidence, cette soirée était pour elle l’occasion rêvée d’ajouter de nouveaux contacts à un agenda déjà bien rempli. 
Max s’était méfié d’elle dès le début. Pourtant, il avait bien été obligé de traiter avec elle puisqu’elle s’était autoproclamée agent de sa fille. Il s’était donc résigné à la recevoir à plusieurs reprises mais, chaque fois, il s’était arrangé pour que ces entrevues durent le moins longtemps possible et avait froidement rejeté toute tentative de rapprochement. 
Dotée d’un ego surdimensionné, exubérante et mielleuse à souhait, Stéphanie Rollins était un personnage exaspérant, une mère autoritaire parfaitement insupportable. On la remarquait forcément avec ses cheveux roux coupés très courts, reflets d’un caractère bien trempé, et sa silhouette menue et voluptueuse parée de vêtements outrageusement sexy pour une femme de son âge : décolletés plongeants, minijupes ultramoulantes et talons vertigineux faisaient partie de sa panoplie quotidienne. 
Max éprouvait une profonde aversion pour cette femme qu’il trouvait égoïste et superficielle. Même le prénom qu’elle avait choisi pour sa fille – Chloé – paraissait refléter sa personnalité maniérée et artificielle. Chloé Rollins… Cela sonnait bien, certes ; pourtant, c’était à son goût un prénom trop sophistiqué, trop éthéré pour une jeune femme simple et naturelle. Il lui aurait fallu quelque chose de moins prétentieux. 
Comme Mary, par exemple. 
Mary Hart. 
Une moue amusée joua sur ses lèvres lorsque son esprit associa presque malgré lui son nom de famille au prénom qu’il aurait choisi pour Chloé. 
Il n’avait encore jamais songé au mariage. Il n’avait pas envie de vivre auprès d’une femme ; ses maîtresses se chargeaient de satisfaire ses besoins sexuels, et il n’éprouvait pas le besoin de s’embarrasser d’elles vingt–quatre heures sur vingt–quatre. 
De plus, Chloé Rollins était déjà mariée, et ce n’était pas son genre de voler les épouses des autres – pas même pour une brève aventure. Max aimait la rigueur et la simplicité. Il n’était pas fait pour mener une vie tumultueuse, et ce constat était valable en amour comme en affaires. C’était ainsi : il préférait rester maître de son existence, en toutes circonstances. 
Ses pensées se tournèrent alors vers le mari de Chloé et il chercha dans la foule Tony Lipton, l’incorrigible séducteur que la jeune femme avait choisi comme époux. Sûr de son charme, l’homme maniait avec brio l’art de la parole mais ses talents de scénariste s’avéraient beaucoup moins convaincants. Ses répliques manquaient cruellement de pertinence et de sincérité ; elles nécessitaient chaque fois d’être corrigées et remaniées par d’autres auteurs de l’équipe. En clair, Tony Lipton n’aurait jamais intégré l’équipe de scénaristes si son embauche n’avait pas été stipulée dans le contrat de Chloé. 
Max fronça les sourcils. Pour une fois, le scénariste ne recherchait pas le crépitement des flashs. Il se tenait au contraire au fond de la salle, le dos tourné à l’assistance, absorbé par une conversation manifestement tendue avec Laura Farrell, l’assistante de Chloé. Un mélange de colère et de frustration se lisait sur leurs visages. Il vit Tony la saisir par le bras d’un geste rageur, mais Laura se dégagea vivement et, tournant les talons, les traits déformés par l’amertume, elle se fraya un chemin à travers la foule des convives en direction de Chloé. 
Max se raidit tandis que son instinct lui commandait d’intervenir rapidement, avant qu’un scandale n’éclate. Parmi les invités se trouvaient de nombreux journalistes et photographes. Contrairement à certains de ses confrères, il ne croyait pas à l’adage qui disait que toute publicité était bonne à prendre. Un scandale qui impliquerait l’actrice vedette de la nouvelle série pourrait nuire au succès du feuilleton. 
Max se dirigea à son tour vers Chloé, mais, venant de l’autre extrémité de la salle, il lui fut impossible d’intercepter Laura à temps. Après avoir bousculé le petit groupe qui l’entourait, l’assistante se planta devant Chloé et, la saisissant par les épaules, se pencha vers elle pour délivrer son venimeux message. 
La stupeur qui se peignit instantanément sur le visage de Chloé renforça les certitudes de Max : de gros ennuis se profilaient à l’horizon. Par chance, il se trouvait à quelques pas des deux femmes et sa haute silhouette parvint à masquer l’expression décomposée de Chloé. 
– Partez, Laura, ordonna-t–il d’un ton glacial. 
Surprise, la jeune femme fit volte-face. Max la repoussa sans ménagement et, enlaçant Chloé par la taille, il l’attira contre lui et l’entraîna plus loin. Penché vers elle, il prit la parole d’un ton pénétré, comme s’il avait des informations importantes à lui communiquer. 
– Gardez votre calme, commanda-t–il à voix basse. Suivez-moi, je vous emmène dans un endroit tranquille où nous pourrons gérer le problème en privé. 
Chloé ne répondit pas. Les yeux fixés sur un point invisible, elle avançait d’un pas mécanique. Qu’avait bien pu lui dire Laura qui l’avait mise dans cet état–là ? 
Pour l’heure, sa priorité était simple : il fallait à tout prix qu’il protège la comédienne de sa nouvelle série. Peu lui importait de savoir ce qu’en penseraient la mère et le mari de celle-ci. Qu’ils aillent au diable ! D’un pas décidé, il l’entraîna vers la porte de la grande salle de réception de l’hôtel cinq étoiles que la chaîne avait choisi pour organiser cette importante réception. Ignorant les convives qui les interpellaient sur leur passage, dissuadant d’un simple regard ceux qui faisaient mine de vouloir les suivre, Max poursuivit son chemin. Personne n’aurait osé contrarier l’un des patrons de chaîne les plus influents d’Australie. Et il n’avait aucun scrupule à user de son pouvoir quand cela s’avérait nécessaire. 
Il avait réservé la suite du dernier étage de l’hôtel, en prévision d’une longue soirée. Désireux d’apprécier pleinement la réception, il s’était gardé d’inviter sa petite amie du moment. Max s’en félicita. Ainsi, il ne risquait pas d’essuyer ses foudres en ramenant Chloé dans sa suite. 
Il ne prit pas la peine de lui demander son avis. De toute façon, elle n’était manifestement pas en état de prendre des décisions. Plongée dans un mutisme hébété, elle avançait d’un pas raide, le regard vide. Elle ne protesta pas lorsqu’il lui fit signe de monter dans l’ascenseur qui les conduisit directement au dernier étage. Une fois la porte de la suite refermée sur eux, il l’aida à prendre place dans un fauteuil. 
Puis il se dirigea vers le bar et versa une large rasade de cognac dans un verre, avant de se servir un whisky. 
Chloé ne s’était jamais sentie à l’aise en sa présence, il le savait pertinemment. Max n’essayait pas de charmer les gens qu’il rencontrait dans le cadre professionnel et il possédait un caractère bien trempé qui en intimidait plus d’un, il en était conscient. 
Mais, dans le cas présent, il tenait à ce qu’elle lui fasse entièrement confiance. Il allait gérer la situation de son mieux et, pour cela, il faudrait qu’elle s’en remette à lui, qu’elle lui confie ses tourments et qu’elle le laisse régler ça à sa façon. Parce qu’il avait besoin d’elle, en pleine forme, pour tenir son rôle et porter le succès de la série. 
– Tenez, lui ordonna Max. 
En pleine confusion, Chloé prit entre ses deux mains le verre qu’il lui tendait, pour éviter qu’il ne se renverse. 
– Buvez. 
Avec des gestes d’automate, elle porta le verre à ses lèvres et prit une gorgée du breuvage qui incendia son palais et lui brûla la gorge. 
Son regard chercha celui de l’homme qui l’avait amenée jusqu’ici. 
Maximilian Hart. 
Un frisson courut le long de son dos lorsqu’elle le vit qui la dominait de toute sa hauteur, debout devant elle. Il émanait de lui une impression de puissance et d’autorité qui lui faisait perdre tous ses moyens.