LISTE DES CRÉATEURS
  
CHARLOTTEMARIE BELL
LÉOPOLDPIERRE VANECK
ANTOINEROGER DUTOIT
AUGUSTAHENRIETTE BARREAU
VINCLAIRMARCEL TRISTANI
CELIEYVONNE MARTIAL
ACTE PREMIER

Salon de province cossu à Poitiers. Deux fenêtres au fond donnent sur la place d’Armes. Décor balzacien.

 
SCÈNE PREMIÈRE
 

En scène Charlotte (40 ans) et Antoine (45 ans). Plus une femme d’âge indéfini, terne, Augusta (55 ans).

ANTOINE

Hé oui, c’est dur.

Charlotte se retourne, le regarde, reprend sa marche de long en large.

AUGUSTA

Qui pouvait s’attendre à ça ? Combien de fois ne m’avait-il pas dit : « Je sais ce que je dois à Charlotte. Je sais qu’elle a embelli mes dernières années. Crois-moi, elle n’aura pas de soucis. » Et puis voilà... Il a dû perdre la tête, dans ses derniers jours.

ANTOINE

« Et il perdit la tête avant que de la vie. » Non, je l’avoue, votre frère m’a déçu, chère Augusta. Après cinq ans de bons et loyaux services, nous voici sur la paille, Charlotte et moi.

CHARLOTTE

Bons services... Qui les lui rendait, ces bons et loyaux services tous les soirs ? toi ?

ANTOINE

J’avais un rôle modeste, il est vrai. Et je sais, ma chère amie, que tu payais de ta personne avec dévouement et ponctualité. Néanmoins...

CHARLOTTE, méprisante.

Ah... qu’est-ce que tu crois ? Que ça me gênait de faire l’amour avec lui, parce qu’il était vieux et rouge et gros ? Non. Ça au moins, l’amour, c’est précis. C’est naturel. Ce qu’il y avait de terrible, c’étaient les grimaces, entre. Écouter ses discours politiques, recevoir ses abrutis d’amis, servir le porto... Ah ça... Plutôt dix passes que servir le porto.

Elle reprend sa marche.

AUGUSTA

Charlotte, vous savez que je suis euh... que je ne suis pas pincée. Mais vraiment vous dites des choses parfois... Après tout, c’était une liaison officielle et...

CHARLOTTE, violente.

Ah ! non, vous, taisez-vous. J’ai vécu cinq années avec votre frère qui devait me laisser à sa mort six métairies, une fabrique de caoutchouc et cette maison. Il meurt et laisse tout à un inconnu. Et vous voulez que je me rappelle nos extases en pleurant de joie ?

AUGUSTA, timide.

Il y avait quand même autre chose...

CHARLOTTE

Rien. Rien. Il y avait un marché, tacite, hélas ! Il m’ennuyait, et physiquement je suis habituée à Antoine. Alors... ?

ANTOINE

Merci, Charlotte...

CHARLOTTE

Alors qu’avons-nous fait cinq ans ici, dans ce salon ?

ANTOINE

Mais nous avons vécu, ma chère. Pour rien. Pour vivre. Pour le tromper, pour lui mentir. Pour vivre, quoi. Comme nous avons l’habitude de vivre depuis quinze ans. Seulement nous sommes arrivés à Poitiers, c’est moins brillant que Paris.

CHARLOTTE

Par moments tu me dégoûtes, Antoine.

ANTOINE

Parce que je dis la vérité ?

CHARLOTTE

Non, parce que la vérité te gêne.

Un temps.

ANTOINE

Que veux-tu ? Je suis déprimé. Passer cinq ans à faire le cousin protecteur, le voyageur érudit, le parfait ami du couple et me retrouver à la rue... Et les rues de Poitiers...

CHARLOTTE

Et alors ? Qu’est-ce qu’elles ont les rues de Poitiers ? Tu trouves les rues de Paris plus brillantes à l’aube ? Moi, ça me plaisait ces maisons, ces terres, ces fabriques où le caoutchouc se déroule sur des kilomètres...

ANTOINE

Je sais, je sais. Ton côté terrien, sain, propriétaire. La terre est saine, l’amour est sain, l’argent est sain. Tu me tues, par moments, Charlotte. Évidemment tu me nourris, ce qui compense.

CHARLOTTE

Celie !

AUGUSTA

Je me demande si mon pauvre frère a su au dernier moment, pour vous deux...

CHARLOTTE

Pourquoi ?

AUGUSTA

Tout Poitiers le savait. Et ça expliquerait...

ANTOINE, excédé.

Tout Poitiers... vraiment ! Non, chère Augusta, le Tout-Poitiers n’y est pour rien. N’allez pas vous brouiller avec la notairesse ou la chaisière. J’ai fidèlement tenu mon rôle. N’allais-je pas tous les mois à Paris visiter les musées ? Ne passais-je pas des heures dans ma chambre à griffonner des livres d’art ? N’étais-je pas étourdi, distrait, cardiaque même ? Toutes ces pilules avalées d’un air tragique afin que votre frère ne m’imaginât pas capable de... rendre hommage à Charlotte. Le vieux cousin... vraiment, de tous les rôles que j’ai pu jouer, c’était bien le plus conventionnel. Guignol !...

CHARLOTTE

Ne te couvre pas de compliments. On n’a pas un sou.

ANTOINE

De cigarettes non plus. C’est bien fâcheux. Mais tâche, par moments, de penser à autre chose.

CHARLOTTE

À quoi ? Qui crache sur l’argent ici, hein ? Qui ?

AUGUSTA

Pas moi. Jamais jamais moi !

ANTOINE

Eh bien, vous avez tort. Moi aussi d’ailleurs.

Charlotte le regarde avec fureur, puis hausse les épaules.

CHARLOTTE

En attendant, le petit cousin, le petit crétin, l’inconnu de Nantes, l’heureux légataire, va débarquer ici. J’ai l’intention de m’en occuper.

ANTOINE

De quelle façon ?

CHARLOTTE

Toutes. N’importe lesquelles. Une chance, le noir me va.

ANTOINE

À mon avis – il a vingt ans, non ? –, il doit être fiancé, avec des vues sur une Simca sport, une télévision et un appartement moderne. Tu n’as aucune chance. Ces petits jeunots d’aujourd’hui, avec leurs rêves de confort, sont mille fois plus féroces que nous, dans le temps, avec nos rêves de folies.

CHARLOTTE

On lui changera ses rêves. Ce n’est pas malin. Il suffira de changer ses nuits. Et s’il est féroce, tant mieux, on s’entendra. Ce qui me ferait peur, c’est un benêt, honnête, avec la loi derrière lui. La pire espèce.

ANTOINE

Il aura du mal à être benêt longtemps. Le Tout-Poitiers, comme dit Augusta, le Tout-Poitiers, excédé depuis cinq ans par tes dîners, tes fastes et tes insolences, aura vite fait de le renseigner.

CHARLOTTE

Et puis ! Ce qu’on dit sur certaines personnes disparaît dès qu’on les voit !

ANTOINE

Et tu en es ?

CHARLOTTE, sèche.

J’en ai été. Tu dois t’en souvenir, non ? Ça t’a coûté assez cher.

ANTOINE

Certes. Qu’y a-t-il, chère Augusta, quels sont ces bruits ?

AUGUSTA

Rien, je me mouche.

ANTOINE

Votre frère, sans doute ? Mais, vous, chère Augusta, vous avez une maison, si je ne m’abuse, d’après ce testament infâme qu’on a eu le toupet de nous lire tout à l’heure ?

AUGUSTA, pleurnichant.

Oui, une maison, l’Oliveraie. Mais loin, si loin...

ANTOINE

Loin de quoi ?

AUGUSTA

Loin de quoi ? Mais de Poitiers, voyons. Et défense de la vendre.

ANTOINE, sarcastique.

Mon Dieu, loin de Poitiers... quel drame !

CHARLOTTE

Cela suffit, Antoine. Ça suffit. Ma petite Augusta, je compte sur vous. Vous aimiez votre frère, n’est-ce pas ? Si. Et il vous chérissait ? Si. Si, si.

AUGUSTA

Mais vous savez bien...

CHARLOTTE

Rien. Je sais que votre frère, dans un moment de folie, fréquent chez les grands malades, vous a dépossédée. Et que c’est inadmissible.

AUGUSTA

Mais Charlotte...

CHARLOTTE

C’est la vérité. De même que la femme respectable qui avait renoncé à sa vie pour lui, qui le soignait sans rien dire, sans vouloir s’imposer, comme épouse, par une discrétion admirable. Je parle de moi. Vous me suivez ?

AUGUSTA

Non, je...

CHARLOTTE

Nous allons lutter contre la loi, les cancans de Poitiers et un jeune crétin. Ensemble. Ce sera dur. Et j’ai de drôles d’aides de camp. Enfin...

ANTOINE

Tu penses l’avoir à la persuasion morale, la pitié, le dévouement ?...

CHARLOTTE

Je commencerai par là, oui. On ne sait jamais. Tu peux rire, Antoine. Tout le monde n’est pas aussi corrompu que toi... et moi. C’est ta faiblesse, tu manques d’imagination. Eh oui... beaucoup de gens cultivent encore de bons sentiments. (Elle rit.) Regarde ta pauvre Norma...

ANTOINE

Ou Victor, c’étaient des gens qui en avaient les moyens.

CHARLOTTE, méprisante.

Pourquoi eux ? Tu les as bien eus, non, les moyens ?

Un temps. Antoine allume une cigarette nerveusement. Augusta renifle, Charlotte poursuit sa marche.

CHARLOTTE

D’ailleurs cette phrase est idiote. L’argent rend égoïste. C’est bien pourquoi je veux en avoir. Je trouve l’égoïsme confortable, équilibrant...

ANTOINE

... sain.

CHARLOTTE

Oui. Sain. Je déteste les martyrs, les intellectuels, les bavards. J’aime les gens calés en large dans leur fauteuil, ou calés en long dans leur lit, repus, silencieux, solitaires et contents de l’être. Les gens qui savent le prix du caviar et se fichent du prix de la baguette. Les autres sont d’une espèce qui m’ennuie.

ANTOINE

Tu n’en connais pas de ces autres.

CHARLOTTE

J’en ai connu, et ils m’ont fait souffrir, et je me suis vengée. Tu le sais aussi, non ?

Ils se regardent.

CHARLOTTE, doucement.

... Tes beaux discours, Antoine... ton Stendhal... tu te rappelles cette aube à Deauville, sur la plage. Tu me récitais des poèmes en smoking en buvant du champagne, je n’avais pas trente ans, j’étais fascinée.

ANTOINE, froid.

Effectivement, ça ne valait pas un chèque.

CHARLOTTE

C’est ce que j’ai vu. (Elle rit.) J’ai compris ce jour-là que tu avais du bon sens.

ANTOINE

C’est la chose au monde la mieux partagée.

Un temps. Charlotte, qui le regardait fixement, se détourne.

CHARLOTTE

C’est amusant. Il y avait longtemps que nous n’avions pas évoqué tout ça. Il nous a fallu ce... ce...

ANTOINE

Ce deuil...

Charlotte éclate de rire. Augusta les regarde d’un air effaré. Entre Vinclair, grand, chauve, soucieux.

CHARLOTTE

Ah ! vous voilà, Vinclair. Vous avez mis le temps.

VINCLAIR

Excusez-moi, Charlotte. J’ai dû faire tout le tour de la ville.

ANTOINE

Mais qu’ont-ils tous à parler de Poitiers comme si c’était Los Angeles ?

AUGUSTA, piquée.

Qu’a donc Los Angeles de plus que Poitiers ?

ANTOINE

Cent kilomètres de long.

CHARLOTTE, irritée.

Chut. Alors ? D’abord qui vous a renseigné ?

VINCLAIR

Mme Sabatier. Pas la femme du maire, l’autre.

CHARLOTTE

Très bien. Elle est méchante à frémir, mais exacte.

VINCLAIR

Alors il semble que ce Léopold ne soit pas tout à fait normal.

CHARLOTTE

Bravo. Les fous n’héritent pas.

VINCLAIR

Je n’ai pas dit qu’il était fou. Il a eu des histoires étant petit. Méningite, aucun examen, j’ignore s’il a son brevet, même.

Il rit.

ANTOINE, ironique.

Évidemment vous avez fait HEC.

VINCLAIR

Eh oui. Je ne suis pas licencié ès lettres, histoire et art gothique, moi. J’ai un métier, moi.

CHARLOTTE

Vous n’allez pas encore vous jeter vos diplômes à la tête tous les deux. Il s’agit d’autre chose. Donc le petit est attardé.

VINCLAIR

C’est ce qu’il en ressort. De plus il n’a pas mis les pieds à Poitiers depuis vingt ans. Il en avait cinq. Aucune famille. Service militaire accompli sans histoire.

CHARLOTTE

Bien dommage. Le service militaire est pourtant devenu dangereux. J’avais cru comprendre qu’il était moins charmant que d’habitude d’avoir vingt ans de nos jours.

VINCLAIR

Il s’en est tiré. Depuis on ignore ses activités. Il vit à Nantes, à l’hôtel du Rhône.

ANTOINE

Que fait le Rhône à Nantes, on se le demande.

AUGUSTA, ferme.

En tout cas, il n’y passe pas.

CHARLOTTE

De quoi vit-il ? A-t-il une liaison ? Il a une maîtresse ?

VINCLAIR

Comment voulez-vous que je le sache ? Mme Sabatier lui envoyait des nouvelles de son oncle, Dieu sait pourquoi. C’est ainsi qu’elle avait son adresse. Vous savez bien qu’elle passe son temps à écrire.

ANTOINE

On sait. Quand il pleut, elle écrit à l’ONM pour le leur signaler.

CHARLOTTE

Bref, vous avez juste découvert qu’il vivait à Nantes en parfaite santé et sans diplômes. Bravo, c’est malin.

ANTOINE, gai.

Ce n’est pas incompatible, tout ça.

Entre Celie, la femme de chambre. Vieille, effarée, tremblotante.

CELIE

Madame, il y a là un monsieur qui... je crois qu’il veut la charité. Il est tout drôle.

AUGUSTA

Je vous ai dit cent fois de jeter les mendiants dehors. Vous êtes sourde ?

CHARLOTTE

Augusta, je vous interdis de parler sur ce ton à Celie. Gardez vos hargnes pour vos amies. Pourquoi croyez-vous qu’il veuille la charité ?

CELIE

Il est si aimable...

CHARLOTTE

Bravo. Ah ! c’est beau, c’est beau, tout ça. Ma pauvre Celie, demandez-lui son nom, et ce qu’il veut... Quel âge a-t-il ?

CELIE

Oh ! tout jeune, Madame, tout jeune...

CHARLOTTE, brusquement.

C’est lui. Je suis sûre que c’est lui.

ANTOINE

Enfin... le notaire n’a pu le prévenir qu’aujourd’hui.

CHARLOTTE

Faites-le entrer.

Entre Léopold. Il est jeune, l’air parfaitement innocent, distrait, mal vêtu.

CHARLOTTE

Vous êtes Léopold.

LÉOPOLD, souriant.

Je... oui.

CHARLOTTE

Asseyez-vous. Vous arrivez ?

LÉOPOLD

Oui. J’ai lu, hier, dans un journal, que mon oncle était mort. Je voulais euh... assister aux funérailles, non pas que je le connaisse bien mais je... je passais à côté de Poitiers. Il m’a semblé...

CHARLOTTE

Que c’était une bonne occasion. Seulement l’enterrement a eu lieu hier.

LÉOPOLD

Hier !

CHARLOTTE

Ceci dit vous avez bien fait de venir. Je présume que vous n’avez pas reçu la lettre de maître Durangot ?

LÉOPOLD

Maître Durangot ?

CHARLOTTE

Le notaire.

LÉOPOLD

Non !

CHARLOTTE

Bref, je me réjouis de vous l’apprendre moi-même : vous héritez.

LÉOPOLD, stupéfait.

J’hérite ? J’hérite de quoi ?

CHARLOTTE

Six métairies, une fabrique de caoutchouc, cette maison, etc.

LÉOPOLD

C’est très gentil.

CHARLOTTE

C’est tout ce que vous trouvez à dire ?

LÉOPOLD

Mon Dieu, oui ! Nous nous connaissions si mal... Il est gentil de s’être souvenu de moi, comme ça, au dernier moment.

ANTOINE, ironique.

Ça, c’est vrai.

CHARLOTTE

Je répète : vous héritez pour près de trois cents millions.

LÉOPOLD

C’est énorme.

Un temps. Ils le regardent. Flottement. Léopold sourit aimablement.

CHARLOTTE

Je comprends que vous soyez un peu secoué. Nous le sommes tous d’ailleurs. J’aurais dû faire les présentations. Je suis Charlotte Lothaire, une amie de votre oncle. Voici Antoine Dupré, mon cousin. Augusta, la sœur de... bref votre tante. Et Vinclair, un ami.

Léopold s’est levé. Augusta se jette dans ses bras en pleurant.

AUGUSTA

Léopold, mon cher petit. Mon neveu, mon petit neveu...

CHARLOTTE

Du calme, Augusta. Si je comprends bien, Léopold n’est que le neveu de votre ex-belle-sœur.

AUGUSTA

Oui, cette chère Henriette. Ah ! elle vous aimait aussi, Léopold. Il y a sept ans, maintenant, que mon frère l’a perdue, il ne s’en était jamais consolé et...

CHARLOTTE

Eh bien, c’est fait maintenant... Je veux dire : il l’a rejointe. Séchez vos larmes. Et lâchez ce malheureux qui ne vous connaît pas.

LÉOPOLD, doucement.

Ne pleurez pas, Madame. Voulez-vous mon mouchoir ?

Il essuie les yeux d’Augusta comme à un enfant. Les autres les regardent, ironiques.

VINCLAIR

Je crains d’être de trop.

ANTOINE

Je le crains aussi.

CHARLOTTE, sèche.

Au revoir, Vinclair ! Je crois que Mme Sabatier vous écrivait souvent ? J’imagine qu’elle vous parlait de nous, enfin de moi.

LÉOPOLD, rouge.

Oui, Madame.

CHARLOTTE

Vous êtes donc au courant de la situation passée, même si elle a été déformée, ce dont je suis sûre.

LÉOPOLD

Je tiens à vous dire que je n’ai jamais écrit à Mme Sabatier. Je... en fait depuis quelque temps, je ne lisais plus ses lettres.

CHARLOTTE

Pourquoi ?

LÉOPOLD

Par respect pour vous, Madame. Voyez-vous. Mme Sabatier ne vous aimait pas et ses lettres étaient... enfin... Je n’aime pas la haine, cela me fait peur. Enfin...

CHARLOTTE

C’est très bien, jeune homme. Vous permettez que je vous appelle Léopold ? Donc vous n’ignorez pas les liens qui m’attachaient à votre oncle.

LÉOPOLD

J’ai compris que vous viviez ensemble.

CHARLOTTE

Voilà. Depuis cinq ans, j’habite ici. Votre oncle avait eu en même temps une grande amitié pour Antoine. Nous formions un petit groupe ici, tranquille et heureux. Et...

ANTOINE

Ne t’attendris pas.

LÉOPOLD

Je tiens à vous dire, Madame, que cette maison est à vous, c’est votre vie, je ne veux surtout pas vous déranger. Je m’en vais tout de suite, d’ailleurs... je vous laisse.

ANTOINE

Mais vous ne nous dérangez pas, voyons.

CHARLOTTE

Il n’en est pas question. Cette maison est la vôtre, à partir d’aujourd’hui. C’est à nous de faire nos valises.

LÉOPOLD, désespéré.

Ah ! non, je vous en supplie. Moi, je passais par Poitiers, je passais comme ça. Je voulais juste saluer mon oncle une dernière fois. Je ne veux pas habiter ici du tout. Que ferais-je tout seul dans cette maison ? C’est impossible. Je suis venu à pied, si j’avais su, j’aurais fait un détour.

CHARLOTTE et ANTOINE

À pied ?

LÉOPOLD

Oui. C’est une route merveilleuse. Il faisait très beau. Je suis parti il y a un mois. Et hier ce journal... Ah ! non, non !

Il s’effondre dans un canapé.

CHARLOTTE

Dites-moi... Mon cher Léopold. Vous avez hérité de trois cents millions.

LÉOPOLD

Je dois dire qu’un peu d’argent m’arrange, je n’en avais plus du tout. Mais trois cents millions, des métairies, du caoutchouc... non. Que voulez-vous que j’en fasse ?

CHARLOTTE, furieuse.

Est-ce que vous vous fichez de moi ?... Non, il ne se fiche pas de moi. Il voyage à pied, il a vingt francs sur lui probablement, on lui donne trois cents millions et il a le cafard. Voilà. Mais qu’avez-vous dans la tête ?

AUGUSTA

Il est vrai que vous êtes d’une légèreté, Léopold.

ANTOINE

Vous l’avez dit : il est léger. Mais si vraiment toutes ces propriétés l’ennuient, il n’a qu’à s’en débarrasser. Un arrangement est vite fait.

CHARLOTTE

Et moi qui me mettais en colère. Léopold, écoutez-moi. Je vous comprends, Léopold : l’argent vous dégoûte, n’est-ce pas ? C’est contraire à vos théories ?

LÉOPOLD

Mais non. Je trouve ça très commode. Seulement je ne veux pas avoir des usines, des métayers, des gens à diriger, des choses comme ça. Ni des actions, qui montent, qui descendent, etc.

CHARLOTTE

Je vous dirais bien de vendre. Mais le testament est formel. Interdit. Vous voilà bien.

LÉOPOLD

Je vous demande pardon, Madame, je dois vous paraître bien bête et bien incapable. Mais en fait je ne sais pas faire grand-chose. Je... manque de ressort.

CHARLOTTE

Du ressort ?

LÉOPOLD

At-choum !

CHARLOTTE

À vos souhaits !

LÉOPOLD

Oui. C’est ce qu’on dit de moi en général, à Nantes. Je manque de ressort, je me noie dans une coupe d’eau...

CHARLOTTE, rectifiant.

Dans un verre d’eau.

LÉOPOLD

Dans un verre d’eau.

CHARLOTTE

Alors qu’allez-vous faire ?

LÉOPOLD

Je ne sais pas ; je ne peux pas léguer tout cela à quelqu’un, n’est-ce pas ? Mais si quelqu’un s’en occupait pour moi ?

CHARLOTTE

C’est une responsabilité écrasante, mon petit ami.

LÉOPOLD

Par exemple, vous qui connaissiez bien mon oncle, sa façon de travailler.

CHARLOTTE

Moi ! Vous plaisantez... Vous trouvez que j’ai une tête de femme d’affaires ? Vous vous croyez à New York ? Vous me voyez derrière un bureau ?

ANTOINE

Effectivement ce n’est pas ton genre de meuble.

LÉOPOLD

Je ne voulais pas dire ça. Mais ces questions financières, étant donné que je n’ai aucun besoin d’argent, et que...

CHARLOTTE

Il n’en est pas question.

LÉOPOLD

Alors peut-être M. Vinclair... Je comprends bien que ces questions ennuient une femme...

CHARLOTTE

Ennuient ? Ça ne m’ennuie absolument pas. Et votre idée est bonne. Quand ?

LÉOPOLD, ahuri.

Quand quoi ?

CHARLOTTE

Quand voulez-vous que nous signions cet accord de gestion devant le notaire ?

LÉOPOLD

Mais quand vous voulez. Tout de suite, si ça ne vous ennuie pas.

Un temps, ils se regardent.

ANTOINE

Nous devons établir un texte, rapidement. Je vais faire appeler maître Durangot. Vous, mon ami, restez ici. Venez, Augusta, nous aurons sûrement besoin d’un témoin.

Augusta fait un geste rapide vers Léopold.

AUGUSTA

Mon petit, vous, vous êtes sûr...

CHARLOTTE, sèche.

Oui, Augusta, il est sûr. Dehors.

Ils sortent. Léopold se met à rire.

CHARLOTTE, méfiante.

Pourquoi riez-vous ?

LÉOPOLD

Mais de soulagement. Je ne sais comment vous remercier.

CHARLOTTE

Vous me remercierez plus tard.

LÉOPOLD

Vous êtes sûre que votre cousin, monsieur...

CHARLOTTE

... Dupré.

LÉOPOLD

... ne se sentira pas gêné par cette responsabilité ?

CHARLOTTE

Ne vous inquiétez pas. Je prendrai moi-même les responsabilités.

LÉOPOLD

Tant mieux. Vous savez, je suis très heureux de vous avoir connue. Ces lettres de Mme Sabatier étaient si absurdes. Maintenant je sais que vous êtes quelqu’un en qui je peux avoir confiance complètement, c’est bien agréable.

CHARLOTTE

En effet.

LÉOPOLD

Quand je dis confiance, je ne parle pas au sujet argent, ni rien de la sorte.

CHARLOTTE, sursautant.

Que voulez-vous dire ?

LÉOPOLD

Je parle autrement. Je veux dire, j’ignore si vous aimez l’argent ou pas, et ce n’est pas important. Je veux dire que j’ai confiance en vous pour autre chose.

Rentre Antoine.

ANTOINE

Voilà, c’est fait.

CHARLOTTE

Nous approfondirons tout cela un autre jour, mon petit Léopold.

LÉOPOLD

At-choum.

CHARLOTTE

Vous avez pris froid. Voulez-vous voir votre chambre ? Je vais vous la faire préparer. Ah ! autre chose, Léopold. Ne parlez pas à M. Vinclair ni à Augusta d’ici que vous ne soyez redescendu. Je vous expliquerai pourquoi.

LÉOPOLD

C’est entendu. Elle semble bien malheureuse pourtant.

CHARLOTTE

Vous la consolerez aussi par la suite. Celie... accompagnez M. Léopold à la chambre bleue.

LÉOPOLD

J’ai laissé mon sac au café. Je dois aller le chercher. Je reviens tout de suite.

Il sort.

ANTOINE

Alors ?

CHARLOTTE

C’est un fou. Pas un blanc-bec ni un benêt. Non : un fou.

ANTOINE

Je fais préparer par Durangot un contrat, je ne te dis que ça. Gestion des affaires, responsabilités des bénéfices, droit de veto, etc. Il faudra lui donner quelque chose, d’ailleurs, à Durangot, si vraiment ce petit poulet signe cette folie.

CHARLOTTE

Il signera.

ANTOINE

Il faut avouer... pour un coup de chance, c’en est un.

CHARLOTTE

Oui.

ANTOINE

Tu ne sembles pas si enchantée. Toi qui te préparais à une lutte farouche, tu es frustrée de ta bataille, c’est ça ?

CHARLOTTE

Non. Je n’aime pas que les gens soient comme ça, c’est tout. Je déteste cela. Cette méconnaissance de l’argent...

ANTOINE

Tu n’aimes pas qu’on ait d’autre dieu que le tien ?

CHARLOTTE

Tu devrais dire que le nôtre. À nous deux. Je n’aime pas ton ironie, Antoine. Tu tiens plus encore que moi à tout cela.

ANTOINE

Naturellement. Et alors ?

CHARLOTTE, brusquement gaie.

Alors nous allons avoir une vie divine, mon petit Antoine. Nous allons faire fructifier les belles affaires de Léopold. J’irai à Paris avec toi, je n’ai plus de bijoux convenables. Poitiers sera une fois de plus scandalisé. Après l’oncle, le neveu. Et celui-ci, sans contrepartie. Dommage, d’ailleurs, il est plus mignon que son pauvre oncle.

ANTOINE

Rien ne t’empêchera, ma Charlotte, si l’idée t’en vient...

CHARLOTTE

Non. Rien. Mais je n’aime pas les martyrs, ni les trompés, ni les malchanceux. Ça ne m’excite pas. Il ne m’excite pas. Et en plus il a confiance en moi. C’est trop.

ANTOINE, doux.

Et s’il venait à ruer dans les brancards ?

CHARLOTTE

Ne t’inquiète pas, Antoine, je ferais ce qu’il faudrait. Tu me connais, non ?

Un temps.

ANTOINE

Oui. Tu en as toujours fait assez, sinon plus. En attendant il faut aller chez Durangot, et au plus vite. Passez, ma chère, la vie s’arrange.

Rentre Léopold, son balluchon à la main. Il le pose et se promène, rêveur, touchant les meubles de la main.

CELIE

Si Monsieur veut me suivre...

LÉOPOLD

Oui, oui. Non, donnez-moi ça, c’est lourd. (Il reprend son balluchon, s’arrête devant le portrait...) Il y avait bien longtemps que je ne l’avais pas vu.

CELIE

Pauvre Monsieur !

LÉOPOLD, froid.

Il avait beaucoup grossi.

CELIE

Oui, les derniers temps, surtout. C’est ce qui l’a emporté.

LÉOPOLD

Il était... euh... il était gentil ?

CELIE

Gentil ?

LÉOPOLD, gêné.

Oui, je veux dire : avec les gens.

CELIE

C’était un homme honnête, oui.

LÉOPOLD, riant.

Ah !... bien sûr. Ce n’est pas toujours pareil. C’est beau ici.

CELIE

Ce sont des meubles de famille.

LÉOPOLD

Les tissus sont doux, on se noierait dans ces fauteuils. C’est bien agréable. (Il s’assied avec précaution.) Mon balluchon ne va pas ici. (Il le balance. Celie se met à rire, il la regarde, étonné.)... De toute façon, je ne vais pas rester longtemps, vous savez. Ni mon balluchon. Nous allons jusqu’à Bordeaux, peut-être. Vous connaissez Bordeaux ?

CELIE

Non, Monsieur. Madame m’a demandé de montrer sa chambre à Monsieur.

LÉOPOLD, triste.

Ah ! bon, bien sûr. (Ils se dirigent vers la porte.)... Ça me fait un drôle d’effet qu’on me dise : Monsieur et la chambre de Monsieur...

Ils sortent.

SCÈNE II
 

En scène Charlotte, un crayon à la main, vérifie des comptes. Antoine, dans un fauteuil, somptueusement habillé, fume le cigare en feuilletant le journal.

CHARLOTTE, marmonnant.

Ce métayer est un voleur. Tu as entendu parler, toi, de ce microbe qui aurait tué cinquante vaches dans la région ?

ANTOINE

Ma chère, on ne me parle jamais de ce genre de choses, Dieu merci.

CHARLOTTE

Naturellement : l’art gothique. Tu ne penses pas que tu pourrais m’aider, Antoine ? Nous vivons de ces vaches et de ce caoutchouc. Ce ne sont pas ces dix millions de bijoux et tes nouveaux costumes qui nous feront une vieillesse heureuse.

ANTOINE

Je suis un parasite, douce Charlotte. Tu t’es mis des propriétés sur les reins, occupe-t’en. Tu joues très bien ton rôle, d’ailleurs, comme d’habitude.

CHARLOTTE

Mais j’en ai assez, moi. Je suis une femme entretenue, je ne suis pas une femme d’affaires. Remarque, ça ne me déplaît pas. Ce qui m’exaspère, c’est ta veulerie d’une part, et la malhonnêteté des gens d’autre part.

ANTOINE

Comme je te comprends. Comment va le malade ?

CHARLOTTE

Mieux. Ce n’était qu’une grosse grippe. Il doit descendre ce soir.

ANTOINE

J’espère que ses médicaments ne nous auront pas coûté trop cher. Déjà que ce garçon fume des Balto, si en plus il faut lui faire de la pénicilline, nous n’en sortirons plus.

Il éclate de rire.

CHARLOTTE

Je le garderai en vie, et les propriétés en état, ne t’en fais pas.

ANTOINE

Il faut dire qu’il n’est pas gênant. À peine signé l’acte qui le dépossède de tous ses biens, il s’en va gaiement, à pied, en m’empruntant dix mille francs. Il a fallu qu’il y ait cette averse et qu’on nous le ramène grelottant, et à moitié mort, dix jours plus tard. Pas de chance.

CHARLOTTE

Il est préférable qu’il passe quelques jours ici de temps en temps. Vis-à-vis des gens.

ANTOINE

Et Augusta ? Tu comptes la garder longtemps ?

CHARLOTTE

Je n’ai pas eu le temps de m’en occuper.

Entre Léopold, en robe de chambre, appuyé sur Celie.

ANTOINE

Ah ! vous voilà ! Vous êtes mignon dans ma robe de chambre. Ça va mieux ?

LÉOPOLD

Oui, oui. Je suis désolé de vous avoir encombré si longtemps, et tout ce dérangement...

CHARLOTTE

Vous êtes ici chez vous.

LÉOPOLD

Voyez-vous, curieusement, c’est l’effet que ça me fait.

ANTOINE

Ah ! ah ! c’est déjà autre chose, ça.

LÉOPOLD

Je veux dire : la chambre bleue, la fièvre, les fleurs que me portait Celie, les tisanes, j’étais si bien que j’aurais voulu être malade comme ça depuis l’enfance. Mon Dieu, vous travaillez ?

CHARLOTTE

Oui. Vos affaires ne vont pas bien.

LÉOPOLD

Ça ne fait rien. Ne vous faites aucun souci, je vous prie. Merci, Celie.

Charlotte hausse les épaules.

ANTOINE, sarcastique.

C’est qu’il faut vous nourrir, mon garçon. Et vous fumez beaucoup.

CHARLOTTE

Antoine plaisante. Vous avez un revenu qui vous permet de vivre largement. Pas luxueusement, mais convenablement.

ANTOINE

D’ailleurs Charlotte vous adore et je suis sûr qu’au besoin elle vendrait un de ses bijoux pour vous.

LÉOPOLD

Vous savez, je voulais vous dire : Celie a été si gentille avec moi, quand j’étais malade, je lui ai promis quelque chose.

CHARLOTTE

Quoi ?

LÉOPOLD

Une maison. Elle habitait une maison au faubourg, étant jeune, avant de commencer à travailler et d’épouser cet alcoolique qui l’a quittée pour une autre femme et qui...

CHARLOTTE

Mon cher, j’ignore tout de la vie de Celie.

LÉOPOLD

Une vie ! Çe n’était pas une vie. C’était une résignation, plutôt une peur quotidienne. De la maladie, de la vieillesse, de la pauvreté...

ANTOINE

Ne pleurez pas.

LÉOPOLD

Je pourrais... Enfin, je lui ai promis cette maison. Elle vaut cinq cent mille francs.

CHARLOTTE

Vous ne pouvez pas. Dites-moi, mon petit, seriez-vous communiste par hasard. Une extravagance de cinq cent mille francs est au-dessus de vos moyens.

LÉOPOLD

Mais je...

CHARLOTTE, en colère.

Mais quoi ? Voulez-vous vérifier les comptes ? Croyez-vous que je vous vole ? M’avez-vous accordé la gestion entière de vos affaires ou pas ?

LÉOPOLD, atterré.

Mais je vous jure... vous le savez, pour rien au monde je ne voulais vous blesser. Je suis maladroit, je vous l’ai dit.

ANTOINE

Oui, oui, et vous n’avez pas de ressort.

Charlotte et lui se mettent à rire.

LÉOPOLD

Vraiment, Madame, pardon, Charlotte, il n’y aurait pas un moyen en empruntant à je ne sais pas qui de...

CHARLOTTE, sèche.

Non.

Elle le regarde curieusement.

LÉOPOLD, résigné.

Bon. Eh bien, je vais travailler.

CHARLOTTE

Travailler ?

LÉOPOLD

Oui, je suis un très bon ébéniste, paraît-il. C’est un métier très rare, mais je l’ai beaucoup pratiqué à Nantes. On a toujours besoin d’un ébéniste, disait mon patron. On va voir.

Il se dirige vers la porte.

CHARLOTTE

Léopold... Où comptez-vous pratiquer votre noble métier ?

LÉOPOLD

Mais à Poitiers. Cinquante mille francs par mois, ça fait dix mois. Comme je peux habiter ici, puisque vous me l’avez dit, je paierai la maison de Celie d’ici un an.

ANTOINE

Et que dira-t-on à Poitiers ?

LÉOPOLD

Mais rien. Si je n’ai pas d’argent, je peux bien travailler, il n’y a aucun mal...

Charlotte et Antoine se regardent.

CHARLOTTE

Je vais m’arranger, Léopold. Nous vendrons quelques vaches.

LÉOPOLD, à la fenêtre.

C’est très bien. Je suis désolé de vous importuner, mais, là, vraiment, j’avais promis.

CHARLOTTE

Soyez gentil, Léopold. Avant de promettre quoi que ce soit, venez me consulter. Vous serez ruiné en deux mois, à ce train-là.

LÉOPOLD

Comment voulez-vous que je me ruine. Je n’ai pas d’argent.

CHARLOTTE

Trois cents millions.

LÉOPOLD

Je n’ai pas le sentiment de les avoir, c’est comme si je ne les avais pas.

ANTOINE

Il y a du vrai dans ce qu’il dit là.

Il rit.

LÉOPOLD

Que se passe-t-il en bas, sur la place ? Il y a des musiciens et des gens sur des chaises de fer. Un concert ?

CHARLOTTE

Oui. La saison des concerts publics commence. Tous les ans ils jouent les mêmes airs.

LÉOPOLD

Lesquels ?

CHARLOTTE

Mais je ne sais pas. Moi vous savez, la musique. Du Strauss et encore.

LÉOPOLD

Vous aimez Strauss ? Vous aimez la valse ? Vous valserez avec moi un jour ? Je n’aime que ça. À Nantes il y avait une fille qui valsait à la perfection, mais elle ne dansait pas avec moi, jamais. C’était dommage.

CHARLOTTE

Pourquoi ? Elle ne voulait pas ou vous manquiez de votre ressort pour l’inviter ?

LÉOPOLD

Elle ne voulait pas. Je crois qu’elle me trouvait ennuyeux.

ANTOINE, faussement indigné.

Ennuyeux ?

LÉOPOLD

Oui. Je crois que je le suis vraiment d’ailleurs. Je dois l’être puisque je ne sais pas distinguer les gens ennuyeux des autres.

CHARLOTTE

Vous ne vous ennuyez jamais ?

LÉOPOLD

Si, parfois un peu, quand je suis seul.

CHARLOTTE

Et à part cette jeune fille valseuse, vous n’avez pas laissé d’amis à Nantes ? Vous n’écrivez pas, vous ne téléphonez pas, c’est bizarre.

LÉOPOLD, vague.

Oh ! si, je crois qu’il y avait quelques personnes qui m’aimaient bien, à Nantes. Mais vous savez, j’aime beaucoup voir les gens, mais dès qu’on s’en va... On les sent si soucieux, si impliqués dans leur vie que... Bref, je me rends compte que mon absence n’a pas beaucoup d’importance. (On entend les violons qui s’accordent en bas.) Que c’est agréable. On entend la musique, personne ne vous voit. On peut rester des heures dans son fauteuil, avec tous ces violons en bas...

CHARLOTTE

Il y a aussi un cornet à pistons, je ne vous dis que ça. Ah ! décidément, Antoine, ton cigare empeste. Éteins-le donc.

ANTOINE

Un Partagas ? tu plaisantes.

D’un geste, Léopold lui arrache son cigare de la bouche et le jette par la fenêtre.

ANTOINE, debout.

Dites donc, mais vous êtes fou ! Je vais vous apprendre à être poli, moi, petit crétin.

LÉOPOLD, rouge.

Excusez-moi. Je... j’ai cru... si vraiment votre cigare gênait cette femme..

CHARLOTTE, ébahie.

Cette femme ?

LÉOPOLD

Charlotte, veux-je dire. Il n’y a pas de raison que vous lui imposiez cette fumée. Personnellement, remarquez, j’adore cette odeur et je n’ai rien contre vous et si je vous ai blessé, je m’en excuse mille fois.

ANTOINE, décontenancé.

Allons bon. J’en ai assez, moi. (Il va à la porte et se retourne.) Méfie-toi, Charlotte, les violons parfois font des ravages.

Il sort en claquant la porte.

LÉOPOLD, désolé.

Mon Dieu, je l’ai blessé. Je vous jure que je ne voulais pas insulter votre cousin. Un geste maladroit...

CHARLOTTE

Un peu trop de ressort. (Elle rit.) C’est très bien, mon petit Léopold, vous êtes chevaleresque. D’ailleurs, Antoine m’agace en ce moment. N’empêche, vous m’avez surprise.

LÉOPOLD

Vous ne pensez pas que je doive aller m’excuser ?

CHARLOTTE, agacée.

Vous l’avez fait dix fois. Cessez de vous excuser sans arrêt, vous êtes un homme.

LÉOPOLD

Un homme ne doit pas trop s’excuser, n’est-ce pas ?

CHARLOTTE

Mais... Oh ! je ne sais pas, moi. En tout cas, soyez gentil, laissez-moi finir ces comptes.

LÉOPOLD, soumis.

Bien sûr. N’oubliez pas pour les vaches.

CHARLOTTE

Quelles vaches ?

LÉOPOLD

Celie, la maison du faubourg.

CHARLOTTE

Ah !... ce que vous êtes têtu, vous. Oui, je vends vos vaches, comme je mouds votre blé et finance votre caoutchouc. Vous êtes content ?

Elle rit et il rit avec elle.

LÉOPOLD

Très content. Très, très content.

Il s’assied dans un fauteuil et la regarde fixement. Elle consulte ses papiers. La musique commence dehors. Au bout d’un moment, elle relève la tête.

CHARLOTTE

Qu’est-ce que vous regardez ?

LÉOPOLD

Votre visage.

CHARLOTTE

Il vous plaît ?

LÉOPOLD

Oui. Je le trouve très beau. Très vivant. Il va bien avec la musique.

CHARLOTTE

Ma tête va bien avec les violons, tant mieux. Arrêtez de me fixer, quand même, ça me gêne.

LÉOPOLD

Excusez-moi.

CHARLOTTE

Et cessez de vous excuser.

Silence. Léopold regarde ses pieds, ses mains, le plafond d’un air mélancolique. Charlotte lève les yeux, éclate de rire.

CHARLOTTE

Quel âge avez-vous ? douze ans ?

LÉOPOLD

Je ne les ai plus, je le regrette bien.

CHARLOTTE

Pourquoi ?

LÉOPOLD

On ne me demandait rien.

CHARLOTTE, ironique.

Et qu’est-ce qu’on vous demande maintenant ?

LÉOPOLD

On me demande de faire des choses, d’avoir un métier, d’être amoureux, d’avoir des idées, de lire les journaux, de...

CHARLOTTE

On ne vous demande rien de pareil, ici.

LÉOPOLD

Je sais. C’est pourquoi je me sens si heureux.

CHARLOTTE

Vous êtes heureux en plus ? Ici, entre Antoine, Augusta et moi ? Ce climat vous est sympathique ?

LÉOPOLD

Mais très, oui. Pourquoi ?

Elle hausse les épaules sans répondre. Il chantonne. Elle le regarde.

CHARLOTTE, sèche.

Léopold, cessez de chantonner. Et passez-moi une cigarette. Non, je déteste les briquets. Allez chercher les allumettes à la cuisine.

Il s’exécute avec entrain, sort et revient en courant.

CHARLOTTE

Avez-vous rangé votre chambre ? Celie est vieille, non, pour faire un lit ? Ou frotter un parquet. Vous devriez le faire.

LÉOPOLD, décontenancé.

Bien sûr, oui. Je vais y aller.

CHARLOTTE

Et ne mettez pas votre costume pour ça. Ça l’abîmerait. Il y a un tablier à la cuisine. On ne peut pas vous acheter des costumes tous les mois.

LÉOPOLD

Bon, bon. Je... Vous pensez que je doive y aller maintenant ? La musique est si jolie...

CHARLOTTE

Ouvrez votre fenêtre, vous l’entendrez aussi bien.

Il sort. Elle reste immobile un moment, puis se lève et va à la fenêtre qu’elle ferme doucement.

SCÈNE III
 

Même décor. Le soir. Charlotte et Augusta sont en robe du soir. Vinclair et Antoine en smoking. Ils boivent du scotch au coin du feu.

ANTOINE

Excellente idée de s’habiller un peu. Que dites-vous de cette émeraude, Augusta ? Je l’ai rapportée cet après-midi pour Charlotte, elle vient de chez Boucheron. J’ai toujours été généreux. (Vinclair se met à rire.) Vous riez, Vinclair ? Vous avez tort. D’une part, vous n’avez pas l’habitude du smoking, ça se voit, et le fait qu’il soit flambant neuf n’arrange rien. Votre rictus au-dessus est franchement disgracieux. D’autre part, si je suis généreux avec l’argent de feu votre cousin, je ne l’ai pas volé. Cinq ans, c’est long.

VINCLAIR

Qu’est-ce qu’il a, mon smoking ? Je n’ai pas l’habitude des boîtes de nuit, moi, c’est vrai. J’ai un métier, moi.

ANTOINE

C’est vrai... votre métier. Et HEC. Et votre bonne conscience légèrement assouplie par quelques petits cadeaux de Charlotte récemment.

VINCLAIR

Je vous défends...

AUGUSTA

Je vous défends de vous battre. Et puis, ce n’est pas une boîte de nuit ici, Vinclair. C’est une maison honorable. Une des plus vieilles maisons de Poitiers.

ANTOINE

On vient de passer quinze jours à Paris pour revenir ici. S’occuper des affaires. C’est gai.

AUGUSTA

Vous le faites fort bien. Tout le monde dit que...

ANTOINE

Charlotte est très douée. Que fait l’innocent ? Il travaille ?

CHARLOTTE, entre.

Je l’ai envoyé travailler à la métairie des Saules aujourd’hui. En rentrant, il a aidé Celie à faire les vitres.

VINCLAIR

Vous ne pensez pas que vous exagérez un peu ?...

ANTOINE

Pourquoi ? Que sait-il faire d’autre que laver les vitres ? Il n’a pas fait HEC, lui, vous savez.

VINCLAIR

Antoine, cela suffit. Vos licences d’oisif ne vous autorisent pas...

CHARLOTTE

Ah ! non, la barbe. Trouvez autre chose.

Entre Léopold, en veste de velours. Il sourit timidement.

CHARLOTTE

Léopold, vous n’êtes pas couché ?

LÉOPOLD

Euh... non pas encore. Je ne vous dérange pas ?

ANTOINE

Comme d’habitude.

LÉOPOLD

Je... À vrai dire, j’avais envie de parler un peu.

CHARLOTTE

Tiens, tiens. C’est extravagant, ça. Eh bien, asseyez-vous, Léopold, et parlez. Tenez, buvez quelque chose.

LÉOPOLD

Je n’ai pas l’habitude de l’alcool.

CHARLOTTE

Justement. Vous aurez plus de ressort. Si, buvez, j’y tiens.

Il boit d’un trait.

LÉOPOLD

C’est très bon.

Un temps, ils le regardent.

CHARLOTTE

Alors, vous parlez ? Dieu je m’ennuie !

LÉOPOLD

Parler... De quoi ?

CHARLOTTE

Mais je ne sais pas, moi. De votre journée. Intéressante ?

LÉOPOLD

Il a fait très beau. On rentrait les foins aux Saules. Il y a toujours une odeur extraordinaire dans ces cas-là. Le fils Brunet a trouvé un nid d’oiseaux, dedans. Il les a installés dans un autre arbre avec moi.

ANTOINE

Je me sens en pleine comtesse de Ségur.

CHARLOTTE

Et puis ?

LÉOPOLD

Et puis, je suis rentré à pied, j’ai rencontré Vauxier et on a parlé.

AUGUSTA

À Vauxier ? Le clochard ? Il est toujours soûl.

LÉOPOLD

Je ne sais pas. Oui, peut-être.

CHARLOTTE, ironique.

Et sur quoi roulait la conversation ?

LÉOPOLD

Oh ! eh bien... il m’a parlé de lui. Il croit en Dieu. Alors on a discuté.

ANTOINE

Parler théologie à Vauxier... enfin ! Vous ne croyez pas en Dieu, Léopold ?

LÉOPOLD

J’y croyais. Et puis j’ai été, enfin j’ai fait la guerre, vous savez. Alors, j’ai vu des choses impossibles. Tant qu’on croit en l’homme, vous savez, on peut croire en Dieu, mais si on n’y croit plus... si on voit une bête à sa place occupée à en faire souffrir d’autres...

ANTOINE

Vous ne croyez plus en l’homme ?

LÉOPOLD

Je les aime bien, mais je n’ai plus confiance, non. Pas pour moi, je ne risque rien, mais...

CHARLOTTE

Pourquoi ne risquez-vous rien ?

LÉOPOLD

Parce que.

CHARLOTTE

Vous pouvez être trompé, trahi, volé, ridiculisé...

LÉOPOLD

Mais non...

CHARLOTTE, en colère.

Pourquoi ? Hein, pourquoi ?

LÉOPOLD, doucement.

Parce que je ne demande rien.

CHARLOTTE, criant.

Vous allez être servi !

ANTOINE

Charlotte !

CHARLOTTE

Il me met en colère. Tenez, Léopold, buvez ceci et parlez-nous de Dieu, encore.

LÉOPOLD

Je ne comprends pas pourquoi je vous ai mise en colère.

CHARLOTTE

Ça n’a pas d’importance, ne vous excusez pas et buvez. Buvez.

Il la regarde et boit.

ANTOINE

Dites-moi, Léopold, en dehors de Dieu ? Les femmes ? Vous connaissez les femmes ?

LÉOPOLD

Je... très mal.

ANTOINE

Vous êtes vierge ?

LÉOPOLD

Non. Je...

ANTOINE

Beaucoup d’aventures ?

LÉOPOLD

Non, simplement quelques-unes.

ANTOINE

Racontez-nous la première.

CHARLOTTE

Il a dû être violé.

LÉOPOLD

Ça ne me semble pas si intéressant. J’ai la tête qui tourne un peu et je crois...

Il se lève.

CHARLOTTE

Asseyez-vous, racontez. Vous ne voyez pas que je m’ennuie ?

LÉOPOLD, doucement.

Si.

Un temps. Antoine se détourne.

CHARLOTTE, sèche.

Alors ?

LÉOPOLD

J’avais seize ans, je crois. C’était une femme plus âgée, très douce. Elle habitait Nantes, sur la promenade. J’avais porté un meuble chez elle, j’étais ébéniste...

ANTOINE

On sait, on sait.

LÉOPOLD

Elle avait des yeux obliques, très beaux. Elle s’ennuyait beaucoup, je crois. On a été prendre une bière, au café en face. Elle voulait que je lui parle, tout le temps. Elle disait...

Il s’arrête.

CHARLOTTE

Qu’est-ce qu’elle disait...

LÉOPOLD

Elle disait qu’elle adorait la manière dont je parlais, c’est idiot, je...

ANTOINE

Ça en fait toujours une.

LÉOPOLD

On a marché des heures, ensuite, et puis on s’est revus le lendemain. On a été à la campagne. Il y avait un champ, complètement doré, très confortable, plein de fleurs et de bêtes... c’était très beau. Nantes est une ville triste, vous savez.

ANTOINE

Et alors ?

LÉOPOLD

On s’est allongés dans le champ et j’ai eu très envie d’elle. Je lui ai demandé si elle voulait bien que je l’embrasse, elle a dit « oui ». Après elle m’a dit qu’elle m’aimait.

ANTOINE

Ce n’est pas un récit palpitant. Et vous, vous l’aimiez ?

LÉOPOLD

Non. Enfin je l’aimais beaucoup et j’étais très heureux de... enfin de faire l’amour avec elle.

CHARLOTTE

Et depuis que vous êtes ici ? Les femmes ?

LÉOPOLD

Je n’ai pas eu le temps, vous savez.

CHARLOTTE

Ça vous manque ?

LÉOPOLD

De temps en temps, oui.

CHARLOTTE

Eh bien, faites-moi la cour. Je ne vous plais pas ?

ANTOINE

Charlotte, tu as trop bu.

LÉOPOLD

Vous me plaisez beaucoup et vous le savez, je vous l’ai dit. J’aimerais tellement... Vous accepteriez ?

AUGUSTA

Mais c’est incroyable. Qu’est-ce qu’on entend ?

CHARLOTTE

Il faut conquérir les femmes, vous ne le savez pas ? Il faut être spirituel, habile, empressé, audacieux. Essayez.

LÉOPOLD

Je ne suis pas spirituel.

ANTOINE

Ça aussi, on le sait.

LÉOPOLD

Je ne suis pas habile. Ni audacieux.

CHARLOTTE

Faites-moi des compliments. On verra. Alors ?

LÉOPOLD

Devant eux ?

CHARLOTTE

Naturellement devant eux. C’est là l’amusant.

LÉOPOLD

Je vous trouve spirituelle, habile et audacieuse. Je vous trouve dure et souvent méchante. Je vous trouve folle.

CHARLOTTE

Folle, moi, c’est le comble !

LÉOPOLD

Vous êtes folle parce que vous vous intéressez à de drôles de choses. Vous n’aimez pas Antoine, vous n’aimez pas Augusta, et vous vivez avec eux. Vous avez trop de bijoux aussi ce soir. Vous êtes plus belle avec la peau nue.

CHARLOTTE

Vraiment ? Tenez, les voici, je vous les prête.

Elle lui donne ses bijoux, un à un.

LÉOPOLD

Le feu vous va bien, asseyez-vous près de la cheminée. Ne souriez pas. Le sourire ne vous va pas. Regardez-moi.

ANTOINE, sec.

Ça suffit.

LÉOPOLD

Dites-leur de sortir à présent.

CHARLOTTE

Sortez. Si, sors, Antoine, je veux voir comment un innocent séduit les femmes.

ANTOINE

Je... (Il se maîtrise.) Tes caprices sont des ordres.

CHARLOTTE, lentement.

J’aime que tu t’en souviennes. Sortez.

Léopold reste debout à la regarder.

CHARLOTTE

Et alors ?

LÉOPOLD, triste.

Rien. Je crains d’avoir blessé vos amis, Madame, par bêtise. Je n’ai pas l’habitude de boire. Et j’ai cru un instant que vous vouliez vraiment de moi.

CHARLOTTE, doucement.

Léopold, je peux avoir envie de vous, aussi, comme d’un animal. Vous me comprenez ?

LÉOPOLD

Oui.

CHARLOTTE

Je ne m’intéresse pas à vous, je vous trouve inepte et niais et lâche. Vous me comprenez ?

LÉOPOLD

Oui.

CHARLOTTE

Vouloir de vous ? Quelle expression pour un homme. Antoine vous le dirait, je ne veux personne. Je n’aime que les bijoux. Regardez-les, ne sont-ils pas beaux ? Ils brillent, ils étincellent.

LÉOPOLD, les soupesant.

C’est très joli, mais ce n’est pas grand.

CHARLOTTE, piquée.

Dans le genre, si. (Un temps.) Je n’ai jamais connu un homme dont l’esprit soit aussi étincelant qu’un beau rubis. En revanche, j’en ai connu d’aussi durs. Rendez-les-moi. Tout de suite. (Il ne bouge pas.) Allez-vous me les rendre ? Qu’est-ce qui vous prend ? Vous n’obéissez plus ? Ah ! mais c’est très mal, mon petit Léopold. Je déteste ça.

LÉOPOLD

Que feriez-vous si je les jetais par la fenêtre ?

CHARLOTTE

J’irais les chercher, et en courant, je vous assure. C’est mon passé que vous tenez entre les mains, mon petit, et mon avenir par-dessus le marché.

Un temps. Elle le regarde.

CHARLOTTE, douce.

Ça vous paraît peu ? n’est-ce pas ?

LÉOPOLD

Ça me paraît bien peu, oui. Vous devriez avoir des lits et des baignoires pleins de diamants, si vous aimez ça.

CHARLOTTE

Vous êtes bien aimable. Mais je ne parlais pas de la quantité.

LÉOPOLD

Alors, ils me semblent bien froids comme vous disiez et... non, vous devriez aimer des choses chaudes, tendres, des fourrures par exemple.

CHARLOTTE

Les fourrures s’usent et en même temps que soi, c’est déprimant. Venez ici. Remettez-moi mes bijoux, le bracelet d’abord. (Il obéit.) Vous n’êtes pas très adroit. La bague. (Il est très près d’elle et l’embrasse doucement.) Vous n’êtes pas si maladroit. Mais je vous trouve suffisant pour une nuit. Antoine n’est pas bien brillant, ces temps-ci. Je crois que vous pourrez m’être utile. Vous m’entendez bien : utile.

LÉOPOLD

Utile.

CHARLOTTE

Éteignez la lumière. Venez ici, Léopold. Embrassez-moi.

Il l’embrasse.

CHARLOTTE

Que dites-vous ?

LÉOPOLD, très bas.

Que je suis heureux.

 

Rideau

DU MÊME AUTEUR
 

Bonjour tristesse,

roman, Julliard, 1954, prix des Critiques.

 

Un certain sourire,

roman, Julliard, 1956.

 

Dans un mois, dans un an,

roman, Julliard, 1957.

 

Aimez-vous Brahms...,

roman, Julliard, 1959.

 

Château en Suède,

théâtre, Julliard, 1960.

 

Les violons parfois,

théâtre, Julliard, 1961.

 

Les merveilleux nuages,

roman, Julliard, 1961.

La robe mauve de Valentine,

théâtre, Julliard, 1963.

 

Toxique,

journal, illustrations de Bernard Buffet, Julliard, 1964 ; Stock, 2009.

 

Bonheur, impair et passe,

théâtre, Julliard, 1964.

 

La chamade,

roman, Julliard, 1965.

 

Le cheval évanoui,

théâtre, Julliard, 1966.

 

L’écharde,

théâtre, Julliard, 1966.

 

Le garde du cœur,

roman, Julliard, 1968.

 

Un peu de soleil dans l’eau froide,

roman, Flammarion, 1969 ; Stock, 2010.

 

Un piano dans l’herbe,

théâtre, Flammarion, 1970 ; Stock, 2010.

 

Des bleus à l’âme,

roman, Flammarion, 1972 ; Stock, 2009.

 

Un profil perdu,

roman, Flammarion, 1974 ; Stock, 2010.

 

Réponses,

entretiens, Pauvert, 1974.

 

Des yeux de soie,

nouvelles, Flammarion, 1975 ; Stock, 2009.

 

Brigitte Bardot,

racontée par Françoise Sagan, vue par Ghislain Dussart,

Flammarion, 1975.

 

Le lit défait,

roman, Flammarion, 1977 ; Stock, 2010.

 

Le sang doré des Borgia,

en collaboration avec Jacques Quoirez et Étienne de Montpezat,

scénario, Flammarion, 1978.

 

Il fait beau jour et nuit,

théâtre, Flammarion, 1979 ; Stock, 2010.

 

Le chien couchant,

roman, Flammarion, 1980 ; Stock, 2011.

 

Musiques de scènes,

nouvelles, Flammarion, 1981.

 

La femme fardée,

roman, Pauvert et Ramsay, 1981 ; Stock, 2011.

 

Un orage immobile,

roman, Julliard, 1983 ; Stock, 2010.

 

Avec mon meilleur souvenir,

roman, Gallimard, 1984.

 

La maison de Raquel Vega,

fiction d’après le tableau de Fernando Botero,

La Différence, 1985.

 

De guerre lasse,

roman, Gallimard, 1985.

 

Sarah Bernhardt, le rire incassable,

fiction, Robert Laffont, 1987.

 

Un sang d’aquarelle,

roman, Gallimard, 1987.

 

La sentinelle de Paris,

Robert Laffont, 1988.

 

Au marbre : chroniques retrouvées 1952-1962,

La Désinvolture, 1988.

 

La laisse,

roman, Julliard, 1989.

 

Les faux-fuyants,

roman, Julliard, 1991.

 

Répliques,

entretiens, Quai Voltaire, 1992.

 

... et toute ma sympathie,

roman, Julliard, 1993.

 

Œuvres,

Robert Laffont, coll. « Bouquins », 1993.

 

Un chagrin de passage,

roman, Plon, 1994.

 

Le miroir égaré,

roman, Plon, 1996.

 

Derrière l’épaule,

roman, Plon, 1998.

 

Théâtre,

théâtre, inédit, Stock, 2010.

 

La fourmi et la cigale,

inédit, illustrations de JB Drouot, Stock, 2010.

 

Un matin pour la vie et autres musiques de scènes,

nouvelles, inédit, Stock, 2011.

 

Je ne renie rien,

entretiens, Stock, 2014.