première partie
L'homme et son univers
1
La vie. Les origines, le terroir, la famille
Esquisse biographique
Olivier Messiaen est né à Avignon le 10 décembre 1908, à minuit. Son père, Pierre Messiaen, était professeur d'anglais, et l'auteur d'une remarquable traduction en français des œuvres de Shakespeare, fruit de trente ans de travail à partir de 1919. Ce fut évidemment par lui que le futur compositeur, tout enfant, s'initia à l'œuvre du grand Will, dans la traduction de Montégut, mais, paradoxalement, ce fils d'angliciste n'apprit jamais l'anglais, et il rapporte, par exemple, que lors de son voyage au Japon, pour pouvoir s'entretenir avec les ornithologues de ce pays, il dut recourir... au latin, vieille langue internationale des naturalistes, comme chacun sait !
Sa mère, Cécile Sauvage, était poétesse, et a laissé une trace beaucoup trop discrète dans l'histoire de notre littérature. Le plus beau de ses recueils, L'Âme en bourgeon, composé précisément alors qu'elle attendait la naissance du compositeur, chante les sentiments de la maternité avec une sensibilité à la fois pudique et frémissante. Messiaen a conservé une empreinte profonde et durable de cette mère extraordinaire et de son œuvre, et il relève même, dans un des poèmes du recueil Tandis que la terre tourne, celui intitulé Enfant, pâle embryon, certaines intuitions prémonitoires de sa future destinée (cf. Rencontres avec Olivier Messiaen, d'A. Goléa, p. 23), notamment quant à sa carrière artistique (« l'angoisse du mystère où l'art va se briser »). Cécile Sauvagevécut le temps de voir s'affirmer les dons musicaux de son fils, mais disparut en 1927 : Le Banquet céleste, l'officiel « Opus 1 » de Messiaen, est de l'année suivante...
Antoine Goléarapporte que, recherchant les poèmes de Cécile Sauvage, épuisés en librairie (ils le sont toujours, hélas !), il tomba, dans une bibliothèque, sur une édition de luxe agrémentée d'un portrait de profil, qu'il décrit avec beaucoup de sensibilité, en terminant par la remarque : « Ce n'est en tout cas pas le visage d'Olivier Messiaen ». Une très belle photographie de face de 1910 ne permet nullement d'être aussi affirmatif.
La fidélité de Messiaen à la mémoire de sa mère s'est traduite de manière touchante par la parution, chez Erato, d'un disque réalisé à sa demande expresse, et dans lequel il commente un choix de poèmes de (trop discrètes) improvisations à l'orgue.
Ajoutons enfin que le don de plume s'est transmis à la descendance de ce couple de littéraires : non seulement Olivier Messiaen fait montre d'authentiques qualités de poète dans les textes de ses œuvres vocales (presque tous de sa composition) et dans les admirables commentaires analytiques de ses œuvres (ceux du Catalogue d'oiseaux sont autant de poèmes, inséparables de la musique !), mais encore son frère cadet, Alain Messiaen, s'est affirmé comme l'auteur foncièrement original de la longue succession de recueils du Cortège d'Euterpe : innombrables commentaires poétiques d'œuvres musicales des auteurs les plus variés (y compris son frère), baignés de cette même spiritualité intense et simple qui illumine l'œuvre de son glorieux aîné. On peut même dire que les intuitions de rapports entre sons musicaux et paroles que l'on trouve dans ces poèmes constituent parfois une sorte d'équivalence des rapports sons-couleurs qui dominent toute l'œuvre musicale d'Olivier Messiaen.
Celui-ci a toujours souligné que sa naissance à Avignon fut en quelque sorte « accidentelle », et elle ne fut en fait due à rien d'autre qu'au hasard des mutations affectant la carrière d'un professeur de lycée de province. Si sa mère était partiellement de souche méridionale, le nom même de Messiaen indique des ascendances flamandes : il est assez répandu actuellement tant en Flandre belge qu'à Bruxelles... D'ailleurs, l'enfant n'eut guère le temps de connaître sa ville natale puisque son père fut bientôt nommé professeur au lycée d'Ambert. C'est là que se situe l'anecdote qu'il rapporta à Brigitte Massin : « Un jour où j'étais à la campagne avec mon père, il y eut soudain des chants d'alouettes. J'ai brusquement posé mon morceau de pain et, montrant le ciel du doigt, j'ai sfait signe qu'il fallait écouter. J'avais, paraît-il, trois ans ! » Et c'est dans la ville natale de Chabrierque le petit Olivier, âgé de quatre ans à peine, apprit à lire. Et pas n'importe quoi : son père l'aurait vu plongé un jour dans... Les Aventures du dernier des Abencérages de Chateaubriand !