1981
Lundi 4 mai 1981


Robert Badinter, Serge Moati, Régis Debray et moi revoyons, consternés, le film du débat télévisé de 1974 pour préparer celui de demain. François Mitterrand l'avait perdu plus manifestement que nous ne l'avions mesuré à l'époque.
Cette fois, la seule escarmouche, au stade préparatoire, porte sur le choix des journalistes qui vont arbitrer le débat. Ce seront Jean Boissonnat et Michèle Cotta.
La préparation elle-même est plus aisée qu'il y a sept ans. Tout est construit autour de citations de Jacques Chirac expliquant les erreurs du Président sortant dont il fut le Premier ministre. François Mitterrand est obsédé par une chose : ne pas dire s'il prendra ou non des ministres communistes au gouvernement. Il n'a d'ailleurs pas encore décidé. Sinon que, si les socialistes n'ont pas à eux seuls la majorité parlementaire aux législatives qui suivront l'élection présidentielle, il n'en prendra pas : surtout ne pas dépendre d'eux.



Mardi 5 mai 1981


Pour ne pas rééditer l'erreur de 1974 — il s'était endormi à la campagne, l'après-midi précédant le débat, et ne s'était pas vraiment réveillé au cours de celui-ci ! — François Mitterrand reste toute la journée rue de Bièvre à réviser des fiches.
En fin d'après-midi, il va se promener sur les quais, près de Notre-Dame. « Il suffirait, dit-il, de faire match nul. Pas besoin de s'inquiéter beaucoup. » Il me dit le plus grand bien du Président sortant, de sa gestion, de sa tactique. Je m'inquiète : «Comment s'opposer à un homme qu'on admire ? » Il sourit, s'éloigne, contemple Notre-Dame et revient sur ses pas : « Ne vous inquiétez pas, s'il va trop loin, j'ai mes arguments. » Lesquels ? Mystère. Je suis rassuré.

Nous arrivons au Studio 101 : un homme alors inconnu de moi, chargé par la commission électorale de tirer au sort l'ordre dans lequel les deux candidats vont prendre la parole, me glisse dans la bousculade : « Vous préférez qu'il parle le premier ou qu'il conclue?Qu'il conclue. » Le sort en décide ainsi... Hasard ? Manipulation ? Je n'ai jamais su ni cherché à savoir.
Le débat ne ressemble en rien à celui de 1974. Comme si les ressorts de Giscard étaient cassés. « Vous êtes l'homme du passif. » La formule, longuement méditée la veille, fait mouche.



Mercredi 6 mai 1981


Les sondages sont toujours favorables : 52 % pour François Mitterrand. Je boucle, avec les experts, le dossier des premières mesures à prendre, ministère par ministère.

A la télévision, Valéry Giscard d'Estaing attaque violemment le programme de François Mitterrand et marque des points. François Mitterrand, en meeting, n'a pas vu l'émission. Tard dans la nuit, je l'appelle à son domicile pour lui faire part de mes inquiétudes. Serein, il accepte mes suggestions. Réagir, et vite.


Jeudi 7 mai 1981

Nous improvisons une réponse pour ce soir. François Mitterrand dialoguera avec Anne Sinclair, dans son émission officielle, et parlera des « sept mensonges » proférés par Giscard la veille.

Dans la nuit, Giscard obtient un nouveau droit de répondre, cette fois hors campagne, pour demain à 13 heures.


Vendredi 8 mai 1981


Dans la matinée, Gaston Defferre fait l'impossible pour obtenir un droit de réponse à l'antenne. Il appelle Jean-Marie Cavada ; j'en fais autant auprès de Jean-Pierre Elkabbach. L'un et l'autre font honorablement leur travail et acceptent. Michel Rocard se fait tirer l'oreille pour prendre la parole : « Il ne m'appelle que quand tout va très mal. »

Le général Alain de Boissieu, grand chancelier de l'ordre de la Légion d'honneur et beau-frère du Général de Gaulle, attaque violemment François Mitterrand sur son attitude pendant la guerre. François Mitterrand est très affecté. Pour la première fois, il me raconte longuement l'histoire de sa guerre, son évasion d'Allemagne en 1941. Il se souvient de chaque village où il est passé, de la vieille fille libraire à Metz qui l'a aidé, de Vichy où il créa l'Association des Prisonniers. Puis il évoque Londres où, à l'été 1943, il a refusé de signer son allégeance à la France Libre — même s'il jouait au bridge à Kensington avec le colonel Passy. Il se souvient d'Alger, en novembre 1943, où il rencontre de Gaulle qui lui propose de siéger à l'Assemblée consultative... à condition de ne pas rentrer en France et de laisser la direction de son mouvement à son neveu, Michel Charrette. Son refus, la colère du Général, son voyage jusqu'à Marrakech où il est hébergé chez Joséphine Baker, puis de Marrakech à Glasgow dans l'avion de Montgomery, puis de Londres à Paris par la Bretagne et la gare Montparnasse en mars 1944. Enfin, il raconte sa nomination dans le premier gouvernement de Gaulle en 1944, à vingt-sept ans, en charge des anciens prisonniers de guerre. Et le mot prémonitoire de De Gaulle qui, le voyant dans la salle du Conseil, rue de Solférino, s'exclame : «Mitterrand, encore vous !... »