1. 
Le cœur battant, Sienna s’immobilisa devant les grilles d’un domaine cossu situé dans un écrin de verdure au bord de la Tamise. Seule la très haute bourgeoisie avait les moyens d’habiter là. Visiblement, Adam avait gravi quelques échelons de l’échelle sociale… 
Il lui avait fallu beaucoup de courage pour venir jusqu’ici, aussi se sentit-elle étrangement soulagée en constatant que personne ne répondait à son coup de sonnette. Mais, juste au moment où elle s’apprêtait à repartir, la voix d’Adam résonna dans l’Interphone. 
– Sienna ? 
Sa voix avait les mêmes inflexions que dans son souvenir : du velours sur de l’acier. Elle pouvait être moelleuse comme du chocolat fondu ou tranchante comme une lame de rasoir. Elle frissonna. 
Elle n’avait pas imaginé qu’une caméra vidéo fonctionnait avec l’Interphone. Non seulement Adam savait qu’elle était là, mais il avait pu étudier à loisir son expression, ce qui lui donnait un avantage certain. 
– Adam ! 
Pourquoi avait-elle tant de mal à maîtriser sa nervosité ? Elle s’était pourtant promis d’être forte et déterminée… Mais aussi, pourquoi la laissait-il devant le portail au lieu de la faire entrer ? Y prenait-il un plaisir pervers ? A moins qu’il ne refuse de la voir. Après tout, leur rupture remontait à plus de cinq ans… 
– Je… J’ai besoin de te parler, articula-t–elle, la gorge sèche. 
– Après tout ce temps ? Quel honneur ! Eh bien, entre ! 
Les grilles s’ouvrirent et Sienna remonta lentement une allée bordée de buis, jusqu’à l’entrée imposante d’un immeuble luxueux. Avec un soupir, elle appuya sur un deuxième Interphone et attendit. Au bout de ce qui lui sembla une éternité, la voix d’Adam résonna de nouveau. 
– Tu as l’air bien impatiente, Sienna. 
– Ne te moque pas de moi ! protesta-t–elle sans chercher à déguiser son agacement. 
– J’essaie de comprendre le but de ta visite. 
– Tu ne l’apprendras que si tu me laisses entrer. 
Sienna, dont la colère montait, regrettait de plus en plus d’avoir entrepris cette démarche. 
– Oh, et puis, tant pis ! lança-t–elle impulsivement. J’ai changé d’avis. 
Elle fit brusquement volte-face sur ses talons ridiculement hauts, qu’elle n’avait chaussés que pour se donner confiance. 
– Attends ! 
Elle entendit la porte s’ouvrir avec un déclic. 
– Dernier étage. L’ascenseur est sur ta droite. 
Sienna arriva quelques secondes plus tard dans un vaste hall lambrissé, discrètement éclairé par des spots et décoré de plantes vertes au feuillage brillant. En face d’elle, un grand miroir lui renvoya un reflet peu flatteur : elle avait l’air pétrifiée. Ses yeux bleus lui mangeaient complètement le visage, elle était pâle, décoiffée et n’avait plus de rouge à lèvres. 
Cela n’avait rien à voir avec l’image qu’elle souhaitait donner. Elle inspira profondément pour tâcher de se calmer et se força à sourire. Puis elle se repeigna et retoucha son maquillage. Elle replaçait son tube de rouge dans son sac quand la porte s’ouvrit sur Adam. 
Elle retint son souffle. Comme il avait changé ! La métamorphose était spectaculaire. Lui qui était autrefois presque maigre avait maintenant une carrure imposante et l’on devinait une musculature puissante sous la soie de la chemise et le lin du pantalon. 
Comment avait-il réussi pareille transformation et où trouvait-il le temps de faire de l’exercice physique ? D’après ce qu’elle savait de lui et ce qu’elle lisait dans les journaux, il consacrait sa vie à sa carrière. 
Sa mâchoire carrée, volontaire, se contracta tandis qu’il la fixait de ses yeux bleu foncé. Il avait toujours les mêmes cheveux noirs, bouclés et indisciplinés, un peu trop longs. 
– Eh bien, Sienna, quelle surprise ! commença-t–il de sa belle voix grave. Je suis très intrigué. Comment as-tu découvert où j’habitais ? 
Elle haussa les sourcils. 
– On parle beaucoup de toi dans la presse, ces temps-ci. Cela n’a pas été très compliqué.