I
Galons et galaxies
 
DÉPÊCHE
DU COMMANDEMENT GÉNÉRAL DU CORPS GALACTIQUE, SOL III
AU Q.G. ZONE IV, URANUS
 
COMMANDEMENT CONFIRME APRÈS ENQUÊTE SUR PREMIER BATAILLON D'ASSAUT BOOS SCANDALEUX CAS HOMOSEXUALITÉ STOP LISTE RESPONSABLES SUIT STOP ATTENDONS PROMPTE ET SÉVÈRE RÉPRESSION STOP
 

SIGNÉ
GÉNÉRAL SAPAJOU
COMMANDANT GÉNÉRAL, DU CASINO
 
DÉPÊCHE
DU Q.G. ZONE IV, URANUS
AU COMMANDEMENT GÉNÉRAL DU CORPS GALACTIQUE, SOL III
CASINO, MONTE-CARLO
 
INFORMONS COMMANDEMENT QUE BOOS D'URANUS EST RACE HERMAPHRODITE (N. 30015 REGISTRE ETHNIQUE INTERGALACTIQUE) STOP CAS PRÉTENDUE HOMOSEXUALITÉ SONT EXEMPLES EXERCICE NORMAL PRATIQUES SEXUELLES PERMISES PAR LOIS URANUS ET CONSTITUTION INTERGALACTIQUE STOP
 
SIGNÉ
COLONEL ZBZZ SGDG S/C
GÉNÉRAL COMMANDANT AGWSS
ACTUELLEMENT EN CONGÉ MATERNITÉ
 

DÉPÊCHE
DU COMMANDEMENT GÉNÉRAL DU CORPS GALACTIQUE, SOL III
AU Q.G. ZONE V, PLUTON
 
COMMANDEMENT AFFIRME AVOIR CONSTATÉ SCANDALEUX CAS DE MASTURBATION PUBLIQUE DANS BATAILLON CAROTTIERS PLUTON STOP PRÉVOIR CHÂTIMENT POUR COUPABLES DIRECTS ET OFFICIERS RESPONSABLES RELÂCHEMENT DISCIPLINE STOP
 
SIGNÉ
GÉNÉRAL SAPAJOU
COMMANDANT GÉNÉRAL, DU CASINO
 
DÉPÊCHE
DU Q.G. ZONE V, PLUTON
À COMMANDEMENT GÉNÉRAL DU CORPS GALACTIQUE, SOL III
CASINO, MONTE-CARLO
 
DÈS RÉCEPTION DÉPÊCHE INFORMONS COMMANDEMENT QUE CAROTTIERS PLUTON SONT RACE VERMIFORME (D'OÙ HABILETÉ EXCAVATOIRE ET PRODUCTION PRÉLÈVEMENTS CAROTTES POUR PROSPECTIONS GÉOLOGIQUES ZONE PLUTON) SE REPRODUISANT PAR PARTHÉNOGENÈSE STOP ATTITUDE DU CAROTTIER QUI SUCE AVEC SON EXTRÉMITÉ ANTÉRIEURE SON EXTRÉMITÉ POSTÉRIEURE EST SYMPTÔME PROCESSUS SCISSION ET NORMALEMENT ADMISE PAR RÈGLES ARMÉE LOCALE STOP PRÉCISONS MÊME ÊTRE LE SEUL MOYEN EFFECTUER HABITUELLES OPÉRATIONS ENRÔLEMENT NOUVELLES RECRUES STOP
 
SIGNÉ
GÉNÉRAL BOOSAMMETH
ET GÉNÉRAL BOOSAMMETH
 

(PRIÈRE ÉTABLIR PRIORITÉ COMMANDEMENT VU RÉCENTE SCISSION POUR PARTHÉNOGENÈSE AU SOMMET)
 

DÉPÊCHE
DU COMMANDEMENT GÉNÉRAL DU CORPS GALACTIQUE, SOL III
AU Q.G. ZONE IV, URANUS
AU Q.G. ZONE V, PLUTON
 
COMMANDEMENT REFUSE ARGUMENTS SPÉCIEUX ET JUSTIFICATIONS PERMISSIVES PORTANT HAUTEMENT ATTEINTE TRADITIONS MORALES, RAPIDITÉ D'ESPRIT ET HYGIÈNE ARMÉE GALACTIQUE, FIÈRES TRADITIONS GRENADIERS DE SARDAIGNE ARTILLEURS DE METZ ET CHASSEURS ALPINS STOP SIGNATAIRES DÉPÊCHES IMMÉDIATEMENT DESTITUÉS STOP GARNISONS CONSIGNÉES STOP
 
SIGNÉ
GÉNÉRAL SAPAJOU
COMMANDANT GÉNÉRAL, DU CASINO
Comité Intergalactique Défense Minorités Ethniques
Fomalhaut (Poisson Austral)
 
Excellence, je me permets de porter à votre connaissance les affaires référencées dans la documentation ci-jointe, d'où il ressort que le Général Sapajou (un Terrien, je suppose) applique à l'administration militaire galactique une optique que j'oserai déclarer obsolète, du moins depuis l'époque du président Flanagan (dramatiquement assassiné par un fanatique africain), lequel avait si brillamment défendu le droit des races périphériques à l'absolue égalité des droits. Vous n'êtes pas sans savoir que la doctrine Flanagan établit que « tous les êtres de toutes les Galaxies sont égaux devant la Grande Matrice, indépendamment de leur forme, du nombre de leurs écailles ou de leurs bras, et indépendamment même de l'état physique (solide, liquide ou gazeux) dans lequel il se trouve qu'ils vivent ». Ce n'est pas un hasard si le Gouvernement de la Fédération Intergalactique a institué le Haut Commissariat à la Relativité Culturelle et Biologique qui gère le Registre Ethnique Intergalactique et propose à la Haute Cour de Justice les intégrations légitimes et les modifications des lois galactiques au fur et à mesure que la civilisation terrienne s'étend aux ultimes confins du Cosmos. Quand, après la chute des Grands Empires Atomiques (les ex-URSS et USA), les peuples du bassin méditerranéen, grâce à la découverte des qualités énergétiques de l'acide citrique, se rendirent maîtres d'abord de la Terre puis de l'Univers qu'ils sillonnaient en astronefs propulsés par cette force puisée de ce fruit que le poète avait jadis chanté, tout le monde pensa qu'il était de bon augure que la domination de l'Univers fût confiée à des peuples ayant déjà subi de sévères discriminations raciales dans le cadre de leur propre planète, et vous n'avez pas oublié l'enthousiasme qui salua la loi Hefner permettant l'accouplement entre femmes terriennes et pentapénidés de Jupiter (même si nous savons le tribut de sang que coûta cette malheureuse expérience pionnière qui contraignait la population jupitérienne, industrieuse mais sans doute trop énergique, à satisfaire cinq excitations simultanées sur une seule femme monovulvaire). Quoi qu'il en soit, c'est de cette expérience d'une indubitable ouverture que naquirent les lois intergalactiques, qui font aujourd'hui encore la fierté de notre Fédération.
Nous nous félicitons de ce que les règlements militaires intergalactiques se soient alignés sur le principe de l'intégration et qu'ils aient même exigé que le service militaire soit effectué sur une planète différente de celle de la naissance. C'est donc avec un particulier désappointement que nous avons constaté depuis longtemps une infraction à cette règle, la preuve en étant que les Carottiers de Pluton font leur service uniquement sur leur planète, et que c'est sur leur planète uniquement que les Boos d'Assaut d'Uranus font leur service. Ainsi, on comprend pourquoi le Général Sapajou, dont les compétences militaire et administrative restent indéniables, ignore encore leurs particularités anatomiques et leurs modes de reproduction. Mais Votre Excellence a sans doute pu se rendre compte de la gravité de l'incident diplomatique provoqué par cette affaire, les journaux télévisés se faisant amplement l'écho des émeutes sur les deux planètes en question.
Aussi, je prie instamment Votre Excellence de bien vouloir prendre des mesures afin de redonner tout son poids opérationnel au principe intergalactique d'intégration; et j'espère que des splendides hauteurs de la Moyenne Corniche et du Palais Présidentiel de La Turbie, d'où Votre Excellence domine l'enchanteresse vision de la mer Méditerranée, partira un prompt et paternel avertissement lancé aux Commandements Militaires qui dans l'ancien Casino de Monte-Carlo président aux Jeux Galactiques du Potlatch Belliqueux.
Avec ma plus haute considération, je vous prie d'agréer l'expression de mon très respectueux dévouement à la Grande Matrice Combinatoire de l'Univers, et me présente à vous prostré sur mes trente genoux.
Signé
Avram Boond-ss'bb
A l'illustre Polypode Avram Boond-ss'bb
Fomalhaut (Poisson Austral)
 
Dans la Croix du Sud, la paix, bon Polypode. Permettez-moi de me présenter à vous au nom de notre très aimé Président Intergalactique, en tant qu'Attaché aux Relations Publiques, pour donner à votre lettre l'issue et la satisfaction qu'elle mérite, dans la lumière de la Grande Matrice.
 
Son Excellence n'oublie pas les devoirs qui lui incombent en tant que Garant de l'Intégration, mais elle doit tenir compte aussi de ceux qui lui échoient en tant que Commandant Suprême du Grand Jeu du Potlatch Belliqueux.
Si depuis les siècles des siècles, il fut difficile de gouverner les armées, les anciens Hébreux ayant même assigné cette tâche à leur Deus Sabaoth, ce devoir est à fortiori inégal sinon impossible dans le cadre de la Paix Intergalactique. Vous savez que les plus grands hommes d'État ont admis, depuis le XXIIe siècle de l'ère chrétienne, combien une armée composée de quelques centaines de milliers d'hommes est dangereuse et récalcitrante en une période transitoire de paix. Les grands coups d'État du XXe siècle ont justement été dus à l'excès de paix (aussi le défunt président Flanagan en vint-il à dire que seules les guerres sont le berceau de la démocratie). Imaginez alors (mais vous savez parfaitement tout cela) combien il est ardu de gouverner une armée d'un milliard d'êtres appartenant à diverses ethnies intergalactiques, dans des conditions de Paix Perpétuelle et en l'absence institutionnalisée tant de frontières à défendre que d'ennemis les menaçant. En ce cas, vous n'êtes pas sans savoir qu'une armée coûte plus cher mais tend également à multiplier ses effectifs, en fonction de la fameuse loi de Parkinson. Vous pouvez donc imaginer les inconvénients qui en découlent.
Prenons le cas précis des Carottiers de Pluton et des Boos d'Uranus. Initialement, on avait pensé les intégrer au Corps Mixte Lunaire qui, par règlement, se compose de patrouilles motorisées sur tracteur formées de deux Terriens (un bersaglier et un garde royal de la police montée canadienne) et de deux extraterrestres : l'exiguïté de l'espace oxygéné de la section antérieure du tracteur rendait impossible la coexistence des militaires qui avaient tous deux des chapeaux à larges bords; en outre, il s'est avéré que les plumes du bersaglier contenaient des allergènes auxquels sont très sensibles les chevaux, c'est sans doute la raison pour laquelle la légendaire sagesse militaire n'a jamais voulu la constitution de régiments de bersagliers à cheval. Mais vous savez aussi combien la garde royale canadienne est attachée à sa monture, au point de ne pouvoir s'en séparer même sur un tracteur (la tentative de jucher sur une bicyclette les Tuniques Rouges a lamentablement échoué, et il est mauvais de ne pas respecter les traditions des différents corps d'armée). En tout cas, cela ne fut rien par rapport à ce qui s'ensuivit après l'introduction de Plutoniens et d'Uraniens dans la section postérieure du tracteur. D'abord parce que les Boos d'Assaut sont munis, on le sait, d'une longue queue qui ne pouvait pas ne pas sortir du tracteur, traînant sur le terrain et se couvrant ainsi de plaies difficilement guérissables, ensuite parce que les Boos vivent dans une atmosphère de gaz inflammables et que les Carottiers de Pluton ne survivent qu'à une température de 2 000 degrés Fahrenheit, et qu'aucune cloison étanche ne garantit un isolement réciproque suffisant. A cela s'ajoute le fait — le plus grave d'entre tous — que les Carottiers de Pluton sont compulsivement poussés à s'enfoncer dans le terrain pour en extraire des carottes (au sens pétrolifère du terme), chose qui sur Pluton ne porte pas à d'irréparables conséquences vu la capacité régénératrice du sol local, mais qui sur la Lune avait vite amené à ce processus que les techniciens ont appelé de façon pittoresque la « gruyérisation » (laquelle compromettait la stabilité gravitationnelle même du satellite). Bref, on dut renoncer au projet d'intégration, et au jour d'aujourd'hui les patrouilles lunaires motorisées sur tracteur sont exclusivement composées de pygmées Bandar (Jungle de Bengali), particulièrement adaptés à cette besogne. Le critère fonctionnel a prévalu sur celui de l'intégration. Il est à noter que la solution est anormale aux termes du règlement et qu'elle s'inspire officiellement d'un décret-loi provisoire. Vous comprenez donc quels furent les nombreux problèmes auxquels l'autorité centrale s'est trouvée confrontée et je ne vous cache pas qu'une solution comme celle évoquée ci-dessus a été prise en désaccord avec le Haut Commandement du Casino. Il est aussi vrai que les responsables militaires ne sont pas tous à la hauteur des problèmes infinis que pose l'administration d'une armée intergalactique.
En tout état de cause, quant à la question examinée ici, Son Excellence me charge de vous dire que l'on va pourvoir à la rotation normale des Hauts Commandements : le Général Sapajou sera détaché dès demain à la Centrale d'Approvisionnement sur Bételgeuse, et le Commandement du Corps Galactique sera assuré par le Général Belpech, auparavant émérite Commandant des Lanciers de Bénodet. Quant au Commandement Général d'État-Major Intergalactique, il sera assuré par le Général Fidel Mantray-Trécond, auparavant Chef des Services Secrets, officier d'une illustre lignée de militaires du Liechtenstein, qui sera indubitablement à la hauteur de ses lourdes et multiples tâches.
Nous espérons que ces mesures constitueront des garanties suffisantes aux yeux du Comité Intergalactique pour la Défense des Minorités Ethniques, et l'on a pris un soin particulier à ne pas choisir pour une charge si délicate un militaire provenant de zones traditionnellement racistes comme l'Afrique, la Sicile ou la région PACA. Son Excellence elle-même pense qu'il est grand temps de se décider à enfreindre la tradition légale selon laquelle les Hauts Commandements sont toujours confiés à un militaire d'origine méditerranéenne, et vous savez mieux que moi combien est encore grand le prestige de la civilisation citronnière. Nous sommes tous des enfants nés d'une technologie de l'acide citrique. Comment l'oublier?
Je reste votre très dévoué
Aimé Desbidasse
Chargé des Relations Publiques
de son Excellence le Président
de la Fédération Intergalactique
Palais de La Turbie, Méditerranée
 


Rapport réservé au Président de la Fédération
Service de Coordination des Services Secrets, Rome
C'est avec une certaine hésitation que notre service a donné suite à l'ordre de Votre Excellence de clarifier la position de l'agent Wwwsp Gggrs, vu que la condition même de l'existence d'un Service chargé de coordonner l'activité des Service Secrets en conflit réciproque est le secret absolu de ses informations. Nous obéissons si scrupuleusement à ce principe que, en règle générale, afin d'éviter toute fuite, nous ne nous tenons pas au courant de l'activité des services que coordonne notre Service. S'il nous arrive parfois de prendre connaissance d'un événement, c'est dans le seul but d'assurer l'entraînement de nos vingt-six mille employés, en vertu de la théorie du Tour à Vide Institutionnalisé qui régit l'existence même des Forces Armées Intergalactiques.
Pour comprendre la position de l'agent Wwwsp Gggrs, un bivalve miniaturisé originaire de Cassiopée, il faut connaître la situation des trente-sept Services Secrets des Galaxies Fédérées. Cette situation, je vais l'expliquer à Votre Excellence, partant du principe que, si les services susnommés ont bien fonctionné et si notre service de coordination a obéi à son devoir de Désinformation Contrôlée, le gouvernement doit probablement tout en ignorer.
Votre Excellence le sait bien, les Galaxies Fédérées souffrent du fait d'être une entité étatique sans frontière et donc sans ennemis possibles, condamnée pour ainsi dire à la paix perpétuelle. Cette situation a indéniablement compliqué la configuration d'une Armée, sans que les Galaxies puissent pour autant renoncer à en avoir une — au cas où elles perdraient l'une des prérogatives essentielles d'un État souverain. C'est pourquoi il a été fait recours à la lumineuse théorie du Tour à Vide Institutionnalisé, qui permet à une Armée d'un format inimaginable de s'occuper de sa seule autosubsistance — remédiant à la nécessité de son renouvellement grâce à l'institution du Potlatch Belliqueux, ou Jeu de la Guerre.
Cette solution n'a pas été difficile à mettre en place, vu que depuis longtemps (avant même la Pax Mediterranea et l'unification des Galaxies) les armées de l'ère vulgaire s'occupaient déjà presque uniquement de leur autosubsistance. Toutefois, elles avaient deux importantes soupapes de sécurité. D'abord, la création d'une série continue de guerres locales, sous la pression des centres de pouvoirs économiques, afin de sauvegarder une économie de guerre très rentable; ensuite, l'espionnage réciproque entre États avec, pour corollaire, l'entretien des tensions, les coups d'État, les guerres froides provoquées, etc.
Votre Excellence le sait pertinemment, la découverte de la puissance énergétique de l'acide citrique n'a pas fait que donner le leadership galactique aux pays sous-développés producteurs de citrons, elle a aussi radicalement changé les lois économiques, mettant fin à l'ère de la technologie industrielle et de la consommation. La conséquence fut de rendre caduque sinon la possibilité, du moins l'intérêt de provoquer des conflits locaux. Un fait qui, on le sait, a exacerbé les deux problèmes majeurs du bon fonctionnement interne de l'Armée, à savoir la relève des troupes (grâce aux décès au combat) et la promotion des officiers (pour mérite de guerre). Le Potlatch Belliqueux a pallié ces graves inconvénients et aujourd'hui nos stades de l'espace se délectent chaque dimanche de la rencontre sanglante entre des unités de notre glorieuse Armée, qui font preuve, l'une contre l'autre, de valeur et de courage, soutenues par l'amitié, l'esprit de coopération et le mépris du danger. Jamais dans l'histoire de l'homme on n'avait vu des jeunes de toutes race et condition sociale mourir le sourire aux lèvres sans un mot de haine pour « l'ennemi », reconnu comme un ami, un frère qui, pour de simples raisons de tirage au sort, se bat dans le camp adverse. Et permettez-moi de souligner ici le comportement héroïque de la Quatrième Division Hypertransportée du Caméléon qui, dimanche dernier, dans le Derby de la Croix du Sud, poussée aux confins de l'hémisphère céleste par les Lions du Serpentaire, afin d'éviter de s'écraser en masse sur les tribunes du gouvernement, placées sur Fomalhaut, est allée se fracasser sur Alpha, enrichissant le Potlatch Belliqueux par l'anéantissement de 50 000 civils — réintroduisant courageusement le sacrifice de victimes non belligérantes dans la pratique guerrière, événement qui ne s'était plus produit depuis l'archaïque Âge du Napalm.
Mais revenons à notre problème. Si le Potlatch Belliqueux a résolu la question de la relève des enrôlements et des carrières pour hauts faits de guerre, il n'a certes pas résolu le problème de l'espionnage. Bien entendu, il serait vain qu'une unité espionne celle qu'elle devra rencontrer au sein du Potlatch, car, chacun le sait, les alliances et l'importance des forces en présence sont du domaine public, disponibles dans les diverses gazettes militarosportives. Par ailleurs, la non-existence d'ennemis extérieurs risquerait de vider de leur sens les Services Secrets. Mais, de même qu'un État ne peut survivre sans Forces Armées, de même les Forces Armées ne peuvent survivre sans Services Secrets. Pour une raison au moins : ainsi que l'enseigne la doctrine Honki-Henki, la direction des Services Secrets est biologiquement nécessaire à une Armée pour y « griller » ce surplus de généraux et amiraux qui ne pourront jamais être promus aux charges suprêmes. C'est pourquoi il est nécessaire que les Services Secrets existent, qu'ils déploient une intense activité, que cette activité soit parfaitement inefficace, et dangereuse pour l'autosubsistance de l'État. Un nœud de problèmes difficile à résoudre.
Or, la doctrine Honki-Henki a eu le mérite d'exhumer un précieux modèle que nous a offert l'actuelle Œnotrie (anciennement l'Italie) vers la fin du XXe siècle de l'ère dite vulgaire : le modèle de l'espionnage réciproque entre Corps Séparés.
Mais pour que les Corps Séparés de l'État puissent s'espionner réciproquement, deux conditions sont nécessaires : d'abord, chacun des Corps Séparés doit mener une intense activité secrète que les autres auront envie de connaître; ensuite, les espions doivent avoir facilement accès aux informations. La seconde condition est satisfaite par le principe de l'Espion Unique : un unique agent, expert du double jeu, qui espionne en même temps pour le compte de plusieurs Corps Séparés, est toujours en possession de nouvelles fraîches et de source sûre.
Mais si les Corps Séparés, en vertu du principe du Tour à Vide Institutionnalisé, ne font rien ni de public ni de secret? Alors, il est nécessaire que l'espion employé remplisse une troisième condition : être en mesure de recueillir et de fournir des nouvelles inventées. En ce cas, l'espion ne devient plus seulement un intermédiaire mais la source même des nouvelles. En un certain sens, on peut dire que ce n'est pas tant le Corps Séparé qui crée l'Espion, mais l'Espion qui crée le Corps Séparé.
Dans cette perspective, l'agent Wwwsp Gggrs se présentait comme le meilleur des candidats, et ce pour diverses raisons. En premier lieu, c'est un bivalve de Cassiopée, une espèce qui raisonne à partir de logiques polyvalentes et toujours avec des énoncés à haute opacité référentielle; l'admirable fusion de ces deux qualités les rend particulièrement aptes au mensonge, à l'autocontradiction systématique, à la rapide manipulation de synonymes apparents et au mélange critique de termes de re et de dicto (du genre : « Si le Stagirite est Aristote et Stagirite est un mot de neuf lettres, alors Aristote est un mot de neuf lettres » ; un type de raisonnement qui, sans doute à cause du haut niveau de formalisation logique atteint par nos officiers, semble très populaire jusque dans les garnisons les plus perdues de la banlieue galactique).